Tribunal administratif Numéro 47984 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47984 4e chambre Inscrit le 28 septembre 2022 Audience publique du 4 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de report à l’éloignement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47984 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 septembre 2022 par Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 août 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 5 septembre 2022, prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 28 décembre 2022 ;
Vu le courrier électronique du 21 novembre 2024 de Maître Maria Ana REAL GERALDO DIAS informant le tribunal qu’elle n’a plus de mandat pour la défense des intérêts de Monsieur (A) ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 décembre 2024.
En date du 20 février 2019, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 24 février 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-
après par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée et prononça un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard.
Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) le 20 mars 2020 contre la décision ministérielle du 24 févier 2020 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 3 janvier 12022, inscrit sous le numéro 44302 du rôle, confirmé par un arrêt la Cour administrative du 9 juin 2022, inscrit sous le numéro 46926C du rôle.
En date du 26 juillet 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du ministre, par l’intermédiaire de son litismandataire, une demande de report à l’éloignement au sens des articles 125bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 5 août 2022, le ministre rejeta cette demande sur base de la motivation suivante :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 26 juillet 2022 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que M. (A) ne remplit pas les conditions à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En effet, l’identité et le pays d’origine de M. (A) ne sont pas clairement déterminables.
M. (A) n’a produit aucun document prouvant son identité.
De plus, M. (A) n’apporte aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il risquerait d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine.
Enfin, la Cour administrative, dans son jugement du 9 juin 2022, confirme que le retour au Nigéria n’est pas exclu d’office car la situation sécuritaire en Nigéria ne serait pas telle que toute personne présente sur le territoire dudit pays risquerait de subir des menaces et atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne. Ainsi, M. (A), après avoir dû quitter son village natal, aurait pu rester vivre 5 ans à Abuja, sans y rencontrer le moindre problème personnel avec « Boko Haram ». Il est par conséquent raisonnable d’estimer que M. (A) peut rester dans une partie de son pays d’origine sans aucune crainte d’être persécutée et sans aucun risque de subir des atteintes graves. (…) ».
Par courrier de son litismandataire du 25 août 2022, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux contre la décision 5 septembre 2022, précitée, lequel fut rejeté par une décision du 5 septembre 2022, motivée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 25 août 2022 par lequel vous formez pour le compte de votre mandant un recours gracieux suite au refus de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement.
En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre recours gracieux car comme je vous l’ai déjà signalé dans mon courrier du 5 août 2022, la Cour administrative, dans son jugement du 9 juin 2022, confirme que le retour au Nigéria n’est pas exclu d’office car la situation sécuritaire en Nigéria ne serait pas telle que toute personne présente sur le territoire dudit pays risquerait 2de subir des menaces et atteintes graves contre sa vie ou sa personne en raison de violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne.
M. (A) pourra donc retourner vers une partie du Nigéria où il n’y a pas de danger pour les chrétiens. Il a d’ailleurs déjà vécu 5 ans à Abuja, sans y rencontrer le moindre problème personnel avec « Boko Haram » (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 septembre 2022, inscrite sous le numéro 47984 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 5 août et 5 septembre 2022.
Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond dans la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions précitées des 5 août et 5 septembre 2022, lequel a, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Par courrier électronique du 21 novembre 2024, Maître Ana REAL GERALDO DIAS a informé le tribunal qu’elle ne disposait plus de mandat dans l’affaire introduite par ses soins.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du même jour, Monsieur (A) fut informé par les soins du greffe du tribunal administratif, avec copie au délégué du gouvernement, que son avocat avait déposé son mandat, qu’il était dès lors invité à confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour relevant de l’ordre des avocats à Luxembourg ou à Diekirch et qu’à défaut d’instruction de sa part, son recours risquait d’être rejeté pour défaut d’intérêt. Ce courrier fut toutefois retourné au greffe par les services postaux avec l’indication qu’il n’avait pas été réclamé par Monsieur (A), bien que ce dernier eût été avisé le 22 novembre 2022 et invité à venir récupérer l’envoi recommandé.
A l’audience publique du 3 décembre 2024, à laquelle Monsieur (A) n’était ni présent ni représenté, le tribunal a soulevé d’office la question d’ordre public de l’irrecevabilité du recours pour défaut, respectivement pour perte de l’intérêt à agir contre les décisions déférées dans le chef de Monsieur (A).
Le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours compte tenu de l’absence de l’intérêt à agir dans le chef du demandeur.
Il échet tout d’abord de rappeler que l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analyse en question d’ordre public1.
Le tribunal relève ensuite que, si stricto sensu l’intérêt à agir contre une décision administrative est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne 1 Cour adm. 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.
2 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.
3 Trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 64 et les autres références y citées 3marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier4.
Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère aussi que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès5.
Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.
Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé6. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.
En l’espèce, force est tout d’abord de relever que suite au courrier électronique du 21 novembre 2024 par lequel le litismandataire de Monsieur (A) a informé le tribunal qu’elle ne disposait plus de mandat pour le recours qu’elle a introduit pour le compte de son mandant en date du 28 septembre 2022, recours faisant l’objet de la présente instance, le tribunal administratif a envoyé au demandeur, en date du même jour, à l’adresse indiquée dans la requête introductive d’instance, le courrier recommandé avec accusé de réception, précité, lequel a toutefois été retourné au tribunal, faute par Monsieur (A) de l’avoir réclamé auprès des services postaux, étant encore précisé que l’adresse du demandeur figurant sur le courrier litigieux a été rayée manuellement.
Il y a lieu de conclure des considérations qui précèdent que le comportement de Monsieur (A) consistant à ne pas donner suite au dépôt de mandat de son litismandataire, à ne pas indiquer son adresse actuelle au tribunal, à ne pas se présenter ou se faire représenter à l’audience des plaidoiries du 3 décembre 2024 et à ne pas répondre au courrier lui adressé par le greffe du tribunal administratif par voie de lettre recommandée avec accusé de réception, est à interpréter en ce sens que le demandeur ne témoigne plus le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a mue par sa requête du 28 septembre 2022.
4 Trib. adm., 11 mai 2016, n°35579 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n°34 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 8 août 2018, n° 41369 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 6 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.
4 Il convient dès lors de déclarer le recours introduit par Monsieur (A) irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans son chef.
Il y a lieu de relever encore que, si l’avocat constitué a, en l’espèce, déposé son mandat après que la requête introductive d’instance a été introduite pour compte du destinataire de l’acte administratif attaqué, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties7.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne la partie demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 février 2025 par :
Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 7 en ce sens : trib. adm. 24 janvier 2000, n° 11558 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 995.