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13/01/2025 | LUXEMBOURG | N°52088

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 janvier 2025, 52088


Tribunal administratif N°52088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52088 2e chambre Inscrit le 12 décembre 2024 Audience publique du 13 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52088 du rôle et déposée le 12 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, a

vocat à la Cour, assisté de Maître Hakan KAPLANKAYA, tous deux inscrits au tableau de...

Tribunal administratif N°52088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52088 2e chambre Inscrit le 12 décembre 2024 Audience publique du 13 janvier 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52088 du rôle et déposée le 12 décembre 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, assisté de Maître Hakan KAPLANKAYA, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 29 novembre 2024 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH, en remplacement de Maître Ender ULCUN, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2025.

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Le 22 octobre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Suède le 14 novembre 2016, en Allemagne le 12 janvier 2020, ainsi qu’aux Pays-Bas le 10 décembre 2020.

1Le 5 novembre 2024, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 12 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues néerlandais une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 18 novembre 2024 sur le fondement du même article.

Par décision du 29 novembre 2024, remise à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point (d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 22 octobre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d et du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 22 octobre 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 5 novembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 22 octobre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 14 novembre 2016, une demande en Allemagne en date du 12 janvier 2020 ainsi qu'une demande aux Pays-Bas en date du 10 décembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 5 novembre 2024.

2Sur cette base, la Direction générale de l'immigration a adressé en date du 12 novembre 2024 une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 18 novembre 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 14 novembre 2016, une demande en Allemagne en date du 12 janvier 2020 ainsi qu'une demande aux Pays-Bas en date du 10 décembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine en 2014 en traversant la Gambie, le Sénégal, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger afin d'arriver en Libye. Depuis la Libye, vous auriez pris une embarcation clandestine en direction de l'Italie où vous et les autres passagers à bord du bateau auriez été sauvés dans le cadre d'une opération « Search and rescue ». Vous auriez introduit une demande de protection internationale en Italie, cependant, après l'obtention d'un titre de séjour pour raisons humanitaires, vous auriez décidé de partir en Suède en avion. Vous y avez introduit une demande de protection internationale en date du 14 novembre 2016, pourtant vous seriez reparti en Italie afin de vous procurer un document 3spécifique nécessaire pour recevoir un titre de séjour suédois. A ce moment-là, les autorités italiennes auraient retiré votre titre de séjour. Alors que vous auriez souhaité retourner en Suède en train, vous vous seriez fait contrôler par les autorités allemandes pendant votre transit. Selon vos dires, vous auriez été forcé par lesdites autorités allemandes d'introduire une demande de protection internationale en Allemagne. Après quelques mois là-bas, vous auriez quitté l'Allemagne afin de rejoindre les Pays-Bas où vous avez également introduit une demande de protection internationale. Bien que votre demande ait été refusée par les autorités néerlandaises, vous y seriez resté jusqu'en 2023. Etant donné que vous auriez vécu à la rue, vous auriez décidé de rejoindre la France sans y introduire une demande de protection internationale. Cependant, vous auriez de nouveau été sans abri, ainsi vous auriez décidé de vous rendre au Luxembourg où vous seriez arrivé en date du 22 octobre 2024.

Lors de votre entretien Dublin en date du 5 novembre 2024, vous avez indiqué avoir une blessure sur le côté droit de votre corps qui vous ferait parfois mal. En outre, vous vous sentiriez de temps en temps traumatisé en raison de votre passé dans votre pays d'origine ainsi qu'à cause de votre situation actuelle. Cependant vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez ne pas vouloir retourner aux Pays-Bas étant donné que vous n'auriez pas pu faire un recours contre le refus de votre demande de protection internationale suivant l'inaction de votre avocat. En conséquence, vous craindriez d'être rapatrié vers votre pays d'origine.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

