Tribunal administratif N° 52141 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52141 2e chambre Inscrit le 23 décembre 2024 Audience publique du 2 janvier 2025 Recours formé par Madame (A1) et consort, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière d’assignation à résidence (art. 22, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52141 du rôle et déposée le 23 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A1), née le … à … (Turquie), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur (A2), né le … à …, tous les deux de nationalité turque, actuellement assignés à résidence à la maison retour sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 22 octobre 2024 les assignant à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yusuf MEYNIOGLU et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Le 18 mars 2024, Madame (A1), accompagnée de son enfant mineur (A2), ci-après désignés par « les consorts (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Madame (A1) fut entendue par la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, il s’avéra que l’intéressée avait introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 3 novembre 2023.
En date du 27 mars 2024, Madame (A1) fut encore entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil 1 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 18 avril 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de reprise en charge de Madame (A1) et de son fils sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III à leurs homologues croates.
En l’absence de réponse de la part des autorités croates à la susdite demande de reprise en charge de Madame (A1) et de son fils, les autorités luxembourgeoises informèrent ces dernières, par courrier du 7 mai 2024, qu’elles considéraient la Croatie comme ayant tacitement accepté la reprise en charge des intéressés en date du 3 mai 2024, en application de l’article 25 (2) du règlement Dublin III.
Par décision du 15 mai 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A1) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer ensemble avec son fils dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions des articles 18 (1) b) et 25 (2) du règlement Dublin III. Le recours contentieux introduit le 4 juin 2024 par Madame (A1) contre cette décision de transfert, prévisée, fut déclaré irrecevable pour cause de tardiveté par un jugement du tribunal administratif du 1er juillet 2024, inscrit sous le numéro 50535 du rôle.
Par courrier du 20 septembre 2024, le ministre pria Madame (A1) de se présenter à un entretien sur sa situation administrative au Luxembourg en date du 1er octobre 2024, auquel elle ne se présenta toutefois pas.
Par arrêté du 1er octobre 2024, le ministre déclara irrégulier le séjour des consorts (A) sur le territoire luxembourgeois et leur ordonna de quitter ledit territoire dans un délai de 30 jours.
Par arrêté du 22 octobre 2024, le ministre ordonna l’assignation à résidence des consorts (A) à la maison retour sise à L-… pour une durée de trois mois à partir de la notification de l’arrêté, avec obligation de se présenter quotidiennement durant cette période au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 7 heures du matin au personnel de la prédite structure. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu l’article 22 (2) d) et 22 (3) a), b), c) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Attendu que la mesure moins coercitive prévue à l’article 22, (3), point b) peut être efficacement appliquée.
Arrête:
Art. 1.- La personne déclarant se nommer Madame (A1), prétendant être née le … à … (Turquie) et être de nationalité turque, accompagnée de son enfant mineur (A2), prétendant être né le … à … (Turquie) et être de nationalité turque, sont assignés à résidence à la maison retour sise à … pour une durée de trois mois à partir de la notification du présent arrêté. Les personnes susvisées ont l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au 2 plus tard à 23h00 du soir ainsi qu’à 07h00 du matin au personnel de la structure prémentionnée.
Art 2.- Les personnes susvisées sont informées qu’en cas de défaut de respect de l’obligation imposée ou en cas de risque de fuite, la mesure pourra être révoquée et le placement en rétention pourra être ordonné comme prévu à l’article 22, paragraphe (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée. […] ».
Par arrêté ministériel du 26 novembre 2024, le ministre rapporta la décision de retour du 1er octobre 2024.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 4 décembre 2024, Madame (A1) introduisit, à travers son litismandataire, un recours gracieux contre l’arrêté ministériel du 22 octobre 2024 l’assignant, ensemble avec son enfant, à résidence à la maison retour et sollicita la mainlevée de la procédure Dublin III.
Par décision du 12 décembre 2024, le ministre rejeta le recours gracieux, prévisé, du 4 décembre 2024 et confirma l’arrêté du 22 octobre 2024, ainsi que la décision de transfert vers la Croatie du 15 mai 2024.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2024, Madame (A1) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 22 octobre 2024 l’assignant, ensemble avec son enfant mineur, à résidence à la maison retour pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision en question.
