Tribunal administratif N° 48099 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48099 3e chambre Inscrit le 27 octobre 2022 Audience publique extraordinaire du 20 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de … en matière de suspension
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48099 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2022 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), employé communal au service informatique et nouvelles technologies de la Ville de …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de … du 19 mai 2022, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 mai 2022, le suspendant de l’exercice de ses fonctions avec effet immédiat pendant tout le cours de la procédure disciplinaire jusqu’à la décision définitive ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 31 octobre 2022, portant signification de ladite requête à l’administration communale de la Ville de …, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, ayant sa maison communale à L-… ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 novembre 2022 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL, ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, immatriculée sous le numéro RCS Luxembourg B265322 et inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de … ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 31 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL au nom de la Ville de … ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 10 février 2023 rejetant la demande en obtention d’un sursis à exécution relative à la prédite décision du collège du bourgmestre et échevins de la Ville de … du 19 mai 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 27 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER pour compte de son mandant, préqualfié ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 27 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR SARL au nom de la Ville de … ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Maître Stéphane SUNNEN, en remplacement de Maître Albert RODESCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2024.
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Le 1er juin 2010, Monsieur (A) entra au service de la Ville de … en qualité d’employé communal, affecté au service informatique et nouvelles technologies, ci-après désigné par « le service informatique ».
Suite à divers incidents en relation avec le service informatique, survenus au cours des années 2021 et 2022, le collège des bourgmestre et échevins de la Ville de …, ci-après désigné par « le collège échevinal », chargea le cabinet d’audit financier et de conseil « … », ci-après désignée par la « société … », ainsi que la société anonyme … SA, d’effectuer un audit interne.
Par courrier électronique du 18 février 2022, le collège échevinal convoqua tous les membres du service informatique, dont Monsieur (A), à une entrevue prévue pour le 25 février 2022 avec comme ordre du jour « Funktionnement an Organisatioun vum Service informatique ».
A la date prévue pour l’entrevue, la société … effectua l’audit ordonné par les responsables communaux et entendit, ensemble avec des responsables communaux, le secrétaire communal, deux représentants de la société anonyme … SA et le conseil juridique de la Ville de …, le personnel du service informatique, dont Monsieur (A), en ses explications.
Le 3 mai 2022 une nouvelle entrevue eut lieu entre les responsables communaux et le service informatique.
Par courrier du 11 mai 2022, remis en mains propres le même jour, le collège échevinal s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants : « […] Le collège des bourgmestre et échevins vous convoque par la présente à une entrevue conformément aux dispositions de l’article 62 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ceci en amont d’une éventuelle suspension de l’exercice de vos fonctions.
Le collège des bourgmestre et échevins envisage de saisir Monsieur le Commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ceci conformément à l’article 68 paragraphe 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, aux fins de procéder à une instruction disciplinaire à votre encontre.
L’entrevue est fixée au jeudi, 12 mai 2022 à 11.10 heures dans la salle des commissions de l’Hôtel de Ville, entrevue au cours de laquelle vous êtes appelé à donner vos explications. […]. ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception de son mandataire ad litem du même jour, Monsieur (A) informa le collège échevinal qu’il ne donnera pas suite à cette demande de convocation en soutenant en substance que les conditions légales en vue d’une éventuelle suspension de ses fonctions ne seraient pas remplies en l’espèce et que ses droits de la défense n’auraient pas été respectés.
Par missive recommandée avec accusé de réception du 12 mai 2022, le collège échevinal s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants : « […] Le collège des bourgmestre et échevins revient par la présente à sa lettre du 11 mai 2022, vous remise en mains propre le 11 mai 2022, par laquelle vous étiez convoqué formellement à une entrevue conformément aux dispositions de l’article 62 de la loi modifiée du 24 décembre 185 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ceci en amont d’une éventuelle suspension de l’exercice de vos fonctions.
Force est de constater qu’au jour et à l’heure de l’entrevue, vous étiez présent à l’administration communale, ce qui est témoigné par la présence dans le logiciel DSK de gestion de l’horaire mobile, vous n’étiez dès lors pas en congé de maladie et vous ne vous êtes pas présenté à l’entrevue à laquelle vous étiez dûment convoqué. Vous n’avez, d’ailleurs à aucun moment passé un message pour expliquer votre absence.
Nous avons dressé un procès-verbal de cette non-comparaison pour l’intégrer dans le dossier soumis à l’instruction disciplinaire par Monsieur le Commissaire de gouvernement.
Nous constatons aussi que le collège des bourgmestre et échevins a reçu, concomitamment à la réunion de ce matin, un courrier de Maître Bauler, fournissant des explications pour votre non-comparaison.
Nous en prenons acte, sans aucune reconnaissance préjudiciable.
Notre collège des bourgmestre et échevins a dès lors saisi Monsieur le Commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire de l’instruction disciplinaire à votre encontre ceci conformément à l’article 68, paragraphe 2 alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux.
En effet, et comme précisé dans le rapport transmis au Commissaire de gouvernement pour instruction, vous êtes présumé avoir manqué à vos obligations statutaires pour avoir enfreint aux articles suivants du statut général :
• capacité d’exercer vos fonctions (art 11) – utilisation du matériel mis à disposition à des fins personnelles ;
• manque de dignité et de civilité, de courtoisie dans vos rapports professionnels et harcèlement (article 12) ;
• absence du bureau (art 14).
Dans l’attente de l’ordonnance d’une suspension éventuelle à votre égard, le collège des bourgmestre et échevins, conformément à l’entretien de cet après-midi entre le collège échevinal et vous-même, entrevue en présence d’un délégué de la FGFC, prononce à votre égard une dispense de toute prestation de service aux termes de l’article 21 quater, 7° de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux.
Cette dispense de service prend effet le vendredi 13 mai 2022 pour se terminer à la date de prise d’effet de votre suspension éventuelle. Nous prenons acte que vous avec retourné vos badge, clé, matériel et tout autre objet appartenant à la Ville de … en date du 12 mai 2022.
Finalement, notre collège des bourgmestre et échevins vous convoque par la présente à une entrevue conformément aux dispositions de l’article 62 de la loi du modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ceci en amont d’une suspension de l’exercice de vos fonctions.
L’entrevu est fixée au jeudi, 19 mai 2022 à 09.30 heures dans la salle des fêtes … de l’Hôtel de Ville, entrevue au courant de laquelle vous êtes appelé à donner vos explications. […] ».
Dans sa séance du 13 mai 2022, le collège échevinal décida d’ouvrir une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A).