4En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s'avérer nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendrait en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises 5conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 29 novembre 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant plus particulièrement qu’en 2014 il aurait quitté le Nigéria en traversant successivement la Gambie, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Niger avant d’arriver en Libye où il aurait embarqué sur un bateau clandestin pour rejoindre l’Italie. Il continue en précisant avoir déposé une demande de protection internationale dans ce pays et qu’alors même qu’il avait obtenu un titre de séjour pour raisons humanitaires en Italie, il aurait décidé de rejoindre la Suède par avion et d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale. Le 14 novembre 2016, il serait retourné en Italie afin de se procurer un document spécifique nécessaire pour obtenir un titre de séjour suédois et à ce moment-là les autorités italiennes lui auraient retiré son titre de séjour. Il explique ensuite que lorsqu’il aurait voulu retourner en Suède en train il se serait fait contrôler par les autorités allemandes pendant son transit et qu’il aurait alors été obligé d’introduire une demande de protection internationale en Allemagne où il serait resté quelques mois avant de rejoindre les Pays-Bas et d’y introduire une demande de protection internationale le 12 janvier 2020. Il précise avoir expliqué aux autorités luxembourgeoises lors de son entretien Dublin III ne pas avoir bénéficié d’une assistance judiciaire suffisante aux Pays-Bas « durant sa procédure ». Il serait ensuite resté dans ce pays jusqu’en 2023 bien que sa demande de protection internationale y ait été rejetée le 10 décembre 2020. Comme il aurait vécu à la rue aux Pays-Bas, il aurait finalement décidé de rejoindre la France sans toutefois y introduire une demande de protection internationale.

Face à la situation de grande précarité à laquelle il aurait été confronté en France, il aurait décidé de se rendre au Luxembourg et d’y introduire une demande de protection internationale.

En droit, le demandeur fait valoir que comme sa demande de protection internationale avait été rejetée par les autorités néerlandaises le 10 décembre 2020, donc depuis presque quatre ans au moment de la prise de la décision ministérielle litigieuse, les Pays-Bas ne seraient plus responsables de sa demande de protection internationale, Monsieur (A) étant d’avis que le règlement Dublin III n’impliquerait pas qu’une fois qu’une demande de protection internationale a été refusée dans un Etat membre, ledit Etat resterait éternellement compétent.

Au contraire, il estime que selon la logique du règlement Dublin III, la durée maximale pour la responsabilité d’un Etat membre serait de dix-huit mois, tel que cela se dégagerait de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

6A cela s’ajouterait qu’il serait arrivé sur le sol européen en 2014, après un périlleux voyage et que son récit serait empreint de misères et de vulnérabilités. Il souffrirait, par ailleurs de certains problèmes de santé qui exacerberaient sa situation.

Au vu de toutes ces considérations et plus particulièrement des éléments humanitaires et exceptionnels entourant sa situation personnelle, le demandeur est d’avis que le ministre aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour assurer le suivi du dossier du demandeur à la suite du rejet de sa demande de protection internationale prévoit que « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale, laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate, de prime abord, qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale seraient les Pays-Bas, en ce qu’il y a introduit une demande de protection internationale en date du 10 décembre 2020 et que les autorités néerlandaises ont accepté sa reprise en charge le 18 novembre 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

7Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation du demandeur suivant laquelle la décision ministérielle litigieuse serait intervenue en violation de l’article 29 du règlement Dublin III aux termes duquel : « 1. Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’Etat membre requérant vers l’Etat membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3. […] 2. Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. […] ».

Il se dégage de manière non équivoque de cette disposition que le délai maximal pour transférer un ressortissant de pays tiers définitivement débouté de sa demande de protection internationale vers l’Etat membre dans lequel sa demande a été rejetée est de six mois et que conformément au paragraphe (1), ce délai commence à courir soit à compter de l’acceptation, par l’Etat requis, de la demande de prise ou de reprise en charge de l’intéressé, soit à compter de la décision définitive sur le recours contre la décision de transfert lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe (3) du règlement Dublin III. Dans la mesure où Monsieur (A) a introduit le recours sous analyse contre la décision ministérielle de transfert du 29 novembre 2024 et que ledit recours a un effet suspensif en vertu de l’article 36, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, les autorités luxembourgeoises disposent d’un délai de six mois courant à compter du prononcé du jugement à intervenir pour procéder au transfert du demandeur, étant relevé que ce délai de six mois peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert de la personne concernée en raison de son emprisonnement ou bien à dix-huit mois au maximum si elle prend la fuite.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen du demandeur tenant à une violation de l’article 29, paragraphe (2) du règlement Dublin III est à rejeter pour manquer de fondement.

Ensuite, il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué par le demandeur, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ci-après dénommée « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

8En l’espèce, le demandeur n’invoque pas l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, respectivement dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qui entraîneraient dans son chef un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), mais il considère que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté prévue à l’article 17 du règlement Dublin III en raison d’éléments humanitaires et exceptionnels dont serait empreinte sa situation personnelle.

En ce qui concerne l’unique moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il y a lieu de relever que celui-ci dispose comme suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III, est discrétionnaire et relève du pouvoir d’appréciation étendu des Etats membres1, mais ne constitue nullement un droit pour le demandeur, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») du 16 février 20172.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge3, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration4.

