Tribunal administratif N° 49922 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49922 2e chambre Inscrit le 11 janvier 2024 Audience publique du 16 décembre 2024 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49922 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2024 par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 décembre 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 octobre 2024.
Le 21 avril 2022, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Les 1er septembre et 27 octobre 2022, ainsi que le 10 janvier 2023, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 11 décembre 2023, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée 1 comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 21 avril 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains votre fiche des motifs manuscrite du 21 avril 2022, le rapport du Service de Police Judiciaire de même date ainsi que le rapport d'entretien d des 1er septembre 2022, 27 octobre 2022 et 10 janvier 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Madame, vous déclarez vous nommer (A), être née le … à … au Cameroun, être de nationalité camerounaise, d'ethnie Bamiléké et de confession chrétienne. Vous déclarez également avoir vécu depuis votre naissance et jusqu'en 2008 à … dans le quartier « … », puis avoir vécu de 2008 à 2013 à Batié, pour finalement revivre à … dans le même quartier jusqu'à votre départ du Cameroun en 2021 et où vous auriez effectué une formation dans la restauration de 2013 à 2018 (p.2-4/24 du rapport d'entretien).
Lors de votre entretien individuel sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous dépeignez avoir quitté votre pays d'origine pour deux raisons, notamment d'une part, en raison de votre orientation sexuelle et d'autre part, en raison du mariage forcé auquel vous auriez été contrainte par votre famille et plus précisément par votre mère et votre oncle, alors que ces derniers auraient découvert votre attirance sexuelle envers les femmes (p.11/24 du rapport d'entretien). A cet égard, vous détaillez avoir été mariée de force au dénommé (B) de 2008 à 2013 (p.2-3/24 du rapport d'entretien) et avoir ensuite été rejetée par ce dernier, alors qu'il aurait découvert votre attirance envers les femmes.
En cas de retour dans votre pays d'origine, vous expliquez que vous seriez en danger étant donné qu'au Cameroun on n'accepterait pas « les lesbiennes [ni] les homosexuelles » (p-
11/24 du rapport d'entretien). De plus, vous craindriez également le retour dans votre pays d'origine, alors que vous auriez fait l'objet de menaces provenant d'une personne que vous supposez être un militaire et qui vous aurait contraint à avoir une relation avec lui sous peine de dénoncer votre orientation sexuelle et votre relation avec la dénommée (C) (p.11/24 et 16-
17/24 du rapport d'entretien).
Par peur, vous auriez finalement décidé de quitter le Cameroun vers la Turquie le 10 août 2021. Vous auriez ensuite, après quelque mois, quitté la Turquie pour vous rendre en Grèce, où vous auriez résidé jusqu'en mars 2022 sans introduire de demande de protection internationale. En mars 2022, vous auriez décidé de partir en Belgique, où vous auriez séjourné pendant plusieurs semaines, également sans y introduire une demande de protection internationale. Vous auriez ensuite décidé de rejoindre le Luxembourg et de « tenter [votre] 2 chance ici » en introduisant une demande de protection internationale (p.8-9/24 du rapport d'entretien).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun titre d'identité ou de voyage, qui permettrait de prouver votre identité. Vous ne remettez également aucune autre pièce justificative qui aurait permis de corroborer vos déclarations.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
En effet, l'analyse approfondie de votre dossier administratif a permis de constater que les deux motifs de fuite que vous dépeignez sont totalement inventés de toutes pièces.
Premièrement, la crédibilité de votre prétendue orientation sexuelle est considérablement remise en cause pour les raisons énoncées ci-après et deuxièmement, le motif de fuite qui a trait au prétendu mariage forcé que vous auriez subi ne saurait également être convaincant.
Troisièmement, il convient d'ajouter que votre comportement en Europe ne reflète aucunement le comportement d'une personne qui serait valablement en danger dans son pays d'origine, sans omettre, que quatrièmement nombreuses de vos autres déclarations sont de manière générale paradoxales et discordantes.
Premièrement, force est donc de relever, en ce qui concerne votre premier motif de fuite avancé, qu'il est évident que votre prétendue homosexualité n'est qu'un subterfuge fallacieux que vous utilisez afin d'augmenter la probabilité de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg, respectivement que vous utilisez afin de rattacher une quelconque histoire à l'un des cinq motifs de fond de la Convention de Genève dans le but de favoriser votre situation personnelle.
Le constat du caractère mensonger de votre récit, respectivement de votre attirance pour les femmes, se base notamment sur le fait que vous avez vraisemblablement cru que les autorités luxembourgeoises allaient prendre pour argent comptant votre prétendue orientation sexuelle et que vous ne vous êtes par conséquent aucunement efforcé de fournir des détails et exemples cruciaux pour étayer vos déclarations. Ainsi, votre prétendue homosexualité ne 3 repose que sur vos propres allégations, qui ne sauraient être crédibles alors qu'elles sont très générales, vagues et impersonnelles.
Cette facette fictive de votre homosexualité s'impose étant donné qu'il ressort à aucun moment de la lecture de votre entretien ministériel que vous auriez eu une relation amoureuse et sentimentale stable avec une femme au cours de votre vie. En effet, lorsque l'agent ministériel aborde votre principale relation avec la dénommée (D) en vous posant des questions personnelles et précises, vous restez évasive tout en vous limitant à rapporter que vous auriez découvert votre attirance pour les femmes en « passant du temps avec une voisine, elle me touchait tout et tout … et c'est comme ça que les envies venaient » (p.12/24 du rapport d'entretien). De plus, force est de constater que vous ne vous souvenez d'ailleurs même pas du nom de famille de (D), alors que vous auriez cependant passé un temps considérable avec cette dernière puisqu'elle vous aurait « vu grandir depuis l'âge de 6 ans » (p.12/24 du rapport d'entretien) et que vous auriez entretenu une relation depuis vos 13 ans jusqu'à « l'âge de [vos] 15 ans » (p.13/24 du rapport d'entretien), c'est-à-dire pendant approximativement deux ans.
Dès lors, le fait que vous ne connaissiez donc même pas son nom de famille est sérieusement douteux et n'emporte manifestement aucune conviction à l'égard de votre prétendue relation avec elle.
Toujours à cet égard, force est de retenir que vous êtes incapable de partager une anecdote ou histoire personnelle que vous auriez vécu avec (D), tel que par exemple un bon souvenir que vous garderiez de la période passée à ses côtés. Vous êtes également incapable de fournir une description physique concrète ou encore une description de la personnalité de (D), au contraire, vous vous bornez uniquement à affirmer que « C'était une bonne personne.
