Tribunal administratif N° 47466 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47466 5e chambre Inscrit le 23 mai 2022 Audience publique du 5 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’assistance judiciaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47466 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2022 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation de (i) la décision du ministre de la Justice du 8 septembre 2021 rejetant les demandes introduites le 12, respectivement 18 décembre 2018, tendant à voir arrêter les décomptes finaux de mémoires d’honoraires établis dans des dossiers couverts par le régime de l’assistance judiciaire au montant des décomptes soumis au Bâtonnier de l’Ordre des avocats et ayant ordonné le remboursement des sommes de … euros, … euros, … euros, … euros, … euros et … euros dans le cadre d’avances perçues au titre d’assistance judiciaire ainsi que (ii) de la décision confirmative du ministre de la Justice du 21 février 2022 intervenue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 octobre 2022 par Maître Guy THOMAS au nom et pour le compte de Monsieur (A), préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 novembre 2022 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les actes attaqués ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 septembre 2024
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Par neuf courriers séparés des 27 et 28 novembre 2018, le ministre de la Justice, désigné ci-après par « le ministre », s’adressa à Monsieur (A), ayant été désigné en sa qualité d’avocat à la Cour par le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Luxembourg, dénommé ci-après par le « bâtonnier », pour assister, sous le couvert de l’assistance judiciaire, neuf particuliers dans la défense de leurs intérêts dans le cadre de leurs demandes de protection internationale, pourl’informer, respectivement pour lui rappeler, la taxation de ses décomptes de frais et honoraires relatifs aux neuf dossiers précités, par le bâtonnier et pour le prier de procéder au remboursement de l’excédent des avances d’ores et déjà touchées par rapport au montant total du décompte, tel que taxé.
Par courriers des 12, respectivement 18 décembre 2018, Monsieur (A) s’adressa au ministre en se référant aux neuf dossiers précités, mais encore à 225 autres dossiers dans lesquels il avait également été désigné, toujours dans le contexte de l’assistance judiciaire, pour assister différents particuliers dans la défense de leurs intérêts dans le cadre de leurs demandes de protection internationale. Monsieur (A) demanda au ministre de reconsidérer sa décision et d’arrêter le montant des décomptes finaux de ses frais et honoraires au montant des décomptes tels qu’il les avait initialement soumis au bâtonnier et non point au montant taxé par le bâtonnier. Parmi les différents dossiers ainsi soumis au ministre, Maître (A) choisit 26 dossiers pour lesquels il détailla les prestations effectuées dans le cadre desdits dossiers ayant donné lieu aux factures taxées par le bâtonnier.
Par décisions des 29 janvier, respectivement 26 février 2019, le ministre rejeta les demandes précitées de Monsieur (A) au motif qu’il n’était pas compétent pour apprécier le bien-fondé des prestations effectuées par un avocat dans le cadre d’un dossier recouvert par l’assistance judiciaire, mais que cette compétence revenait au seul bâtonnier. Sur recours gracieux introduit par Monsieur (A) le 21 mai 2019, le ministre confirma les prédites décisions des 29 janvier, respectivement 26 février 2019 par décision du 6 août 2019. Par requête déposée le 29 octobre 2019, inscrite sous le numéro 43722 du rôle, Monsieur (A) fit introduire un recours contentieux au greffe du tribunal administratif contre ces deux décisions des 29 janvier, respectivement 26 février 2019, ainsi que contre la décision confirmative du ministre du 6 août 2019.
Parallèlement, la Cour administrative prononça le 12 décembre 2019 dans le cadre d’une affaire distincte un arrêt, inscrit sous le numéro 43045C du rôle, par lequel elle retint que la compétence pour arrêter le montant à payer à un avocat par l’Etat dans le cadre d’une assistance judiciaire impliquait la compétence d’apprécier le bien-fondé des prestations facturées et reviendrait au ministre et non point au bâtonnier, en application de l’article 11 du règlement grand-ducal modifié du 18 septembre 1995 concernant l’assistance judiciaire, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 ».
Compte tenu de la solution ainsi retenue par la Cour administrative, le ministre décida de revoir les décomptes présentés par Monsieur (A), ainsi que les avis de taxation afférents du bâtonnier. Afin d’être en mesure d’exercer son pouvoir d’appréciation, le ministre s’adressa par courrier du 3 février 2020, au bâtonnier afin de solliciter des explications supplémentaires sur les raisons pour lesquelles ce dernier avait décidé de ne pas faire droit aux contestations présentées par Monsieur (A).
Par courrier du 28 mai 2021, le bâtonnier expliqua au ministre que le Service taxation assistance judiciaire du barreau de Luxembourg avait procédé à un réexamen « de l’intégralité des 26 dossiers » d’assistance judiciaire de Monsieur (A), et fournit de plus amples explications au ministre quant aux raisons l’ayant amené à rejeter les contestations avancées par Monsieur (A).
Par décision du 8 septembre 2021, le ministre prit position comme suit par rapport aux contestations soulevées par Monsieur (A) au sujet des taxations de ses décomptes dans les 12, respectivement 225 dossiers précités :
« (…) Suite à vos courriers des 12 et 18 décembre 2018 dans le dossier sous rubrique ainsi qu’à la requête introductive d’instance devant le Tribunal administratif du 29 octobre 2019 (n°43722 du rôle) par lesquels vous me demandez d’arrêter les montants des décomptes finaux dans 223 dossiers d’assistance judiciaire aux montants de vos décomptes soumis au Bâtonnier, je me permets de vous informer comme suit :
I) Concernant les 26 dossiers repris à l’annexe 1 dont vous avez contesté la taxation en 2014 respectivement 2016, sans préjudice quant à la date exacte, et qui sont visés par le courrier de Madame la Bâtonnière du 28 mai 2021 figurant à l’annexe 2, les montants sont arrêtés comme suit :
1° Pour le dossier (B), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur ;
2° Pour le dossier (C), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
3° Pour le dossier (D), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
4° Pour le dossier (E), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
5° Pour le dossier (F), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
6° Pour le dossier (G), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
7° Pour le dossier (K), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
8° Pour le dossier (I), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
9° Pour le dossier (J), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
10° Pour le dossier (K), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
11° Pour le dossier (L), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
12° Pour le dossier (M), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
3 13° Pour le dossier (N), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
14° Pour le dossier (O), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
15° Pour le dossier (P), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
16° Pour le dossier (Q), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
17° Pour le dossier (R), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
18° Pour le dossier (S), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
19° Pour le dossier (T), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
20° Pour le dossier (U), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
21° Pour le dossier (V), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
22° Pour le dossier (W), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur de sorte qu’il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant finalement arrêté ;
23° Pour le dossier (X), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
24° Pour le dossier (Y), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
25° Pour le dossier (Z), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat ;
26° Pour le dossier (AB), un montant de …- euros est arrêté en votre faveur, de sorte qu’un supplément de …- euros vous est versé par la Trésorerie de l’Etat.
4 Pour les dossiers (M), (N), (S), (AC), (V) et (W), tel qu’indiqué ci-dessus, il résulte de l’appréciation de votre décompte final que les avances touchées par vous dépassent le montant que j’ai arrêté, de sorte que vous devez rembourser les paiements excédentaires à l’Etat.
En vertu de l’article 65 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le Budget, la Comptabilité et la Trésorerie de l’Etat, les paiements indûment effectués donnent en principe lieu à l’établissement de rôles de restitution par l’ordonnateur. Les rôles de restitution sont soumis au visa du contrôleur financier et recouvrés par les comptables publics chargés de la perception de ces recettes.
Je vous prie de bien vouloir, dans la quinzaine, i.
pour le dossier (M), rembourser l’excédent, à savoir le montant de …-euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro - … - (AD) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice ;
ii.
pour le dossier (N), rembourser l’excédent, à savoir le montant de …- euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro - … - (N) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice ;
iii.
pour le dossier (S), rembourser l’excédent, à savoir le montant de … euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro - …- (AE) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice ;
iv.
pour le dossier (U), rembourser l’excédent, à savoir le montant de 59,05. euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro … (U) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice ;
v.
pour le dossier (V), rembourser l’excédent, à savoir le montant de … euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro - … - (AF) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice ;
vi.
pour le dossier (W), rembourser l’excédent, à savoir le montant de …- euros à la Trésorerie de l’État, … au profit du compte 1 avec la mention « dossier no.
Numéro - … - (W) » et adresser une copie du virement effectué au bénéfice de la Trésorerie de l’État au Ministère de la Justice.
Passé ce délai, et en cas de non-remboursement de l’excédent, la procédure forcée du rôle de restitution ci-avant décrite sera appliquée.
Les montants arrêtés dans les 26 dossiers susmentionnés correspondent aux redressements préconisés par Madame la Bâtonnière dans son courrier pré-mentionné du 28 mai 2021, que je fais miens, et font partiellement droit à vos contestations.
5 Concernant les contestations auxquelles je ne fais pas droit, je fais miens les motifs indiqués dans le courrier pré-mentionné de Madame la Bâtonnière, dont copie en annexe.
II) Concernant les 197 autres dossiers dont vous me demandez d’arrêter les montants à ceux de vos décomptes soumis au Bâtonnier, je confirme les montants qui vous ont été communiqués par le passé.
A titre préliminaire, je constate que, sauf erreur de ma part, les taxations intervenues dans ces 197 dossiers, taxations qui s’étalent sur une période de 2014 à 2018, n’ont jamais fait l’objet de contestations de votre part avant votre courrier du 18 décembre 2018. Pour les taxations datant de 2014 non reprises au point I), vous avez même expressément indiqué ne pas les contester dans votre courrier du 24 juillet 2014 adressé au Délégué du Bâtonnier à l’assistance judiciaire, dont vous m’avez fait parvenir une copie.
Or, « le principe de sécurité juridique implique qu’un administré ne peut plus remettre en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps. Ainsi, ce principe fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle ayant été notifiée à son destinataire ou dont il a eu connaissance de manière certaine. » (Trib. adm. 3 janvier 2018, n°38590 du rôle), de sorte que se pose la question de la recevabilité d’au moins une partie de votre demande.
Les développements qui suivent sont donc sous réserve expresse d’irrecevabilité, du moins partielle, de votre demande.
Les montants arrêtés dans les 197 dossiers tiennent compte des avis de taxation respectifs émis par le Bâtonnier, que j’ai décidé de suivre et dont je fais miennes les corrections.
Dans votre courrier du 18 décembre 2018, vous invoquez plusieurs motifs à l’appui de votre demande.
En premier lieu, vous estimez que les décisions de réduction intervenues dans les dossiers concernés sont contraires au principe général de confiance légitime. Vous me reprochez en substance d’avoir opéré des réductions plus importantes dans ces dossiers que dans d’autres dossiers taxés par le passé. Ainsi, vous indiquez dans votre requête introductive d’instance du 29 octobre 2019 que par le passé, les réductions auraient avoisiné les 5% alors que les réductions opérées entre 2014 et 2018 se seraient situées entre 13% et 24%.
Le principe de confiance légitime ne saurait cependant signifier que vous seriez en droit de vous fier à ce que le niveau des réductions effectuées lors de la taxation des dossiers ne dépasse pas un pourcentage moyen établi sur la base de taxations antérieures, toute taxation impliquant une appréciation in concreto de chaque dossier individuel.
