Tribunal administratif N° 52082 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:52082 3e chambre Inscrit le 11 décembre 2024 Audience publique du 24 décembre 2024 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52082 du rôle et déposée le 11 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 26 novembre 2024 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 décembre 2024.
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Le 28 octobre 2024, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit plusieurs demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 22 septembre 2016, 22 mars 2019, 24 janvier 2022 et 24 août 2024, au Luxembourg en date du 19 septembre 2018, en Allemagne en date du 1er mars 2021, et en Suisse en date du 2 avril 2024.
Le 12 novembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
En date du 18 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues néerlandais une demande de reprise en charge de Monsieur (A), sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut formellement acceptée en date du 21 novembre 2024 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par arrêté du 26 novembre 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification.
Par décision du 26 novembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre deuxième demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 28 octobre 2024 établi dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale et le rapport d’entretien Dublin III sur votre deuxième demande de protection internationale du 12 novembre 2024.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 octobre 2024, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit quatre demandes de protection internationale aux Pays-Bas 2 en date des 22 septembre 2016, 22 mars 2019, 24 janvier 2022 et 24 août 2024, ainsi qu’une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 septembre 2018, une demande en Allemagne en date du 1er mars 2021 et une demande en Suisse en date du 2 avril 2024.
Votre première demande de protection internationale introduite au Luxembourg a été considérée comme implicitement retirée en date du 18 mars 2018. Vous avez sollicité une réouverture de cette demande en date du 19 mars 2018. Or, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté à votre entretien personnel et que vous n’avez pas respecté l’obligation de vous présenter auprès du ministre pour prolonger votre attestation d’introduction d’une demande de protection internationale, votre demande a été considérée comme implicitement retirée une deuxième fois. Vous avez été rapatrié au Maroc en date du 29 octobre 2019.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 12 novembre 2024.
Sur base des éléments à notre disposition, une demande de reprise en charge sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités néerlandaises en date du 18 novembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 21 novembre 2024 en vertu de l’article 18(1)d.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3 3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale que vous avez introduit quatre demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 22 septembre 2016, 22 mars 2019, 24 janvier 2022 et 24 août 2024, ainsi qu’une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 septembre 2018, une demande en Allemagne en date du 1er mars 2021 et une demande en Suisse en date du 2 avril 2024.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté de nouveau votre pays d’origine après avoir été rapatrié par les autorités luxembourgeoises en 2019. En effet, vous auriez quitté le Maroc en 2020 dans une embarcation clandestine en direction de l’Espagne. Vous auriez vécu pendant trois mois en Espagne et vous auriez ensuite pris la route vers l’Allemagne en passant par la France. Vous auriez séjourné pendant huit mois en Allemagne. Par la suite, vous seriez parti aux Pays-Bas où vous auriez séjourné pendant un an avant de poursuivre votre route vers la Suisse. Vous auriez vécu pendant un mois en Suisse avant d’être transféré aux Pays-Bas par les autorités suisses. Après un mois et demi aux Pays-Bas, vous auriez décidé de venir au Luxembourg en train en date du 28 octobre 2024.
Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter votre deuxième demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE, et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. Torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de I’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
4 En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux les Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du 5 transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 26 novembre 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation sous analyse, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur réitère, en substance, les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 26 novembre 2024, tels que repris ci-avant.