Elle m'avait organisé un anniversaire pour mes 13 ans. Elle m'avait offert des cadeaux, des chaussures » ou encore « C'était une femme mûre, elle avait dans la trentaine. Moi j'avais 13 ans » (p.12-13/24 du rapport d'entretien). Or, lorsque l'agent ministériel vous prie d'élucider vos propos à son égard vous répondez tout simplement que vous n'avez rien à ajouter et que « c'est tout » (p.14/24 du rapport d'entretien).
Outre ces propos très vagues etnon-corroborés, certaines de vos déclarations plus générales par rapport à votre prétendue relation avec (D) sont également dénuées de toute logique, puisque force est de noter que vous affirmez, d'abord, avoir entretenu une relation avec (D) jusqu'à vos 15 ans en précisant qu'elle aurait ensuite dû déménager, étant donné que votre mère et votre tante vous auraient surprises en train de vous toucher. Or, ceci suppose clairement que (D) aurait déménagé directement après que votre famille vous aurait surprise avec elle. Cependant, force est de relever que lorsque l'agent ministériel vous demande quand (D) aurait déménagé vous répondez en 2015, c'est-à-dire lorsque vous auriez eu … ans, ce qui ne correspond donc manifestement pas à l'année de vos … ans, à savoir 2006 et ce qui accentue une nouvelle fois le fait que votre prétendue relation n'est qu'une pure invention.
Force est encore de constater que durant votre entretien individuel, vous avancez, subitement, avoir entretenu également une autre relation avec une autre femme en 2014 lorsque vous auriez habité à … dans la maison de votre prétendu mari le dénommé (B). Or, ces déclarations sont totalement sorties de leur contexte et s'apparentent manifestement à des déclarations que vous auriez inventées de toute pièces afin d'aggraver votre prétendue situation en tant que personne homosexuelle. En effet, force est de constater que ces propos sortent de nulle part et sont en totale contradiction avec d'autres de vos propos, qui indiquent que vous seriez retournée habiter à … déjà en 2013, alors que vous y auriez suivi une formation dans la restauration, l'hôtellerie et le service de « 2013-2018 » (p.4/24 du rapport d'entretien).
4 Ainsi, cette prétendue deuxième relation que vous auriez entretenue avec (H) à … ne saurait aucunement être crédible et possible en 2014, étant donné que vous ne vous trouviez pas à … pendant ladite année mais bel et bien déjà à …. Le fait que vous indiquiez encore ensuite un peu plus loin dans votre entretien individuel avoir quitté …, « en…euh…2015 » ou encore avoir effectué votre formation de « 2015 à 2017» (p.15/24 du rapport d'entretien) ne saurait que confirmer les précédents constats et notamment le fait que vous essayez de duper les autorités luxembourgeoises. De facto, vous vous jouez donc également des autorités en ce qui concerne cette prétendue deuxième relation avec une femme. Par conséquent, force est de constater qu'un tel stratagème de votre part ne saurait passer inaperçu, alors que vous essayez de garder un semblant de logique par rapport à vos autres déclarations antérieures, en vain.
Pareil constat s'impose une nouvelle fois en ce qui concerne votre prétendue troisième relation que vous auriez entretenue cette fois-ci avec la dénommée (C), personne que vous détaillez dans un premier temps avoir été une simple connaissance du Cameroun et commerçante (p.6/24 du rapport d'entretien) laquelle vous aurait d'ailleurs aidé à vous procurer des faux papiers pour que vous puissiez quitter le pays vers la Turquie. Or, dans un deuxième temps vous dépeignez que cette dénommée (C) aurait été une amie de longue date que vous connaîtriez déjà depuis fin 2015 (p.15/24 du rapport d'entretien). Outre, cette contradiction manifeste, il convient de relever que la date de votre amitié depuis 2015 ne correspond également pas avec la date de votre amitié retrouvée sur votre profil Facebook, alors qu'une publication sur votre profil du 16 août 2018 vous félicite pour vos deux ans d'amitié. Finalement et dans un troisième temps, vous changez une nouvelle fois de version au sujet de la dénommée (C) et affirmez que cette dernière aurait été votre petite-amie et maitresse durant plusieurs années et jusqu'à votre départ du Cameroun (p.16/24 du rapport d'entretien).
Or, Madame, il est manifeste que les plusieurs facettes que vous accordez à la dénommée Sidonie mettent considérablement à mal votre crédibilité et plus précisément la crédibilité de votre prétendue relation avec celle-ci, étant donné que vous ne vous accordez à aucun moment sur une version unique et uniforme. Ainsi, il n'est sans nul doute que cette dernière relation est un énième mensonge de votre part avec lequel vous essayez de vous faire passer pour une personne homosexuelle auprès des autorités luxembourgeoises.
Dans ce sens toujours, vous n'êtes pas en mesure d'apporter une quelconque preuve tangible qui permettrait d'établir que vos prétendues relations homosexuelles existeraient vraiment et que vos prétendues relations ne proviendraient pas de votre pure imagination. Au contraire, lorsque l'agent ministériel vous questionne à cet égard, vous répondez de manière négative. Or, il n'est tout simplement pas crédible que vous ne disposeriez pas d'une seule photo, voire d'un courriel ou encore d'un SMS des personnes avec lesquelles vous auriez prétendument entretenu une relation amoureuse à plusieurs époques de votre vie. Cela est d'autant plus vraie, alors que de nos jours on peut s'attendre à ce que ce genre d'éléments soient faciles à apporter puisque de nombreuses informations sont sauvegardées sur les différents outils électroniques de notre société actuelle, comme par exemple le cloud, le drive, whatsapp, etc.
A toutes fins utiles, l'incrédibilité de votre homosexualité se trouve manifestement être scellée alors que vous démontrez avoir un intérêt particulier envers les hommes. En effet, vous avouez ouvertement avoir dragué une de vos connaissances camerounaises, qui se serait trouvé en France, via les réseaux sociaux et ce par le biais de « mots doux ». Votre justification selon laquelle vous auriez fait « comme si [vous étiez] attiré par lui sur Facebook pour qu'il puisse [vous] aider [financièrement] » lorsque vous vous trouviez en Grèce ne saurait aucunement convaincre, étant donné que vous avouez avoir flirté avec cette homme depuis déjà « 2018 », 5 date à laquelle vous vous trouviez encore au Cameroun (p.10-11/24 du rapport d'entretien) et lors de laquelle vous auriez prétendument été en couple avec (C) à en croire vos déclarations.