Le tribunal relève tout d’abord que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant qu’Etat membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (« Convention de Genève ») et disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

3 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

4 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

9leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5.

Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

Tel que relevé ci-avant, le demandeur n’invoque, dans le cadre du recours sous analyse, pas l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, respectivement dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, de même qu’il n’affirme pas avoir rencontré, au cours de son séjour aux Pays-Bas, des conditions d’existence qui aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant au sens des articles 4 de la Charte ou 3 de la CEDH, ni qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration.

Il fait, en effet, uniquement valoir qu’au vu de son parcours migratoire dangereux et de ses problèmes de santé, sa situation personnelle relèverait d’un cas humanitaire ayant dû amener le ministre à appliquer la clause de souveraineté et à se déclarer compétent pour traiter sa demande de protection internationale.

En ce qui concerne l’état de santé du demandeur, tel que mis succinctement en avant par celui-ci dans son recours, le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il ne se dégage pas de la jurisprudence de la CJUE6 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé, pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, suivant la jurisprudence de la CJUE, ce n’est que si un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée7.

5 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

6 Voir en ce sens CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

7 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.

10La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Le tribunal se doit de constater qu’en l’espèce, le demandeur, qui a affirmé lors de son entretien Dublin III souffrir d’une blessure sur le côté droit de son corps et être traumatisé à cause de son vécu, notamment dans son pays d’origine, ne verse aucune pièce faisant état de problèmes de santé dans son chef, de même qu’il ne soumet aucun élément, voire même un quelconque indice concret susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas accéder aux Pays-Bas aux soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système d’aide néerlandais, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas par le biais de la communication aux autorités néerlandaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Au vu de ces considérations, il doit être admis que l’état de santé du demandeur ne saurait s’analyser en un élément humanitaire ou exceptionnel qui aurait dû amener le ministre 11à appliquer la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En ce qui concerne les déclarations du demandeur relatives à son parcours migratoire pénible, le tribunal se doit de conclure que celles-ci manquent de pertinence pour ne concerner ni la compétence de principe des Pays-Bas en vertu des dispositions du règlement Dublin III ni les possibilités légales prémentionnées dont dispose le ministre pour ne pas procéder au transfert de l’intéressé, ces déclarations ne permettant plus particulièrement pas de déceler des raisons pour lesquelles le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour traiter la demande de protection internationale de Monsieur (A) malgré la compétence de principe des Pays-Bas.

Pour être tout à fait complet, le tribunal relève que, lors de son entretien Dublin III, le demandeur a également fait état de sa crainte d’être refoulé par les autorités néerlandaises dans son pays d’origine alors même que sa vie y serait en danger et donc en méconnaissance du principe de non-refoulement, tel que consacré notamment à l’article 33 de la Convention de Genève. Or, outre le fait que la décision ministérielle entreprise n’implique pas un retour du demandeur au pays d’origine, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, soit en l’espèce les Pays-Bas, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, il convient encore de rappeler que, tel que relevé ci-avant, les Pays-Bas respectent a priori - le demandeur ne fournissant aucun indice tangible permettant au tribunal d’en douter - les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, dont plus particulièrement le principe de non-refoulement, et disposent en principe d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, le règlement Dublin III qualifiant d’ailleurs explicitement, en son considérant 3, les Etats membres comme pays sûrs respectant le principe de non-refoulement (« À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers »).

A cela s’ajoute qu’il n’apparaît de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »). Le règlement Dublin III cherche, en effet, à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Dans ces circonstances et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il n’est pas établi que le transfert du demandeur vers les Pays-Bas exposerait ce dernier à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement, ancré à l’article 33 de la Convention de Genève et a fortiori contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Par ailleurs, si par impossible les autorités néerlandaises devaient néanmoins décider d’éloigner le demandeur, même le cas échéant, en violation des articles précités, à supposer que l’intéressé soit effectivement exposé à un risque concret et grave pour sa vie en cas de retour au Nigéria, il lui appartiendrait, tous recours internes éventuellement épuisés - le 12demandeur devant d’abord faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises compétentes en usant des voies de droit adéquates8 - de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme et de lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités néerlandaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Au vu de ces considérations, la crainte péremptoire du demandeur de faire l’objet d’un refoulement indirect par les autorités néerlandaises ne saurait, en tout état de cause, pas non plus s’analyser en une raison humanitaire ou exceptionnelle de nature à justifier le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Il y a lieu de conclure de tout ce qui précède que le demandeur n’a pas mis en avant de problèmes qui pourraient s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est également à rejeter.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 13 janvier 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 8 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52088
Date de la décision : 13/01/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-01-13;52088 ?

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