Par courrier du même jour, le collège échevinal saisit le commissaire de gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désignée par le « commissaire de gouvernement », afin de procéder, conformément à l’article 68, paragraphe (2) alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désigné par « le statut général », à une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A) Par courrier du 17 mai 2022 le mandataire ad litem de la Ville de … transmit une copie du dossier disciplinaire de Monsieur (A) au conseil juridique de ce dernier.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2022, le mandataire ad litem de Monsieur (A) s’adressa de nouveau au collège échevinal pour l’informer que son mandant n’allait pas se rendre à l’entrevue fixée au 19 mai 2022 et ce notamment en raison du non-respect de ses droits de la défense, compte tenu entres autres du non-respect des règles consacrées à travers le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par la « PANC », ainsi que du volume et de la forme du dossier disciplinaire lui remis la veille.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 mai 2022, le collège échevinal notifia à Monsieur (A) sa décision, prise lors de sa délibération du 19 mai 2022, de le suspendre de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive, sur base de la motivation suivante :
« Revu la décision de notre conseil communal du 10 mai 2010, approuvée par Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 15 juin 2010 référence …, portant engagement de Monsieur (A) comme employé communal dans la carrière C à raison de 40 heures par semaine et à durée indéterminée pour les besoins du département administratif – service informatique et nouvelles technologies avec effet au 1er juin 2010 ;
Revu la décision de notre conseil communal du 9 février 2018, approuvée par Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 8 mai 2018, référence …, portant démission à Monsieur (A) de son poste d’employé communal dans la catégorie d’indemnité C, groupe d’indemnité C1, sous-
groupe scientifique et technique (anciennement employé communal C) à la date du 1er mars 2018 ;
Attendu qu’à la même date, le conseil communal a pris la décision, approuvée par Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 8 mai 2018, référence …, de réengager Monsieur (A) au poste d’employé communal dans la fonction du technicien en informatique, avec effet au er mars 2018 tout en procédant à un classement des fonctions de l’intéressé au grade 8 dans la catégorie d’indemnité B, groupe d’indemnité B1 et sous-groupe scientifique et technique d’après les dispositions de l’article 19 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017 déterminant le régime et les indemnités des employés communaux ;
Vu les dispositions de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, plus précisément son chapitre 5.- Devoirs du fonctionnaire et son chapitre 15.- Discipline ;
Constatant que deux audits ont eu lieu au service informatique et nouvelles technologies en date du 25 février 2022, audits ordonnés par le collège des bourgmestre et échevins pour donner suite à des dénonciations de paroles à connotation raciste et de dysfonctionnements au service ;
Attendu que la société … a procédé à l’audit « Investigation of harassment allegations of racist nature » et que le cabinet d’audit financier et de conseil … a procédé à l’audit technique suivant :
◼ comprendre l’infrastructure actuelle, les technologies utilisées ainsi que l’organisation du service informatique ;
◼ comprendre l’historique et les possibilités d’abus en fonction des autorisations actuelles des administrateurs informatiques ;
◼ évaluer les possibles brèches actuelles surtout au niveau des équipements personnels (Smartphones et PC portables) ;
◼ récolter les preuves et éléments de preuves et constituer un dossier (…) ;
Vu le rapport d’enquête intérimaire du 28 avril 2022 de la société … ;
Vu le rapport d’enquête intérimaire du 3 mai 2022 du cabinet d’audit financier et de conseil … ;
Vu la liste des messages professionnels échangés entre les agents du service informatique ;
Constatant que le collège des bourgmestre et échevins, au vu de ce qui précède constate des violations manifestes de Monsieur (A) par rapport à la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, plus précisément son chapitre 5.- Devoirs du fonctionnaire ;
Attendu qu’il ressort des pièces que le concerné est présumé avoir manqué à ses obligations statutaires pour avoir enfreint e.a. aux articles suivants du statut général :
• capacité d’exercer ses fonctions (art 11) - utilisation du matériel mis à disposition à des fins personnelles, • manque de dignité et de civilité, de courtoisie dans ses rapports professionnels et harcèlement (article 12) ;
• absence du bureau (art 14) - le fonctionnaire ne peut s’absenter de son service sans autorisation ;
Constatant que les agissements dans le chef de Monsieur (A), tels que prouvés par les pièces récoltées à l’occasion de l’audit du 25 février 2022 sont concrets, objectifs et ne laissent pas de place à interprétation ;
Constatant, au vu de l’analyse d’… sur l’utilisation des machines professionnelles de Monsieur (A) à des fins privées, partiellement illégales, sinon non appropriées et non autorisées pour une administration communale (folding at home, jeux, films, séries (torren) et de l’attitude strictement intolérable adoptée par l’employé communal en relation avec ses collaborateurs de service, ses collaborateurs de l’administration communale et le collège des bourgmestre et échevins, que notre collège des bourgmestre et échevins constate l’impossibilité de faire confiance à Monsieur (A) pour l’exécution rigoureuse de ses fonctions et de ses devoirs ;
Attendu, au vu de la sévérité des constats, que le collège des bourgmestre et échevins témoigne de la perte de confiance en Monsieur (A) et à la façon dont il exerce ses tâches, perte de confiance qui compromet une continuation des relations de travail entre parties ;
Revu sa décision du 12 mai 2022, portant ouverture d’une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A) (numéro d’identification national …), employé communal au service informatique et nouvelles technologies, pour ce qui précède et de saisir Monsieur le commissaire du Gouvernement, chargé de l’instruction disciplinaire, conformément à l’article 68 paragraphe 2 alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, aux fins de procéder à l’instruction à l’encontre de Monsieur (A) ;
Constatant que le dossier d’instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur (A) a été soumis à Monsieur le Commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 mai 2022 ;
Constatant que notre collège des bourgmestre et échevins se propose en outre d’ordonner une suspension de l’exercice de ses fonctions à l’égard de Monsieur (A) pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive, ceci conformément aux articles 59, alinéa 1er et 63, alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux ;
Constatant que l’article 62 du statut général prévoit en son 1er alinéa que « (…/…) La suspension du fonctionnaire prévue au paragraphe 1er de l’article 59 ne pourra être prononcée qu’après qu’il aura été appelé à donner ses explications » ;
Constatant que Monsieur (A), dans l’attente de l’ordonnance d’une suspension éventuelle à son égard a été dispensé par le collège des bourgmestre et échevins en date du 12 mai 2022 de toute prestation de service aux termes de l’article 21 quater, 7° de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux ;
Attendu que cette décision a été communiquée à Monsieur (A) par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mai 2022 ;
Attendu que par la même communication, Monsieur (A) a été convoqué à une entrevue en date du 19 mai 2022 conformément aux dispositions de l’article 62 de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ceci en amont d’une suspension éventuelle de l’exercice de ses fonctions ;
Constatant que le dossier complet identique d’instruction disciplinaire, tel que soumis à Monsieur le Commissaire du gouvernement, a été communiqué aussi à l’avocat de Monsieur (A), tel que témoigné par l’accusé de réception du 17 mai 2022 ;
Vu la lettre du 18 mai 2022 de Maître Bauler, informant le collège des bourgmestre et échevins que Monsieur (A) ne se rendra pas à l’entrevue convoquée du 19 mai 2022 ;
Vu le procès-verbal de non-comparution de Monsieur (A) à l’entrevue du 19 mai 2022 ;
Vu les dispositions de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, plus précisément son chapitre 15.- Discipline ;
Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;
Après délibération et à l’unanimité, o r d o n n e la suspension de l’exercice de ses fonctions à l’égard de Monsieur (A) (numéro d’identification national …), employé communal au service informatique et nouvelles technologies, pendant tout le cours de la procédure disciplinaire, jusqu’à la décision définitive, ceci conformément aux articles 59, alinéa 1er et 63, alinéa 1er de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48099 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du collège échevinal de la Ville de … du 19 mai 2022.