Dans cette même lignée, force est de constater qu'il ressort de votre profil Facebook (A) que vous avez manifestement également entretenu une relation avec un homme, le dénommé (E) lorsque vous vous trouviez au Cameroun, alors que ce dernier commente vos photos à plusieurs reprises en y laissant des mots doux tels que « CHERIE je suis jaloux (…) quand on sort ensemble (…) » ou encore « très jolie heinnn mon bb ». Or de tels commentaires ne sauraient aucunement passer inaperçu, alors qu'ils parlent d'eux-mêmes et qu'ils témoignent manifestement que vous auriez entretenu une relation avec cette personne. De même, il a été relevé que vous avez essayé de renouer le contact avec lui lorsque vous vous trouviez en Grèce en 2022, puisque vous commentez une de ses photos très certainement afin d'attirer son attention.
Madame, vous avez donc sciemment inventée cette partie de votre histoire dans le but de favoriser l'issue de votre décision ministérielle, machination de votre part qui ne saurait nullement être acceptée, respectivement, tolérée. En effet, il ne saurait être considérée que vous soyez réellement une personne homosexuelle, alors que vous dramatisez officieusement votre situation et essayer par tous les moyens de vous voir accorder une protection internationale sur cette base.
A toutes fins utiles, il convient ipso facto de totalement remettre en cause les prétendues menaces que vous auriez reçues de la part d'une personne que vous supposez être un militaire et qui vous aurait contraint à avoir une relation avec lui sous peine de dénoncer votre orientation sexuelle (p.16-17/24 du rapport d'entretien), alors qu'il s'agit clairement d'une énième ruse de votre part dans l'unique but de convaincre les autorités luxembourgeoises afin qu'ils croient à votre histoire.
Deuxièmement, et dans la continuité des développements effectués ci-dessus, force est de relever que votre deuxième motif de fuite, notamment votre prétendu mariage forcé au dénommé (B), est également un mensonge que vous utilisez pour aggraver votre situation dans votre pays d'origine, en vain, alors que celui-ci témoigne uniquement de votre malhonnêteté continue.
En effet, force est de constater que vous n'avez très certainement à aucun moment donné de votre vie subi un quelconque mariage forcé, alors que ce prétendu dit mariage aurait été la conséquence de la découverte par votre famille de votre prétendue orientation sexuelle, laquelle a largement été remise en question ci-avant, de sorte que votre mariage forcé est de facto également sans nul doute une pure invention.
Quoiqu'il en soit, votre mariage forcé ne saurait également pas être considéré comme étant crédible, alors que vous n'êtes aucunement cohérent en ce qui le concerne. En effet, il convient de relever que selon vos déclarations vous auriez été donné en mariage en 2008 au dénommé (B) (p.2/24 du rapport d'entretien) suite à la décision de votre oncle et de votre mère et ce dans le but de cacher votre prétendue orientation sexuelle (p.14/24 du rapport d'entretien). Selon vos déclarations, la cérémonie de ce mariage aurait été organisée en août 2008 (p.14/24 et p.18/24 du rapport d'entretien) et vous seriez, après la cérémonie, partie habiter avec le dénommé (B) et ses trois autres femmes à … de « 2008-2013 » (p.3/24 du rapport d'entretien).
6 Or, lors de l'analyse de vos déclarations lors de votre entretien individuel, force est de constater que vous changez de version en affirmant que la cérémonie aurait été organisée un samedi soir de « juin 2008 », (p.18/24 du rapport d'entretien), contrairement à ce que vous aviez énoncé auparavant, à savoir août 2008. De plus, il convient de noter que vous êtes incapable de donner des explications précises et détaillées quant à la célébration de votre mariage alors que vous vous limitez à dire « (…) on a mangé, on a bu » ou encore « ma famille a parlé avec (B), de 20 heures à 22 heures » (p.18/24 du rapport d'entretien), explications totalement vagues et inopportunes pour décrire un mariage. En outre, vous êtes également incapable de rapporter une quelconque preuve de ce mariage tel qu'un acte de mariage ou encore tout autre document, qui permettrait de corroborer votre version des faits (p.18/24 du rapport d'entretien).
Pareil constat s'impose lorsque l'agent ministériel vous questionne si vous seriez au moins en possession d'une quelconque photo de ce mariage, question à laquelle vous répondez « Je n'en ai pas » (p.19/24 du rapport d'entretien). Dès lors, tous ces constats démontrent manifestement que vous n'avez jamais été mariée de force, auquel cas vous vous seriez efforcé de donner de plus amples explications concrètes.
Toujours concernant les contradictions remettant en cause votre prétendu mariage forcé, il convient de relever que vous expliquez avoir vécu à … avec les trois autres femmes de (B) « de 2008- 2014 » (p.19/24 du rapport d'entretien), or, ces dates sont en contradiction avec les autres premières dates que vous aviez indiquées plus haut, notamment avoir vécu à … de « 2008-2013 » (p.3/24 du rapport d'entretien). Ainsi, force est de constater que vous ne savez à l'évidence pas vous-même jusqu'à quand vous auriez été engagée dans le prétendu mariage forcé, ce qui ne saurait soutenir la crédibilité de votre deuxième motif de fuite. De même, il convient de remarquer que vous n'êtes pas capable de rapporter un quelconque nom de famille des autres trois femmes avec lesquelles vous auriez pourtant vécu pendant cinq, respectivement, six ans, selon vos deux versions différentes.
La crédibilité de votre mariage forcé est une énième fois considérablement remise en doute, alors qu'il peut être retenue selon vos déclarations que vous vous seriez enfuie de …, d'abord, en 2013, puis, uniquement en 2014, et finalement en 2015 tout en avançant une fuite totalement rocambolesque (p.15/24 et p.19/24 du rapport d'entretien). De plus, lors de votre fuite, il est curieux que vous vous soyez immédiatement rendue au domicile de votre mère, alors que cette dernière aurait tout de même participé à l'organisation de votre mariage forcé. Par conséquent, il parait d'autant plus improbable que votre mère vous ait ensuite accueilli à bras ouvert et ce jusqu'à votre départ définitif du Cameroun. Il paraît également d'autant plus invraisemblable que votre oncle ne soit pas intervenu, alors que ce dernier aurait été celui qui vous aurait obligé à vous marier. De même, vous accentuez une ultime fois l'incrédibilité de votre mariage forcé, lorsque vous expliquez que votre prétendu époux vous aurait demandé, après votre fuite, de venir récupérer votre fils, que vous auriez laissé à …. Or, force est de noter qu'aucune mère n'aurait pris la fuite sans son fils, de sorte que cette partie concernant votre prétendu mariage forcé est également totalement improbable. Finalement, le fait que vous ayez ensuite demandé à votre mère d'aller récupérer votre fils à … « en 2000» (p.15/24 du rapport d'entretien) n'est une nouvelle fois pas logique, alors que cette date est diamétralement opposée à toutes les dates que vous ayez pu avancer précédemment.