Je note par ailleurs que Madame la Bâtonnière indique dans son courrier du 28 mai 2021 que l’application d’un système de forfait qui aurait selon vous existé depuis 2006 est formellement contesté par le Service taxation assistance judiciaire du Barreau de Luxembourg.
En tout état de cause, et à titre subsidiaire, l’on ne saurait affirmer que le fait que les réductions soient devenues plus importantes à partir de 2014, à le supposer établi, présente un caractère d’imprévisibilité sur une période de quatre ans, s’étalant de 2014 et 2018.
6 En deuxième lieu, vous estimez que dans certains dossiers les réductions remettraient en cause des droits acquis, lesquels l’auraient été au moment des paiements des provisions sollicitées et octroyées sur base de l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal modifié du 18 septembre 1995 concernant l’assistance judiciaire, lequel dispose que « sur décision du Bâtonnier, des paiements partiels à valoir (…) sur l’indemnité définitive, pourront être liquidés à l’avocat par l’état selon l’état d’avancement du litige sur demande dûment justifiée. » Or une provision octroyée ne constitue pas un droit acquis. Le montant des provisions accordées en vertu de l’article 10, paragraphe 2 du règlement susvisé ne saurait être considéré comme définitif au seul motif que la demande de provision doit être justifiée.
Les montants accordés à titre de provision sont, de par leur nature, non-définitifs voire « provisoires » et ainsi susceptibles d’être modifiés, raison pour laquelle l’appréciation du relevé des prestations dans le cadre d’une demande de provision n’est pas à assimiler à une taxation.
Prétendre le contraire revient à méconnaître l’essence même du concept de « provision ».
Il en ressort qu’en matière d’assistance judiciaire, aucune prestation, qu’elle soit mise en compte dans le cadre d’une demande de provision ou dans le cadre du dépôt du décompte final n’est à considérer comme « avérée » ou « définitive » jusqu’au moment où le montant final est arrêté par le ministère de la Justice.
Pour cette raison, il est tout à fait possible pour le Bâtonnier respectivement le ministre de la Justice de remettre en cause aussi bien l’existence que la quantité et l’importance de certaines prestations au moment de la taxation.
En troisième lieu, vous affirmez de manière générale que les réductions sont le fruit d’erreurs d’appréciation.
Vous n’avancez cependant aucun élément concret pour étayer vos critiques par rapport aux réductions effectuées dans un dossier donné.
En quatrième lieu, vous affirmez de manière générale que les réductions sont contraires aux éléments objectifs du dossier.
Outre le fait qu’ici encore, vous vous limitez à une affirmation générale sans préciser les contrariétés alléguées dans un dossier donné, je rappelle qu’en vertu de l’article 2.7.4 du Règlement intérieur de l’Ordre des avocats « L’avocat fera preuve de modération dans l’établissement de son décompte. Dans le cas contraire, il s’expose à des sanctions disciplinaires. Lors de l’établissement de l’avis de taxation, le Bâtonnier ou son délégué pourra ne retenir que les prestations utiles et nécessaires à la défense des intérêts du bénéficiaire de l’assistance judiciaire. » Par conséquent, une réduction contraire à des éléments objectifs du dossier, à la supposer établie, ne constitue pas ipso facto une réduction injustifiée.
7 En cinquième lieu, vous affirmez que les réductions sont le fruit d’erreurs de calcul.
Vous vous limitez cependant à une affirmation générale sans préciser de quelles erreurs il s’agit.
Il résulte de ce qui précède que vous ne fournissez aucun élément concret de nature à remettre en cause le bien-fondé des montants tels qu’arrêtés dans les 197 dossiers en cause, qui tiennent compte des avis de taxation émis par le Bâtonnier que je suis et dont je fais miennes les corrections.
Je précise que dans le dossier … (v.réf.: (1)), sauf erreur de ma part, le montant arrêté en 2017 et confirmé par la présente correspond au montant de votre décompte. (…) ».
Suite à l’arrêt de la Cour administrative précité du 12 décembre 2019 et à la décision corollaire du ministre du 8 septembre 2021 précitée, le litismandataire de Monsieur (A) informa le tribunal administratif par courrier du 20 septembre 2021 que sa partie se désistait du recours contentieux précité, inscrit sous le numéro 43722 du rôle. Par jugement du 29 septembre 2021, le tribunal administratif constata la déchéance du recours inscrit sous le numéro 43722 du rôle, au sens de l’article 25 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par courrier du 9 décembre 2021, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 8 septembre 2021.
Par décision du 21 février 2022, le ministre rejeta le recours gracieux précité dans les termes suivants :
« Par la présente, j’accuse bonne réception de votre recours gracieux du 9 décembre 2021 contre mes décisions du 8 septembre 2021.
Je suis au regret de vous informer que je maintiens mes décisions telles que notifiées par mon courrier du 8 septembre 2021, pour les raisons y exposées. Chacune des décisions est basée sur l’avis de taxation respectif du Bâtonnier et, en ce qui concerne l’ensemble des 26 dossiers figurant au point I de mon courrier du 8 septembre, sur les indications supplémentaires du Bâtonnier figurant dans son courrier du 28 mai 2021.
Je maintiens également la réserve d’irrecevabilité émise dans mon courrier pré-
mentionné.
Comme suite à votre demande, je vous joins en annexe une copie de mes courriers des 3 février 2020, 16 avril 2020 et 2 décembre 2020 adressés au Bâtonnier, du courrier du Bâtonnier à mon attention du 24 avril 2020, ainsi que des échanges de courriers avec le Bâtonnier des 25 août 2017 et 20 novembre 2018.
Pour le surplus, l’ensemble des pièces ayant servi de base à mes décisions a été communiqué avec mon courrier pré-mentionné du 8 septembre, respectivement dans le cadre du recours n°43722, soit par le ministère de la Justice, soit par vous-même.
Au cas où vous souhaiteriez que ces pièces vous soient communiquées une nouvelle fois, je vous prie de bien vouloir me le signaler. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2022, inscrite sous le numéro 47466 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée initiale du 8 septembre 2021, ainsi que contre la décision confirmative du 21 février 2022 rendue suite au recours gracieux introduit en date du 9 décembre 2021.
I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours quant aux délais et quant à la forme.
Le tribunal relève de prime abord que s’il est vrai que le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, force est au tribunal de constater que le délégué du gouvernement n’a formulé aucune explication concrète à l’appui de sa contestation. Or, une contestation non autrement développée est à écarter. En effet, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties et de faire des suppositions sur les moyens qu’ils ont voulu soulever au risque d’une violation des droits de la défense1.
Il s’ensuit que la contestation de la recevabilité du recours est à écarter.
Il échet ensuite de constater qu’aucun texte légal ou réglementaire ne prévoit de recours au fond en matière d’assistance judiciaire, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation dirigé contre les décisions ministérielles des 8 septembre 2021 et 21 février 2022, précitées, conformément à l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », qui dispose que le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.
Le recours en annulation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
S’agissant de la contestation de la partie étatique relative à la recevabilité des demandes initiales adressées par Monsieur (A) au ministre par courrier de contestation du 18 décembre 2018, il convient de constater que ce moyen qui ne relève pas de la question de la recevabilité du recours contentieux sous examen, mais de la seule recevabilité des contestations elles-
mêmes introduites par le demandeur auprès du ministre, constitue une question de fond dans le cadre du recours sous examen et sera partant analysée dans ce contexte par le tribunal.
II) Quant au fond A.) Quant à l’objet du recours sous examen A titre tout à fait liminaire, et, avant même de procéder à l’analyse du fond du recours, le tribunal constate qu’il existe des divergences entre les parties en cause quant à la désignation des dossiers traités sous le régime de l’assistance judiciaire par Monsieur (A) et visées par les 1 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 (2e volet) et les autres références y citées.décisions ministérielles déférées des 8 septembre 2021 et 21 février 2022. En effet, les parties en cause se réfèrent dans les décisions déférées elles-mêmes, mais encore dans les contestations et courriers antérieurs de manière indistincte et désordonnée à « 223 dossiers », « 225 dossiers », « 9 dossiers », « 26 dossiers », « 197 dossiers » ou encore à « 198 dossiers ». Afin d’éviter toute imprécision, il convient donc, de prime abord d’identifier les dossiers traités sous le régime de l’assistance judiciaire et visés par les décisions déférées.
Il ressort à cet égard de la contestation introduite par Monsieur (A) auprès du ministre par courrier du 12 décembre 2018 qu’elle est dirigée contre des décisions ministérielles arrêtant les montants à lui allouer à dans le cadre de 9 dossiers traités sous le régime de l’assistance judiciaire2.
Il ressort, ensuite, de la liste de dossiers annexée à la contestation introduite par Monsieur (A) auprès du ministre par courrier du 18 décembre 2018 que ladite contestation visait un total de 225 dossiers, parmi lesquels figurent les 9 dossiers d’ores-et-déjà concernés par la contestation précitée du 12 décembre 2018.
La décision déférée du 8 septembre 2021 prend position par rapport aux contestations introduites les 12 et 18 décembre 2018 et vise un total de 223 dossiers en renvoyant à la liste de dossiers précitée, annexée par Monsieur (A) à sa contestation du 18 décembre 2018. Dans le cadre de son recours gracieux du 9 décembre 2021, Monsieur (A) rappelle que ses contestations portent sur un total de 225 dossiers et non point 223 dossiers. Si le ministre ne revient plus dans le cadre de la décision prise sur recours gracieux du 21 février 2022 sur le nombre de contestations visées par la décision initiale du 8 septembre 2021, il n’en demeure pas moins que dans le cadre de ses mémoires en réponse et en duplique, la partie étatique se réfère à 225 contestations.
Force est dans ce contexte au tribunal de constater que la liste de dossiers précitée, annexée par Monsieur (A) à sa contestation du 18 décembre 2018, à laquelle le ministre s’est à son tour référé, contient en marge une inscription manuelle portant une numérotation continue des dossiers visés. Cette numérotation manuscrite est toutefois lacunaire en ce sens qu’elle fait l’impasse sur deux dossiers3, de sorte à aboutir à un total de 223 dossiers au lieu de 225 dossiers.
Le tribunal est, dès lors, amené à conclure que les contestations de Monsieur (A), ainsi que les décisions déférées portent sur des décisions du ministre ayant arrêté les montants à allouer à Monsieur (A) dans le cadre de 225 dossiers traités sous le régime de l’assistance judiciaire et plus particulièrement des dossiers suivants :
2014 (…) 2015 (…) 2016 (…) 2017 (…) 2018 (…) 2 Il s’agit des dossiers : 1. (Q) ; 2. (S) ; 3. (M) ; 4. (W) ; 5. (R) ; 6. (U) ; 7. (V) ; 8. (AG) ; 9. (N).
3 Dossiers « (AH) » et « (AI) ».
Lesdits 225 dossiers sont désignés ci-après par les « 225 dossiers ».