Par requête déposée le 24 janvier 2023, inscrite sous le numéro 48452 du rôle, Monsieur (A) avait encore sollicité le sursis à exécution de la décision en question, requête qui fut rejetée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 10 février 2023.
Par décision du 9 juillet 2024, le Conseil de discipline des fonctionnaires communaux, ci-après dénommé « le Conseil de discipline », a prononcé à l’égard de Monsieur (A) la sanction disciplinaire prévue à l’article 58, paragraphe 1) du statut général, à savoir l’avertissement, décision que la Ville de … a déférée devant le tribunal administratif par une requête déposée le 15 octobre 2024, inscrite sous le numéro 51589 du rôle.
I.
Quant à la compétence du tribunal et la recevabilité du recours Dans son mémoire en réponse, la Ville de … conclut à « l’irrecevabilité » du recours en réformation en arguant qu’un tel recours ne serait pas prévu par la loi.
Or, et outre le fait qu’il s’agit d’un problème de compétence du tribunal et non pas de recevabilité du recours, il échet de rappeler que l’article 66, paragraphe 2 du statut général dispose que « le fonctionnaire […] suspendu conformément à l’article 59, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond. ». Ainsi et contrairement aux affirmations de la défenderesse, la loi prévoit bien un recours de pleine juridiction en la matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision déférée.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
En ce qui concerne la recevabilité du recours principal en réformation, et dans la mesure où le Conseil de discipline a entretemps rendu sa décision au fond et eu égard aux termes de l’article 59, paragraphe 1er du statut général prévoyant que « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive. », force est au tribunal de constater que la décision du Conseil de discipline du 9 juillet 2024 est, nonobstant le fait de faire, tel que relevé ci-avant, l’objet d’un recours contentieux déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 octobre 2024, inscrit sous le numéro 51589 du rôle, à considérer comme étant la « décision définitive » au sens du prédit article 59 du statut général1 et que de ce fait, la mesure de suspension a cessé de produire ses effets à l’heure où le tribunal statue, de sorte que le tribunal ne saurait plus épuiser son pouvoir de réformation en ce qu’il implique le pouvoir de mettre fin à la suspension. Le tribunal reste néanmoins saisi de la légalité de la mesure attaquée, contrôle pour lequel le demandeur conserve un intérêt pour la période où elle a produit ses effets, étant donné que la mesure de suspension, n’ayant pas disparu rétroactivement, a forcément constitué une lésion d’un intérêt personnel de Monsieur (A) dans le sens que l’annulation de l’acte attaqué est de nature à lui conférer une satisfaction certaine et personnelle.2 Dans ces conditions, le demandeur justifie d’un intérêt suffisant pour agir à l’encontre de la décision déférée.
1 Cour adm., 7 octobre 2021, n° 45829C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Fonction publique, n°418, (2e volet ).
2 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 12.
Le recours principal en réformation est partant recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi dans la limite des moyens de légalité invoqués.
II.
Quant au fond a) Quant aux faits Arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur critique d’abord les conditions dans lesquelles se serait déroulé l’audit ordonné par le collège échevinal, audit dont ni lui-même, ni ses collègues de travail n’auraient été prévenus.
Monsieur (A) rappelle à cet égard que tous les membres du service informatique auraient été convoqués à une entrevue avec le collège échevinal par courrier électronique du 18 février 2022, entrevue à laquelle auraient assisté, à leur grand étonnement, l’ensemble des membres du collège échevinal, le secrétaire communal, le chef de service des ressources humaines et la cheffe du service de l’égalité des chances et de la non-discrimination, deux représentants de la société anonyme … SA, quatre représentants de la société … et le conseil juridique de la Ville de …. Ce serait lors de cette entrevue, que les membres du service informatique auraient finalement été informés qu’il serait procédé à un audit le même jour. Le demandeur continue en précisant que l’ensemble du personnel aurait été prié de prendre place dans différentes salles où ils étaient « séquestrés » en attendant leur tour d’être interrogés par deux personnes, l’une se chargeant de l’interrogatoire et l’autre analysant le langage corporel de la personne interrogée. En même temps, il aurait été procédé à des fouilles des armoires et tiroirs des personnes interrogées et ce hors de leur présence et sans leur autorisation, le demandeur qualifiant cette façon de procéder, qui s’apparenterait à une enquête pénale, de « strictement illégale ».
Le demandeur fait ensuite plaider que malgré la suspicion généralisée qui se serait instaurée à son égard et à l’égard de tous les membres du service informatique, ce même service aurait, suite à cet audit, continué à travailler avec le même dévouement que par le passé, le concerné soulignant encore dans ce contexte la qualité de son travail et le fait qu’il n’aurait jamais fait l’objet d’une quelconque critique serait-ce de la part de ses supérieurs hiérarchiques ou encore de la part des utilisateurs du service.
Après encore avoir rappelé les rétroactes relatés ci-avant, il met plus particulièrement en exergue que son mandataire ad litem se serait vu communiquer un dossier de plus de 500 pages, sans inventaire de pièces et comportant indistinctement les pièces concernant trois personnes disciplinairement poursuivies, deux jours seulement avant l’entretien prévu dans le cadre de sa suspension. Il ajoute que cet entretien aurait d’ailleurs été prévu dès le 19 mai 2022 et ce malgré le fait que le collège échevinal n’aurait saisi le commissaire du gouvernement qu’en date du 13 mai 2022 et que celui-ci n’aurait procédé à l’ouverture d’une procédure disciplinaire qu’en date du 23 septembre 2022.
Le demandeur fait encore remarquer qu’après la décision de suspension litigieuse, trois nouveaux postes, quasi identiques à ceux occupés par lui-même et ses collègues du service informatique auraient été publiés sur le site internet de la commune, Monsieur (A) estimant qu’à travers cette publication, les responsables communaux auraient voulu pourvoir au remplacement de ce même service.
