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06/02/2025 | LUXEMBOURG | N°48746

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2025, 48746


Tribunal administratif N° 48746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48746 2e chambre Inscrit le 28 mars 2023 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions de l’établissement de droit public (BB), …, en matière d’établissements classés

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48746 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, éta

blie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, immatriculée au ...

Tribunal administratif N° 48746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48746 2e chambre Inscrit le 28 mars 2023 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre deux décisions de l’établissement de droit public (BB), …, en matière d’établissements classés

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48746 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de 1) Monsieur (A), demeurant à L-…, 2) la société à responsabilité limitée (AA) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, 3) Monsieur (B), demeurant à L-…, 4) Monsieur (C), demeurant à L-…, et de 5) Monsieur (D), demeurant à L-…, tendant à l’annulation de « 1. [l]a décision [de] l’établissement public (BB) du 14 novembre 2022 portant refus de reconsidérer le lieu d’implantation d’un pylône destiné à accueillir des antennes d’ondes électromagnétiques » et « 2. [l]a décision confirmative de refus de l’établissement public (BB) en date du 21 février 2023, réceptionnée le 24 février 2023, à la suite d’un recours gracieux introduit en date du 23 décembre 2022 » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Martine LISÉ, demeurant à Luxembourg, du 31 mars 2023, portant signification de ce recours à l’établissement de droit public (BB), immatriculé au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représenté par son directeur général actuellement en fonctions, établi et ayant son siège social à L-… ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2023 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’établissement de droit public (BB), préqualifié ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2023 par Maître Marc THEWES, au nom de l’établissement de droit public (BB), préqualifié ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, au nom des parties requérantes sub 1) à 5), préqualifiées ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2023 par Maître Marc THEWES, au nom de l’établissement de droit public (BB), préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que les actes attaqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Maître Hicham RASSAFI, en remplacement de Maître Marc THEWES, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2024.

___________________________________________________________________________

Il est constant en cause que l’établissement de droit public (BB), ci-après désigné par « (BB) », exploite un site radioélectrique servant aux communications électroniques sis au haut du château d’eau implanté sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Strassen, section … du Bois, sous le numéro (P1).

Il se dégage ensuite des éléments du dossier qu’en date du 1er février 2022, (BB) introduisit auprès de l’administration de l’Environnement une demande en vue d’obtenir sur le fondement de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, ci-après désignée par « la loi du 10 juin 1999 », l’autorisation d’exploiter sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Strassen, section … du Bois, sous le numéro (P2), sur un pylône, un site radiotechnique comprenant trois antennes dont le total des puissances à l’entrée fut fixé à 1.839,82 W.

Après s’être vu délivrer le 27 avril 2022 une première autorisation d’exploitation par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après désigné par « le ministre du Travail », le même ministre émit en date du 18 mai 2022 une autorisation rectifiée, référencée sous le numéro … rect..

Par courrier du 1er septembre 2022, (BB) introduisit auprès de l’administration de l’Environnement, division des Etablissements classés, une demande de prolongation entre autres de l’autorisation ministérielle prévisée du 18 mai 2022.

En date du 21 novembre 2022, le ministre du Travail fit droit à la demande de (BB) et délivra en conséquence une autorisation modifiée référencée sous le numéro ….

Parallèlement et toujours en réponse à sa demande afférente du 1er février 2022, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre de l’Environnement », délivra en date du 21 avril 2022 à (BB) une autorisation d’exploitation conformément à la loi du 10 juin 1999.

En date du 17 novembre 2022, le ministre de l’Environnement fit également droit à la demande de (BB) du 1er septembre 2022 visant à obtenir la prolongation entre autres de l’autorisation ministérielle prévisée du 21 avril 2022 en délivrant une autorisation d’exploitation afférente.

Il se dégage ensuite des éléments du dossier que divers échanges eurent lieu entre le litismandataire des parties requérantes et (BB) tout au long de la procédure d’adoption des décisions ministérielles prévisées. Il est encore constant en cause que les deux courriers de (BB) des 14 novembre 2022 et 21 février 2023 font suite à deux missives du litismandaire des parties requérantes des 22 juin 2022 et 22 décembre 2022.

Par courrier du 22 juin 2022, le litismandataire des parties requérantes s’adressa, en effet, à (BB) dans les termes suivants :

« […] Par la présente, j’ai l’honneur de revenir vers vous dans le cadre du dossier émargé, suite à notre réunion du jeudi 5 mai 2022 à 9.00 heures, en la mairie de Kopstal.