Il convient, ensuite, de constater que parmi les 225 dossiers, le ministre opère tant dans le cadre des décisions déférées que dans celui des mémoires en réponse et en duplique une distinction entre :
- ses décisions ayant arrêté les montants à allouer à Monsieur (A) dans le cadre de 26 dossiers traités sous le régime de l’assistance judiciaire, par rapport auxquels Monsieur (A) avait introduit des contestations circonstanciées. Lesdits 26 dossiers sont désignés ci-après par les « 26 dossiers »4 ;
- ses décisions ayant arrêté les montants à allouer à Monsieur (A) dans le cadre de 198 autres dossiers, par rapport auxquels Monsieur (A) n’aurait pas introduit de contestations circonstanciées préalables et par rapport auxquels se poserait, d’après le ministre, la question de la recevabilité des contestations de Maître faite pour la première fois par courrier du 18 décembre 2018, désignés ci-après par les « 198 dossiers » et, enfin, - sa décision ayant arrêté le montant à allouer à Monsieur (A) dans le cadre d’un dernier dossier pour lequel le montant arrêté par la décision ministérielle aurait correspondu au montant retenu par Monsieur (A) dans son décompte. A cet égard, il convient de constater que Monsieur (A) a confirmé dans le cadre de son recours gracieux daté du 9 décembre 2021 que dans le cadre du dossier … « le montant arrêté en 2017 correspond effectivement au montant de mon décompte initial », de sorte qu’il a renoncé à ses contestations concernant ledit dossier, désigné ci-après par « le dossier de renonciation ».
Ces précisions relatives à l’objet du recours sous examen étant faites, il y a lieu de procéder à l’analyse des moyens avancés par le demandeur à l’appui de son recours.
B.) Quant à la légalité des décisions déférées Le demandeur opère une distinction entre deux volets des décisions déférées en distinguant, d’une part, le volet des décisions ayant trait aux 26 dossiers, et, d’autre part le volet des décisions ayant trait aux 198 dossiers.
A l’appui de son recours, il invoque un seul moyen dirigé contre les deux volets des décisions déférées, à savoir un moyen tiré de l’absence sinon de l’insuffisance de l’indication de la motivation à la base des décisions déférées (1.).
En second lieu, le demandeur avance des moyens dirigés contre le volet des décisions déférées portant sur les 26 dossier (2.) en invoquant plus particulièrement :
• un défaut de justification au motif que les décisions concernant les 26 dossiers auraient été le fruit d’une instruction incomplète par le ministre des demandes lui soumises (2.1) ;
• une violation du principe de la confiance légitime (2.2) ;
• une violation du principe des droits acquis (2.3) ; et • des erreurs d’appréciation à la base des réductions du temps des prestations facturées (2.4).
4 Dossiers : (…) En troisième lieu, le demandeur avance des moyens dirigés contre le volet des décisions déférées portant sur les 198 dossier (3.) en invoquant plus particulièrement :
• la recevabilité du volet de son recours gracieux relatif aux 198 dossiers (3.1) ;
• un défaut de justification au motif que les décisions concernant les 198 dossiers auraient été le fruit d’une instruction incomplète par le ministre des demandes lui soumises (3.2) ;
• une violation du principe de la confiance légitime (3.3) ;
• des erreurs d’appréciation à la base des réductions du temps des prestations facturées (3.4) ; et • une violation du principe des droits acquis (3.5).
Le tribunal précise à titre liminaire qu’il n’est pas lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties à l’instance, mais qu’il lui appartient de les analyser compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent et de la bonne administration de la justice.
1. Quant au moyen tiré d’une absence voire d’une insuffisance de l’indication de la motivation à la base des décisions déférées Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir repris les faits et rétroactes, tels qu’énoncés ci-avant, soulève en premier lieu un moyen tiré de la légalité externe des décisions déférées, en leur reprochant, d’une part, d’être basées sur des avis d’un organisme consultatif, en l’occurrence le bâtonnier, dépourvus de motivation et, d’autre part, d’être elles-mêmes dépourvues de motivation, dans la mesure où elles omettraient d’expliquer les raisons pour lesquelles il y aurait lieu de supprimer du temps de prestation mis en compte par lui-même dans le cadre de ses notes d’honoraires.
Le demandeur prend d’abord position par rapport à la taxation des 26 dossiers. Il précise qu’à leur sujet il aurait introduit des contestations circonstanciées auprès du bâtonnier au cours des années 2014 et 2016, mais qu’à défaut d’avoir eu connaissance des raisons pour lesquelles ses factures avaient été réduites, il n’aurait pu que contester par principe chaque décision de taxation en tentant d’apporter un maximum de précisions sur les raisons qui auraient justifié sa facturation initiale laquelle aurait déjà été très détaillée. Le fait par le bâtonnier d’avoir répondu à ces contestations dans un courrier du 28 mai 2021 ainsi que le simple fait par le ministre de faire siennes les réponses du bâtonnier, ne sauraient, aux yeux du demandeur, pallier le manque de motivation initial à la base de ces 26 décisions. Les explications afférentes auraient par nature été incomplètes et insuffisantes, voire non pertinentes, puisqu’elles se seraient bornées à répondre aux seuls arguments qu’il aurait présentés pour chaque décision sans en connaître les motifs.
Toujours dans le contexte de la légalité externe des décisions déférées, le demandeur reproche au ministre de n’avoir, après avoir reconnu sa compétence pour arrêter le montant à payer par l’Etat en matière d’assistance judiciaire suite à l’arrêt précité de la Cour administrative du 12 décembre 2019, inscrit sous le numéro 43045C du rôle, décidé de ne demander des informations supplémentaires au bâtonnier qu’en ce qui concerne les 26 dossiers, mais non pas en ce qui concerne les 198 dossiers. Par rapport auxdits 198 dossiers, le ministreaurait partant ignoré les raisons pour lesquelles le bâtonnier avait à l’époque proposé de réduire les factures concernées. Le ministre se serait ainsi privé de la possibilité d’instruire et de motiver légalement les demandes lui soumises.
Le demandeur conclut que les décisions déférées devraient encourir l’annulation pour être le fruit d’une instruction incomplète de ses demandes, pour ne pas répondre à l’intégralité de ses demandes et pour violer ainsi des formes destinées à protéger les intérêts privés.
Concernant le moyen tiré d’un défaut de motivation des décisions ministérielles déférées, le délégué du gouvernement conteste de prime abord tout défaut de « motivation ab initio » des 26 dossiers. Il se réfère à cet égard à l’article 11 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 selon lequel le bâtonnier rendrait un avis quant au décompte final déposé par l’avocat avant que le ministre en arrêterait le montant. En l’espèce, le service de taxation du barreau aurait soigneusement pris en considération à la fois le contenu des différents dossiers soumis par le demandeur ainsi que le détail du relevé des prestations que le demandeur aurait fait valoir par rapport à chacun de ces 26 dossiers. Dans la mesure où l’article 11 du règlement grand-ducal ne spécifierait d’aucune manière sous quelle forme cet avis devrait être rendu, le bâtonnier disposerait de la liberté de concevoir son avis.
Le délégué du gouvernement affirme ensuite qu’en l’espèce, le service d’assistance judiciaire du barreau aurait utilisé une méthode de correction qui se serait basée sur la réduction à de plus justes proportions des prestations facturées, lesquelles seraient à considérer comme excessives au niveau du temps de travail mis en compte, pas forcément nécessaires ou utiles pour assurer la défense du client, erronées ou tout simplement en dehors du champ d’application de l’assistance judiciaire. Cette correction aurait été complétée par des précisions en marge complétant la justification des réductions opérées en vertu des indicateurs précités. Dans le même contexte le délégué du gouvernement renvoie à l ’article 2.7.4 du règlement intérieur de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, ci-après désigné par « le R.I.O. », aux termes duquel « L’avocat fera preuve de modération dans l’établissement de son décompte. Dans le cas contraire, il s’expose à des sanctions disciplinaires. Lors de l’établissement de l’avis de taxation, le Bâtonnier ou son délégué pourra ne retenir que les prestations utiles et nécessaires à la défense des intérêts du bénéficiaire de l’assistance judiciaire. ».
A la suite des contestations circonstanciées émises par le demandeur, le bâtonnier aurait pris position par courrier du 28 mai 2021 par rapport au résultat de la taxation dans les 26 dossiers précités en tenant compte des contestations formulées. Selon le délégué du gouvernement, il ne serait pas surprenant que les explications complémentaires du bâtonnier n’auraient pas satisfait le demandeur, lequel ne cesserait de réclamer l’intégralité les montants facturés en faisant abstraction de l’obligation de modération qui s’imposerait en matière d’assistance judiciaire, en partant du postulat du caractère utile et nécessaire de la totalité des prestations facturées dans les différents dossiers traités et en refusant toute appréciation critique de ses décomptes finaux au regard de l’obligation de modération.
La partie étatique conclut qu’étant donné que le demandeur serait en possession des décomptes finaux taxés, ainsi que des éléments d’explication complémentaires fournis dans le courrier du bâtonnier du 28 mai 2021 précité ainsi que dans la décision ministérielle rendue sur recours gracieux en date du 21 février 2022, il serait à débouter de ses reproches tirés d’un défaut de motivation des différents montants arrêtés par le ministre dans les 26 dossiers concernés.
Appréciation du tribunal Le tribunal précise en premier lieu que le recours sous examen tend à l’annulation des deux décisions ministérielles des 8 septembre 2021, respectivement 21 février 2022, de sorte que le moyen afférent ne peut viser que l’indication de la motivation par lesdites deux décisions et non point l’indication de la motivation figurant dans les décisions ministérielles initiales ayant arrêté le montant à payer par l’Etat à Monsieur (A) dans les dossiers d’assistance judiciaire. La question de l’indication de la motivation par lesdites décisions arrêtant le montant final à payer relève, en effet, du bien-fondé des décisions ministérielles déférées et sera analysée dans ce contexte par le tribunal.
Toujours à titre liminaire, le tribunal constate que la décision du 8 septembre 2021 est divisée en deux parties, en ce qu’elle porte (i) d’un côté sur les montants des frais et honoraires arrêtés dans le cadre des 26 dossiers et, (ii) d’un autre côté, sur les montants des frais et honoraires arrêtés dans le cadre des 198 dossiers. La décision du 21 février 2022, intervenue sur recours gracieux, est purement confirmative de la décision du 8 septembre 2021 et comporte donc la même division que cette dernière.
En ce qui concerne l’indication de la motivation à la base d’une décision administrative, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, désigné ci-après par le règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, dispose que : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; (…) » Il résulte de cette disposition qu’au-delà du fait que l’existence de motifs est une des conditions essentielles de la validité d’un acte administratif5, les décisions administratives qui y sont limitativement énumérées doivent formellement indiquer lesdits motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base6.
Dans la mesure où les décisions ministérielles déférées refusent, du moins en grande partie, de faire droit aux demandes du demandeur consistant à voir arrêter le montant des décomptes finaux de ses frais et honoraires au montant des décomptes tels qu’il les avait initialement soumis au bâtonnier, l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est applicable en l’espèce, de sorte qu’il convient d’analyser si les décisions déférées indiquent au moins sommairement les éléments de droit et de fait à leur base.