Il précise ensuite que la commune ne lui aurait toujours pas fait parvenir son dossier disciplinaire individuel. Ce serait en effet le commissaire du gouvernement qui lui aurait finalement transmis ce même dossier en date du 23 septembre 2022, dossier qui comporterait plusieurs centaines de pièces, serait dépourvu de tout inventaire et contiendrait des documents que la commune se serait procurée en violation des dispositions relatives à la protection de la vie privée, ainsi que de celles relatives à la protection des données personnelles.
Le demandeur souligne en outre que toute l’équipe informatique, à l’exception de lui-même et de ses 2 collègues suspendus, aurait été entendue en groupe le 14 juillet 2022 et aurait eu la possibilité de consulter les pièces auprès du secrétaire communal et de l’échevin du ressort.
Finalement, il précise qu’à la suite de l’audit du mois de février 2022, l’administration communale aurait suspendu 3 personnes, tandis que 3 autres du même service auraient été relaxées et encore 3 autres auraient reçu un blâme. Une seule autre personne n’aurait pas encore été entendue en raison de son congé de maladie de longue durée.
Dans son mémoire en réponse, et outre de reprendre, à son tour, les rétroactes précisés ci-avant, la commune réfute la version des faits telle que présentée par le demandeur. Elle donne plus particulièrement à considérer qu’en 2021, le collège échevinal aurait été rendu attentif sur un certain nombre de problèmes et un dysfonctionnement général au sein du service informatique, dont le reproche qu’un ancien collaborateur aurait été victime de propos racistes et dégradants de la part de certains membres de l’équipe informatique. Les responsables communaux auraient par ailleurs dû constater l’inaction du service informatique face à une panne du système de gestion dans la bibliothèque qui aurait duré 3 jours, ainsi que face à une panne de 70 machines virtuelles, qui aurait.
quant à elle, duré 2 jours. Quelques mois plus tard, la commune aurait été victime d’une cyber-attaque, face à laquelle la réaction du service informatique aurait de nouveau été décevante.
En décembre 2021, le même service aurait été incapable d’organiser une visioconférence, tandis que le 11 février 2022, aucun membre du service informatique n’aurait été présent sur les lieux et que le 14 février 2022, divers logiciels sur les ordinateurs de l’Hôtel de Ville seraient tombés en panne. Par ailleurs, l’implémentation de plusieurs projets aurait traîné, nécessitant ainsi plusieurs interventions du collège échevinal, la commune ajoutant qu’elle aurait dû recourir à des prestataires externes pour l’implémentation de certains de ces projets. Elle fait encore remarquer qu’elle aurait été saisie par de nombreuses plaintes de la part d’employés et de fonctionnaires de la commune qui auraient reproché au service informatique un comportement déplacé, hautain et non professionnel.
La commune précise ensuite qu’eu égard à ces incidents, elle aurait organisé un audit interne et aurait ainsi fait appel à des spécialistes dans le domaine des relations humaines, à savoir la société …, et dans le domaine informatique et de protection des données, à savoir la société ….
Elle continue en soulignant qu’un rapport intermédiaire de la société … aurait notamment révélé que certains collaborateurs utilisaient des moyens professionnels communaux afin de télécharger des films et séries et afin de faire des recherches sur internet sur des thématiques étrangères au service. Par ailleurs, il se serait avéré que le matériel communal avait été manipulé et détourné pour du « Biticoin mining », que les bureaux du service informatique étaient dotés d’une télévision utilisée à des fins récréatives et que l’ordinateur présent dans la salle d’ordinateur disposait d’un compte « Steam », de jeux vidéo. Ledit rapport aurait encore laissé apparaître que les agents du service informatique avaient échangé de nombreux messages à caractère dénigrant envers d’autres membres de l’administration dont notamment les membres du collège échevinal, voire des messages humoristiques à caractère raciste et misogyne. Il aurait, par ailleurs, pu être constaté que la hiérarchie et le fonctionnement du service informatique étaient diffus et que certains agents s’étaient livrés à du harcèlement envers d’autres collaborateurs.
Ledit rapport retiendrait en outre que plusieurs agents du service informatique s’étaient connectés au serveur de la commune pendant que la société … était en train de collecter les données et que plusieurs fichiers du répertoire contenant les clés de chiffrement « BitLocker » ont été supprimés.
Des rapports individuels par rapport aux différents agents auraient ensuite été présentés par la société … en date du 29 avril 2022, la commune précisant encore que les conclusions du rapport concernant Monsieur (A) seraient résumées dans le courrier du 13 mai 2022 adressé au commissaire de gouvernement, la commune ajoutant que les membres du service informatique auraient été informés des premières conclusions du rapport de la société … lors de l’entrevue que s’était tenue le 3 mai 2022 entre le collège échevinal et ledit service.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur prend plus particulièrement position sur les divers incidents mis en avant par la commune, tout en réfutant toute responsabilité dans son chef à cet égard. Il donne notamment à considérer qu’en raison de la pandémie, la bibliothèque se serait trouvée en service réduit, alors que seule la moitié du personnel aurait été présente. Il ajoute que face à la panne du système de gestion de la bibliothèque, il n’y aurait pas eu d’inaction de la part du service informatique, alors que celui-ci aurait été prioritairement occupé à résoudre le problème au niveau de l’infrastructure virtuelle à l’origine de la panne. Cette panne, de même que celle des machines virtuelles, seraient d’ailleurs survenues en partie, à cause de l’inactivité et du blocage des mises à jour du système par un collègue de travail, Monsieur (B).
Monsieur (A) affirme encore que ce serait le secrétaire communal qui aurait ouvert un courriel ayant déclenché la cyberattaque, tout en donnant à considérer que ce type d’attaque pourrait être évité si le personnel de la Ville de … faisait attention aux liens contenus dans les courriels avant de les ouvrir.
Après avoir insisté sur la charge de travail conséquente du service informatique et le fait que le collège échevinal et le secrétaire communal auraient bloqué certains projets, il explique que les prestataires externes dont la commune aurait fait état se seraient occupés de l’installation initiale de certains projets et que le service informatique aurait ensuite été chargé d’en assurer le fonctionnement.
Il conteste encore les reproches relatifs au « Bitcoin mining », tout en soutenant que la société d’audit aurait essayé de manipuler les données afin de faire un amalgame entre le serveur configuré pour utiliser « Folding at home » et le minage de cryptomonnaies.
Le demandeur réfute encore les conclusions de la commune quant au manque de hiérarchie dans le service informatique en précisant que ce service aurait été doté d’un préposé et d’un adjoint.
Quant au reproche que plusieurs agents du service informatique se seraient connectés sur le serveur de la commune lors de l’audit, le demandeur donne à considérer qu’il s’agirait ici d’affirmations dépourvues de toute preuve et que l’effacement de données aurait en tout état de cause été inutile, alors que le système de sauvegarde à plusieurs niveaux aurait garanti la récupération de ces mêmes données. Finalement il met encore en exergue qu’au moment de sa dispense de service toutes les données auraient déjà été collectées par la société d’audit.