Il n'est dès lors plus sans aucun doute que vous avez manifestement inventée également cette deuxième partie de votre histoire et que vous n'avez à aucun moment été mariée de force 7 par votre oncle ou encore votre mère. Au contraire, il s'agit d'une énième manipulation de votre part pour augmenter les chances de vous voir accorder une protection internationale.
Troisièmement, il convient de constater que le manque de crédibilité générale de votre récit est renforcé par le comportement que vous affichez et adoptez depuis votre arrivée en Europe, alors qu'une telle attitude ne correspond vraisemblablement pas à celle d'une personne qui se prétend être réellement en danger dans son pays d'origine. En effet, on peut attendre d'une personne réellement persécutée et à la recherche d'une protection qu'elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, contrairement à vous, qui êtes restée en Grèce d'août 2021 à mars 2022 sans ne jamais y rechercher une forme de protection quelconque et sans ne jamais introduire de demande de protection internationale. Le fait que vous affirmiez avoir demandé « l'asile à … » et avoir donné vos empreintes en « octobre 2021 » (p.7/24 du rapport d'entretien) ne saurait être qu'un mensonge de plus, alors qu'aucune trace d'une telle action de votre part n'a pu être retrouvée dans la base de données « Eurodac ». Or, il s'agit d'un système européen qui fonctionne avec les empreintes digitales des personnes, de sorte que si vous aviez réellement introduit une demande de protection internationale ou encore donné vos empreintes digitales, cela figurerait dans la base de données.
Ainsi, au lieu de rechercher une forme de protection, vous avez donc manifestement préféré chercher des alternatives pour quitter la Grèce en orientant votre choix vers d'autres pays européens, tels que la France, la Belgique ou encore le Luxembourg. Au final, vous vous seriez, d'abord, rendu en Belgique, où vous auriez également passé plusieurs semaines sans ne jamais avoir la volonté d'introduire une demande. Vos explications à cet égard, notamment le fait que vous auriez eu « peur qu'on ne [vous] reçoit pas » ou encore peur que « les autorités belges ne [vous] accepte pas » ou encore le fait que vous auriez été influencée négativement par « la personne chez qui » vous vous trouviez en Belgique, ne sauraient emporter aucune conviction (p.7/24 du rapport d'entretien). En effet, votre comportement ne reflète clairement pas celui d'une personne qui serait à risque dans son pays d'origine.
Pareil constat s'impose finalement lorsque vous dites avoir décidé de « tenter [votre] chance ici » en parlant du Luxembourg, alors que vous vous seriez renseigné sur le pays et notamment sur « la vie, l'accueil [et] comment les gens se comportent » (p.8/24 du rapport d'entretien), ce qui suppose clairement que vous avez opéré un choix par rapport au pays d'introduction de votre demande pour vous installer là où cela vous conviendrait le mieux.
Quatrièmement, force est de noter que nombreuses de vos autres déclarations effectuées lors des entretiens respectifs au courant de la procédure de votre demande de protection international sont manifestement incohérentes, lesquelles accentuent le fait que la totalité de votre récit n'est qu'un tissu mensonger respectivement une pure invention de votre part. A titre d'exemple, il convient notamment d'énumérer quelques exemples non-exhaustifs qui figurent parmi lesdites incohérences et contradictions.
Tout d'abord, en ce qui concerne votre départ de la Turquie vers la Grèce, vous dites, d'une part, auprès des agents du Service de Police Judiciaire ne pas avoir gagné assez d'argent pour payer vos factures (p.2/5 du rapport de police), alors que, d'autre part, vous expliquez avoir quitté la Turquie en raison du « racisme » et parce que vous n'auriez pas maitrisé la langue (p.9/24 du rapport d'entretien). Ensuite, vous dites également ne pas avoir appelé (C) « car [vous n'aviez] pas de carte téléphonique turque » (p.9/24 du rapport d'entretien), or, vous indiquez par après avoir « appelé (C), je lui ai dit que le monsieur qui devait venir me 8 chercher [en Turquie] n'était pas venu » (p.16/24 du rapport d'entretien). En outre, concernant cette fois-ci votre voyage depuis la Grèce vers la Belgique, vous racontez une toute autre version auprès des agents du Service de Police Judiciaire qu'auprès de l'agent ministériel. En effet, vous expliquez aux agents du Service de Police Judiciaire qu'« ein Freund hat mich an einen gewissen (F) verwiesen, welcher mir den Pass organisierte. Monsieur (F) ist auch mit mir nach Belgien gefahren, ein [Freund] von ihm ist auch mitgeflogen (….) Den Pass musste ich ihm wieder abgegeben. In Belgien blieb ich 2-3 Wochen, ich habe bei einem Freund von (F) geschlafen » (p.2-3/5 du rapport de police). Or, auprès de l'agent ministériel vous déclarez que vous vous seriez procuré les billets d'avion d'Athènes vers la Belgique grâce à l'une de vos connaissances camerounaises en France, qui s'appelle « (F) » et qui « a acheté les billets d'avion en ligne », qui « est aussi venu en Grèce [vous] voir » et avec qui vous auriez quitté la Grèce vers la Belgique (p.10/24 du rapport d'entretien). Par conséquent, il est explicite que le dénommé (F) ne saurait être, d'une part, un passeur inconnu et d'autre part, une personne que vous connaitriez et avec laquelle vous auriez eu des contacts déjà depuis longtemps.
Toujours concernant ledit voyage de la Grèce vers la Belgique, vous confirmez avoir quitté la Grèce uniquement avec une seule personne, notamment (F), contrairement à ce que vous avez pu affirmer lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire, notamment avoir pris l'avion ensemble avec deux autres personnes. Or, lorsque vous êtes interpellé par l'agent ministériel au sujet de ces changements de versions considérables en parallèle des photos retrouvées dans votre téléphone par le Service de Police Judiciaire, vous essayez encore et toujours de vous justifier en vain en inventant une histoire totalement fausse, alors que vous expliquez avoir rencontré la troisième personne présente sur la photo uniquement dans l'avion, pour rechanger ensuite vos déclarations lorsque l'agent vous informe que cela ne saurait être possible puisque la troisième personne vous aurait pris en photo avec (F) à l'extérieur de l'aéroport et ce à quoi vous répondez finalement, « je ne sais plus, peut-être on s'est rencontré avant de monter dans l'avion ». Or, il est manifeste que vous vous sentez vous-même rattrapé par vos tous mensonges et que vous essayez par tous les moyens de vous en dépêtrer (p.1920/24 du rapport d'entretien).