Force est, à cet égard, au tribunal de constater que chacune des deux parties des décisions déférées comporte une indication formelle de la motivation à sa base au sens de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Ainsi, le volet des décisions déférées portant sur les 26 dossiers (a) communique les montants auxquels les honoraires de Monsieur (A) ont été finalement arrêtés, suite à une 5 Trib. adm., 27 février 1997, n° 9601, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 66 et les autres références y citées.
6 Trib. adm., 11 janvier 2010, n° 25445, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 68 et les autres références y citéesnouvelle analyse opérée par le bâtonnier en raison des contestations formulées par Monsieur (A), tout en informant qu’il a été partiellement fait droit à ces contestations et (b) renvoie pour toute explications supplémentaire au courrier du bâtonnier du 28 mai 2021 duquel il ressort (i) que certaines contestations de Monsieur (A) n’ont pas été accueillies favorablement au motif que l’application d’un « système forfaitaire » pour la détermination du montant des honoraires était refusée, (ii) que le « Vademecum » de l’assistance judiciaire dans sa version mise à jour au 29 mai 2011 applicable à l’époque prévoit une facturation individuelle de chaque prestation par l’avocat avec un tarif par unité de cinq minutes, (iii) que des similitudes dans les recours contentieux introduits par Monsieur (A) auraient pu être constatées en ce qui concerne des demandeurs de protection internationale originaires des mêmes pays, de sorte que Maitre (A) aurait pu synthétiser son travail de rédaction et procéder par « plan-types » ainsi que par la méthode de « copier-coller » et que ce travail ne pourrait partant pas être facturé comme s’il s’agissait de recours individuels, (iv) que les demandes de provision ne seraient analysées que sommairement et que les provisions accordées ne constitueraient pas de taxation et, enfin, (v) que la taxation aurait été opérée eu égard à l’article 2.7.4 du R.I.O., suivant lequel l’avocat doit faire preuve de modération dans l’établissement de son décompte dans le cadre des dossiers pris en compte par l’assistance judiciaire.
L’analyse des décisions déférées révèle donc, outre toute considération quant au bien-
fondé de l’argumentation avancée par le ministre, qu’en ce qui concerne ce premier volet des décisions déférées, il s’est conformé aux dispositions de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, en indiquant tant les circonstances de fait que la cause juridique à la base de ses décisions.
Pour autant qu’à travers ses développements le demandeur a entendu faire état d’un défaut de motivation de l’avis du bâtonnier du 28 mai 2021 se situant à la base des décisions déférées, le tribunal relève que ces développements ne sauraient pas énerver la conclusion retenue ci-avant, dans la mesure où le pouvoir d’apprécier le bien-fondé des prestations facturés par l’avocat et d’arrêter le montant des honoraires de l’avocat dans le cadre des assistances judiciaires appartient au ministre, de sorte qu’une éventuelle absence de motivation contenue dans l’avis du bâtonnier est indifférente au regard des dispositions de l’article 6, précité, et des principes s’en dégageant.
S’agissant ensuite du volet des décisions déférées portant sur les 198 dossiers, force est de constater que le ministre retient en premier lieu l’irrecevabilité de la demande du demandeur sur ce point en renvoyant au principe de sécurité juridique ainsi qu’à la jurisprudence afférente. Ledit volet des décisions déférées (i) renvoie encore à l’appui de sa conclusion aux avis de taxation du bâtonnier, (ii) prend position par rapport à l’argumentation du demandeur relative au principe de confiance légitime ainsi qu’à l’application d’un système de facturation forfaitaire, (iii) renvoie à l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 et, enfin, (iv) renvoie à l’article 2.7.4 du R.I.O.
Au vu des considérations qui précèdent, force est au tribunal de constater, indépendamment de la question du bien-fondé de la motivation ainsi avancée, que le deuxième volet des décisions déférées comporte à son tour une indication suffisante de la motivation à sa base au sens de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dans la mesure où il indique tant les circonstances de fait que la cause juridique à sa base.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le moyen du demandeur tiré d’une indication insuffisante des motifs à la base des décisions déférées est à rejeter.
2. Quant aux moyens dirigés contre le volet des décisions déférées concernant les 26 dossiers Arguments et moyens des parties En ce qui concerne les 26 dossiers, le demandeur soulève un défaut de motivation ab initio des décisions ministérielles prises ainsi que des erreurs d’appréciation, une violation du principe de confiance légitime et, enfin, une violation du principe des droits acquis.
S’agissant d’abord l’argumentation tirée d’un défaut de motivation ab initio, le demandeur argumente que les décisions initiales du ministre refusant d’arrêter le montant des honoraires à allouer au montant de son décompte initial, auraient été dépourvues de motivation, dans la mesure où elles auraient été prises sur base de l’avis de taxation du bâtonnier, sans expliquer elles-mêmes les raisons pour lesquelles il y aurait lieu de réduire ou de suppléer le temps de prestation facturé. Le demandeur explique qu’il n’aurait que dans le seul souci de bonne collaboration, tenté, dans un premier temps de détailler précisément ses contestations pour chacune des 26 factures concernées. Sa démarche aurait toutefois été freinée alors qu’il n’aurait pas eu connaissance des raisons pour lesquelles ses factures avaient été réduites. Il n’aurait donc pu que contester le principe de la réduction des montants à travers la décision de taxation en tentant d’apporter un maximum de précisions sur les raisons qui justifiaient sa facturation initiale, laquelle aurait d’ores et déjà été très détaillée.
Le fait que le bâtonnier ait répondu à ces contestations dans son courrier du 28 mai 2021 et que le ministre aurait fait siennes ces réponses, ne saurait pallier le manque de motivation initial des décisions dans les 26 dossiers.
Dans le même contexte, le demandeur reproche des erreurs d’appréciation au ministre en faisant valoir, en substance, que le ministre n’aurait pas pu se fonder sur les seuls avis du bâtonnier qui n’auraient consisté qu’en de simples ratures manuelles sans aucune explication ni précision afférente, pour procéder à des réductions des montants qu’il aurait facturés, d’autant plus que ses décomptes auraient été amplement détaillés.
A l’appui du moyen tiré d’une violation du principe de confiance légitime, le demandeur explique qu’en ce qui concerne la facturation de ses prestations antérieures à février 2014, il aurait appliqué un système de facturation forfaitaire, consistant à facturer un forfait de 40 minutes par page d’acte de procédure. Ce système aurait été mis en place au cours de l’année 2006 pour être abandonné en février 2014, après que le service de taxation du barreau l’aurait avisé qu’il ne pourrait plus l’appliquer.
Le demandeur précise que le bâtonnier aurait lui-même admis que les salariés qui auraient à l’époque procédé aux taxations et qui se seraient occupés des dossiers du demandeur n’auraient plus travaillé auprès du barreau en avril 2020, ce qui expliquerait que le barreau n’aurait conservé aucune trace du système forfaitaire de facturation. Les contestations du bâtonnier de l’existence de ce système de facturation forfaitaire ne pourraient donc constituer que des contestations de principe, puisque si personne au sein du service du barreau ne semblerait être mesure de confirmer l’existence de ce système, personne ne semblerait non plus être en mesure de le contester.
Selon le demandeur le système forfaitaire de facturation aurait était loin de ne fonctionner qu’à son seul profit, alors que l’Etat en aurait également tiré « largement profit », étant donné qu’il ne se serait pas vu facturer tout le temps de travail nécessaire aux recherches ou à leur actualisation. Le fait d’effectuer des recherches à l’issue desquelles on constate qu’une situation reste inchangée, prendrait également du temps, parfois même substantiel lequel n’aurait jamais été facturé. De même, le temps utilisé pour gérer la base de données créée pour aider les membres de l’étude d’avocat du demandeur de l’époque à rédiger leurs recours et autres actes de procédures, laquelle aurait contenu des passages à coller en fonction du pays d’origine, mais aussi la doctrine et la jurisprudence actualisée quotidiennement, n’aurait pas non plus été décompté. Enfin, les réunions hebdomadaires spécialement dédiées à la protection internationale, entre les membres de l’étude, au cours desquelles la situation dans les pays d’origine des demandeurs de protection internationale et les évolutions jurisprudentielles nationales et européennes auraient été abordées, tout comme le temps utilisé pour la relecture systématique de chaque recours par un sinon même deux collaborateurs de l’étude n’étaient pas mis en compte lors de la facturation des honoraires du demandeur, puisque « tout cela était couvert par le forfait ».
Le demandeur argumente ensuite que le fait qu’au moment de l’établissement des taxations, le Vademecum de l’assistance judiciaire de l’époque ait disposé qu’« en principe », les avocats factureraient chaque prestation individuellement avec un tarif par unité de cinq minutes, ne s’opposerait pas à ce qu’un autre mode de facturation ait pu être mis en place, alors que l’utilisation des termes « en principe », impliquerait nécessairement la possibilité d’aménager des exceptions à ce principe. Dans son propre cas, l’exception au principe aurait précisément été justifiée par le fait que son étude aurait à l’époque été spécialisée en droit de la protection internationale et qu’avec ses collaborateurs, il aurait mis en place une structure et un fonctionnement quasi-exclusivement dédiés à l’exercice efficient et efficace de leur profession dans cette matière. Il ajoute que le Vademecum de l’assistance judiciaire ne se serait adressé qu’aux avocats sans pouvoir lier le ministre. Le système de facturation forfaitaire ne pourrait donc pas être discriminant à l’égard d’autres avocats traitant des dossiers similaires sous le régime de l’assistance judiciaire puisque la similitude des dossiers traités par d’autres avocats ne serait pas le critère distinctif en l’espèce, mais, plutôt le type de travail fourni.
Enfin, le demandeur argumente que même à admettre que le temps de recherches pouvant être très long lorsqu’il est effectué dans le cadre d’un premier dossier ne saurait être facturé de la même façon dans tous les autres dossiers, il n’en resterait pas moins qu’à un moment donné il faudrait bien effectuer ces recherches et rédiger les conclusions juridiques à en déduire. A cet égard le demandeur se réfère à un exemple que le bâtonnier aurait cité portant sur trois recours contenant des passages similaires et facturés selon le système forfaitaire lesquels auraient « malgré tout été taxé ». Le demandeur en conclut que dans au moins un des trois dossiers le montant qu’il aurait facturé aurait été injustement réduit.
Le demandeur reproche encore des erreurs d’appréciation au ministre. Il conteste, ainsi, avoir manqué à ses obligations déontologiques et avoir manqué de modération dans l’établissement de ses factures. Il n’aurait fait preuve d’un manque de modération que dans son travail et dans son engagement pour ses clients. Il se réfère à cet égard à l’article 2.7.1 du R.I.O. lequel imposerait aux avocats traitant une affaire sous le couvert de l’assistance judiciaire d’agir avec engagement et diligence, notamment pour la défense des intérêts de personnes en détresse. Il attire l’attention sur la vulnérabilité et la détresse particulière de sesclients, demandeurs de protection internationale, et il fait valoir que les prestations qu ’il aurait facturées auraient été strictement nécessaires et utiles à la défense de ses clients.
Dans le même contexte, le demandeur affirme que les conclusions du jugement du tribunal administratif du 24 août 2022, inscrit sous le numéro 45548 du rôle, ne seraient pas transposables en l’espèce, étant donné qu’il n’aurait pas facturé les explications données à un avocat stagiaire et que les réunions de services ou recherches destinées à compléter les bases de données ou à suivre l’évolution de la jurisprudence auraient été incluses dans le forfait.