Dans son mémoire en duplique, la commune reprend en substance la version des faits telle que présentée dans son mémoire en réponse, tout en mettant en exergue que le demandeur admettrait que le système de gestion de la bibliothèque était tombé en panne pendant 3 jours et que la résolution du problème n’aurait eu lieu qu’après l’intervention du secrétaire communal. Elle donne par ailleurs à considérer que les explications du demandeur quant à l’origine de la panne seraient sans pertinence, alors qu’il ne serait pas reproché au service informatique d’avoir causé la panne mais d’avoir été négligent dans sa résolution, la commune mettant encore en avant certains propos tenus par le demandeur à cette occasion. Elle continue en affirmant avoir pris acte que le demandeur admettrait qu’en date du 7 juin 2021, 70 machines virtuelles seraient tombées en panne et qu’il aurait fallu 2 jours pour résoudre cette même panne, tout en soutenant que celle-ci aurait été causée par l’omission de la part du service informatique de renouveler un simple mot de passe. Tout en réfutant encore les explications du demandeur quant à l’origine de la cyberattaque, la commune donne à considérer que l’impact de cette panne aurait pu être minimisé par l’installation d’un programme antivirus de nouvelle génération. Or le service informatique aurait omis l’installation d’un tel programme ce qui constituerait une négligence sinon une incompétence considérable.
Après encore avoir reproché au demandeur d’avoir fait preuve d’un comportement déloyal, conteste encore toute surcharge de travail du service informatique, de même que les affirmations du demandeur relatives au « Bitcoin mining », en mettant en avant qu’il ressortirait du rapport d’audit qu’un serveur présent dans les locaux du service informatique aurait contenu des logiciels pour du minage de cryptomonnaies, que ce même serveur aurait été utilisé à plusieurs reprises par le demandeur et qu’un « wallet bitcoin » aurait été détecté sur le téléphone de ce dernier. Finalement, la commune insiste encore sur les problèmes de hiérarchie et de fonctionnement du service informatique, ainsi que sur le fait que des membres de ce même service auraient essayé de faire disparaître certains fichiers lors de l’audit.
b) En droit Arguments des parties quant à la dispense de service En droit, le demandeur prend d’abord position quant à la dispense de service dont il a fait l’objet en date du 12 mai 2022. A cet égard, et tout en admettant que celle-ci ne ferait pas l’objet du présent recours, il fait plaider qu’elle aurait été prise de façon illégale et dans l’intention de lui nuire. A l’appui de ses conclusions, il donne à considérer que son mandataire ad litem aurait, par courrier du 11 mai 2022, informé les responsables communaux de la nécessité de respecter les garanties fondamentales précontentieuses pour le cas où une mesure conservatoire devait être envisagée, tout en soulignant que cette mesure conservatoire avec effet immédiat, prise dès le lendemain, n’aurait eu de sens alors que le service informatique aurait parfaitement fonctionné pendant les dix semaines suivant l’audit.
Le demandeur est, par ailleurs, d’avis que cette même dispense de service aurait été prise en violation de l’article 9 de la PANC, alors que la convocation y afférente ne lui aurait pas été envoyée par lettre recommandée et que le délai minimal de 8 jours pour présenter ses observations n’aurait pas été respecté en l’espèce, le demandeur concluant ainsi à une violation de ses droits de la défense.
Toujours en ce qui concerne la dispense de service, le demandeur conclut encore à une violation de l’article 6 de la PANC, en arguant que les éléments de fait et de droit à sa base ne seraient pas indiqués dans le courrier du 11 mai 2022, ni dans la décision même, et que le collège échevinal se serait limité à citer quelques articles du statut général qui auraient été enfreints en l’espèce, sans pour autant indiquer la moindre circonstance de temps ou de lieu susceptible de constituer une violation de ces mêmes articles.
Finalement, il conclut encore à une violation de l’article 21 quater, 7° du statut général, alors que cet article permettrait au fonctionnaire de solliciter une dispense de service dans des circonstances exceptionnelles, ce qui n’aurait toutefois pas été le cas en l’espèce.
Dans son mémoire en réponse, la commune donne à considérer que la dispense de service ne ferait pas l’objet du présent recours, de sorte que les moyens afférents ne seraient pas pertinents.
Le demandeur rétorque que la dispense de service serait indissociable du processus décisionnel aboutissant à la décision de suspension et permettrait, par ailleurs, de démonter que dans l’esprit des autorités communales, la décision de suspension litigeuse, aurait déjà été prise à ce moment et ce au détriment des formes destinées à protéger les intérêts privés et plus particulièrement les droits de la défense précontentieux.
Analyse du tribunal En ce qui concerne l’objet de la demande introduite par le recours sous examen, il y a lieu de relever que l’objet du recours est constitué par le résultat que le demandeur entend obtenir3, celui-ci étant circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance notamment par rapport aux actes ou décisions critiquées à travers le recours4.
En l’espèce, il ressort sans équivoque du dispositif de la requête introductive d’instance que le recours sous analyse vise exclusivement la décision de suspension prise en date du 19 mai 2022 à l’égard du demandeur par le collège échevinal, étant encore précisé que Monsieur (A) a souligné lui-même, dans le cadre de ladite requête, que la dispense de service du 12 février 2022 ne ferait pas l’objet du recours.
A cela s’ajoute qu’une dispense de service se conçoit comme une mesure d’organisation interne, à savoir comme une mesure prise par un supérieur hiérarchique qui s’inscrit dans le cadre 3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 382 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 21 novembre 2021, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n°383 (1e volet)et les autres références y citées.
de la gestion et de l’organisation du service dont il a la charge, qui n’affecte pas les droits statutaires du fonctionnaire et qui constitue un ordre de service auquel le fonctionnaire a l’obligation de se conformer, en vertu de l’article 11 du statut général, de sorte à ne pas devoir être considérée comme une décision susceptible de recours.
Il s’ensuit que, dans son analyse des moyens de Monsieur (A), le tribunal fera abstraction de l’ensemble des moyens relatifs à la dispense de service.
Arguments des parties relatifs à une violation de l’article 9 de la PANC Le demandeur critique ensuite la décision de suspension du 19 mai 2022 en arguant, en premier lieu, que celle-ci aurait été prise en violation de l’article 9 de la PANC.
A l’appui de ses conclusions, le demandeur rappelle que l’article 9 de la PANC imposerait à l’administration qui se propose de prendre une décision en dehors de l’initiative de la partie concernée d’informer cette dernière de son intention et lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir. Cette communication devrait être faite par lettre recommandée et l’administré concerné devrait ensuite disposer d’un délai de 8 jours pour présenter ses observations.