En droit, après avoir cité l’article 3, paragraphe (2), alinéas 1er et 2 du règlement Dublin III et s’être emparé des arrêts C-411/10, C-493/10 du 21 décembre 2011 et C-578/16 PPU du 16 février 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », ainsi que d’un arrêt « Tarakhel contre Suisse » du 4 novembre 2014 de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », le demandeur fait valoir que les Pays-Bas devraient être considérés comme ne respectant pas le système européen commun d’asile du fait de l’absence de structure d’hébergement convenable pour accueillir dignement les demandeurs de protection internationale. De ce fait, il devrait être admis que le système d’asile néerlandais ne respecterait pas les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale, ce qui constituerait une défaillance systémique dans la procédure de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il s’appuie également sur un arrêt C-163/17 du 19 mars 2019 de la CJUE pour soutenir que le système commun européen d’asile, qui serait fondé sur le principe de confiance mutuelle, n’exclurait pas, en cas de transfert vers l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale, que le demandeur de protection internationale puisse faire face à des conditions de vie qui l’exposeraient à une situation de dénuement matériel extrême contraire à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Il explique, à cet égard, que le seuil particulièrement élevé de gravité auquel la CJUE ferait référence dans l’arrêt du 19 mars 2019, prémentionné, serait atteint aux Pays-Bas en raison de « la mise en œuvre systématique du profilage ethnique par les autorités policières des Pays-Bas induisant des contrôles systématiques et disproportionnées d’identité et de fouilles des demandeurs de protection internationale sur des motifs discriminatoires tels que la race, la couleur de peau, la langue, la religion, la nationalité ou encore l’origine nationale ou ethnique ». Il se réfère à cet égard à des rapports d’Amnesty International, de l’European Union Agency for Asylum (« EUAA ») ainsi qu’à une lettre du 26 août 2022 du Commissaires aux droits de l’Homme auprès du Conseil de l’Europe au ministre néerlandais chargé des migrations. Il donne àconsidérer que même si le gouvernement néerlandais avait admis dans un courrier de réponse du 1er septembre 2022 l’existence de difficultés à respecter le système européen d’accueil, tout en insistant sur la nécessité d’une solution à l’échelle européenne, il n’en resterait pas moins que la situation ne serait toujours par régularisée à l’heure actuelle, voire même que la politique migratoire néerlandaise actuelle s’annoncerait extrêmement difficile suite à l’arrivée récente au pouvoir d’un nouveau gouvernement. Il estime que la politique soutenue par la coalition gouvernementale majoritairement d’extrême droite, qui prévoirait également une clause d’exemption de la politique européenne d’asile et de migration à soumettre à la Commission européenne, induirait au final « un refoulement systématique par un accueil volontairement drastique des demandeurs de protection internationale », en s’appuyant encore sur un arrêt de la CourEDH du 2 juillet 2020, « NH c. France ».
Au vu de ces considérations, il devrait être admis que l’exécution de la décision ministérielle litigieuse emporterait « sans aucun doute » une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »).
En se prévalant de la jurisprudence de la CJUE et plus particulièrement de son interprétation de l’article 4 de la Charte, le demandeur insiste sur le fait qu’en cas de transfert vers les Pays-Bas, il subirait un traitement inhumain et dégradant notamment « par les lacunes pointées en termes d’accueil » puisqu’il se retrouverait indubitablement démuni « dans l’attente de la décision de transfert éventuel vers son pays d’origine ».
Il devrait dès lors être admis que l’exécution de la décision ministérielle litigieuse emporterait une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Finalement, le demandeur soutient que comme en raison de sa situation particulière, il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH en cas de retour aux Pays-Bas, le ministre aurait dû faire usage de la clause de souveraineté prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et ainsi déclarer le Grand-Duché de Luxembourg comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.
Au vu de l’ensemble de ces considérations, le demandeur conclut que la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal L’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la décision litigieuse a été prise, dispose que « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour reprendre en charge Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précités, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale de Monsieur (A), mais les Pays-Bas, Etat dans lequel il a déposé plusieurs demandes de protection internationale en date des 22 septembre 2016, 22 mars 2019, 24 janvier 2022 et 24 août 2024, et qui a accepté de le reprendre en charge le 21 novembre 2024.
Ainsi, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée au Luxembourg par Monsieur (A) et de le transférer vers les Pays-Bas.
Il y a ensuite lieu de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des Pays-Bas, respectivement, l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient que son transfert aux Pays-Bas l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison des défaillances systémiques dans l’accès à la procédure d’asile et dans les conditions matérielles d’accueil dans ledit pays, et qu’il invoque, à cet effet et en substance, une violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.
Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement,accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur relatif à l’existence de défaillances systémiques aux Pays-Bas, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH -, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre1.
A cet égard, le tribunal relève que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention « torture », ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.
2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.
3 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu. peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.
Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20199 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.
En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques aux Pays-Bas résulteraient des conditions d’accueil et d’hébergement dégradées auxquelles devraient faire face les demandeurs de protection internationale et qui le mettraient à risque de se retrouver à 4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.
6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.
8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.