Finalement, force est de constater que vous êtes une dernière fois contradictoire en ce qui concerne la date de départ vers la Belgique, étant donné que vous dites d'une part être arrivée en Belgique « le 23.03.2022 » (p.6/24 du rapport d'entretien), ce que vous confirmez une deuxième fois par après et ce qui a d'ailleurs également pu être corroboré par la photo de votre billet d'avion retrouvée par les agents de police sur votre téléphone portable (p.2/5 du rapport de police). Or, il est ainsi totalement incongru et temporellement impossible que le dénommé (F) soit venu vous rendre visite en Grèce « le 26.03.2022 » et que vous soyez parti ensemble le « 29.03.2022 » (p.10/24 du rapport d'entretien). Par conséquent, il est évident, Madame, que vous inventez, respectivement, mentez, respectivement encore essayez de cacher la réelle vérité aux autorités luxembourgeoises à votre égard, comme cela est d'ailleurs également le cas concernant la totalité de votre récit.
Partant, votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision 9 ministérielle du 11 décembre 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre une décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 11 décembre 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse, après avoir repris les faits et rétroactes tels que développés ci-avant, explique être originaire du Cameroun et avoir quitté ledit pays le 10 août 2021 pour se rendre en Turquie au moyen d’un visa turc. Depuis la Turquie, elle se serait rendue en Grèce et aurait ensuite rejoint le Luxembourg. Elle aurait quitté son pays d’origine non seulement en raison de son orientation sexuelle, mais également en raison d’un mariage forcé qu’elle aurait subi.
La demanderesse expose, dans ce contexte, qu’à l’âge de treize ans, elle aurait entretenu une relation amoureuse, respectivement sexuelle, avec la prénommée (D), qui aurait eu une trentaine d’années. Elle explique qu’à l’âge de quinze ans, sa mère aurait découvert son homosexualité après l’avoir surprise avec (D) et elle aurait, de ce fait, été enfermée par sa mère qui n’aurait pas accepté que sa fille fréquente une femme. Son oncle aurait, par la suite et sur avis de sa mère, décidé de la marier de force à un homme dénommé (B), qui aurait eu la soixantaine et qui aurait été marié à trois autres femmes. De cette union serait né, en date du …, un garçon dénommé (G).
Durant son mariage, elle aurait fait la connaissance d’une femme, prénommée (H), avec laquelle elle aurait entretenu une relation. Elle explique que son mari les aurait ensuite surprises toutes les deux dans la chambre de la maison familiale, l’aurait battue et l’aurait emmenée, ensemble avec (H), au bureau de police locale où elles auraient été détenues pendant deux semaines.
Suite à cet évènement, elle aurait décidé de quitter son village et se serait rendue, moyennant de l’argent qu’elle aurait volé à son mari, dans la ville de … pour y retrouver sa mère. A …, elle aurait fait la connaissance d’une dénommée (I), qui serait devenue sa partenaire.
La demanderesse continue en expliquant qu’en 2019 elle aurait été harcelée par un militaire qui l’aurait menacée et l’aurait forcée à entretenir une relation amoureuse avec lui, nonobstant le fait qu’il avait connaissance de son orientation sexuelle. Face à cette situation, qui serait devenue de plus en plus dangereuse et menaçante, elle aurait décidé de quitter son pays d’origine pour se rendre au Luxembourg.
En droit, la demanderesse reproche au ministre d’avoir retenu, dans la décision litigieuse, que les raisons de fuite qu’elle avait invoquées ne relèveraient pas des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-
après désignée par « la Convention de Genève », et par la loi du 18 décembre 2015, tout en 10 précisant que ses déclarations, telles qu’actées dans son rapport d’audition, correspondraient à la réalité, seraient précises et cohérentes. La demanderesse ajoute, à cet égard, que si le ministre avait estimé qu’elle n’avait pas assez détaillé son récit, il lui aurait appartenu d’organiser une audition supplémentaire au lieu de se limiter à affirmer que les faits allégués ne seraient pas crédibles.
Elle donne, dans ce contexte, à considérer que le fait d’avoir communiqué des dates approximatives et/ou des dates erronées lors de son entretien relatif aux motifs à la base de sa demande de protection internationale ne permettrait nullement d’affirmer qu’elle affabulerait, alors qu’un demandeur d’asile serait une personne traumatisée par les persécutions endurées, de sorte que quelques erreurs de dates ne sauraient remettre en doute la crédibilité de son récit dans son intégralité.
Quant au reproche formulé par le ministre selon lequel elle aurait été évasive concernant sa relation avec la prénommée (D), la demanderesse fait valoir qu’à l’époque de sa relation avec cette dernière, elle n’aurait été âgée que de treize ans et que pour une personne de cet âge, le nom de famille de la petite amie n’importerait que peu.
Concernant ensuite le reproche du ministre selon lequel elle n’aurait pas partagé d’anecdote ou d’histoire personnelle qu’elle aurait vécue avec son amie (D), la demanderesse explique qu’un tel constat serait totalement subjectif, alors qu’aucune question ministérielle n’aurait été concrètement posée en ce sens, en ajoutant qu’il relèverait, par ailleurs, du bon sens que durant les deux années pendant lesquelles elle aurait fréquenté (D) en cachette, elle aurait uniquement voulu partager, en toute discrétion, des relations et des moments intimes avec celle-
ci.
La demanderesse affirme, à cet égard, être une personne très timide et très réservée et donne à considérer qu’en raison du fait que sa vie au Cameroun l’aurait fortement affectée et que sa famille n’aurait cessé de lui rappeler que son attirance envers les femmes ne serait pas « normale », elle aurait du mal à s’exprimer, à s’ouvrir aux autres et à raconter les histoires amoureuses qu’elle aurait vécues avec celles-ci. Elle estime qu’il aurait appartenu au ministre de prendre en considération sa personnalité avant de déclarer que ses propos seraient vagues.
La demanderesse fait encore valoir qu’à la question relative à la date du déménagement de son amie (D), elle aurait répondu que ledit déménagement aurait eu lieu en 2015 et aurait expliqué qu’elle aurait continué à la voir « jusqu’à ce que j’ai l’âge de 15 ans, parce qu’ensuite, (D) a dû déménager, parce que ma maman est ma tante nous ont surpris ».