Or, en l’espèce, il n’aurait reçu ni lettre recommandée ni se serait-il vu accorder un délai de 8 jours pour prendre position quant à la décision de suspension envisagée. Il ajoute qu’il n’aurait disposé d’aucun document utile dans un délai raisonnable qui lui aurait permis de bénéficier de cette garantie procédurale essentielle.
Le demandeur insiste ensuite sur le fait qu’il serait important que l’information soit donnée à l’administré avant que la décision ne soit prise. Or, en l’espèce la décision de le suspendre de ses fonctions aurait été prise dès le 13 mai 2022, à savoir le lendemain de l’entrevue au cours de laquelle il a été dispensé de service.
En tout état de cause, il n’aurait pas été informé que le collège échevinal entendait prendre une mesure de suspension à son encontre, de sorte que les garanties procédurales prévues à l’article 9 de la PANC n’auraient pas été respectées et que la décision litigieuse serait illégale de ce chef.
Dans son mémoire en réponse, la commune conclut au rejet de ce moyen en soutenant qu’il ressortirait de l’article 9 de la PANC que ses dispositions ne s’appliqueraient pas dans les cas où il y a péril en la demeure. Or, cette condition aurait été remplie en l’espèce, alors qu’il lui aurait appartenu de réagir, de manière rapide et déterminée, à un dysfonctionnement grave et profond d’un de ses services, la commune rappelant à cet égard que certains agents auraient détourné du matériel et des ressources publiques à des fins privées et auraient essayé, le jour même de l’audit, de faire disparaître des preuves, en se connectant à distance tout en supprimant des fichiers.
Dans ce contexte, elle met encore en exergue que le service informatique d’une commune serait un organe essentiel pour sa sécurité digitale et que les agents de ce service auraient non seulement un accès aisé à de multiples données à caractère personnel des différents employés et fonctionnaires, mais auraient, par ailleurs, la capacité de dissimuler leurs agissements et de se soustraire à des contrôles efficaces. Il s’en suivrait que les responsables communaux devraient pouvoir accorder une grande confiance au service informatique, confiance qui aurait toutefois été ébranlée en l’espèce, ce qui compromettrait le fonctionnement et la sécurité digitale de la commune.
Il aurait dès lors fallu réagir de manière très rapide afin d’éviter que les agents, dont le demandeur, puissent causer des dégâts supplémentaires, de sorte que la condition du péril en la demeure serait remplie en l’espèce et que les dispositions de l’article 9 de la PANC ne s’appliqueraient pas.
La commune ajoute qu’en tout état de cause, les droits de la défense du demandeur auraient bien été respectés en l’espèce dans la mesure où le courrier du 11 mai 2022 lui aurait été remis en mains propres avec accusé de réception, la commune estimant que cette manière de procéder constituerait un moyen plus performant qu’un simple courrier recommandé pour garantir sa réception par l’administré. Par ailleurs, le délai de 8 jours aurait bien été respecté alors que la décision entreprise ne serait intervenue qu’en date du 19 mai 2022.
En outre, il ressortirait de l’ensemble des éléments du dossier que le demandeur avait déjà, à ce moment, connaissance des éléments de fait et de droit se trouvant à la base de la mesure de suspension litigieuse, dans la mesure où une première réunion entre le concerné et le collège échevinal et un membre du syndicat FGFC aurait eu lieu en date du 3 mai 2022 et qu’une deuxième entrevue entre les mêmes protagonistes aurait eu lieu le 12 mai 2022.
Par ailleurs, le demandeur aurait bénéficié, en vertu des dispositions du statut général de garanties largement supérieures à celles prévues par la PANC dans la mesure où la commune l’aurait invité, à deux reprises, à un entretien préalable, la commune donnant à cet égard à considérer qu’à travers le courrier de son mandataire ad litem du 18 mai 2022, le demandeur aurait non seulement refusé de se rendre à l’entretien du 19 mai 2022, mais également à tout autre entretien ultérieur, alors qu’il considérait que la décision de suspension avait déjà été prise. Il en découlerait que le concerné aurait expressément renoncé à un tel entretien, ainsi qu’à une prise de position, de sorte qu’il serait actuellement malvenu d’invoquer une quelconque violation de ses droits de la défense. Finalement, elle met en exergue qu’en date du 13 mai 2022 aucune décision de suspension n’aurait encore été prise, alors que ce ne serait qu’en date du 19 mai 2022 que cette décision serait intervenue.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur exclu tout péril en la demeure en l’espèce. A cet égard, il donne d’abord à considérer qu’un tel péril en la demeure ne ressortirait nullement du courrier du 12 mai 2022, lequel annoncerait pêle-mêle une instruction disciplinaire, une dispense et une suspension.
Par ailleurs, il fait remarquer que la commune se contenterait d’affirmer que lors de l’audit, certains agents auraient essayé de faire disparaitre des preuves, sans pour autant préciser l’identité des agents, la nature des détournements ou encore des preuves, le demandeur estimant que cette affirmation porterait atteinte au principe de présomption d’innocence applicable en matière disciplinaire. Il ajoute que la commune aurait attendu plus de 30 jours, entre les conclusions du rapport d’audit et la décision de suspension, de sorte qu’elle n’aurait manifestement pas estimé qu’il y a péril en la demeure.
En tout état de cause, il n’aurait reçu ni lettre recommandée, ni n’aurait-il disposé du délai d’au moins 8 jours pour présenter ses observations.
Il ajoute qu’après lui avoir remis en mains propres le courrier du 11 mai 2022, la commune lui aurait adressé un second courrier le 12 mai 2022 évoquant l’intention de le suspendre et le convoquant à une entrevue 7 jours plus tard, ce qui exclurait tout péril en la demeure. Le demandeur fait encore valoir que si, à travers cette façon de procéder, la commune avait essayé de régulariser ex post la procédure méconnue à travers son courrier du 11 mai 2022, une telle régularisation n’aurait toutefois pas eu lieu, alors qu’il n’aurait reçu le courrier du 11 mai 2022 qu’en date du 16 mai 2022 et que l’entrevue aurait été prévue 3 jours plus tard, de sorte qu’il n’aurait pas bénéficié d’un délai d’au moins 8 jours pour préparer sa défense.
Il insiste encore sur le fait qu’il n’aurait jamais concrètement et de manière circonstanciée été informé des reproches retenus à son encontre, de sorte que ce serait à tort que la commune ferait plaider qu’il aurait déjà, avant le 12 mai 2022, eu connaissance des éléments de fait et de droit se trouvant à la base de la mesure de suspension litigieuse, le demandeur contestant qu’en date des 3 et 12 mai 2022, il aurait participé à une quelconque réunion formelle à l’occasion de laquelle les faits lui reprochés et encore moins « des éléments de fait et de droit se trouvant à la base de la mesure de suspension » envisagée, lui aurait été exposés.
