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02/01/2025 | LUXEMBOURG | N°52073

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 janvier 2025, 52073


Tribunal administratif N° 52073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52073 2e chambre Inscrit le 10 décembre 2024 Audience publique du 2 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52073 du rôle et déposée le 10 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Tribunal administratif N° 52073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52073 2e chambre Inscrit le 10 décembre 2024 Audience publique du 2 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52073 du rôle et déposée le 10 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 décembre 2024 de le transférer vers l’Allemagne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 décembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 janvier 2025.

Le 28 octobre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC le même jour révéla que Monsieur (A) avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 6 février 2024.

Le 18 novembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 1établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 19 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 22 novembre 2024 sur base de la même disposition.

Par arrêté du 4 décembre 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur (A) à la maison retour pour une durée de trois mois.

Par décision du 4 décembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre, informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 28 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Allemagne qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 28 octobre 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 18 novembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 28 octobre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 6 février 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 18 novembre 2024.

2Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités allemandes en date du 19 novembre 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités allemandes en date du 22 novembre 2024.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

2. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 6 février 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine le 24 juillet 2023 en direction de Munich, avec un visa d'étudiant valable pour six mois pour faire une formation auprès de « Société (AA) ». Avant l'expiration de votre visa, vous avez introduit une demande de protection internationale, mais celle-ci ne vous a pas été accordée. Vous auriez alors quitté l'Allemagne parce que vous n'auriez plus eu accès à l'assurance-maladie et donc à votre traitement médical. Vous seriez arrivé au Luxembourg en train le 28 octobre 2024.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 18 novembre 2024, vous avez mentionné que vous souffrez d'une insuffisance rénale nécessitant une dialyse et que vous devez suivre 3votre traitement qui n'accepte pas les interruptions. Pour étayer vos dires, vous avez remis une « Note patient par médecin », établie par le Docteur …, qui confirme que vous nécessitez trois séances d'hémodialyse par semaine, traitement qui ne peut pas être interrompu. D'après ce même document, vous suivriez ce traitement depuis septembre 2021.

Il y a à cet égard lieu de relever que l'Allemagne est présumée fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, les informations à notre disposition ne donnent actuellement aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers l'Allemagne rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement les informations sur votre état de santé n'impliquent pas que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.

Rappelons aussi que l'Allemagne est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Allemagne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Allemagne profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l'Allemagne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Allemagne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires allemandes.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Allemagne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence 4l'Allemagne. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Allemagne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions allemandes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Allemagne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités allemandes n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 décembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 4 décembre 2024.

5Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours sous analyse pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), alors que celui-ci a disparu de la maison retour depuis le 12 décembre 2024, et ce en dépit de la décision d’assignation à résidence du 4 décembre 2024, prémentionnée, lui imposée par le ministre.

Il échet de relever que l’intérêt à agir est considéré comme l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait et en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif3.

A cet égard, il convient de souligner que si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action, doit être vérifié au jour du jugement sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, d’encombrer le rôle des juridictions administratives et d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de devoir se justifier inutilement devant les juridictions administratives, exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation, sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier4.

Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande, et ce, en établissant qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés et que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.

1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n°247 2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 14 juillet 2009, nos 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 11 mai 2016, n°35579 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 34 et les autres références y citées.

6En l’espèce, la décision déférée consiste à transférer Monsieur (A) vers l’Allemagne, pays dont le ministre estime qu’il est l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement des suites de celle-ci. Etant donné que par sa requête introductive d’instance, Monsieur (A) tend à marquer son opposition à un tel transfert et vu qu’il ne ressort d’aucun élément en cause qu’il serait retourné volontairement en Allemagne ou même dans son pays d’origine, en l’occurrence en Tunisie, ce dernier est censé avoir conservé son intérêt à agir dans le présent litige, ce d’autant plus que son litismandataire, lequel s’est présenté à l’audience des plaidoiries, a toujours mandat à poursuivre la présente procédure pour le compte de Monsieur (A).