Lors de cette réunion, nous avions discuté, sous la bienveillance des édiles communaux, avec les responsables de la société (BB) notamment d’un site alternatif d’implantation pour le pylône de transmission du réseau de téléphonie mobile, initialement prévu à côté du château d’eau.

La réunion s’est conclue par la proposition de (BB) de réaliser des études de faisabilité technique pour déterminer ce site d’implantation alternatif, le long du …, de manière la plus éloignée possible des premières habitations de ….

Pourriez-vous nous informer si ces études réalisées par (BB) ont pu aboutir à des conclusions et, dans l’affirmative, nous retransmettre lesdites études. […] ».

Par courrier du 14 novembre 2022, (BB) s’adressa au litismandataire des parties requérantes dans les termes suivants :

« […] Me référant à votre courrier susdit, j’ai l’honneur à vous informer que mes services ont repris l’ensemble du dossier et analysé à nouveau l’emplacement initialement retenu pour l’implantation d’un pylône de téléphonie et mis en cause dans votre courrier.

L’alternative proposée le long du … a également été étudiée.

Il résulte de nos simulations et analyses que l’endroit proposé ne représente cependant pas une alternative adéquate par rapport à l’emplacement retenu et déjà valablement autorisé.

En effet, cet endroit ne permet pas d’offrir le même niveau de couverture que l’emplacement autorisé à côté du bassin d’eau. Il en découlerait une qualité diminuée et médiocre pour les services voice et data, ce qui n’est pas acceptable eu égard à nos missions.

Comme indiqué lors de notre réunion, nous avions également, de notre propre initiative, évalué d’autres sites et identifié entre autres un possible emplacement en forêt, à une centaine de mètres au sud du château d’eau. Or, à ce jour, nous restons dans l’attente du retour du préposé forestier quant à la possibilité d’obtenir une autorisation pour l’implantation d’un mât à cet endroit. Nous tenons de plus à être parfaitement complets et renseigner ici que ce projet d’implantation pourrait mener à la formulation d’observations et/ou de recours de la part des propriétaires des maisons sises à dans le périmètre direct.

Cette alternative ne constitue donc pas non plus une solution concrète et viable.

En guise de conclusion, il n’existe pas d’alternative équivalente sérieuse et exploitable à l’emplacement initialement retenu, près du réservoir d’eau. Ce site présente la meilleure option pour procéder à la nécessaire relocalisation des antennes sises au château d’eau. Lors de ce choix, nous avons également pris en compte les impacts esthétiques afin de limiter les désagréments au maximum et de ne pas constituer un préjudice anormal excédant les inconvénients normaux de la vie en société et du voisinage, ni un préjudice de jouissance.

Ce mât de faible diamètre et hauteur est implanté à une distance raisonnable des habitations mentionnées, dans un environnement semi-rural au paysage sans particularité notable, arboré, de nombreux poteux électriques, de routes. Nous ajoutons que ce dernier, sera peint de couleur verte suivant la demande du préposé forestier, pour une insertion optimale dans l’environnement et sera implanté à bonne distance des fonds, près d’arbres, de sorte qu’il n’en résulte pas d’obstruction de la vue ni de perte d’ensoleillement pour les habitations et leurs occupants.

Il reste que ceci s’inscrit dans le cadre du déploiement des relais de téléphone sur l’ensemble du territoire national et qu’il appartient à (BB) de proposer aux résidents de la commune de Kopstal/… une connectivité fiable et de qualité et alors que comme renseigné, la stabilité du mât existant est également en question et préside à cette évolution. […] ».

Par courrier du 22 décembre 2022, le litismandataire des parties requérantes prit position comme suit par rapport au courrier précité de (BB) :

« […] En mains votre courrier du 14 novembre 2022, reçu le 17 novembre 2022 en mon étude, au terme duquel vous rejetez les alternatives émises par mes mandants et la commune de Kopstal concernant l’implantation du pylône de téléphonie mobile – notamment celle proposant la construction du pylône de manière plus éloignée des habitations, le long du ….

Votre décision – portant refus de ne pas implanter le pylône de téléphonie sur un autre site – doit s’analyser comme une décision administrative faisant grief et susceptible de recours contentieux devant les juridictions administratives.

Il appert que (BB) est une personne morale de droit public, et plus particulièrement, un établissement public qui a été créé par la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’(BB).

Les décisions que vous prenez sont de jure, des décisions administratives.