Elle continue en réitérant que son mariage forcé avec Monsieur (B) aurait eu lieu en août 2008 à l’initiative de sa famille, afin de la contraindre à arrêter ses relations intimes avec les femmes, malgré le fait qu’elle aurait alors été âgée de dix-sept ans et qu’elle n’aurait pas voulu épouser ce dernier. Nonobstant ce mariage, elle n’aurait pas pu contenir son attirance envers les femmes et aurait été surprise par son mari en compagnie de la prénommée (H), de sorte qu’elle aurait été contrainte de fuir dans la précipitation. Pour cette raison, et également du fait de son traumatisme - résultant des rapports sexuels non consentis qu’elle aurait eus avec un vieil homme et qui l’auraient conduite à avoir un déni total de sa vie avec lui à … - elle aurait laissé derrière elle son fils. La demanderesse fait, dans ce contexte, valoir que, comme le soulignerait à juste titre le ministre dans sa décision de refus, « aucune mère n’aurait pris la fuite sans son fils », ce qui démontrerait l’état traumatique important dans lequel elle se serait trouvée et en raison duquel elle aurait inconsciemment laissé derrière elle son fils.
11 En s’appuyant sur un article de l’Organisation suisse d’aides aux réfugiés (OSAR) intitulé « Cameroun : mariages forcés et féminicides » du 14 avril 2023 lequel dénoncerait « cette tradition culturelle » qui toucherait chaque année des dizaines de milliers de jeunes filles et qui aurait des conséquences graves sur le comportement de ces dernières, la demanderesse affirme que lorsqu’elle serait amenée à raconter son vécu, elle s’exprimerait très difficilement et aurait une voix à peine compréhensible, ce qui démontrerait que les faits vécus par elle auraient également des conséquences sur son comportement.
La demanderesse estime que son récit relatif à sa relation amoureuse avec la dénommée (C) ne manquerait pas non plus de crédibilité, étant donné que le fait qu’elle ait mentionné, lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale, que cette dernière était une amie ayant la quarantaine et étant commerçante au Cameroun, sans être entrée plus amplement dans les détails à ce stade dudit entretien et sans préciser plus en avant qu’elle était sa petite amie, ne permettrait nullement d’affirmer qu’elle affabulerait. Elle précise, à cet égard, que l’essentiel d’une audition serait d’amener le demandeur d’une protection internationale à répondre à des questions pertinentes afin de fournir des détails sur son parcours. En l’espèce, l’agent ministériel en charge de son audition n’aurait fait aucun effort pour l’amener à fournir davantage de détails nécessaires au soutien de sa demande de protection internationale et le ministre se serait limité à extraire de ses déclarations des faits non pertinents pour asseoir sa décision et relever de prétendues incohérences là où il n’y en aurait pas.
La demanderesse affirme qu’elle remplirait, dès lors, les conditions fixées à l’article 42, paragraphe (2), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où elle risquerait d’être persécutée du fait de son orientation sexuelle, qui serait, par ailleurs, établie à suffisance.
Elle conclut qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir été plus précise lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale et qu’au cas où des incohérences apparaîtraient dans son récit, celles-ci ne le rendraient pas fictif et ne sauraient remettre en cause de manière catégorique la réalité de son orientation sexuelle et de son mariage forcé.
Madame (A) s’appuie ensuite sur un article de Human Rights Watch du 11 mai 2022 intitulé « Cameroun : Hausse des violences à l’encontre de personnes LGBTI » suivant lequel les violences à l’encontre des personnes « LGBTI » seraient en hausse au Cameroun, alors que l’appartenance « à ce groupe » y serait considérée comme un crime. La demanderesse expose que selon l’article en question, les homosexuels seraient arrêtés, placés en détention et frappés, tout en donnant à considérer qu’un risque de subir des tels traitements existerait également dans son chef, alors qu’elle aurait entretenu, depuis un très jeune âge, des relations sexuelles de façon régulière avec des femmes.
Etant donné qu’elle aurait exposé ses relations sexuelles de manière détaillée et de la façon qui aurait été la plus précise possible pour elle, lesdites relations ne sauraient pas être remises en doute en raison du fait qu’un collègue de travail lui aurait écrit « cheri » ou « bb » sur le réseau social « Facebook », alors qu’il serait de notoriété publique que dans les pays francophones africains, les « jeunes gens p[ourraient] s’exprimer ainsi entre eux ». La demanderesse ajoute, par ailleurs, ne pas avoir répondu auxdits commentaires.
Concernant son départ de la Turquie vers la Grèce, Madame (A) reproche au ministre de tenter une nouvelle fois de soulever des incohérences dans son récit, tout en donnant à 12 considérer qu’elle n’aurait aucun intérêt à mentir sur son trajet ou sur l’identité des personnes qui l’auraient accompagnée ou qu’elle aurait rencontrées.
Elle reproche également au ministre d’avoir pris sa décision de refus sans considérer sérieusement ses déclarations relatives à son orientation sexuelle et de s’être limité à analyser la crédibilité de son récit pour prendre la décision litigieuse, sans prendre en compte les craintes et les persécutions qu’elle aurait exposées à la lumière de la Convention de Genève.
Elle fait, à cet égard, valoir que le ministre se serait basé sur une appréciation incomplète, voire superficielle des faits, de sorte que la décision litigieuse serait entachée d’une « absence de motivation certaine ».
A titre subsidiaire, la demanderesse donne à considérer que si son récit était déclaré comme n’étant pas crédible, il conviendrait de retenir que son dossier n’aurait pas été suffisamment instruit au cours de la phase précontentieuse, de sorte qu’il y aurait lieu de surseoir à statuer afin de renvoyer ledit dossier au ministre afin de lui permettre de procéder à un complément d’instruction.
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, la demanderesse estime que les conditions d’obtention dudit statut seraient réunies dans son chef.
En s’appuyant sur un jugement rendu le 2 juin 1997 par le tribunal administratif et inscrit sous le numéro 9787 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 18 novembre 1997, inscrit sous le numéro 10119C du rôle, ainsi que sur les articles 37, paragraphes (3) et (5), 21, paragraphe (1), 39 et 48 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse réitère son reproche selon lequel le ministre aurait basé sa décision de refus sur un examen superficiel et insuffisant des faits.
Elle donne, à cet égard, à considérer qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait l’exécution, la torture et/ou des traitements inhumains et dégradants, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait, dans sa décision de refus, estimé qu’elle ne remplirait pas les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015. Confrontée à la question de savoir quelles pourraient être les conséquences d’un retour dans son pays d’origine, elle aurait, lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale, très clairement répondu qu’elle allait devoir faire face « à sa propre mort certaine » et qu’elle aurait, dans son récit, démontré qu’il existerait des motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Elle estime que la décision ministérielle déférée serait, dès lors, entachée d’une violation de la loi, sinon d’un excès de pouvoir ou d’un détournement de pouvoir, sinon encore d’une erreur manifeste d’appréciation, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer ladite décision.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
13 Au titre de la légalité externe, la demanderesse reproche, de l’entendement du tribunal, au ministre une mauvaise instruction de son dossier en violation des articles 10 et 15 de la loi du 18 décembre 2015 au motif que ce dernier aurait procédé à une évaluation incomplète de ses déclarations, tout en reprochant, par ailleurs, à l’agent en charge de ses entretiens s’étant déroulés les 1er septembre et 27 octobre 2022 ainsi que le 10 janvier 2023 de ne pas avoir « fait l’effort pour l’amener à fournir plus de détails nécessaires au soutien de sa demande de protection internationale », et au ministre de ne pas avoir organisé « une audition supplémentaire au lieu de se limiter à affirmer que les faits allégués ne seraient pas crédibles ».
