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24/12/2024 | LUXEMBOURG | N°52046

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 décembre 2024, 52046


Tribunal administratif N° 52046 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52046 3e chambre Inscrit le 4 décembre 2024 Audience publique du 24 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52046 du rôle et déposée le 4 décembre 2024 au greffe du tribunal administ

ratif par Maître Hugo Manuel DELGADO DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O...

Tribunal administratif N° 52046 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52046 3e chambre Inscrit le 4 décembre 2024 Audience publique du 24 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52046 du rôle et déposée le 4 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Hugo Manuel DELGADO DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Géorgie) et être de nationalité azerbaïdjanaise, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 novembre 2024 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Allemagne, comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hugo Manuel DELGADO DIAS et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 décembre 2024.

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Le 18 octobre 2024, Monsieur (A), connu sous différents alias, introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit plusieurs demandes de protection internationale en Croatie en date du 11 juin 2023, en Suisse en date du 30 juin 2023, en Allemagne en date du 10 juillet 2023, et aux Pays-Bas en date du 8 septembre 2024.

Le 4 novembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

En date du 6 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A), sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut formellement acceptée en date du 11 novembre 2024 sur base du même article.

Par arrêté du 18 novembre 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois.

Par décision du 19 novembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 18 octobre 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 4 novembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 18 octobre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez traversé la frontière croate de manière irrégulière et introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 11 juin 2023. Vous avez également introduit une demande en Suisse en date du 30 juin 2023, une demande en Allemagne en date du 10 juillet 2023 et une demande aux Pays-Bas en date du 8 septembre 2024.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 4 novembre 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 6 novembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 11 novembre 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez traversé la frontière croate de manière irrégulière et introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 11 juin 2023. Vous avez également introduit une demande en Suisse en date du 30 juin 2023, une demande en Allemagne en date du 10 juillet 2023 et une demande aux Pays-Bas en date du 8 septembre 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d’origine en 2018. Vous vous seriez d’abord rendu en Turquie en bus avant de continuer votre trajet en train, en bus, en taxi et à pied vers la Croatie où vous n’auriez pas été satisfait des conditions d’hébergement. Après le vol de votre permis de conduire, votre argent et votre téléphone portable vous auriez décidé de rejoindre 3 d’abord la Slovénie et ensuite l’Italie où vous auriez vécu pendant quelques mois. A la suite de votre séjour en Italie, vous seriez parti en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale en date du 10 juillet 2023. Vous auriez ensuite rejoint les Pays-Bas en train où vous avez de nouveau introduit une demande de protection internationale en date du 8 septembre 2024. Cependant, vous y auriez fait l’objet d’une procédure Dublin, et vous auriez donc décidé de quitter les Pays-Bas. En traversant la Belgique et la France, vous seriez arrivé au Luxembourg en train, le 13 octobre 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 4 novembre 2024, vous indiquez souffrir d’attaques de panique depuis 6 ans. De plus, vous auriez des troubles de sommeil pour lesquels vous prendriez des médicaments. Vous souffririez également de claustrophobie. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Allemagne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Allemagne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. Torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

4 Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Allemagne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée,du 19 novembre 2024.

Il ressort des éléments du dossier administratif que Monsieur (A) a disparu de la maison retour en date du 7 décembre 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours sous analyse pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), alors que celui-ci a disparu de la maison retour depuis le 7 décembre 2024, et ce en dépit de la décision d’assignation à résidence du 18 novembre 2024, prémentionnée, lui imposée par le ministre.

Il échet de relever que l’intérêt à agir est considéré comme l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait et en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif3.

A cet égard, il convient de souligner que si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action, doit être vérifié au jour du jugement sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, d’encombrer le rôle des juridictions administratives et d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de devoir se justifier inutilement devant les juridictions administratives, exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation, sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier4.

Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande, et ce, en établissant qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés et que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il 1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n°247 2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 11 mai 2016, n°35579 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 34 et les autres références y citées.considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.

En l’espèce, la décision déférée consiste à transférer Monsieur (A) vers l’Allemagne, pays dont le ministre estime qu’il est l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement des suites de celle-ci. Etant donné que par sa requête introductive d’instance, Monsieur (A) tend à marquer son opposition à un tel transfert et vu qu’il ne ressort d’aucun élément en cause qu’il serait retourné volontairement en Allemagne ou même dans son pays d’origine, en l’occurrence l’Azerbaïdjan, ce dernier est censé avoir conservé son intérêt à agir dans le présent litige, ce d’autant plus que son litismandataire, lequel s’est présenté à l’audience des plaidoiries, a toujours mandat à poursuivre la présente procédure pour le compte de Monsieur (A).