Le choix d’un site d’implantation plutôt qu’un autre présente un caractère décisionnel, c’est-à-dire de nature à faire grief.

Selon la jurisprudence, « l’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité que l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame ».

Tel est manifestement le cas de votre décision du 14 novembre 2022.

Vous tentez de justifier votre refus, suite à notre demande de reconsidérer le lieu d’implantation de votre projet, en précisant qu’«[i]l résulte de nos simulations et analyses que l’endroit proposé ne représente cependant pas une alternative adéquate par rapport à l’emplacement retenu et déjà valablement autorisé. En effet, cet endroit ne permet pas d’offrir le même niveau de couverture que l’emplacement autorisé à côté du bassin d’eau. Il en découlerait une qualité diminuée et médiocre pour les services voice et data, ce qui n’est pas acceptable eu égard à nos missions ».

Nous avons plutôt l’impression que l’alternative suggérée par mes mandants et les alternatives proposées par la commune, n’ont pas sérieusement été considérées, (BB) faisant le choix de la facilité… et de la confrontation.

Nous vous prions dès lors de revenir sur votre décision après réexamen de celles-ci, pour les raisons suivantes :

I.

Sur la violation du principe du contradictoire Au terme des dispositions de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes :

« Lorsqu’une décision administrative est susceptible d’affecter les droits et intérêts de tierces personnes, l’autorité administrative doit lui donner une publicité adéquate mettant les tiers en mesure de faire valoir leurs moyens.

Dans la mesure du possible, l’autorité administrative doit rendre publique l’ouverture de la procédure aboutissant à une telle décision.

Les personnes intéressées doivent avoir la possibilité de faire connaître leurs observations.

La décision définitive doit être portée par tous moyens appropriés à la connaissance des personnes qui ont présenté des observations […]. » A cela il convient de rajouter que l’article 12 du règlement grand-ducal précité énonce que : « Toute personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts est également en droit d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’Administration s’est basée ou entend se baser. » À travers ces articles, le principe du contradictoire trouve une expression toute particulière.

La jurisprudence administrative n’est pas en reste puisqu’elle considère que « Toute véritable justice ne se conçoit pas sans le respect du principe du contradictoire, c’est-à-dire de la règle qui garantit la possibilité pour chaque partie au procès d’être informée des arguments présentés, d’obtenir communication de l’ensemble des pièces du dossier et d’être mise à même de présenter ses propres arguments. Ce principe fondamental du droit ne saurait être limité ou tenu en échec que par une disposition légale. Le principe du contradictoire implique l’obligation pour chaque partie de communiquer à l’autre les différents éléments qu’elle entend utiliser à l’appui de ses moyens et arguments, afin de la mettre en mesure d’organiser sa « défense ».

Pourtant, en l’espèce, le principe du contradictoire a été battu en brèche à deux reprises :

- d’une part, les parties exposantes n’ont pas eu la possibilité d’émettre des observations ou réclamations par rapport aux simulations effectuées en interne par la (BB), avant la prise de décision querellée ;

- d’autre part, malgré notre demande les études sollicités ne nous ont pas été transmises.

Partant, nous vous prions de reprendre votre procédure. Il conviendrait tout d’abord de nous communiquer les motifs et les éléments de fait à la base de votre décision de maintenir le lieu d’implantation du nouveau pylône, qui sera destiné à accueillir, pendant une très longue période de temps, des émetteurs d’ondes électromagnétiques de divers opérateurs de téléphonie mobile, générant par cela des nuisances substantielles pour tous les habitants des environs.

A cet égard, il force est de constater que l’argument de la qualité du réseau ne saurait supplanter des considérations de santé.

Ensuite, mes clients devraient être admis à faire valoir des observations par rapport à votre intention qui serait de maintenir ce site d’implantation. Enfin, votre décision définitive devra nous être communiquée à nouveau.

Les dispositions de la procédure administrative non contentieuse l’exigent ainsi.

En termes moins juridiques, j’ajouterais que mes clients ont été étonnés que la (BB) se soit engagée dans un processus qui se voulait en apparence concerté, tandis que la décision fut finalement prise en-dehors de toute transparence et de toute concertation.

II.

Sur l’absence de motifs à la base de votre décision, respectivement, quant aux motifs erronés en fait Vous avancez à plusieurs reprises dans votre décision que les analyses et évaluations réalisées par vos soins sur d’autres potentiels sites ne seraient pas concluantes.