9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
10 Ibid., pt. 92.
11 Ibid., pt. 93.la rue dans ce pays et donc de devoir vivre dans des conditions contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation aux Pays Bas, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant, étant à cet égard relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.
Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Dans ce contexte, il importe tout d’abord de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, que le demandeur n’a, lors de son entretien Dublin III en date du 30 octobre 2024, pas soutenu que les autorités néerlandaises lui ont refusé l’accès à la procédure d’asile ou aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il résulte au contraire du rapport dudit entretien que le demandeur a indiqué « n’avoir pas de problème » à retourner aux Pays-Bas12 et avoir quitté les Pays-Bas étant donné que « la Suisse est mieux que les Pays-Bas (…) »13.
Ensuite, s’il se dégage certes des documents invoqués par le demandeur, et plus particulièrement du rapport de l’EUAA, précité, que les autorités néerlandaises ont connu en 2022, tout comme d’ailleurs d’autres Etats membres de l’Union européenne, de sérieux problèmes au niveau de leur système d’asile et d’accueil en relation avec l’augmentation du nombre de demandeurs de protection internationale, ils ne sont toutefois pas suffisants pour retenir de manière générale l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.
Par ailleurs, tant le rapport de l’organisation Amnesty International de 2023 que la lettre adressée le 26 août 2022 par la Commissaire aux droits de l’Homme au ministre néerlandais, ne font état que de problèmes ponctuels rencontrés dans deux centres d’accueil en particulier et ce en 2022, de sorte qu’il n’est pas avéré que lesdits problèmes sont encore d’actualité.
S’agissant de l’affirmation du demandeur concernant les problèmes rencontrés aux Pays-Bas en lien avec le nouveau gouvernement, il échet de retenir qu’il s’agit d’une affirmation non autrement sous-tendue.
Le tribunal relève également que le demandeur n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que les Pays-Bas sont signataires de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
12 Rapport Dublin III, p.7.
13 Rapport Dublin III, p.7.Il y a, par ailleurs, lieu de rappeler que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Il s’ensuit que le demandeur ne saurait se prévaloir, dans le cadre du présent recours, de l’existence alléguée de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil de demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert vers les Pays-Bas, alors qu’il ne s’y trouvera pas dans une situation comparable.
En cas de transfert vers les Pays-Bas, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.
Même à admettre que le système d’accueil néerlandais - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents néerlandais -
était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il appartiendrait au demandeur de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système néerlandaises n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Accueil directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.
Le tribunal relève encore que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies, désigné ci-après par « le UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise qui l’exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.
Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable14.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, 14 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte15, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant16.
En ce qui concerne le non-respect, par les Pays-Bas, du principe de non-refoulement dont se prévaut encore le demandeur, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202317, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence les Pays Bas, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyée arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités néerlandaises. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que les Pays Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à son égard et failliraient dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.
De plus, si par impossible les autorités néerlandaises devaient néanmoins décider d’éloigner le demandeur, même le cas échéant en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, non explicitement invoqué par le demandeur, à supposer que l’intéressé soit effectivement exposé à un risque concret et grave en cas de retour au Maroc, il lui appartiendrait, tous recours internes éventuellement épuisés - le demandeur devant d’abord faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises compétentes en usant des 15 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 16 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 88 17 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.voies de droit adéquates18 - de saisir la CourEDH et de lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités néerlandaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Il ne se dégage dès lors pas non plus des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert du demandeur vers les Pays Bas l’exposerait à un risque réel et sérieux de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève.
Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que, compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers les Pays Bas, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève. Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.
En ce qui concerne le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres19, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201720.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge21, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration22.
En l’espèce, le demandeur se borne à affirmer que le ministre aurait dû faire application de l’article 17 du règlement Dublin III sans affirmer ni a fortiori prouver que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que le moyen afférent encourt le rejet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est 18 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
19 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, pt. 65.
20 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
21 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 (3e volet) et les autres références y citées.
22 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 (2e volet) et les autres références y citées.à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 décembre 2024 par :
Michèle STOFFEL, vice-président, Alexandra BOCHET, vice-président, Carine REINESCH, premier juge.
en présence du greffier Shania HAMES.
s. Shania HAMES s. Michèle STOFFEL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 décembre 2024 Le greffier du tribunal administratif 15