Etant donné que l’article 22 (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision ordonnant une mesure moins coercitive que le placement en rétention, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, la demanderesse reprend, en substance, les faits et rétroactes tels que relevés ci-avant.
En droit, elle critique, en premier lieu, la mesure d’assignation à résidence prise à son encontre et à l’égard de son fils, en ce que la décision de retour avec obligation de quitter le territoire ne reposerait sur aucune base légale et ne serait pas, à elle seule et en l’absence d’un critère objectif spécifique, suffisante pour justifier un placement en rétention sur base de l’article 22 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement une assignation à résidence.
La demanderesse conteste, en outre, tout risque de fuite dans son chef en faisant valoir qu’elle serait mariée à Monsieur (A3), depuis le … 2024, avec lequel elle aurait vécu, ensemble avec son enfant mineur (A2), jusqu’à son assignation à résidence à la maison retour.
Elle ajoute encore que son enfant (A2) serait scolarisé à l’école … et que celui-ci devrait bénéficier du droit à l’éducation tel qu’instauré par l’article 28 de la Convention de New York sur les droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989 (« la CIDE »).
3 En se basant sur son droit à la vie privée et familiale qu’elle entretiendrait avec son époux, la demanderesse se prévaut d’une violation des articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »).
Elle avance également qu’elle pourrait « régulariser sa présence » sur le territoire luxembourgeois sur base de l’article 12 (1) a) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».
Madame (A1) donne encore à considérer que, dans la mesure où la décision de retour contenant l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois, laquelle aurait pu justifier l’arrêté ministériel déféré du 22 octobre 2024, aurait été rapportée par le ministre par arrêté du 26 novembre 2024, la décision d’assignation à résidence serait également à réformer.
En deuxième lieu, la demanderesse expose que l’arrêté ministériel déféré serait démesuré et ignorerait les spécificités du cas d’espèce. En rappelant que la mesure d’assignation à résidence causerait une atteinte grave aux articles 8 et 12 de la CEDH et 28 de la CIDE, ainsi qu’à l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte ») et à sa liberté de circulation, de même qu’à celle de son enfant mineur, elle conclut à une violation du principe de proportionnalité, au motif que les conséquences de l’arrêté déféré seraient graves et irréversibles tant dans son chef, que dans celui de son enfant mineur et de son époux.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour être non fondé.
Le tribunal rappelle tout d’abord qu’il n’est pas tenu par l’ordre dans lequel des moyens lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et de l’effet utile s’en dégageant.
Il y a lieu de relever que l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose notamment comme suit en ses paragraphes (1) à (3) pertinents en l’espèce :
« (1) On entend par rétention, toute mesure d’isolement d’un demandeur dans un lieu déterminé où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement.
Le placement en rétention est effectué au Centre de rétention créé par la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention. […] (2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que :
a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;
b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a un risque de fuite du demandeur ;
c) lorsque la protection de la sécurité nationale ou l’ordre public l’exige ;
d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il 4 existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :
i.
si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;
ii.
si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;
iii.
si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;
iv.
si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;
v.
si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;
vi.
si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;
vii.
si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;
viii.
si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;
ix.
si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ;
[…] (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, 5 après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;
l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.
Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné.
(4) La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. […] ».
Il convient tout d’abord de relever que l’arrêté ministériel litigieux a été pris sur base de l’article 22 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte à se situer dans le cadre d’une procédure de transfert de la demanderesse et de son fils mineur vers la Croatie en tant qu’Etat membre responsable pour l’examen de leur demande de protection internationale, et non pas sur base de la décision de retour du 1er octobre 2024, rapportée par l’arrêté ministériel du 26 novembre 2024, tel qu’erronément soutenu par la demanderesse. Les développements de Madame (A1) en relation avec une absence de base légale en raison du fait que la décision de retour du 1er octobre 2024 aurait été rapportée sont dès lors à écarter pour être dénués de 6 pertinence dans le cadre du recours sous analyse qui est dirigé contre une décision ordonnant l’assignation à résidence de la demanderesse et de son fils à la maison retour sur les bases légales de l’article 22 (2) d) et de l’article 22 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015.