Permettez-moi de remettre en cause vos dires puisque les motifs invoqués ne sont pas vérifiables, faute de transmission des éléments sur lesquels ils reposent.

En outre, il parait douteux pour mes clients qu’une couverture réseau suffisante ne puisse être garantie en prenant un site d’implantation alternatif et en ajustant si nécessaire, la hauteur du pylône.

Il serait particulièrement étonnant que le seul point d’émission recevable soit justement celui choisi par (BB) et celui autorisé par le bourgmestre de Strassen.

Or, conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes retient que « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux », ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

J’attire finalement votre attention sur l’article 6 (3) de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles qui retient que « Des constructions répondant à un but d’utilité publique et les installations d’énergie renouvelables peuvent être érigées en zone verte pour autant que le lieu d’emplacement s’impose par la finalité de la construction » […].

Il vous appartiendrait dès lors de démontrer, concrètement, que les sites d’implantation alternatifs envisageables n’étaient pas possibles et que le lieu d’emplacement retenu s’imposait, à l’exclusion de tout autre site.

Au vu de ce qui précède, nous vous invitons à revoir votre décision.

III.

Sur la non prise en compte du principe de précaution et du principe de proportionnalité Conformément à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le principe de précaution vise à garantir un niveau élevé de protection de l’environnement grâce à des prises de décisions préventives en cas de risque.

La jurisprudence administrative a précisé que « l’application de ce principe repose sur un risque potentiel, mais étayé, c’est-à-dire dont la plausibilité est soutenue par des retours d’expérience, mais n’exige pas un risque avéré, la précaution étant en effet relative à des risques potentiels, tandis que la prévention est relative à des risques avérés. » Sur ce point, la jurisprudence administrative luxembourgeoise rejoint parfaitement celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui applique ce principe lorsque la probabilité d’un dommage persiste, bien qu’il soit impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées.

Les ondes électromagnétiques présentent un risque potentiel pour la santé des riverains, reconnu par l’OMS, et en l’absence de certitudes scientifiques en la matière, les pouvoirs publics ont l’obligation d’agir en vue de prévenir l’exploitation d’installation potentiellement nocives tant que leur innocuité ne serait pas établie scientifiquement.

Précisions en effet, que les juridictions administratives ont déjà été appelées à considérer un risque grave et plausible pour la santé des habitants d’une maison pourtant située à environ 280 mètres des émetteurs d’ondes électromagnétiques (château d’eau de Roeser) de puissances à l’entrée des antennes inférieures à ce qui est désormais prévu sur le site litigieux. Cette affaire a d’ailleurs donné lieu à un long contentieux et à des annulations répétées des arrêtés d’exploitation adoptés par rapport au site en question.

Or, en l’espèce, il est encore temps d’éviter des contentieux par rapport à chaque opérateur qui souhaiterait venir à l’avenir s’implanter sur le pylône litigieux.

Le choix du site de construction et d’exploitation futur est en ce sens déterminant.

Mes clients déplorent que dans ce choix de l’implantation du nouveau site, aucune appréciation du rapport risque-avantage n’ait été pris en compte, eu égard à la distance minimale entre celui-ci et les premières habitations, tandis que les nuisances évaluées individuellement, opérateur par opérateur, vont dans les faits se cumuler, avec pour conséquence un dépassement inévitable des valeurs limites d’émission (3 v/m).

En l’état, le choix du site retenu ne laisse donc pas d’autre possibilité pour mes clients que de quereller l’ensemble des décisions administratives nécessaires à son fonctionnement, ce qu’ils vont bien entendu s’empresser de faire.

*** Je vous prie de considérer la présente comme un recours gracieux contre votre décision du 14 novembre 2022 en vertu de l’article 13 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en vous invitant à réexaminer les alternatives proposées.

Vous voudrez également me communiquer tous les documents et études internes déjà demandés dans mon courrier du 17 novembre 2022.

Il s’agit là de documents administratifs communicables en vertu de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte. […] ».

Par courrier du 21 février 2023, (BB) prit position comme suit par rapport au courrier précité du 22 décembre 2022 :

« […] Suite à votre courrier sous rubrique, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint les relevés de mesurage de chacun des trois sites envisagés pour le déplacement du site radioélectrique actuellement implanté sur le château d’eau au lieu-dit « … » à l’adresse L-….