Le fait que certains passages de son argumentation auraient figuré dans plusieurs recours ne signifierait pas qu’ils auraient été le fruit d’un copier-coller machinal, L’adaptation de ces passages à la situation particulière de chaque client ainsi qu’au contexte de nouveaux éléments nécessiterait également du travail. En substance, le demandeur conteste donc avoir fait du travail « à la chaîne » et reproche une erreur d’appréciation au ministre.
Finalement, le demandeur reproche au ministre d’avoir violé le principe général des droits acquis. Il argumente dans ce contexte que des provisions sollicitées pour couvrir ses prestations effectuées dans le cadre des dossiers couverts par l’assistance judiciaire lui auraient été accordées sur base de l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 selon lequel des paiements partiels à valoir sur l’indemnité définitive pourraient être alloués à l’avocat sur demande dûment justifiée. Selon le demandeur la ledit article 10 désignerait clairement des « paiements partiels » et non point des « paiements provisoires », de sorte que le ministre ne pourrait pas lui opposer que les paiements effectués à ce titre n’auraient pas été définitifs. En réalité ces paiements constitueraient « une avance sur l’indemnité finale » laquelle deviendrait définitive puisqu’elle serait arrêtée lorsque le mandat prend fin et que le dossier est clôturé. Cette analyse serait confortée par le fait qu’un tel paiement partiel sur l’indemnité définitive ne pourrait intervenir que si la demande afférente aurait été justifiée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens avancés par le demandeur pour ne pas être fondés.
Appréciation du tribunal 2.1 Concernant de prime abord l’argumentation du demandeur selon laquelle dans le cadre des 26 dossiers, l’avis du bâtonnier à la base des décisions déférées aurait été dépourvu de motivation ab initio, de sorte à avoir affecté la régularité des décisions déférées, force est de constater qu’aux termes de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 :
« Les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent. (…) ».
Selon la jurisprudence des juridictions administratives7 une motivation succincte à la base d’un avis d’un organe consultatif suffit à répondre aux exigences de l’article 4, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dès lors qu’elle permet de dégager les éléments de fait et de droit sur lesquels l’avis en question se base, la mission de motiver davantage la décision reposant sur ledit avis appartenant à l’auteur de cette dernière8.
7 En ce sens, voir, notamment : Cour adm., 28 juillet 2010, n° 26875C du rôle, trib. adm., 26 mars 2018, n° 39365 du rôle, trib. adm., 4 janvier 2021, n° 41671 du rôle et trib. adm., 14 juin 2021, n° 42837 du rôle, tous disponibles sur www.jurad.etat.lu.
8trib. Adm. 10 février 2022, n°45139, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 50.Concernant plus particulièrement la matière des assistances judiciaires, le tribunal relève que dans la mesure où le pouvoir d’arrêter le montant des honoraires de l’avocat appartient au ministre, une éventuelle absence de motivation de l’avis du bâtonnier est susceptible de se répercuter sur la validité de la décision ministérielle lorsque le ministre s’est intégralement rallié à l’avis du bâtonnier. Le reproche du défaut ou de l’insuffisance de la motivation avancée par le bâtonnier à l’appui de son avis revient donc en substance à contester la justification de la décision ministérielle en elle-même et est donc analysé dans ce contexte.
En l’espèce, force est de constater que s’agissant des 26 dossiers, le ministre n’avait dans un premier temps, tel que retenu ci-avant, pas pris de décision formelle, mais que ses décisions arrêtant le montant à allouer au demander se sont matérialisées à travers un virement sur le compte bancaire de ce dernier. Dans un second temps, suite aux contestations du demandeur, le ministre s’est rallié intégralement à l’avis du bâtonnier dans ses décisions des 29 janvier et 26 février 2019. Enfin, suite à l’arrêt précité de la Cour administrative du 12 décembre 2019, inscrit sous le numéro 43045C du rôle, le ministre s’est adressé par courrier du 3 février 2020 au bâtonnier afin qu’il lui indique les raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas faire droit aux contestations du demandeur. Le bâtonnier a pris position par rapport à ces interrogations du ministre par courrier du 28 mai 2021, de sorte que dans un troisième temps, le ministre s’est référé audit avis du bâtonnier du 28 mai 2021 dans le cadre des décisions déférées des 8 septembre 2021 et 21 février 2022, pour, d’une part, faire partiellement droit aux contestations du demandeur et arrêter des montants finaux à allouer au demandeur supérieurs à ceux retenus dans ses décisions antérieures des 29 janvier et 26 février 2019 et, d’autre part, rejeter les contestations du demandeur pour le surplus en se ralliant intégralement à l’avis du bâtonnier du 28 mai 2021.
En substance, en ce qui concerne les 26 dossiers, le ministre s’est donc intégralement rallié dans les décisions déférées des 8 septembre 2021 et 21 février 2022 à l’avis du bâtonnier du 28 mai 2021, de sorte qu’il échet d’analyser si ledit avis comportait une indication suffisante de ses motifs afin de déterminer si le ministre a valablement pu s’y rallier.
Si les décomptes finaux détaillés annexés audit avis du bâtonnier n’indiquent certes pas de motivation suffisante à leur base, dans la mesure où ils ne comportent que des ratures et quelques rares inscriptions manuscrites consistant en une simple réduction sinon adaptation du temps de prestation décompté par le demandeur, sans autre précision ni explication, il n’en demeure pas moins que les explications fournies dans le courrier même du bâtonnier du 28 mai 2021 complètent amplement l’indication de la motivation à sa base.
En effet, ledit courrier indique de prime abord que suite au réexamen de l’intégralité des 26 dossiers du demandeur, il avait été décidé de revenir sur certaines réductions du temps de prestation décompté par ce dernier, tandis que d’autres réductions avaient été maintenues.
Ledit courrier contient ensuite un tableau faisant ressortir le temps de prestation rajouté par dossier, pour ensuite indiquer que les contestations du demandeur avaient été rejetées pour le surplus aux motifs (i) qu’aucun système forfaitaire de facturation ne pourrait être admis selon le Vademecum de l’assistance judiciaire, (ii) de la grande similitude entre le contenu des recours contentieux introduits par le demandeur au nom de différentes personnes mais originaires de mêmes pays, (iii) que les provisions allouées ne pourraient pas donner lieu à des droits acquis dans le chef de leur bénéficiaire et, (iv) que l’article 2.7.4 du R.I.O. impose aux avocats de faire preuve dans le cadre des assistances judiciaires de modération dans l’établissement de leur décompte.
Au vu des éléments qui précèdent, le tribunal est amené à conclure qu’en ce qui concerne les 26 dossiers l’avis du bâtonnier du 28 mai 2021 comportait une indication suffisante de sa motivation, dans la mesure où il permet de dégager tant les éléments de fait que les éléments de droit sur lesquels il se base, de sorte que les décisions déférées du ministre ont valablement pu se référer audit avis sans que leur validité ne puisse être affectée de ce fait.
Le moyen afférent du demandeur est donc à rejeter pour ne pas être fondé.
2.2 Concernant ensuite le moyen du demandeur tiré d’une violation du principe de la confiance légitime au motif qu’antérieurement à l’année 2014 il aurait appliqué un système forfaitaire de facturation de ses honoraires dans les dossiers relevant de l’assistance judiciaire, sans que cela n’aurait fait l’objet de contestations de la part du bâtonnier sinon du ministre, il convient à titre liminaire de préciser que le principe général de sécurité juridique dégagé essentiellement par la Cour de Justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », comme constituant un principe général de droit9, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme10, désignée ci-après par « la CourEDH », a essentiellement pour objet des garanties quant à une application constante et cohérente du droit par les administrations, ledit principe général du droit s’opposant ainsi à tout changement brusque et imprévisible dans le comportement de l’administration vis-à -vis de ses administrés.
Le principe général de la confiance légitime, qui s’apparente au principe de la sécurité juridique précité, et qui a également été consacré par la jurisprudence communautaire en tant que principe général du droit communautaire11 tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’action administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de loi ou règlement. Ainsi, ce principe s’entend comme étant la confiance que les destinataires de règles ou de décisions sont normalement en droit d’avoir dans la stabilité, au moins pour un certain temps, des situations établies sur la base de ces règles ou de ces décisions. Ainsi, les destinataires de ces décisions sont notamment en droit de voir respecter par l’administration leurs droits acquis voire ceux qui leur ont été reconnus sous une législation donnée, tant que le cadre juridique et factuel reste le même12.
Dès lors, le principe de la confiance légitime de l’administré s’oppose à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés, autrement dit, le principe de confiance légitime implique que l’administré est en droit d’exiger de l’autorité administrative qu’elle ne se départisse pas brusquement d’une attitude qu’elle a suivie dans le passé13.
Un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que 9 cf. notamment CJUE 22 mars 1961, aff. 42 et 49/59, S.N.U.P.A.T. c/ Haute Autorité de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier 10 cf. notamment CourEDH 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c/ Belgique.
11 cf. notamment CJUE 5 juin 1973, aff. 81/72, Commission. c/ Conseil.
12 trib. adm. 7 octobre 2010, n° 25999du rôle, disponible sous : www.justice.public.lu 13 « Contentieux administratif luxembourgeois » par Rusen Ergec, mis à jour par Francis Delaporte, in Pas. adm.
2023, n°79 et n°277.l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines14.
En l’espèce, indépendamment de la question débattue entre les parties de la légalité d’un système forfaitaire de facturation des prestations d’un avocat dans le cadre de l’assistance judiciaire, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que l’autorité administrative se serait départie brusquement, d’une situation créée à son profit sinon qu’elle serait revenue brusquement sur les promesses qu’elle aurait faites au demandeur.
En effet, si le demandeur argumente qu’avant l’année 2014 il aurait appliqué un système de facturation forfaitaire à raison de 40 minutes par page rédigée d’un recours contentieux, il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’à l’époque un tel système aurait été reconnu par le bâtonnier sinon par le délégué du bâtonnier ni par le ministre. D’ailleurs, en vertu de la solution retenue par la Cour administrative dans son arrêt précité du 12 décembre 2019, la compétence d’arrêter le montant à payer par l’Etat en matière d’assistance judiciaire revient au ministre et non point au bâtonnier, de sorte que même en admettant, tel que le demandeur l’affirme, que le délégué du bâtonnier ait éventuellement consenti à l’application d’un tel système de facturation forfaitaire à l’époque, il n’aurait de ce fait en tout état de cause pas valablement pu engager le ministre sinon la partie étatique. Le seul fait que dans le cadre de certains décomptes le demandeur ait facturé 40 minutes par page de recours rédigée sans que le délégué du bâtonnier n’ait contesté cette manière de procéder ne signifie pas pour autant que ce dernier ait acquiescé par principe et de manière générale à l’application d’un système forfaitaire de facturation par le demandeur. Dès lors, aucune situation administrative définitive n’a été consacrée en la cause et aucun droit subjectif n’a été reconnu au demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation du principe de confiance légitime est à rejeter pour ne pas être fondé.