Finalement, le demandeur réfute l’affirmation de la commune selon laquelle aucune décision de suspension n’aurait été prise en date du 13 mai 2022 en mettant en exergue d’une part qu’il ressortirait du libellé même du courrier du 13 mai 2022 que cette décision avait été prise à cette date et, d’autre part, que la dispense de service prononcée à son égard aurait été prise sur les mêmes motifs et avec les mêmes effets que la suspension. Il en conclut que la décision de suspension aurait été prise dès le 12 mai 2022, de sorte que les garanties procédurales prévues par l’article 9 de la PANC n’auraient pas été respectées en l’espèce.
Dans son mémoire en duplique, la commune réitère ses arguments exposés dans son mémoire en réponse tout en précisant encore qu’elle aurait reçu communication des premiers rapports de la société … en date du 29 avril 2022 et qu’elle aurait informé le demandeur de la dispense de service le 12 mai 2022, soit moins de 2 semaines plus tard. Ce délai ne serait, au vu de la complexité du dossier nullement exagéré. Finalement, elle insiste sur le fait que le demandeur resterait en défaut d’expliquer en quoi ses droits de la défense auraient été violés en l’espèce.
Elle conclut partant au rejet des développements du demandeur relatifs à une violation de l’article 9 de la PANC.
Analyse du tribunal Selon l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours est accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. […] ».
Cette disposition a pour objet d’instaurer une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré, lorsque l’administration se propose de prendre, d’une part, des décisions de révocation ou de modification d’office pour l’avenir de décisions qui ont créé ou reconnu des droits et, d’autre part, des décisions en dehors d’une initiative de la partie concernée, c’est-à-dire sans avoir été saisie d’une demande préalable de l’administré concerné, tel que cela est le cas en l’espèce.
Force est de constater que le demandeur conclut à une violation du prédit article 9 de la PANC en arguant, d’un côté, qu’il n’aurait pas été informé par voie recommandée de l’intention du collège échevinal de le suspendre de ses fonctions, et, de l’autre côté, qu’il n’aurait pas disposé d’un délai d’au moins 8 jours pour présenter ses observations.
En ce qui concerne le défaut de notification par voie recommandée dont le demandeur fait état, force est de constater qu’il n’est pas contesté en cause que Monsieur (A) s’est vu convoquer à un entretien en vue d’une éventuelle suspension de ses fonctions par courrier du 11 mai 2022, envoyé non pas par recommandé, mais lui remis en mains propres à la même date.
A cet égard, il convient de rappeler la finalité de l’article 9 de la PANC à savoir qu’une discussion utile puisse s’engager entre l’administré et l’administration5, l’administré devant se voir utilement informé des éléments de fait et de droit qui amènent l’administration à prendre la décision projetée et ce afin de garantir les droits de la défense du concerné et afin de permettre à l’administration de prendre une décision à bon escient et soigneusement pesée6.
Se pose dès lors la question de savoir si le demandeur a utilement été informé des éléments de fait et de droit ayant amené le collège échevinal à envisager sa suspension par la remise en mains propres du courrier précité du 11 mai 2022. A cet égard, il convient de constater que le courrier en question, est resté totalement muet sur les éléments de fait et de droit à la base de la décision que le collège échevinal s’apprêtait à prendre. S’il est dès lors difficilement contestable que le demandeur a bien eu connaissance de l’intention du collège échevinal de le suspendre dès le 11 mai 2022, alors que le concerné s’est vu remettre cette information en mains propres et en a dès lors eu nécessairement connaissance, la finalité d’information préalable telle que consacrée par l’article 9 précité de la PANC n’avait toutefois, à ce stade, pas été atteinte dans la mesure où les éléments de fait et de droit à la base de la décision projetée n’avaient pas été mentionnés dans ce courrier.
En ce qui concerne le délai minimal de 8 jours prévu à l’article 9 précité de la PANC, délai qui a pour objet de permettre au demandeur de prendre utilement position quant à la mesure de suspension envisagée, force est de constater que l’entrevue à laquelle le demandeur avait été convié pour prendre position quant à l’éventuelle suspension de ses fonctions a été fixée dès le lendemain 5 Trib. adm. 14 février 2017, n°37584 du rôle, Pas adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 217.
6 Rusen ERGEC, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, page 207.
de la remise en mains propres de l’information y afférente, en l’occurrence le 12 mai 2022, de sorte que ce délai minimal de 8 jours prévu pour assurer le droit de collaboration et de défense de l’administré concerné, n’avait également pas été respecté à ce stade.
Force est ensuite de constater que par courrier recommandé du 12 mai 2002, le demandeur a été informé du fait que le collège échevinal l’a, à cette même date, dispensé de ses services « dans l’attente de l’ordonnance d’une suspension éventuelle » et qu’il a été convoqué à une nouvelle entrevue en amont d’une éventuelle suspension de l’exercice de ses fonctions pour le 19 mai 2022.
Si ledit courrier mentionne certes succinctement des éléments de fait et droit à la base de la décision de suspension envisagée, à savoir que le demandeur est « présumé avoir manqué à ses obligations statutaires pour avoir enfreint les articles 11 et 12 du statut général », force est toutefois de constater qu’il n’est pas contesté en cause que le demandeur n’a reçu ledit courrier qu’en date du 16 mai 2022, de sorte que la nouvelle entrevue à laquelle il avait été convoquée, était prévue moins de 8 jours après réception de ce courrier. Il s’ensuit qu’à ce stade les garanties procédurales consacrés par l’article 9 de la PANC n’avaient toujours pas été respectées.
Il est vrai, tel que l’affirme à juste titre la commune, que ce même article prévoit une exception à l’obligation d’informer et d’entendre l’administré dans les formes y prévues s’il y a péril en la demeure, situation que la commune estime remplie en l’espèce.
S’il n’est, certes, pas légalement requis que l’autorité administrative qui se propose d’appliquer l’exception du péril en la demeure, l’indique formellement dans sa décision, il n’en demeure pas moins que les garanties procédurales portées par l’article 9 de la PANC emportent que le recours à l’exception du péril en la demeure se trouve dûment justifié. Si idéalement les motifs afférents se dégagent de la décision appliquant l’exception, il doit être permis aux parties de fournir les motifs sous-tendant l’invocation utile de l’exception du péril en la demeure en procédure contentieuse, étant entendu que seuls les faits ayant existé au moment de la prise de la décision litigieuse peuvent être pris en considération pour justifier le recours à l’exception en question.