Au vu de ces éléments, le tribunal ne saurait conclure à une perte d’un intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), étant relevé que le simple fait de disparaître de la maison retour n’est pas suffisant pour établir à lui seul et à défaut de tout autre élément qu’il ne témoigne plus le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de son recours intenté le 10 décembre 2024.

Le moyen d’irrecevabilité est dès lors à rejeter.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité invoqué, respectivement à soulever d’office, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace les faits et rétroactes repris ci-avant et affirme être gravement malade et souffrir d’une insuffisance rénale terminale « grade V », de sorte qu’il nécessiterait « 3 séances d’hémodialyse/semaine sans interruption (traitement ne pouvant être interrompu » tel qu’en attesterait une « note » émise par le docteur …. Il explique avoir quitté l’Allemagne après y avoir été débouté de sa demande de protection internationale en raison du fait qu’il n’y aurait plus eu accès à l’assurance médicale et donc à son traitement médical et qu’il serait actuellement traité au Centre Hospitalier de Luxembourg où il bénéficierait d’un traitement qui ne pourrait pas être interrompu.

En droit, le demandeur, après avoir cité les articles 28, paragraphe (1) et 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, indique ne pas contester la compétence de principe de l’Allemagne pour traiter sa demande de protection internationale, alors qu’il y aurait déposé une telle demande en date du 6 février 2024, mais fait valoir que son transfert vers l’Allemagne serait contraire à l’article 4 de la Charte de l’Union européenne des droits fondamentaux, ci-après désignée par la « Charte ». Tout en se référant à l’article 21 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive 2013/33/UE », il donne encore à considérer que la Commission du droit international de l’Organisation des Nations Unies aurait, dans l’article 15 de son « Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers » de 2014, énoncé que des personnes vulnérables faisant l’objet d’une expulsion devraient être considérées comme telles, de sorte à être traitées et protégées en tenant dûment compte de leur vulnérabilité.

Le demandeur, tout en se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », du 16 février 2017 (C-578/16), cite, ensuite, les articles 31, paragraphe (1) et 32, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour faire valoir que même à supposer que les autorités luxembourgeoises communiqueraient aux autorités allemandes les informations utiles concernant son état de santé, son transfert vers l’Allemagne serait constitutif 7d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, dans la mesure où ledit transfert risquerait d’entraîner une interruption de son traitement médical pouvant engendrer dans son chef des conséquences graves et irrémédiables, de sorte que la décision déférée serait à réformer.

Le demandeur invoque, finalement, une violation de l’article 17 du règlement Dublin III en précisant que l’autorité nationale serait tenue de ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendent la règlementation de l’immigration et celles relatives à la protection de la santé. Il explique, à cet égard, qu’en raison de la gravité des pathologies dont il souffrirait, il apparaîtrait disproportionné de le transférer vers l’Allemagne alors qu’il existerait un risque réel de provoquer dans son chef un préjudice grave et irrémédiable.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel les autorités allemandes se sont, contrairement à ce que fait plaider le demandeur, fondées pour accepter la demande de reprise en charge de celui-ci, dispose que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

En l’espèce, le tribunal constate que la décision de transférer Monsieur (A) vers l’Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur est l’Allemagne, où il avait, de manière non contestée, infructueusement déposé une demande de protection internationale en date de du 6 février 2024 et que les autorités allemandes ont accepté de le reprendre en charge en date du 22 novembre 2024.

8 C’est, dès lors, a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers ledit Etat et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il y a, tout d’abord, lieu de constater que le demandeur ne conteste, d’ailleurs, pas la compétence de principe de l’Allemagne par application du règlement Dublin III, mais il soutient que son transfert vers l’Allemagne serait constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et que la décision déférée aurait été prise, de l’entendement du tribunal, en violation des articles 31, paragraphe (1), 32, paragraphe (1) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III au motif que le ministre aurait maintenu sa décision de le transférer vers l’Allemagne malgré son état de santé.

Le tribunal précise ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, force est de contester que le demandeur reste en défaut d’alléguer et a fortiori de démontrer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Allemagne, celui-ci soutenant, en substance, uniquement que son transfert serait contraire à l’article 4 de la Charte, ainsi qu’à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en raison de son état de santé.