2.3 Le demandeur fait encore état d’une violation du principe des droits acquis, au motif que les sommes d’argent qu’il aurait perçues au titre de ce qui serait désigné par le (A)age courant de « provision », constitueraient selon les termes de l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995, non point des « provisions », mais des « paiements partiels », lesquels ne pourraient intervenir que si la demande afférente aurait été justifiée, de sorte qu’il s’agirait de paiements définitifs. Toute demande de restitution ultérieure se heurterait au principe général des droits acquis. Le délégué du gouvernement conclut à juste titre au rejet du moyen afférent.
S’agissant de la définition de la notion de droits acquis, le tribunal vient de retenir que les notions de confiance légitime et de droits acquis sont voisines et que le principe de la confiance légitime de l’administré s’oppose à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés, tandis qu’un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef.
Concernant plus particulièrement les paiements partiels dont il n’est pas contesté en cause que le demandeur en a bénéficié, du moins dans certains dossiers, il convient de 14 Cour adm. 18 mai 2010, n° 26683C du rôle, Pas. adm. 2023 V° Lois et Règlements, n°61 (5e volet) et autres références y citées.préciser qu’aux termes de l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 : « (…) sur décision du Bâtonnier, des paiements partiels à valoir soit sur l’indemnité définitive, soit sur frais exposés ou à exposer notamment pour l’avance de frais et honoraires aux techniciens, de frais d’insertion dans les journaux, des taxes à témoins, pourront être liquidés à l’avocat par l’Etat selon l’état d’avancement du litige sur demande dûment justifiée. (…) ».
Il ressort de cette disposition que les paiements partiels accordés, le cas échéant, à un avocat traitant un dossier dans le cadre d’une assistance judiciaire sont destinés à couvrir les frais d’ores d’ores-et-déjà exposés sinon à exposer ou encore les honoraires pour prestations d’ores-et-déjà fournies sinon à fournir par l’avocat en cours de traitement du dossier.
Au moment où les paiements partiels sont accordés, ni l’envergure exact des frais et prestations à intervenir en définitive, ni les montants définitifs à décompter ne sont donc connus, raison pour laquelle l’article 10, paragraphe 2, précité, dispose que les paiements partiels sont à faire « valoir » sur l’indemnité ou les frais exposés. En effet, le décompte des frais ainsi que de l’indemnité définitive ne peuvent être arrêtés qu’à la clôture du dossier, en d’autres termes, au moment où tous les frais engagés et les prestations fournies par l’avocat sont connus de sorte à pouvoir être décomptés. Il s’ensuit qu’au moment de la clôture du dossier et de l’établissement du décompte définitif des frais et prestations exposés, deux situations peuvent concrètement se présenter : soit, le montant des paiements partiels d’ores-
et-déjà alloués est inférieur, soit il est supérieur au montant des frais ou de l’indemnité définitive à allouer. Il y a partant lieu de faire « valoir » les paiements partiels alloués sur l’indemnité définitive ou les frais, en d’autres termes, de l’imputer sur l’indemnité définitive ou les frais. Ainsi, dans la première hypothèse - dans laquelle le montant des paiements partiels est inférieur à celui de l’indemnité définitive ou des frais - la différence entre le décompte définitif et les paiements d’ores-et-déjà touchés est à allouer à l’avocat, tandis que dans la seconde hypothèse l’avocat est dans l’obligation de restituer la différence afférente à l’Etat.
Il suit des considérations qui précèdent que l’allocation de paiements partiels à un avocat en application de l’article 10, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 crée une situation provisoire tant dans son chef que dans celui de l’Etat. En tout état de cause, aucune situation administrative acquise et réellement reconnue n’est donc créée dans le chef de l’avocat bénéficiant de tels paiements, de sorte que ce dernier ne saurait invoquer le principe des droits acquis pour soutenir que les paiements partiels intervenus revêtiraient un caractère définitif.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle les paiements partiels ne seraient alloués que sur présentation d’une demande justifiée. Il convient à cet égard, en effet, d’opérer une distinction entre la notion de demande justifiée et celle de paiements partiels justifiés. Ainsi, si l’avocat est obligé de justifier sa demande en obtention de paiements partiels, afin de permettre à l’Etat, dans un souci évident de gestion responsable des fonds publics, de vérifier du moins sommairement si les paiements ainsi sollicités correspondent à des prestations ou des frais effectivement fournies ou à fournir, ceci n’implique pas nécessairement que les paiements partiels soient en définitive justifiés dans l’intégralité de leur montant.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen tiré d’une violation du principe des droits acquis est à rejeter pour ne pas être fondé.
2.4 Le dernier moyen invoqué par le demandeur relatif au volet des décisions déférées concernant les 26 dossiers consiste à reprocher au ministre d’avoir commis des erreurs d’appréciation.
Dans ce contexte, il y a à titre liminaire lieu de préciser que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, sans que le juge administratif ne puisse substituer son appréciation à celle de l’autorité administrative. Par ailleurs, la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute. Dans cette démarche de vérification des faits et des motifs à la base de l’acte déféré, le tribunal est encore amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Enfin, l’acte déféré n’est susceptible d’encourir l’annulation que s’il apparaît que le ministre a commis une erreur d’appréciation au regard des reproches concrets soulevés par le demandeur.
En ce qui concerne les reproches tirés d’une erreur d’appréciation soulevés en l’espèce par le demandeur, le tribunal constate que ce dernier n’a pas concrètement détaillé les erreurs qu’il estime avoir constatées dans l’appréciation du ministre, mais, qu’il s’est limité à reprocher globalement au ministre d’avoir retenu qu’il aurait fait preuve d’un manque de modération dans la facturation de ses prestations et qu’il aurait traité ses dossiers d’assistance judiciaire « à la chaîne ». C’est donc sur la toile de fond des reproches ainsi formulés que le tribunal procédera à l’analyse de l’appréciation faite par le ministre.
Concernant les motifs avancés par le ministre à l’appui des décisions déférées, le tribunal vient de retenir qu’il s’est en substance fondé sur l’article 2.7.4 du R.I.O. pour reprocher au demandeur de ne pas avoir facturé ses prestations avec la modération requise.
Les décisions déférées reprochent partant essentiellement une facturation excessive de ses prestations au demandeur sans pour autant contester le principe même des différentes catégories de prestations facturées sinon l’exécution même de ces prestations.
L’article 2.7.4. R.I.O. sur lequel le ministre s’est fondé dispose que « L’avocat fera preuve de modération dans l’établissement de son décompte. Dans le cas contraire, il s’expose à des sanctions disciplinaires. Lors de l’établissement de l’avis de taxation, le Bâtonnier ou son délégué pourra ne retenir que les prestations utiles et nécessaires à la défense des intérêts du bénéficiaire de l’assistance judiciaire. ». Ladite disposition instaure donc l’exigence pour le décompte final déposé par l’avocat bénéficiaire de l’assistance judiciaire de satisfaire à une condition de modération impliquant que seules les prestations utiles et nécessaires sont à décompter par l’avocat. Aucune des parties en cause ne conteste l’applicabilité en l’espèce des dispositions du R.I.O., de sorte que les dispositions afférentes sont à considérer comme pertinentes en l’espèce.
Force est à cet égard de relever d’abord que le seul fait que les montants facturés pour certaines prestations ont été largement réduits n’est pas de nature à caractériser ispo facto une erreur d’appréciation de la part du ministre, d’autant plus que les reproches du ministre portent justement sur le caractère exagéré des montants mis en compte dans le décompte du demandeur pour les prestations fournies.
Concernant ensuite concrètement l’appréciation faite par le ministre dans le cadre des décisions déférées, le tribunal constate d’abord que contrairement à ce que laisse sous-
entendre le recours du demandeur, le ministre ne s’est pas limité à rejeter dans leur intégralité les contestations soulevées dans le cadre des 26 dossiers, mais qu’il y a fait droit en grande partie. Il ressort, ainsi, de la décision déférée du 8 septembre 2021, citée in extenso ci-avant, ainsi que du courrier du bâtonnier à sa base du 28 mai 2021, que le ministre est revenu, sur avis du bâtonnier, intervenu après réexamen, dans l’ensemble des 26 dossiers, sur les décisions initiales ayant retenu les montants à allouer au demandeur, lesquelles avaient considérablement réduit le temps décompté pour les prestations facturées par le demandeur.
L’avis du bâtonnier du 28 mai 2021 révèle ainsi que suite au réexamen des décomptes du demandeur il avait décidé de revenir dans les 26 dossiers sur les taxations initiales et de prendre en compte 6770 minutes de temps de prestation facturé par le demandeur et initialement enlevé des décomptes du demandeur.
Le ministre s’est par la suite rallié intégralement à l’avis afférent du bâtonnier, de sorte que les montants à allouer au demandeur ont été considérablement augmentés.
Concernant ensuite les contestations du demandeur auxquelles il n’a pas été fait droit, il ressort des décisions déférées, ainsi que de l’avis du bâtonnier du 28 mai 2021, et des explications du délégué du gouvernement fournies en cours de procédure contentieuse que le ministre a motivé la réduction afférente du temps de prestation décompté par le demandeur en substance (i) par l’existence d’une grande similitude entre les dossiers traités par le demandeur sous le couvert de l’assistance judiciaire, facilitant la rédaction des actes de procédure, dans la mesure où ils présentent des problématiques similaires, ce qui lui aurait permis de procéder par différentes méthodes de travail, notamment des « plan-types » utilisés pour la rédaction de recours contentieux, la méthode du « copier-coller », des informations recherchées une seule fois mais utilisables dans plusieurs dossiers, ainsi que (ii) par la spécialisation quasi exclusive du cabinet d’avocat du demandeur en matière de protection internationale. Au vu de ces facteurs, le ministre a conclu que surtout en ce qui concerne la rédaction des actes de procédure ainsi que les recherches juridiques, le demandeur aurait mis en compte un temps de prestation exagéré.
Il échet à cet égard d’abord de constater que le demandeur confirme à travers ses explications, que son étude était spécialisée quasi exclusivement en matière de protection internationale et qu’il ne conteste pas que ses différents dossiers se sont régulièrement recoupés.
Force est, ensuite, au tribunal de constater que même s’il est indéniable que de nombreuses prestations sont à faire individuellement dans le cadre de chaque dossier et nécessitent à chaque fois un temps considérable, il n’en demeure pas moins que le ministre a valablement pu retenir qu’une grande similitude entre certains dossiers, laquelle n’est, en l’occurrence pas contestée, permet la mise en place de diverses méthodes de travail aux fins de réduire largement le temps nécessaire pour accomplir certaines prestations dans le cadre de la gestion d’un dossier, dont surtout la rédaction d’actes de procédure, tels que les requêtesintroductives d’instance et les mémoires. De même, la spécialisation dans une matière bien déterminée permet d’acquérir une certaine expérience dans ladite matière et donc de traiter les dossiers afférents avec plus d’aisance et surtout plus de rapidité. En résumé, il convient de retenir que la similitude entre différents dossiers à traiter ainsi que la spécialisation d ’une étude d’avocats dans une matière bien déterminée permettent une gestion optimisée du temps mis en compte pour le traitement des dossiers et aboutissent concrètement à une réduction, le cas échéant, considérable du temps de travail. Corollairement et en application de l’article 2.7.4 du R.I.O., le temps de travail ainsi épargné ne devrait plus se refléter dans le décompte des heures prestées par l’avocat qui traite des dossiers sous le couvert de l’assistance judiciaire et qui est donc soumis à l’obligation de faire preuve de modération dans l’établissement de ses décomptes.