En ce qui concerne tout d’abord le moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse reproche, plus particulièrement, au ministre de s’être basé sur une appréciation « incomplète, voire superficielle des faits » de son récit, de sorte que la décision litigieuse serait entachée d’une « absence de motivation certaine ».
Ledit article dispose que « […] (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.
(3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que :
a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ;
b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ;
c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés ;
d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre.
[…] ».
En l’espèce, contrairement à ce que soutient la demanderesse, force est de constater que celle-ci a amplement été entendue lors de ses auditions respectives des 1er septembre et 27 octobre 2022 ainsi que du 10 janvier 2023 et que le ministre s’est fondé sur l’ensemble de ses déclarations faites à cette occasion pour examiner le bien-fondé de sa demande. La seule circonstance que le ministre a considéré que les déclarations de la demanderesse n’étaient pas de nature à convaincre de la réalité de la crainte de persécution ou du risque de subir des atteintes graves invoqués ne permet pas de retenir que le ministre n’aurait pas procédé à un examen approprié de la demande de protection internationale en méconnaissance de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015.
14 Il s’ensuit que le moyen afférent est rejeté pour ne pas être fondé.
S’agissant du moyen de la demanderesse ayant, de l’entendement du tribunal, trait à une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le ministre n’aurait pas sollicité des explications supplémentaires par rapport aux incohérences ou contradictions qui affecteraient son récit, notamment par le biais de l’organisation d’une audition supplémentaire, cette disposition prévoit en ses paragraphes (1) et (2) que : « (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur.
(2) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport détaillé et factuel contenant tous les éléments essentiels de la demande. A la fin de l’entretien, le demandeur a la possibilité de faire des commentaires ou d’apporter des précisions soit oralement soit par écrit concernant toute erreur de traduction ou tout malentendu dans le rapport. […] ».
Or, si cette disposition prévoit certes la possibilité pour le demandeur de protection internationale de fournir des explications sur des éléments manquants ou sur des incohérences ou contradictions dans ses déclarations, cette possibilité est à entrevoir dans le contexte de l’entretien lui-même et s’applique au demandeur qui a ainsi la faculté de compléter voire préciser ses déclarations1. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, cette disposition ne prévoit pas d’obligation, dans le chef du ministre, de lui demander des clarifications suite audit entretien.
Le moyen fondé sur une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 est dès lors rejeté.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de 1 Voir notamment Cour adm., 18 janvier 2022, n° 46644C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
15 subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de loi du 18 décembre 2015 les énumère sous ses points a), b) et c), comme étant respectivement « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« […] a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la même loi « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
16 (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la même loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves2.
Il se dégage, à ce propos, de la décision litigieuse que le ministre a remis en cause l’intégralité de la crédibilité du récit de la demanderesse. Or, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité dudit récit.
2 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.
17 En effet, s’il ne peut être attendu d’un demandeur de protection internationale qu’il se rappelle chaque détail de son vécu, le tribunal relève qu’il doit tout de même présenter un récit qui soit suffisamment précis et cohérent, tout au moins en ce qui concerne les faits les plus significatifs de sa demande.
Le tribunal est, à cet égard, tout d’abord amené à constater que la demanderesse est incapable de fournir une chronologie cohérente des faits importants à la base de sa demande de protection internationale. Ainsi, Madame (A) affirme, lors de ses entretiens relatifs à sa demande de protection internationale, avoir fait la connaissance de la prénommée (H) - avec laquelle elle aurait eu une relation amoureuse - en 2014 et qu’elle aurait, par la suite, été surprise avec celle-ci par son mari, le dénommé (B), dans leur chambre à coucher à leur domicile conjugal situé à …3. Durant le même entretien, la demanderesse affirme cependant n’avoir vécu avec Monsieur (B) à … que jusqu’en 2013 et avoir suivi une formation de 2013 à 2018 à l’« école … » située à …4. La demanderesse continue ensuite à exposer qu’après avoir été surprise par son mari alors qu’elle aurait été en compagnie de son amante (H) en 2014, elle se serait enfuie du domicile conjugal et y aurait laissé son fils, pour se rendre chez sa mère à …5. Elle déclare encore que sa mère serait partie chercher l’enfant en « 2013, 2014 » pour finalement affirmer qu’elle aurait vécu avec son fils au domicile de sa mère de 2015 jusqu’à son départ du Cameroun6.
Le récit de la demanderesse est encore parsemé d’autres incohérences, en ce que celle-
ci affirme, lors de son entretien du 21 avril 2022 avec la police judiciaire, avoir voyagé depuis la Grèce en Belgique au moyen d’un passeport français en expliquant, plus particulièrement, que « [e]in Freund hat mich an einen gewissen (F) verwiesen, welcher mir den Pass organisierte »7, pour ensuite, dans le cadre de ses entretiens relatifs à sa demande de protection internationale, présenter une autre version des faits, en exposant qu’elle se serait procurée ledit passeport français à travers un dénommé (J) qui le lui aurait vendu à … en Grèce8. Concernant ensuite l’identité du dénommé (F), prémentionné, le tribunal constate qu’après avoir, devant l’agent de la police judiciaire, qualifié celui-ci d’inconnu lui ayant organisé un passeport, la demanderesse explique toutefois, dans le cadre de ses entretiens relatifs à sa demande de protection internationale, qu’il s’agirait d’« une connaissance en France »9 qu’elle connaîtrait depuis « longtemps […] 2018 environ »10 en ajoutant que « [j]e l’ai connu sur Facebook quand j’étais encore au Cameroun. Je lui ai demandé s’il pouvait m’aider financièrement. […] Je lui ai dit que j’étais en Grèce. Je lui ai dit que j’avais besoin d’argent pour les billets d’avion. Lui a acheté les billets d’avion en ligne, et il m’a envoyé la photo des billets. Il est aussi venu en Grèce me voir. » 11.