Au vu de ces éléments, le tribunal ne saurait conclure à une perte d’un intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), étant relevé que le simple fait de disparaître de la maison retour n’est pas suffisant pour établir à lui seul et à défaut de tout autre élément qu’il ne témoigne plus le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de son recours intenté le 4 décembre 2024.

Le moyen d’irrecevabilité est dès lors à rejeter.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité invoqué, respectivement à soulever d’office, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée du 19 novembre 2024, en insistant sur le fait qu’il aurait été contraint de fuir son pays d’origine, l’Azerbaïdjan, au cours du mois de juillet 2018 en raison des persécutions politiques qu’il y aurait subies à l’issue d’un rassemblement politique contre les autorités gouvernementales en place auquel il aurait participé. Il explique que son itinéraire l’aurait amené à traverser la Turquie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France pour finalement arriver au Luxembourg le 13 octobre 2024.

En droit, le demandeur conclut, tout d’abord, à un défaut de motivation de la décision déférée en violation de l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, selon lequel toute décision négative rendue en matière de protection internationale devrait être motivée en fait et en droit, en arguant que le ministre n’aurait pas pris position par rapport aux faits qu’il aurait exposés à l’appui de sa demande de protection internationale, de sorte qu’il se trouverait dans l’impossibilité de vérifier si le ministre avait correctement apprécié les motifs à la base de celle-ci.

Il invoque, ensuite, une violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2, et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en ce qu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, tout en se prévalant, dans ce contexte, d’un jugement du tribunal administratif du 30 décembre 2016, inscrit sous le numéro 38847 du rôle, lequel aurait retenu que la présomption de respect des droits fondamentaux par les Etats membres dans le contexte de l’application du règlement Dublin III serait une présomption réfragable, de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 21 janvier2011, rendu dans une affaire M.S.S c. Belgique et Grèce, et du 5 avril 2011, rendu dans une affaire Rahimi c. Grèce, ainsi que d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 27 février 2024, rendu dans une affaire Saciri e.a., dans le cadre duquel celle-ci aurait insisté sur l’exigence de dignité des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, notamment en termes d’accès à un hébergement convenable.

Il met en avant qu’il souffrirait depuis son dernier séjour en Allemagne d’une grande solitude, d’un stress extrême et de problèmes psychiatriques qui s’ajouteraient aux troubles du sommeil et d’anxiété dont il souffrirait depuis six ans au moins et qui seraient consécutifs à son départ de son pays d’origine, mais aussi à son errance en Allemagne, aux expulsions répétitives et au fait que les conditions d’existence en Allemagne revêtiraient un degré de pénibilité et de gravité intense. Il estime que le fait de retourner en Allemagne, après avoir déjà subi un passé difficile dans ce pays, nuirait gravement à sa santé mentale.

Il s’ensuivrait que la décision déférée aurait été prise en violation des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », ainsi que de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », alors qu’il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers l’Allemagne, dans la mesure où ce pays ne serait pas en mesure de protéger l’ensemble des migrants sur son territoire.

Il reproche au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation personnelle en omettant de prendre en considération le statut précaire que l’Allemagne imposerait à ses demandeurs de protection internationale, tout en invoquant, dans ce contexte, un rapport de l’organisation Amnesty International de 2024, dans lequel il aurait été rapporté qu’en Allemagne, les violences et agressions physiques visant des centres d’accueil pour personnes réfugiées aurait fortement augmenté, alors que les autorités n’arriveraient pas à endiguer l’extrême droite, l’antisémitisme et le racisme, y compris les crimes de haine violents.

Ledit rapport ferait également état d’agressions caractérisées dans la procédure d’asile des demandeurs de protection internationale. Il se dégagerait encore d’un rapport présenté en juin 2024 par le Groupe indépendant d’experts (GIE) que le racisme contre les musulmans serait répandu dans la société allemande. A cet égard, il met en avant qu’aussi bien l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne que le Conseil de l’Europe auraient dénoncé l’insouciance, les manquements graves, voir la complaisance des autorités allemandes face à la montée du racisme dans ce pays, de sorte qu’il aurait été décidé d’appliquer une « surveillance soutenue » de l’exécution de l’arrêt de la CourEDH dans l’affaire Basu c.