En l’espèce, la commune justifie qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, il y aurait eu péril en la demeure alors que certains membres du service informatique auraient essayé de faire disparaître des preuves lors de l’audit effectué le 25 février 2022 et qu’ils auraient détourné du matériel et des ressources publiques à des fins privées, de sorte qu’il lui aurait appartenu de réagir de manière rapide et déterminée à un dysfonctionnement grave et profond d’un de ses services.
Ici, il convient d’abord de rappeler que l’exception du péril en la demeure prévue par l’article 9 de la PANC est d’interprétation stricte et vise une situation spécifique dans laquelle il n’est pas permis de laisser s’écouler le temps, mais où il convient d’agir très rapidement en vue de rencontrer le péril donné.
Dans le contexte dudit article 9, l’exception du péril en la demeure, qui comporte une dimension essentiellement temporelle, est à mettre en relation avec le délai d’au moins 8 jours qui est accordé en tant que garantie à l’administré afin d’assurer son droit de collaboration et de participation à la prise de la décision envisagée par l’administration.
En somme, il y a péril en la demeure lorsque la situation spécifique visée ne permet pas d’attendre l’expiration du délai d’au moins 8 jours en question, étant donné que le risque d’un grand préjudice en découlant se trouve donné avec une probabilité trop accrue7.
Dans l’évaluation de l’hypothèse du péril en la demeure visée par l’article 9 de la PANC, le juge saisi est non seulement amené à tenir compte du caractère exceptionnel en partant de l’interprétation stricte à donner y relativement, mais est encore appelé à opérer un contrôle de proportionnalité entre le risque de préjudice inhérent au péril invoqué, d’un côté, et l’écoulement nécessaire d’un certain laps de temps inhérent à la garantie de collaboration pour l’administré, de l’autre côté8.
Tel que relevé ci-avant, la commune justifie l’exception du péril en la demeure notamment par la circonstance que certains employés auraient essayé de faire disparaitre des preuves lors de l’audit effectué par la société … et qu’ils auraient détourné du matériel et des ressources publiques à des fins privés. Or, et outre le fait qu’elle omet, tel que relevé à juste titre par le demandeur, de préciser l’identité de ces employés, ainsi que la nature des fichiers qu’ils auraient essayé de faire disparaître, de sorte que ni l’implication personnelle de Monsieur (A) dans ces agissements, ni même la pertinence des fichiers concernés, ne sont établies, il échet de constater qu’il ressort des explications de part et d’autre que dans le cadre de l’audit ainsi effectué, la société … avait récolté toutes les preuves ayant abouti à la décision litigieuse dans un premier temps et à la sanction disciplinaire du demandeur dans un deuxième temps, de sorte que le risque que d’autres preuves disparaissent voire que ledit matériel publique continue à être détourné à d’autres fins que des fins professionnelles n’était ipso facto plus donné après la collecte de ces preuves.
Il échet par ailleurs de relever que l’information du demandeur quant à sa suspension éventuelle date du 11 respectivement du 12 mai 2022, de sorte à être intervenue plus de 2 mois après que l’audit avait été effectué et que les preuves avaient été collectées et près de 2 semaines après que la commune affirme avoir reçu les premiers rapports de la société …, ces délais excluant d’office tout péril en la demeure, le demandeur ayant en effet encore travaillé au service informatique pendant plusieurs semaines après ce même audit, avant d’avoir finalement été dispensé de ses services le 11 mai 2022.
Il s’ensuit que l’exception du péril en la demeure, telle que cadrée par les dispositions de l’article 9 de la PANC, ne s’est pas utilement trouvée vérifiée dans le cas d’espèce.
Il convient toutefois encore de rappeler, que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 de la PANC, ayant trait aux droits de la défense, ne constituent pas pour autant une fin en soi, mais consacrent des garanties visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet9.
7 Cour adm. 27 juin 2017, n°39457C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n°248.
8 Ibidem.
9 Trib. adm. 18 mars 2002, n°12086 du rôle, confirmé par Cour adm. 8 octobre 2002, n°14845C du rôle, Pas adm.
2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 127 et les autres références y citées.
Il faut cependant qu’un vrai dialogue ait été engagé entre l’autorité administrative et l’administré afin que les deux puissent exposer, en connaissance de cause et après réflexion faite, leur point de vue avant que la décision projetée soit prise. En effet, l’idée fondamentale de cette disposition est celle que l’administré est en droit de prendre effectivement connaissance des éléments sur lesquels l’autorité administrative est susceptible de baser la décision projetée et de lui faire part de ses observations après qu’il ait eu le temps de préparer sa réponse.
Si en l’espèce, la commune affirme certes que les droits de la défense du demandeur n’auraient pas été lésés alors que celui-ci aurait été au courant des faits lui reprochés avant le 11, respectivement le 12 mai 2023, et qu’il aurait bénéficié de toutes les garanties nécessaires alors qu’il aurait été convoqué à deux reprises à des entrevues, force est toutefois de constater qu’il ressort non seulement des explications de la commune même que lors de la première entrevue ayant eu lieu le 3 mai 2022, le demandeur et ses collègues de travail avaient uniquement été informés des « premières conclusions du rapport … », et non pas de leur suspension éventuelle. Il n’est, par ailleurs, pas contesté en cause que le concerné ne s’est pas rendu à la deuxième réunion alors que son mandataire ad litem ne s’est vu communiquer le dossier disciplinaire concernant Monsieur (A) et contenant plus de 500 pages, deux jours seulement avant l’entretien prévu le 19 mai 2022, une telle communication tardive d’un dossier volumineux, dont il n’est pas contesté qu’il ne contenait pas d’inventaire et concernait indistinctement trois personnes, exclut la possibilité pour le concerné d’avoir été en mesure d’exposer, en connaissance de cause et après réflexion faite, son point de vue lors de l’entrevue projeté.
Il s’ensuit qu’il ne ressort ni des pièces versées en cause ni des explications de la commune, que le demandeur a effectivement eu la possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, il échet d’annuler la décision litigieuse pour violation de l’article 9 de la PANC.
Quant à la demande en obtention d’une indemnité de procédure de 3.000 euros telle que formulée par le demandeur, celle-ci est à rejeter, alors qu’il omet de préciser en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.
S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif formulée par le demandeur au dispositif de son recours, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, deux fardes de pièces correspondant a priori au dossier administratif.
A défaut pour le concerné de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal dans la limite de ses moyens de légalité ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, dans le cadre de la réformation, annule la décision du collège des bourgmestre et échevins de la Ville de … du 19 mai 2022, notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 mai 2022, suspendant Monsieur (A) de l’exercice de ses fonctions avec effet immédiat pendant tout le cours de la procédure disciplinaire jusqu’à la décision définitive ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par le demandeur ;
rejette la demande sollicitant la communication du dossier administratif ;
condamne la défenderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 décembre 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Géraldine Anelli, vice-président, Laura Urbany, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 21