Votre demande paraît non fondée en droit, en vertu de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte. Néanmoins, puisque les pièces jointes sont susceptibles d’être produites dans le cadre des instances que vous avez introduites devant le Tribunal administratif contre les décisions, des ministres de l’Environnement, du Climat et du Développement durable réf. n° … du 17 novembre 2022 et du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire respectifs réf. n° … du 21 novembre 2022, je consens à vous les transmettre.

En outre, vous sollicitez dans votre courrier la communication des documents qui auraient déjà été demandés dans votre courrier du 17 novembre 2022. Toutefois, nous ne sommes en possession d’aucune demande de communication de documents de votre part qui serait datée du 17 novembre 2022. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2023, les parties requérantes ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de « 1. [l]a décision [de] l’établissement public (BB) du 14 novembre 2022 portant refus de reconsidérer le lieu d’implantation d’un pylône destiné à accueillir des antennes d’ondes électromagnétiques » et « 2. [l]a décision confirmative de refus de l’établissement public (BB) en date du 21 février 2023, réceptionnée le 24 février 2023, à la suite d’un recours gracieux introduit en date du 23 décembre 2022 ».

Dans son mémoire en réponse, (BB) invoque l’irrecevabilité du recours sous analyse et ce de différents points de vue :

- à titre principal, le recours serait irrecevable dans son intégralité pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de l’ensemble des parties requérantes, sinon dans le chef des parties requérantes sub 2) et 4) ;

- à titre principal, le recours pour autant qu’il est dirigé contre le courrier du 21 février 2023 serait irrecevable (i) en ce que ce volet du recours serait dépourvu d’objet, (ii) en ce que l’intégralité des parties requérantes seraient dépourvues d’un intérêt à agir et (iii) en ce que les parties requérantes n’auraient présenté aucun moyen à l’appui de leurs conclusions visant à l’annulation dudit courrier ;

- à titre principal, le recours serait encore irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 en ce qu’à titre principal, celui-ci ne serait pas à qualifier de décision administrative pour (i) ne présenter aucun caractère décisionnel et (ii) ne pas relever de la sphère administrative ;

- sinon, en premier ordre de subsidiarité, le recours serait irrecevable au motif que le courrier du 14 novembre 2022 ne serait pas une décision administrative attaquable ;

- sinon, en deuxième ordre de subsidiarité, le volet du recours dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 serait encore irrecevable pour être tardif en ce que (i) principalement, les parties requérantes seraient forcloses à la date du dépôt de la requête introductive d’instance pour contester la décision ainsi qualifiée, (ii) subsidiairement, le recours gracieux serait impossible et sans effet contre une décision qui n’est pas une décision individuelle ;

- sinon, toujours en deuxième ordre de subsidiarité, mais à titre infiniment subsidiaire, le recours dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 serait irrecevable pour cause de tardivité dans le chef des parties requérantes sub 4) et 5) en ce que le courrier dénommé « recours gracieux » du 22 décembre 2022 n’aurait pas été adressé à (BB) au nom de celles-ci ;

- sinon, en troisième ordre de subsidiarité, le volet du recours dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 serait irrecevable pour être dépourvu d’objet (i) à titre principal au motif que dans son courrier du 14 novembre 2022, (BB) aurait déjà « reconsidéré » le lieu d’implantation du pylône en cause et (ii) à titre subsidiaire au motif que ledit courrier aurait épuisé ses effets à la date d’introduction du recours sous analyse.

Le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tels que présentés par les parties mais il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Face aux différents moyens d’irrecevabilité, respectivement d’incompétence soulevés, il appartient au tribunal d’analyser, avant tout autre progrès en cause et face aux contestations de la partie défenderesse, si le recours introduit par les parties requérantes en ce qu’il vise le courrier de (BB) du 14 novembre 2022, qu’elles qualifient de « décision […] portant refus de reconsidérer le lieu d’implantation d’un pylône destiné à accueillir des antennes d’ondes électromagnétiques », et plus loin le courrier du 21 février 2023, en ce qu’il est visé comme étant une « décision confirmative de refus » de (BB), sont des actes administratifs susceptibles d’un recours contentieux.

Il y a lieu de relever que, dans leur requête introductive d’instance, les parties requérantes se prévalent de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », pour soutenir que l’article en question fonderait la compétence du tribunal sans avoir égard à l’autorité qui adopte l’acte, mais à l’acte en lui-même et que le tribunal administratif serait compétent pour connaître des recours dirigés contre les décisions administratives.