Allemagne, concernant le caractère peu satisfaisant des enquêtes menées en Allemagne sur les allégations de profilage racial. Il y aurait également été constaté l’absence de mécanisme de plainte indépendant et efficace tant au niveau fédéral qu’au niveau des « Länder », contre les allégations de violations des droits humains commises par la police fédérale, lesquelles seraient d’autant plus alarmantes s’agissant des demandeurs de protection internationale.

Le demandeur estime qu’en cas de transfert vers l’Allemagne, les autorités allemandes le laisseraient démuni et sans protection, comme elles l’auraient déjà fait précédemment à l’égard d’autres réfugiés, et ce, en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tout en mettant en avant que cette situation serait d’autant plus grave en raison « des diverses pathologies » dont il souffrirait, lesquelles seraient accentuées par son sentiment de discrimination envers sa nationalité qu’il aurait déjà rencontré lors de son précédent séjour enAllemagne.

Il soutient qu’il n’existerait aucune garantie que les autorités allemandes respecteront les prescriptions de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dénommée ci-après « la directive Accueil », ceci plus particulièrement dans la mesure où les autorités allemandes ne lui auraient jamais fourni la moindre assistance protectrice, adéquate et effective durant son séjour en Allemagne, malgré les obligations leur imposées en matière d’assistance médicale et d’accueil suivant les articles 17, 19 et 21 de ladite directive. Cela serait d’autant plus vrai alors que l’Allemagne aurait provisoirement fermé ses frontières et qu’il serait notoirement connu que ledit pays aurait accueilli en 2023 un tiers des demandeurs de protection internationale par rapport à l’ensemble des autres Etats membres de l’Union européenne, de sorte qu’il devrait être retenu que l’Allemagne se trouverait dans une phase critique quant à sa politique migratoire.

Il donne à cet égard à considérer que son état de santé physique et psychologique se serait en plus dégradé au fil de son séjour dans ce pays, de sorte que, pour lui, un nouveau transfert en Allemagne serait ressenti comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

En ce qui concerne l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il estime que ses problèmes de santé ainsi que les circonstances exceptionnelles liées à l’existence de défaillances systémiques dans le système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne auraient dû conduire le ministre à faire preuve de prudence et de diligence en ne le renvoyant pas dans un pays où le respect de ses droits les plus fondamentaux ne serait plus assuré.

Il conclut que les circonstances particulières de l’espèce et sa situation personnelle, à savoir le risque élevé pour lui d’encourir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de retour en Allemagne, justifieraient que le ministre se déclare compétent pour examiner sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, tout en renvoyant encore à un arrêt de la CJUE du 30 mai 20135 et en donnant à considérer que l’article 17, prémentionné, permettrait au ministre de fonder sa compétence pour examiner sa demande de protection internationale notamment pour des considérations humanitaires.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.

5 CJUE, 30 mai 2013, Halafi, aff. C-528/11.En ce qui concerne la légalité externe de la décision litigieuse, et plus particulièrement la prétendue violation de l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que ledit article dispose que « Les décisions prises par le ministre en matière de protection internationale sont communiquées par écrit au demandeur dans un délai raisonnable. Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilités de recours sont communiquées par écrit au demandeur. […] ».

Force est de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est, contrairement aux affirmations du demandeur, motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Allemagne, à savoir le fait que le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 10 juillet 2023 et que l’Allemagne a accepté sa reprise en charge le 11 novembre 2024 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, relevé que l’Allemagne est partie à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », à la CEDH et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradant, ci-après désignée par « la Convention torture », de même qu’elle est liée par la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Procédure », et par la directive Accueil, et que de ce fait, elle est présumée respecter l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture, tout en soulignant qu’il n’existe ni de jurisprudence de la CourEDH, ou de la CJUE, ni une recommandation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « UNHCR », visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Allemagne.

Le ministre a également exclu l’application de l’article 16, paragraphe (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur. Enfin, il a relevé que le demandeur ne lui a soumis aucun élément humanitaire ou exceptionnel ayant dû l’amener à appliquer l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités allemandes.

Il s’ensuit que le moyen ayant trait à un prétendu défaut de motivation de la décision déférée est rejeté.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision litigieuse, il convient d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités allemandes pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) était l’Allemagne où il a déposé une demande de protection internationale en date du 10 juillet 2023, et que les autorités allemandes ont accepté sa reprise en charge le 11 novembre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre comme étant responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et de ne pas l’examiner.

