Tribunal administratif N° 52302 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52302 5e chambre Inscrit le 29 janvier 2025 Audience publique du 5 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52302 du rôle et déposée le 29 janvier 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 janvier 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 février 2025, Maître Marcel MARIGO s’étant excusé.
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Le 9 septembre 2019, Monsieur (A) introduisit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg, où il avait été transféré dans le cadre d’un programme de relocalisation depuis l’Italie.
Par décision du 29 septembre 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile refusa de faire droit à la demande de protection internationale déposée le 9 septembre 2019 par Monsieur (A) et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Suite au recours contentieux introduit par Monsieur (A), ledit refus fut confirmé en dernière instance par un arrêt de la Cour administrative du 16 décembre 2021, inscrit sous le numéro 46597C du rôle.
Monsieur (A) fut invité à deux reprises à se présenter à des entretiens auprès de la direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères et européennes en vue d’organiser son retour volontaire, mais ne se présenta ni à l’entretien prévu pour le 19 janvier 2022, ni à celui prévu pour le 3 février 2022.
Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », de la police grand-ducale, région Sud-
1Ouest, …, du 15 janvier 2025, que Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle d’identité par des agents de la police grand-ducale lors duquel il présenta un passeport camerounais en cours de validité mais pas de titre de séjour valable ni de visa.
Par arrêté du 15 janvier 2025, notifié en mains propre à l’intéressé à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », entretemps en charge du dossier, prononça une interdiction de territoire à l’encontre de Monsieur (A) pour une durée de cinq ans.
Par un autre arrêté du 15 janvier 2025, notifié en mains propres à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 15 janvier 2025 établi par la Police grand-ducale ;
Vu la décision de retour du 29 septembre 2020, lui notifiée le 4 octobre 2020 ;
Vu mon interdiction d’entrée sur le territoire de 5 ans du 15 janvier 2025 ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Considérant que l’intéressé ne s’est pas présenté au Ministère en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine ;
Considérant que l’intéressé n’a jusqu’à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d’origine ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 15 janvier 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose en substance les circonstances l’ayant amené à quitter son pays d’origine et à rejoindre le Luxembourg.
2En droit, le demandeur conteste tout risque de fuite dans son chef, en insistant sur le fait qu’il aurait été transféré au Luxembourg dans le cadre d’un programme de relocalisation depuis l’Italie. Selon le demandeur, le risque de fuite invoqué par la décision ministérielle déférée ne serait qu’hypothétique alors qu’il aurait mené « 7 ans de vie sociale au Luxembourg ».
Le demandeur prétend que son placement en rétention résulterait d’une appréciation erronée de sa situation individuelle ainsi que d’une violation de la loi, alors qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef et qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le placement en rétention serait facultatif pour le ministre et ne devrait être décidé qu’en l’absence de mesures alternatives moins coercitives.
Il se réfère ensuite aux mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et maintient que l’interprétation des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 imposerait que de telles mesures bénéficient d’une priorité sur le placement en rétention.
Le demandeur ajoute que dans l’hypothèse où le risque de fuite serait présumé, cette présomption pourrait être renversée par la justification de garanties de représentation suffisantes. Or, d’après le demandeur, la décision ministérielle aurait procédé à son placement en rétention de manière « systématique ».
Dans ce contexte, le demandeur affirme qu’il disposerait d’une adresse légale au Luxembourg, située à L-…, où il pourrait être assigné à résidence ; de même, il donne à considérer qu’il aurait remis son passeport à l’autorité compétente sur simple demande, et qu’il disposerait de cinq mille euros qu’il pourrait verser en tant que garantie financière.
Le demandeur soutient qu’au cas où les conditions pour une assignation à résidence découlant de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 seraient remplies, un placement en rétention ne saurait se justifier au regard des exigences de proportionnalité et de subsidiarité que dans l’hypothèse où les circonstances du cas particulier excluraient une assignation à résidence.
Il en conclut que son assignation à résidence à l’adresse à … précitée serait la mesure la plus appropriée contrairement à la mesure de placement au Centre de rétention, tout en donnant à considérer qu’il se soumettrait également à toutes mesures restrictives découlant de la décision d’assignation à résidence, notamment celle relative à la surveillance électronique et qui emporterait pour lui l’interdiction de quitter un périmètre fixé par l’autorité administrative.
D’après le dispositif de la requête introductive d’instance et en substance, le demandeur demande donc au tribunal, à titre principal, d’ordonner sa mise en liberté, et à titre subsidiaire, d’ordonner son assignation à résidence à l’adresse à … précitée sinon le versement d’une garantie financière de cinq mille euros.
Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal rappelle de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 3100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais, condition en l’espèce non critiquée par le demandeur.
S’agissant, tout d’abord, des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire en date du 29 septembre 2020, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois du 15 janvier 2025 pour une durée de cinq ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et ne disposant pas d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg.
Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), lettre c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) [l]e risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) 4s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Sur base de ces considérations, il échet de retenir que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
La présomption du risque de fuite n’est pas ébranlée par les développements du demandeur selon lesquelles il aurait été transféré au Luxembourg dans le cadre d’un programme de relocalisation depuis l’Italie, ni par ses développements selon lesquels il aurait passé « 7 ans de vie sociale au Luxembourg ». En effet, le risque de fuite au sens de l’article 111, paragraphe (3), lettre c) de la loi du 29 août 2008 ne se définit pas comme le risque de quitter le territoire, mais précisément comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement. Or, en insistant sur son séjour au Luxembourg et sa volonté d’y rester, le demandeur confirme implicitement sa volonté de s’opposer à la mesure d’éloignement et partant l’existence d’un risque de fuite dans son chef.
Le moyen quant à l’absence d’un risque de fuite dans son chef est partant rejeté.
Concernant finalement la possibilité d’application de mesures moins coercitives, les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1), pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.
La prise de ces mesures moins coercitives requiert toutefois de la part de l’étranger concerné le renversement de la présomption légale d’un risque de fuite une fois qu’elle est vérifiée dans son chef, tel que c’est le cas en l’espèce, moyennant la justification de garanties de représentation suffisantes.
En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-
avant. Il n’est, en effet, pas contesté qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, s’impose, étant encore précisé que le simple renvoi à une adresse à … ne saurait à défaut d’éléments concrets et de documents corroborant ces déclarations être considéré comme domicile stable ni comme fournissant une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas 5concevable. De même, l’affirmation du demandeur d’être disposé à verser cinq mille euros à titre de garantie financière reste à défaut de documents corroborant ces déclarations à l’état de pure allégation et est dès lors insuffisant pour pouvoir constituer une garantie de représentation.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par la loi, en ce compris l’assignation à résidence de l’intéressé ou le versement d’une garantie financière de cinq mille euros, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.
S’agissant des démarches entreprises par le ministre en vue de l’éloignement du demandeur, il ressort du dossier administratif qu’en date du 20 janvier 2025, le ministre a chargé la police grand-ducale, Unité de Garde et d’Appui Opérationnel (UGAO), Service de Garde et de Protection (SGP), d’organiser le départ du demandeur vers le Cameroun. Il ressort également du dossier administratif qu’un plan de vol a été établi en date du … janvier 2025, qui fixe l’éloignement du demandeur vers son pays d’origine, le Cameroun, au … février 2025.
Eu égard aux diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal conclut que les démarches entreprises sont à considérer comme suffisantes au regard de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 février 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 6