En l’espèce, au vu des similitudes, non contestées, de certains dossiers traités par le demandeur et la spécialisation, non contestée non plus, de son étude en matière de protection internationale, le ministre a à juste titre pu retenir une absence de modération dans la facturation de ses prestations par le demandeur au motif que le décompte de son temps presté n’a pas pris en compte la réduction du temps de travail générée précisément par la similitude des dossiers traités et la spécialisation de l’étude.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquels, chaque dossier serait à traiter individuellement dans la mesure où, par exemple, la rédaction des faits dans le cadre d’un recours contentieux, serait un travail particulièrement chronophage, qui serait nécessairement à faire de manière individuelle pour chaque dossier, ou encore, dans la mesure où les recherches sur la situation politique ou humanitaire sur un pays dont plusieurs de ses clients aurait été originaires n’auraient pas pu être effectuées qu’une seule fois, mais auraient nécessité d’être régulièrement renouvelées ne serait-ce pour constater l’absence de changement intervenu depuis la dernière analyse de la situation. Si le tribunal peut, certes, suivre ce raisonnement du demandeur, et qu’il vient d’ailleurs de préciser que chaque dossier génère certaines prestations incompressibles, il n’en demeure pas moins que les différents facteurs énoncés ci-avant, tels qu’en l’occurrence la spécialisation de l’avocat ou encore la similitude entre les affaires traitées, peuvent, en contrepartie, participer à réduire le temps nécessaire pour l’accomplissement d’autres prestations, telle que la rédaction d’actes de procédure ou encore l’accomplissement de recherches.
Eu égard aux considérations ainsi avancées par le ministre, et, tel que retenu ci-avant, sur la toile de fond des reproches formulés de manière générale par le demandeur, le tribunal est amené à conclure qu’il ne peut pas être reproché au ministre d’avoir dépassé dans le cadre des 26 dossiers, sa marge d’appréciation en faisant droit en grande partie aux contestations du demandeur et en réduisant pour le surplus le temps décompté par le demandeur pour ses prestations à des proportions plus modérées, notamment, en prenant en considération le gain de temps généré par la spécialisation de l’étude, ainsi que par la similitude entre les différents affaires traitées, étant encore soulevé que la réduction du temps de prestation ainsi opérée par le ministre ne paraît pas exagérée.
Par conséquent, les moyens dirigés contre le volet des décisions déférées concernant les 26 dossiers sont à rejeter pour ne pas être fondés.
3. Quant aux moyens dirigés contre le volet des décisions déférées concernant les 198 dossiers 3.1 Quant à la question de la recevabilité des contestations formulées par le demandeur contre les décisions initiales retenant les décomptes finaux des honoraires dans le cadre des 198 dossiers Arguments et moyens des parties En l’espèce, avant de procéder à l’examen des contestations du demandeur des réductions des montants facturés par ses soins, il convient d’analyser les développements des parties relatifs à la recevabilité des contestations introduites par le demandeur auprès du ministre contre les décisions initiales ayant arrêté les montants finaux qui lui seraient alloués en tant qu’honoraires dans le cadre des 198 dossiers.
Face aux reproches formulés par le ministre dans les décisions déférées, le demandeur affirme ne pas avoir avancé de manière tardive ses contestations relatives aux taxations de ses mémoires et honoraires dans les 198 dossiers. Il argumente, en substance, qu’aucun texte ni aucune norme juridique ne prévoirait de délai pour l’introduction auprès du bâtonnier d’une contestation relative à une taxation d’un mémoire d’honoraires. Il précise que contrairement aux affirmations du ministre, il n’aurait à aucun moment renoncé à contester les taxations datant de 2014, mais qu’il aurait, en revanche, indiqué dans son courrier du 24 juillet 2014 uniquement qu’« Au vu de l’ampleur général que ce phénomène est actuellement en train de prendre, j’ai dû choisir parmi tous mes dossiers taxés cette année jusqu’à ce jour, ceux pour lesquels les réductions sont les plus infondées et/ ou les plus importantes ». Il aurait d’ailleurs ajouté dans le même courrier que « si je ne conteste pas les autres taxations dans ces dossiers ni celles intervenues dans d’autres dossiers (approximativement la moitié depuis le début de l’année), ceci ne signifie en rien que je suis d’accord avec celles-ci », il ne pourrait donc aucunement être retenu, sans déformer ses écrits qu’il aurait renoncé à contester les taxations antérieures à ce courrier.
Le délégué du gouvernement répond que les décomptes arrêtés par le ministre dans le cadre des 198 dossiers n’auraient fait l’objet d’une contestation pour la première fois que par le courrier du demandeur du 18 décembre 2018, de sorte que les demandes afférentes auraient été irrecevables puisque le demandeur ne pourrait plus, pour des raisons de sécurité juridique, remettre en question sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps.
Alors même qu’en principe il n’existerait pas de délai précis endéans lequel il aurait appartenu au demandeur de faire valoir ses contestations par rapport à ces dossiers, il existerait une « conception jurisprudentielle selon laquelle l’administré qui souhaite contester une décision administrative qui n’a pas spécifié un délai de recours doit le faire du moins dans un délai raisonnable ». En l’espèce, le demandeur n’aurait pas jugé utile de manifester ses contestations pendant quatre ans. Il s’y ajouterait qu’il aurait expressément indiqué ne pas contester les taxations intervenues pour les dossiers concernés dans un courrier du 24 juillet 2014. Le délégué du gouvernement en conclut que le demandeur aurait « renoncé tout simplement à toute contestation ultérieure de ces taxations » bien qu’elles n’aient pas abouti au résultat qu’il avait peut-être espéré. Il conclut que le ministre serait à confirmer en ce qu’il aurait déclaré les contestations afférentes du demandeur irrecevables pour être tardives.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal est amené à constater qu’à travers les deux décisions déférées, le ministre a formellement déclaré ni irrecevables ni recevables les contestationsavancées par le demandeur à l’encontre des montants des honoraires finalement retenus par le ministre dans le contexte des 198 dossiers. Ainsi, dans le cadre de la décision déférée du 8 septembre 2021, le ministre a déclaré que « se pose la question de la recevabilité » desdites contestations, pour ensuite soulever une « réserve expresse d’irrecevabilité » dans ce contexte et pour finalement statuer tout de même sur le fond desdites contestations. Dans la décision déférée du 22 février 2022, le ministre a déclaré maintenir « la réserve irrecevabilité ». En procédant de la sorte, le ministre a généré une incertitude ayant nécessairement amené les parties en cause à argumenter sur la question de la recevabilité des contestations formulées par le demandeur devant le ministre dans le cadre des 198 dossier s.
Cependant, dans la mesure où le ministre s’est limité à prononcer une réserve quant à la question de la recevabilité, pour ensuite prendre une décision quant au fond par rapport aux contestations afférentes du demandeur, le tribunal est amené à conclure, malgré la formulation équivoque des décisions déférées, que lesdites contestations ont été considérées comme étant recevables par le ministre.
Dans un souci d’exhaustivité et afin de lever toute incertitude, le tribunal précise, qu’en tout état de cause les contestations avancées par le demandeur relatives aux 198 dossiers dans ses courriers des 12 et 18 décembre 2018, ont été recevables.
A cet égard, il convient de préciser en premier lieu qu’aux termes de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d´office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté ».
Ladite disposition oblige partant l’administration d’informer l’administré des voies de recours. L’omission, par l’administration, d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative entraîne que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir15.
En l’espèce, il n’est pas contesté et il ressort, d’ailleurs, des explications fournies par la partie étatique elle-même dans le cadre de sa duplique que les décisions ministérielles initiales ayant arrêté les montants définitifs à payer au demandeur dans les 198 dossiers n’ont pas été formalisées et ne lui ont pas été notifiées en tant que telles, mais qu’elles ne se sont matérialisées qu’à travers le virement du montant arrêté sur son compte bancaire en indiquant le numéro de référence du dossier concerné. Dès lors, les décisions en question ne comportaient a fortiori pas d’indication sur les voies de recours, de sorte qu’aucun délai de recours à leur encontre n’a commencé à courir.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements de la partie étatique qui se fonde sur un jugement du tribunal administratif du 3 janvier 2018, inscrit sous le numéro 38590 du rôle, pour affirmer que le principe de sécurité juridique impliquerait qu ’un administré ne pourrait plus remettre en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, en d’autres termes que le principe de sécurité juridique ferait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle 15 trib. adm. 26 janvier 1998, n° 10244 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 298 et les autres références y citées.ayant été notifiée à son destinataire ou dont il a eu connaissance de manière certaine. En effet, en l’espèce, il est précisément constant en cause que les décisions ministérielles ayant arrêté le montant définitif à allouer au demandeur ne lui ont pas été notifiées et que lesdites décisions ne se sont matérialisées qu’à travers un virement bancaire, de sorte qu’il n’est pas établi que le demandeur en a eu connaissance de manière certaine. Il s’y ajoute qu’il ne peut pas être conclu en l’espèce que la situation ait été consolidée par le temps. Il ressort, en effet, des documents soumis au tribunal et plus précisément des courriers des 24 juillet et 30 juillet 2014 adressés par le demandeur au bâtonnier, respectivement au ministre, qu’il a à cette époque d’ores et déjà manifesté son désaccord avec la méthode de taxation des honoraires dans les dossiers d’assistance judiciaire. La solution retenue par le tribunal administratif dans son jugement précité du 3 janvier 2018 n’est partant pas transposable en l’espèce.
Enfin, il convient d’ajouter dans le même contexte que contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement il ne ressort pas du libellé des courriers du demandeur des 24 juillet et 30 juillet 2014 adressés au bâtonnier respectivement au ministre que le demandeur aurait renoncé à contester certaines taxations. Si dans son courrier du 24 juillet 2014 au bâtonnier, le demandeur avait certes indiqué que : « (…) Si je ne conteste pas les autres taxations dans ces dossiers ni celles intervenues dans d’autres dossiers (…) », cette affirmation que le délégué du gouvernement a choisi de citer isolément n’est toutefois pas à considérer individuellement, mais à placer dans le contexte général du courrier du demandeur à travers lequel il manifeste son désaccord avec les taxations effectuées. L’affirmation afférente est, en effet, suivie immédiatement du bout de phrase suivant : « ceci ne signifie en rien que je suis d’accord avec celles-ci (i.e. les autres taxations) Elles me révoltent, tant par leur soudaineté, que par leur caractère par nature rétroactif, que par leur forme et que par leur ampleur (…). ». Le demandeur explique de manière plus générale dans le cadre dudit courrier qu’en raison du nombre élevé de taxations qu’il conteste (« au vu de l’ampleur général de ce phénomène »), il aurait dû choisir celles qui lui auraient paru les plus infondées pour procéder à une description plus approfondie de ses prestations justifiant les montants facturés. L’analyse desdits courriers du demandeur des 24 juillet et 30 juillet 2014 amène dès lors le tribunal à constater que contrairement aux affirmations du délégué du gouvernement le demander n’a pas renoncé à contester certaines taxations.