Il y a ensuite lieu de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Allemagne, respectivement, l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que son transfert en Allemagne violerait les articles 3, paragraphe (2), et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, et auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne d’abord l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH - , une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre6.

A cet égard, le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention « torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard7. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants8.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -

réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées9.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile10, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir 6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.

7 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.

8 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

9 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

10 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives11, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE12, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201713.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201914 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine15. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant16.

En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par l’Allemagne des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation en Allemagne, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

Il ressort, en effet, des développements du demandeur que ce dernier fonde l’existence de défaillances graves dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne entraînant pour lui un risque réel et avéré d’y subir des traitements contraires aux articles 3 CEDH et 4 de la Charte, d’une part, sur l’existence, sur le territoire allemand, en général, et dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, en particulier, de discriminations raciales et de violences à l’égard des migrants 11 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

12 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

15 Ibid., pt. 92.

16 Ibid., pt. 93.contre lesquelles aucune protection ne serait accordée de la part des autorités allemandes, et, d’autre part, sur son état de santé mentale et le risque pour lui de devoir y vivre sans prise en charge médicale adéquate.

En ce qui concerne, tout d’abord, les prétendues discriminations raciales sur le territoire allemand et plus particulièrement les violences et agressions physiques qui viseraient les centres d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ce pays, force est au tribunal de constater que le demandeur ne produit aucun élément probant qui permettrait d’appuyer son argumentation à cet égard, celui-ci se limitant, en effet, à faire référence, de manière générale, à deux rapports d’organisations internationales, sans toutefois verser lesdits rapports au tribunal, respectivement reproduire les extraits pertinents ou du moins renvoyer aux pages concernées, ni mettre ceux-ci en relation avec sa situation personnelle et plus particulièrement avec son vécu en Allemagne.

Or, même si lesdits rapports internationaux dont se prévaut le demandeur faisaient état d’un certain problème de discrimination raciale en Allemagne et d’une dénonciation des pratiques des autorités allemandes utilisées à l’encontre des migrants, force est néanmoins de constater qu’il ne se dégage en tout état de cause d’aucun élément tangible produit en l’espèce qu’il existe à l’heure actuelle un risque réel et concret que tout demandeur de protection internationale et plus particulièrement ceux transférés dans le cadre du règlement Dublin III seraient systématiquement confrontés en Allemagne à une discrimination ou à des violences à cause de leur nationalité, engendrant des traitements inhumains ou dégradants contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, et ce sans qu’ils ne puissent se prévaloir de la protection des autorités allemandes à cet égard.

Il ne ressort, par ailleurs, d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal qu’à l’heure actuelle, l’Allemagne connaîtrait de manière générale des défaillances systémiques en ce sens que la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure, d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.

En effet, mis à part les deux rapports internationaux prémentionnés, le demandeur ne fournit aucun élément objectif tangible permettant de retenir que les droits des demandeurs de protection internationale ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Allemagne, ou encore que ceux-ci n’auraient en Allemagne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que l’Allemagne est signataire de la Charte et de la CEDH et qu’elle est en tant que membre de l’Union européenne tenue au respect des dispositions de celles-ci et de celles de la Convention torture et de la Convention de Genève.

Il échet encore de relever que le demandeur n’invoque de même aucune jurisprudence de la CourEDH, relative à une suspension générale des transferts vers l’Allemagne, voire unedemande en ce sens de de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Allemagne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile allemande qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il échet, par ailleurs, de constater que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale en Allemagne, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.

En cas de transfert vers l’Allemagne, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

En effet, la directive Accueil prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »17. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive.

Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, y compris l’hébergement, ne constitue ainsi pas un droit absolu, de sorte que la limitation de ce bénéfice ne saurait per se conduire à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte Force est, par ailleurs, de constater qu’il ne se dégage d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en Allemagne dans le cadre du traitement de sa demande de protection internationale y introduite ou qu’au cours du traitement de sa demande de protection internationale, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de 17 Trib. adm., 25 juin 2024, n° 50639 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.gravité, tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

Au contraire, force est de constater que le demandeur n’a, dans le cadre de son entretien Dublin III, pas fait état de problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés en Allemagne et n’a, en particulier et nonobstant les affirmations contenues dans sa requête introductive d’instance, jamais indiqué avoir été victime de violences ou de discriminations de la part des autorités allemandes ou de la population allemande à cause de sa nationalité ou de sa race. Dans ce contexte, il échet encore de relever que lors de son entretien Dublin III, le demandeur a déclaré qu’il aurait été hébergé par les autorités allemandes dans un foyer pour demandeurs d’asile et qu’il aurait quitté ledit pays sans attendre une réponse à sa demande de protection internationale. Quant à la question de savoir pour quelles raisons il ne souhaiterait pas se rendre en Allemagne pour le traitement de sa demande de protection internationale et quelles seraient les conséquences d’un transfert vers ce pays, le demandeur n’a avancé aucune raison l’empêchant d’y retourner, mais il a simplement répondu que « Je vais réfléchir »18.

Il s’ensuit que l’argumentation développée dans son recours en relation avec ses prétendues craintes d’être confronté à des risques de traitement inhumain ou dégradant en Allemagne en raison de sa nationalité ou de son statut de demandeur de protection internationale débouté laisse dès lors de convaincre le tribunal.

Ensuite, s’agissant plus particulièrement de l’affirmation du demandeur suivant laquelle il n’aurait pas bénéficié d’une prise en charge médicale en Allemagne, force est de constater que le demandeur se contente d’affirmer avoir « diverses pathologies » et souffrir psychologiquement en raison de son vécu dans son pays d’origine et en Allemagne sans que cette allégation ne soit soutenue par un quelconque élément probant, tels que des certificats médicaux établissant la réalité des pathologies médicales dont il affirme souffrir, voire la nécessité d’un traitement médical. Il ne résulte, par ailleurs, d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur (A) ait, à un moment donné, infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités allemandes en raison de son état de santé, le demandeur ne versant pas non plus un quelconque élément de nature à établir des défaillances dans le système médical allemand, voire une impossibilité quelconque d’accès aux soins médicaux en Allemagne.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, en Allemagne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient pour lui un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeur de protection internationale vers ce pays.

Le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt dès lors le rejet.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants 18 Page 6/9 du rapport d’entretien Dublin III.respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable19.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte20, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant21.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé22.

Tel que relevé ci-avant, le demandeur reste en défaut de démontrer qu’au cours de son séjour en Allemagne, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant. Il n’établit pas non plus qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert, ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités allemandes avant de le transférer.

A cet égard et concernant plus particulièrement les problèmes de santé mis en avant par le demandeur, il y a tout d’abord lieu de relever qu’il ne se dégage pas de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017, précité, que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que 19 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

20 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96 21 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

22 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […]23».

Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […]24 ».

Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée25.

La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

23 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

24 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.

25 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements du demandeur à cet égard, de vérifier si l’état de santé de celui-ci présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH26.

A cet égard, le tribunal constate, tel que relevé ci-avant, que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il est atteint d’une quelconque maladie psychologique ou encore de problèmes de santé susceptibles d’affecter son état de santé général au point de s’opposer à son transfert, alors qu’aucun certificat médical en ce sens n’est versé par lui.

Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis au tribunal par le demandeur qu’un transfert de celui-ci vers l’Allemagne pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers l’Allemagne.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système de santé allemand, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

26 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.Pour le surplus, il convient de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système allemand n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait au requérant de faire valoir ses droits sur base de la directive Procédure, ainsi que de la directive Accueil directement auprès des autorités allemandes en usant des voies de droit adéquates.

Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers l’Allemagne.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Allemagne, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III. Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’argumentation du demandeur basée sur une violation par la décision ministérielle litigieuse des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte du fait que le ministre n’aurait pas tenu compte de sa situation particulière de personne vulnérable est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres27, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201728.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge29, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration30.

27 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

28 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

29 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

30 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision ministérielle déférée par rapport aux articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, 4 de la Charte, 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, y compris en ce qu’il est resté en défaut d’établir qu’il risquerait des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Allemagne, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités allemandes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Michèle STOFFEL, vice-président, Alexandra BOCHET, vice-président, Carine REINESCH, premier juge.

et lu à l’audience publique du 24 décembre 2024 par le vice-président Michèle STOFFEL, en présence du greffier Shania HAMES.

s. Shania HAMES s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 52046
Date de la décision : 24/12/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-12-24;52046 ?

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