Il échet, à cet égard, de relever que, malgré le fait pour le ministre d’avoir valablement soulevé, dans la décision déférée, les différentes contradictions et incohérences présentes dans le récit de Madame (A), telles que décrites ci-avant, la requête introductive d’instance ne fournit aucune explication de nature à pouvoir lever lesdites contradictions et incohérences, le litismandaire de la demanderesse se contentant d’affirmer que « quelques erreurs de dates ne 3 Page 15 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
4 Pages 3 et 4 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
5 Page 15 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
6 Ibid.
7 Page 2 du rapport de la police judiciaire.
8 Page 10 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
9 Ibid.
10 Page 11 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
11 Page 10 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
18 sauraient remettre en doute la crédibilité de son récit » et que « concern[ant] [son] départ […] de la Turquie vers la Grèce, […] [elle n’aurait] aucun intérêt à mentir sur son trajet ou sur les personnes qui l’ont accompagné ou qu’elle a rencontrées ».
Le tribunal est, dès lors, amené à constater que les incohérences, telles que décrites ci-
avant, par rapport auxquelles le litismandataire de la demanderesse n’a pas fourni la moindre explication, sont déjà de nature à jeter un doute considérable sur la crédibilité de l’intégralité du récit de cette dernière et a fortiori également sur son motif de fuite tenant à son orientation sexuelle et son mariage forcé.
En ce qui concerne tout d’abord l’orientation sexuelle de la demanderesse qui l’aurait poussée à quitter son pays d’origine de peur d’y subir des persécutions, sinon des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que s’il n’est certes pas évident pour un demandeur de protection internationale de prouver objectivement son orientation sexuelle, le ministre est en droit d’attendre d’un demandeur qui se dit homosexuel et avoir subi des actes de persécution, voire des atteintes graves de ce fait, respectivement craindre de subir de tels actes en cas de retour dans son pays d’origine, qu’il soit convaincant et cohérent sur son vécu et son parcours relatifs à son orientation sexuelle.
Or, force au tribunal de constater que la demanderesse reste en défaut de fournir des explications convaincantes quant à la nature des sentiments qu’elle aurait envers les hommes et a fortiori quant à son homosexualité. Elle prétend ainsi à plusieurs reprises, devant l’agent du ministère en charge de ses auditions, être lesbienne12 et ne pas être attirée par les hommes13 avant de toutefois expliquer qu’elle aurait connu le dénommé (F), prémentionné, à travers le réseau social « Facebook » et qu’elle l’aurait « dragu[é] en ligne depuis 2018 au Cameroun »14. Si elle affirme certes, dans ce contexte, qu’elle aurait « essayé de faire comme si [elle] étai[t] attiré[e] par lui sur Facebook pour qu’il puisse [l’] aider avec l’argent »15, en raison du fait qu’elle aurait eu « besoin d’argent pour voyager, et venir en Europe »16, ladite affirmation n’est pas de nature à convaincre le tribunal, alors (i) que la demanderesse n’a, tel que valablement relevé dans la décision ministérielle litigieuse, quitté son pays d’origine que trois ans plus tard, à savoir le 10 août 202117, étant encore relevé qu’il ressort, à cet égard, de ses propres déclarations qu’elle a pris la décision de quitter le Cameroun « [a]u même moment où [elle a] quitté [ledit pays] »18, soit en 2021, et (ii) qu’elle explique n’avoir demandé de l’argent au dénommé (F) qu’une fois arrivée en Europe et qu’à la question de savoir pourquoi elle n’avait pas demandé de l’aide à ce dernier plus tôt, elle s’est contentée de répondre « [j]e n’y ai jamais pensé »19.
Il y a, dès lors, lieu de constater que Madame (A) affirme d’une part n’avoir aucune attirance envers les hommes, tout en concédant, d’autre part, draguer un homme via le réseau social « Facebook » depuis plusieurs années. Etant donné que l’orientation sexuelle de la demanderesse constitue néanmoins l’un des éléments clefs de son récit, les contradictions y contenues, telles que soulevées ci-avant, sont de nature à jeter le discrédit sur ledit récit et plus 12 Pages 4 et 11 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
13 Pages 3 et 12 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
14 Page 10 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Page 2 du rapport de la police judiciaire.
18 Page 20 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
19 Page 11 du rapport relatif aux entretiens de la demanderesse.
19 particulièrement sur l’orientation sexuelle qu’elle prétend avoir, constat qui n’est pas énervé faute, à nouveau, d’une quelconque prise de position à cet égard dans la requête introductive d’instance.
Le constat du manque de crédibilité du récit de la demanderesse relatif à son orientation sexuelle est encore corroboré par le fait que le ministre a, dans sa décision de refus, relevé que sur le réseau social « Facebook », un dénommé (E) a, de façon non contestée, commenté à plusieurs reprises les photos postées par Madame (A) en utilisant, à son encontre, des propos qualifiés par le ministre de « mots doux » tels que « CHERIE je suis jaloux (…) quand on sort ensemble (…) » et « très jolie heinnn mon bb », laissant entrevoir qu’elle aurait eu une relation sentimentale avec celui-ci et mettant à nouveau en cause sa prétendue homosexualité.
L’explication fournie par la demanderesse dans ce contexte, selon laquelle les personnes de « pays francophones africains […] s’exprime[raient] ainsi entre eux » sur les réseaux sociaux n’est, à défaut d’explications précises et circonstanciées quant à l’identité de la personne ayant commenté lesdites photos, pas de nature à redresser le manque de crédibilité de son récit à cet égard, étant encore relevé que la simple affirmation, non autrement étayée, selon laquelle il s’agirait d’« un collègue de travail » n’emporte pas la conviction du tribunal.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le récit de la demanderesse en relation avec sa prétendue orientation sexuelle, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre. Il s’ensuit que c’est également à bon droit que le ministre a remis en cause la crédibilité des déclarations de celle-ci suivant lesquelles elle aurait, en raison de la prétendue découverte par sa famille de son orientation sexuelle, fait l’objet d’un mariage forcé.
Eu égard à ces constations et aux incohérences dont est parsemé le récit de la demanderesse, telles que soulevées ci-avant, force est au tribunal de constater que les conditions visées à l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, pour pouvoir se prévaloir du bénéfice du doute sans avoir à étayer ses dires par des preuves probantes, à savoir que la demanderesse s’est réellement efforcée d’étayer sa demande, qu’elle a livré tous les éléments dont elle disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le ministre a, à bon droit, refusé d’octroyer une protection internationale à la demanderesse, de sorte que le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.
2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, la demanderesse fait valoir qu’au vu de ce qui précède et en vertu du principe de précaution, la décision en question serait à annuler, tout en soulignant qu’il serait « hautement préférable » de ne pas la reconduire vers un pays où elle aurait fait l’objet de menaces attentatoires à sa sécurité et à son intégrité.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.
20 Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale n’est pas fondé, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.
Au vu de ce qui précède et à défaut d’autres éléments, le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 décembre 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 11 décembre 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
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