Il y a ensuite lieu de relever que le paragraphe (1) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 définit la mesure de la rétention et le paragraphe (2) du même article précise les hypothèses dans lesquelles une mesure de rétention peut être prise, dont celle pertinente en l’espèce d’une procédure de transfert en cours conformément au règlement Dublin III, visée au point d) de l’article 22 (2) de la loi du 18 décembre 2015. C’est dans le cadre de cette hypothèse que cette dernière disposition érige la vérification de l’existence d’un risque de fuite non négligeable établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement comme condition de la validité d’une mesure de rétention prise en vue de garantir une procédure de transfert.
C’est par rapport à ces dispositions que le paragraphe (3) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 impose au ministre, si l’un des cas d’ouverture du paragraphe (2) du même article se trouve vérifié, d’examiner si la mesure de rétention ne peut pas être remplacée par des mesures moins coercitives définies à l’alinéa 2 dudit paragraphe (3) qui pourraient être efficacement appliquées. Ainsi plus particulièrement le ministre doit vérifier si l’assignation à résidence peut être prononcée parce que le demandeur présente des garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite existant dans son chef.
Il s’ensuit que l’existence d’un risque de fuite non négligeable, tel que requis par l’article 28 (2) du règlement Dublin III auquel renvoie l’article 22 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 est une condition sous-jacente devant a priori être vérifiée dans le chef de demandeurs de protection internationale qui font l’objet d’une procédure de transfert vers un autre Etat membre compétent pour le traitement de leur demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner, pour permettre au ministre de prononcer à leur égard une mesure de rétention ou une mesure moins coercitive pouvant leur être efficacement appliquée1.
En l’espèce, s’agissant de l’existence d’un risque de fuite non négligeable dans le chef de la demanderesse, il convient de rappeler que l’article 22 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « […] Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :
[…] viii. si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement […] ».
Or, l’intention de Madame (A1) de ne pas se conformer à la décision de transfert du 15 mai 2024 vers la Croatie, exprimée de manière explicite ainsi qu’à travers son comportement, se dégage des éléments du dossier administratif. Il ressort, ainsi, tout d’abord et de façon non contestée, d’un message annexé à un courrier électronique du 17 septembre 2024 de la part d’une assistante sociale de l’Office national de l’Accueil (« ONA »), informant le ministre de la réintégration de Madame (A1) au Centre primo-accueil du Kirchberg, que la demanderesse a émis son souhait de retourner, ensemble avec son fils, dans son pays d’origine, la Turquie2.
Il se dégage ensuite d’un courrier électronique du litismandataire de la demanderesse du 22 octobre 2024 – qui a conduit à l’annulation du premier plan de vol, établi le 15 octobre 1 Cour adm., 24 novembre 2017, n° 40390C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
2 « Mon fils et moi voulons retourner en Turquie ».
7 2024 et prévoyant comme date du transfert le 30 octobre 2024 – que Madame (A1) et son époux, Monsieur (A3), ayant pris la décision de divorcer, avaient signé une convention de divorce le 26 septembre 2024, de sorte qu’une audience devant le juge aux affaires familiales était prévue pour le 20 novembre 2024 et qu’après cette audience, la demanderesse était disposée à retourner volontairement dans son pays d’origine, en précisant encore qu’à partir de cette date, le ministère aurait la possibilité de procéder à son transfert « soit vers la Turquie, soit vers la Croatie (solution qu’elle ne souhaite[rait] pas) ».
Le tribunal constate que l’intention de Madame (A1) de ne pas se conformer à la décision de transfert du 15 mai 2024 se dégage encore de son recours gracieux du 4 décembre 2024, dans le cadre duquel elle sollicite « la mainlevée de la procédure Dublin, afin que la demande de protection internationale puisse être traitée par les autorités luxembourgeoises ».