En ce qui concerne le moyen tendant à la violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 4 de la Charte, corollaire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par la « CEDH », le tribunal relève que l’Allemagne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention contre la torture, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des 5 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

9demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants6,7.

Eu égard à la santé du demandeur, il échet de constater qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE du 16 février 20178, l’article 4 de la Charte, et partant également par analogie l’article 3 de la CEDH, doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article9, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 201910, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant11.

Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de 6 Ibidem, point. 79.

7 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

9 Ibidem, points 65 et 96.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

11 Ibidem, point 88.

10son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »12. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] » 13.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée14.

En l’espèce, force est de constater que s’il ressort certes d’une « NOTE PATIENT PAR MÉDECIN » du docteur …, néphrologue, du 7 novembre 2024, que le demandeur nécessite trois séances d’hémodialyse par semaine sans interruption et qu’il est dialysé depuis septembre 2021, il n’en ressort toutefois pas qu’un transfert du concerné vers l’Allemagne pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers ledit pays.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins médicaux dont il pourrait avoir besoin. Il y a encore lieu de préciser que les services ministériels ont bien connaissance de l’état de santé du demandeur et, plus particulièrement, de son insuffisance rénale, et qu’il en serait tenu compte dans le cadre de l’organisation de son transfert, dans la mesure où il se dégage de la décision déférée que « Pour l'exécution du transfert vers l'Allemagne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Allemagne, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du 12 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

13 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.

14 Ibidem, point 83.

11transfert vers l'Allemagne en informant les autorités allemandes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin. », de sorte qu’avant l’exécution de la décision de transfert, le ministère évaluera l’état de santé du demandeur et en informera les autorités allemandes.

Enfin, si le demandeur devait estimer que le système d’aide allemand était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités allemandes en usant les voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates, A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers l’Allemagne par le biais de la communication aux autorités allemandes des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas démontré qu’il existe un risque réel et avéré que le transfert du demandeur s’opère en violation de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.

S’agissant ensuite du moyen ayant trait, de l’entendement du tribunal, à la violation des articles 3115 et 3216 du règlement Dublin III, le tribunal constate que lesdits articles ne contiennent que des exigences en matière d’exécution d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III, en ce que l’Etat membre y procédant doit fournir un certain nombre d’informations 15 « L’État membre procédant au transfert d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), communique à l’État membre responsable les données à caractère personnel concernant la personne à transférer qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables, aux seules fins de s’assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l’État membre responsable sont en mesure d’apporter une assistance suffisante à cette personne, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauve garde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d’autres instruments juridiques pertinents en matière d’asile. Ces données sont communiquées à l’État membre responsable dans un délai raisonnable avant l’exécution d’un transfert, afin que ses autorités compétentes conformément au droit national disposent d’un délai suffisant pour prendre les mesures nécessaires ».

16 « Aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l’État membre procédant au transfert transmet à l’État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l’autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l’état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L’État membre responsable s’assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis ».

12sur la personne à transférer, notamment ses coordonnées et les éléments concernant son état de santé si celui-ci présente des particularités, afin que l’Etat membre de destination puisse prendre les mesures nécessaires et adéquates. Les articles afférents ne peuvent dès lors pas affecter la légalité de la décision litigieuse, de sorte que le moyen ayant trait à une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III est partant à rejeter.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201718. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge19, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration20.

En l’espèce, le demandeur conclut à une violation de l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III en renvoyant, en substance, à son argumentaire développé à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 4 de la Charte.

Or, étant donné que le moyen tiré d’une violation par les autorités allemandes de l’article 4 de la Charte vient d’être rejeté dans la mesure où il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière en raison de son état de santé, le tribunal n’entrevoit pas d’éléments de nature à justifier le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Le moyen tiré d’une violation par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est également à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

18 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

19 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

20 Cour adm. 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

13Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Annemarie THEIS, premier juge, Caroline WEYLAND, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, et lu à l’audience publique du 2 janvier 2025 par le premier juge Annemarie THEIS, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Annemarie THEIS 14


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52073
Date de la décision : 02/01/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-01-02;52073 ?

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