Il ressort, dès lors, de l’ensemble des considérations qui précèdent que les contestations avancées par le demandeur relatives aux 198 dossiers dans ses courriers des 12 et 18 décembre 2018, ont été recevables.
3.2 Quant au moyen d’annulation tiré un défaut de justification au motif que les décisions concernant les 198 dossiers auraient été le fruit d’une instruction incomplète des demandes lui soumises Arguments et moyens des parties Selon le demandeur, les 198 dossiers auraient dû faire l’objet du même réexamen que les 26 dossiers. Concrètement, il reproche au ministre de s’être, suite à l’arrêt précité de la Cour administrative du 12 décembre 2019 - ayant retenu que la compétence pour arrêter le montant à payer à un avocat par l’Etat dans le cadre d’une assistance judiciaire impliquait la compétence d’apprécier le bien-fondé des prestations facturées et reviendrait au ministre et non point au bâtonnier - adressé au bâtonnier pour solliciter des précisions supplémentaires relatives aux avis de taxation émis dans le cadre des seuls 26 dossiers et non point dans le cadre des 198 dossiers, par rapport auxquels il n’a demandé aucune explication supplémentaire. Enconséquence, l’avis émis par le bâtonnier le 28 mai 2021 aurait porté exclusivement sur la taxation intervenue dans les 26 dossiers à l’exclusion des 198 dossiers. Le ministre n’aurait partant pas disposé des raisons pour lesquelles le bâtonnier aurait proposé de réduire les factures émises, de sorte que sa décision de réduire les factures afférentes n’aurait été ni instruite ni motivée et partant dépourvue de toute justification.
D’ailleurs, à l’issue du réexamen des 26 dossiers, l’intégralité des 26 avis de taxation afférents auraient été revus à la hausse et le ministre aurait par la suite fait siens les redressements ainsi proposés. Selon le demandeur, il aurait partant dû procéder de la même manière concernant les 198 dossiers.
Le demandeur ajoute que parmi les 26 dossiers ayant fait l’objet d’un réexamen par le bâtonnier, 2 dossiers n’auraient pas été pourvus d’un tableau énonçant ses contestations circonstanciées. L’absence de ces précisions n’aurait pourtant pas empêché le bâtonnier de procéder au réexamen des taxations intervenues. L’absence de ces tableaux détaillés ne pourrait dès lors pas non plus constituer une raison valable pour justifier que les 198 dossiers n’auraient pas pu faire l’objet d’un réexamen.
Le volet des décisions déférées concernant les 198 dossiers devrait partant encourir l’annulation pour être le fruit d’une instruction incomplète des demandes soumises au ministre et pour violer ainsi les formes destinées à protéger les intérêts privés.
Le délégué du gouvernement estime que le demandeur serait à débouter de sa demande alors qu’il n’avancerait pas d’arguments qui justifieraient que la taxation des décomptes concernés aurait dû être revue, à part le fait que ses prestations aient été réduites.
En l’absence de contestations détaillées, le ministre n’aurait pas pu prendre position à cet égard. Il s’y ajouterait que le tribunal aurait retenu dans le cadre du jugement précité du 2 4 août 2022 que le seul fait que certaines prestations auraient été largement réduites ne serait pas de nature à caractériser ipso facto une erreur d’appréciation. Par ailleurs, le réexamen de deux dossiers par le ministre, même en l’absence d’un tableau de contestations détaillé fourni par le demandeur, ne saurait, en soi, avoir pour effet de créer une obligation à charge du ministre de procéder de la même manière dans le cadre des 198 autres dossiers lesquels auraient tous déjà fait l’objet d’une appréciation détaillée dans le passé. Enfin et pour le surplus, le délégué du gouvernement renvoie aux explications fournies dans la décision déférée du 8 septembre 2021 lesquelles auraient suffisamment pu répondre aux interrogations formulées par le demandeur dans le cadre de son courrier du 18 décembre 2018.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’à travers son jugement du 2 mai 2019, inscrit sous le numéro 40784 du rôle, confirmé par l’arrêt précité de la Cour administrative du 12 décembre 2019, il a été retenu que la prise de position du bâtonnier, par rapport au décompte de l’avocat dans le cadre des dossiers recouverts de l’assistance judiciaire, ne constitue, en vertu de l’article 11 du règlement grand-ducal du 18 septembre 1995 qu’un avis préalable et qu’il appartient au ministre d’arrêter le montant à payer par l’Etat et de prendre une décision propre quant au bien-fondé des prestations facturées.
En l’espèce, le demandeur reproche en substance au ministre de s’être fondé sur un avis non motivé du bâtonnier en omettant de solliciter des explications supplémentaires, de sorte à ne pas avoir vérifié la matérialité des faits à la base de sa décision et donc à ne pas avoir pu prendre une décision propre quant au bien-fondé des prestations facturées.
Concernant d’abord l’argumentation du demandeur selon laquelle dans le cadre des 198 dossiers, l’avis du bâtonnier à la base des décisions déférées aurait été dépourvu de motivation ab initio, de sorte à avoir affecté la régularité des décisions déférées, le tribunal rappelle qu’il vient de préciser qu’aux termes de l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, les avis des organismes consultatifs pris préalablement à une décision doivent être motivés et énoncer les éléments de fait et de droit sur lesquels ils se basent et que selon la jurisprudence des juridictions administratives, une motivation succincte à la base d’un avis d’un organe consultatif suffit aux exigences de l’article 4, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dès lors qu’elle permet de dégager les éléments de fait et de droit sur lesquels l’avis en question se base, la mission de motiver davantage la décision reposant sur ledit avis appartient à l’auteur de cette dernière.
Le tribunal vient, par ailleurs, de retenir qu’en ce qui concerne la matière des assistances judiciaires, une éventuelle absence de motivation de l’avis du bâtonnier est susceptible de se répercuter sur la validité de la décision ministérielle lorsque le ministre s’est intégralement rallié à l’avis du bâtonnier, étant donné que le pouvoir d’arrêter le montant des honoraires de l’avocat et de prendre une décision propre quant au bien-fondé des prestations facturées appartient au ministre. Le reproche du défaut ou de l’insuffisance de la motivation avancée par le bâtonnier à l’appui de son avis revient donc en substance à contester la justification des décisions ministérielles en elles-mêmes.
En ce qui concerne la motivation à la base des décisions ministérielles initiales de réduire le temps de prestation facturé par le demandeur, il convient de rappeler, tel que le tribunal vient de le retenir, que le ministre n’avait initialement pas pris de décision formelle pour arrêter les montants à payer au demandeur par l’Etat, mais que les décisions ministérielles afférentes se sont matérialisées par un virement sur le compte bancaire du demandeur. Lesdites décisions ministérielles en elles-mêmes étaient partant a fortiori dépourvues de toute motivation. La motivation à leur base pouvait tout au plus être recherchée dans les avis de taxation afférents du bâtonnier. Ces derniers ne consistent toutefois qu’en des ratures manuscrites inscrites sur les décomptes dressés par le demandeur, et se bornent à une simple réduction des minutes décomptées sans autre explication ni précision.
Force est ensuite au tribunal de constater que suite à l’introduction de ses contestations par le demandeur à travers ses courriers précités des 12 et 18 décembre 2018 et suite à l’arrêt précité de la Cour administrative du 12 décembre 2019, le ministre a procédé différemment en ce qui concerne les 26 dossiers, qu’en ce qui concerne les 198 dossiers. Ainsi, en ce qui concerne les 26 dossiers, le tribunal vient de préciser dans le cadre de l’analyse du volet des décisions déférées ayant trait auxdits 26 dossiers, que le ministre a saisi une nouvelle fois le bâtonnier pour solliciter de plus amples explications à la base de ses avis de taxation et que le bâtonnier a émis en date du 28 mai 2021 un nouvel avis à la base des taxations, ayant complété et motivé à suffisance – tel que le tribunal vient de le retenir – les réductions du temps de prestation facturé par le demandeur dans les 26 dossiers. Contrairement à cette manière de procéder, le ministre a choisi de ne pas saisir le bâtonnier de nouveau dans le cadre des 198 dossiers.
Force est dès lors au tribunal de constater qu’à défaut d’avoir sollicité des éléments supplémentaires, le ministre n’a pu fonder ses décisions de réduire le temps de prestation décompté par le demandeur que sur les avis initiaux du bâtonnier, lesquels ne consistent qu’en de simples ratures manuscrites dépourvues de toute explications voire précisions, de sorte que le ministre ne disposait pas d’éléments suffisants justifiant une réduction du temps de prestation décompté par le demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur affirme à juste titre que les avis initiaux du bâtonnier étaient dépourvus de motivation, de sorte qu’à défaut d’avoir sollicité des informations complémentaires l’instruction des demandes, voire du recours gracieux du demandeur relatif aux 198 dossiers, opérée par le ministre était incomplète. Le ministre ne disposait ainsi pas de suffisamment d’éléments sur lesquels il aurait pu asseoir le volet des décisions déférées relatif aux 198 dossiers. Il s’ensuit que le volet des décisions ministérielles déférées ayant arrêté une réduction du temps de prestation facturé dans le cadre des 198 dossiers est dépourvu de justification valable.
Les considérations qui précèdent ne sont pas énervées par l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle les contestations du demandeur relatives aux 198 dossiers avancés dans le cadre de son recours gracieux n’auraient pas été détaillées. En effet, le tribunal constate que les décomptes initiaux de ses prestations ont été minutieusement détaillés par le demandeur, de sorte qu’en présence des avis du bâtonnier se limitant à de simples ratures pour suggérer une réduction du temps de prestation facturé, il aurait appartenu au ministre de solliciter davantage de précisions au bâtonnier, sinon d’effectuer sa propre instruction, plutôt que de reprocher au demandeur de ne pas avoir détaillé à suffisance ses contestations.
Eu égard aux éléments qui précèdent, le tribunal est amené à conclure qu’en ce qui concerne les 198 dossiers, le ministre n’a pas épuisé sa compétence et n’a pas valablement procédé à une appréciation du bien-fondé des prestations facturées par le demandeur, de sorte que le volet des décisions déférées portant sur les 198 dossiers encourt l’annulation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres moyens avancés par le demandeur à l’encontre dudit volet des décisions déférées.
III. Quant à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de l’ordre de 2.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Eu égard à l’issue du litige, il paraît inéquitable de laisser à la seule charge du demandeur les frais exposés par lui et non compris dans les dépens, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à sa demande et de lui accorder une indemnité de procédure évaluée ex æquo et bono au montant de 1.000 euros.
Enfin, au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens et de les imposer pour moitié à chaque partie.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit partiellement justifié, partant annule les décisions du ministre de la Justice des 12, respectivement 18 décembre 2018 ainsi que du 21 février 2022 dans la seule mesure où elles ont trait aux 198 dossiers ;
pour le surplus, déclare le recours en annulation non justifié, partant en déboute ;
condamne la partie étatique à payer au demandeur une indemnité de procédure évaluée ex æquo et bono au montant de 1.000 euros ;
fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à l’Etat et pour moitié au demandeur ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 février 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 32