Il s’ensuit que, même si les propos et actions de Madame (A1), tels qu’exposés ci-avant, sont contradictoires puisqu’il en ressort qu’elle souhaite, d’une part, retourner volontairement dans son pays d’origine et, d’autre part, voir sa demande de protection internationale examinée au Luxembourg, respectivement « régulariser sa présence » sur territoire luxembourgeois sur base de l’article 12 (1) a) de la loi du 29 août 2008, le tribunal se doit de constater qu’il relève de tout ce qui précède que Madame (A1) n’a pas l’intention de se conformer à la décision ministérielle du 15 mai 2024 de la transférer, ensemble avec son fils mineur, vers la Croatie, de sorte qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans son chef.
Il convient toutefois d’ajouter que la justification d’une mesure d’assignation à résidence est axée non pas sur l’existence d’un risque de fuite non négligeable, mais sur l’existence dans le cas d’espèce de garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite, lesquelles garanties pouvant découler non seulement de mesures concrètes proposées par le demandeur de protection internationale ou imposées par le ministre, mais également de la situation personnelle existante du demandeur au moment de la prise de décision3.
Or, en l’espèce, le ministre a considéré qu’il existait dans le chef de l’intéressée un risque non négligeable de fuite établissant qu’elle a l’intention de se soustraire aux autorités luxembourgeoises dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement vers la Croatie, mais qu’elle présentait toutefois des garanties de représentation suffisantes pour ne pas être placée en rétention et de bénéficier ainsi de la mesure moins coercitive prévue à l’article 22 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’assignation à résidence.
A cet égard, la demanderesse reste en défaut de soumettre au tribunal des éléments concrets permettant de retenir qu’aucun risque de fuite n’existerait dans son chef, le simple fait d’affirmer qu’elle voudrait « régulariser sa présence » sur le territoire luxembourgeois n’étant, en effet, pas suffisant, étant précisé que dans ce contexte la notion de « risque de fuite » ne se réfère pas à un éventuel risque que la demanderesse quitte le territoire du Luxembourg, mais vise bien au contraire le risque que la demanderesse tente de se soustraire à la mesure d’éloignement du territoire pour rester au Luxembourg.
Il s’ensuit que la mesure d’assignation à résidence à la maison retour des consorts (A) n’est nullement disproportionnée et qu’aucun reproche ne saurait être adressé au ministre pour avoir considéré que l’assignation à résidence à la maison retour est de nature à prévenir un 3 Cour adm., 24 novembre 2017, n° 40390C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
8 risque de fuite dans le chef de Madame (A1) et de son fils au vu de leur obligation de passer les nuits dans cette structure, cette mesure permettant, au contraire, au ministre de s’assurer que l’exécution du transfert de l’intéressée et de son fils puisse être menée à bien.
Les moyens y afférents sont dès lors à rejeter.
Ce constat n’est pas ébranlé par la violation alléguée par Madame (A1) de son droit au respect de sa vie privée et familiale en ce qu’elle serait mariée à Monsieur (A3), dans la mesure où il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’un courrier électronique du 21 novembre 2024 de Monsieur (A3), de même que d’un courrier électronique émis par le litismandataire de Madame (A1) en date du 22 octobre 2024, que la demanderesse et son époux se sont séparés, de sorte qu’indépendamment du jugement du juge aux affaires familiales du 21 novembre 2024, portant le numéro …, par lequel leur demande en divorce a été déclarée non fondée, Madame (A1) reste en tout état de cause en défaut d’établir l’existence, dans son chef, d’une relation stable et effective avec Monsieur (A3) et a fortiori d’une vie privée et familiale qu’elle aurait avec ce dernier au Luxembourg au sens de l’article 8 de la CEDH. Le moyen y afférent est, dès lors, à rejeter.
En ce qui concerne finalement la prétendue violation du droit à l’éducation de l’enfant mineur (A2), le tribunal se doit de rejoindre la partie étatique dans son constat que l’assignation à résidence ne prive pas l’enfant mineur de sa possibilité d’aller à l’école, de sorte que l’arrêté déféré ne porte pas atteinte à son droit à l’éducation, le moyen ayant trait à une violation de l’article 28 de la CIDE est, dès lors, également à rejeter.
Au vu des développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Annemarie Theis, premier juge, Caroline WEYLAND, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, et lu à l’audience publique du 2 janvier 2025 par le premier juge Annemarie THEIS, en présence du greffier Luana POIANI.
9 s. Luana POIANI s. Annemarie THEIS 10