Elles font, dans ce contexte, valoir que comme (BB) serait une personne morale de droit public et plus particulièrement un établissement public créé par la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’(BB), ci-après désignée par « la loi du 10 août 1992 », le choix d’un site d’implantation plutôt que d’un autre présenterait un caractère décisionnel pour être de nature à leur faire grief. Il s’ensuivrait qu’à travers les courriers des 14 novembre 2022 et 21 février 2023, (BB) aurait pris des décisions administratives leur faisant grief et de ce fait, susceptibles d’un recours contentieux.

La partie défenderesse conteste, quant à elle, que le courrier du 14 novembre 2022 puisse être qualifié de décision administrative en ce qu’il ne contiendrait aucun élément décisionnel pour se contenter d’exposer que les services de (BB) avaient étudié des emplacements alternatifs et qu’aucun de ceux-ci ne présenterait des avantages aussi complets que le site initialement choisi. Pour ces raisons, le volet du recours dirigé contre ce courrier serait à déclarer irrecevable.

A cela s’ajouterait que le courrier en question ne relèverait de toute façon pas de la sphère administrative pour ne pas participer en une quelconque manière, ni à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique étant donné qu’il ne matérialiserait aucunement l’exercice de prérogatives de droit public pour lesquelles (BB) aurait été investi, pour l’acte considéré, de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte. En effet, le courrier en question se contenterait de relater les résultats d’études dont la conclusion serait celle que tel site était meilleur que tel autre. Ainsi, le courrier en question ne se distinguerait pas, dans sa substance comme dans ses effets, de celui qu’aurait pu rédiger n’importe quel autre opérateur de télécommunication privé.

Comme le courrier du 14 novembre 2022 ne serait pas à qualifier d’acte relevant de la sphère administrative, le volet du recours dirigé contre celui-ci serait également à déclarer irrecevable de ce point de vue.

Enfin, toujours, dans le même ordre d’idées, la partie défenderesse conteste que le courrier du 14 novembre 2022 puisse être considéré comme une décision administrative attaquable en ce qu’à travers celui-ci, elle se serait contentée d’exprimer son intention en relation avec un site d’implantation. Or, l’intention telle qu’exprimée à travers le courrier du 14 novembre 2022 ne produirait en elle-même aucun effet juridique, voire le courrier en question pourrait tout au plus être considéré comme un acte préparatoire au dépôt d’une demande d’autorisation et, par conséquent, à la ou aux décisions d’autorisation adoptées après l’instruction de la demande. A fortiori, ce ne seraient que les décisions finales qui constitueraient l’aboutissement positif de son intention d’implanter des installations radioélectriques sur le site litigieux et qui, en tant que telles, seraient susceptibles de causer grief aux parties requérantes. Elle insiste, à cet égard, sur le fait que la décision du ministre de l’Environnement du 17 novembre 2022 et celle du ministre du Travail du 21 novembre 2022, prises sur le fondement de la loi du 10 juin 1999 auraient fait l’objet de deux recours contentieux introduits par les parties requérantes tandis qu’à sa connaissance, ces dernières n’auraient pas contesté l’autorisation de construire délivrée par le bourgmestre de la commune de Strassen.

Au vu de ces considérations, le volet du recours dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 serait encore à déclarer irrecevable de ce point de vue.

Dans leur mémoire en réplique, les parties requérantes insistent sur le fait que le courrier du 14 novembre 2022 ne pourrait s’analyser en un acte simplement préparatoire, mais qu’il s’agirait, au contraire, d’un refus formulé à l’encontre des alternatives proposées par elles concernant l’implantation du pylône de téléphonie mobile et notamment celle consistant à proposer la construction du pylône en question à une distance plus éloignée des habitations.

Elles contestent ensuite que le courrier du 14 novembre 2022 ne serait pas une décision administrative attaquable en insistant sur le fait qu’il s’agirait bien d’une décision administrative faisait grief, de même qu’il s’agirait d’une décision individuelle pour viser une situation bien déterminée, à savoir le choix d’un site d’exploitation.

Dans son mémoire en duplique, (BB) maintient, en substance, ses développements antérieurs quant aux causes d’irrecevabilités soulevées par elle.

L’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996 dispose comme suit : « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », étant relevé que l’article 7, paragraphe (1) de la même loi prévoit en des termes analogues la compétence du juge administratif à l’égard des « actes administratifs à caractère règlementaire », en disposant que « le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. ».

Ces deux dispositions subordonnent la compétence des juridictions administratives à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir l’acte litigieux doit constituer une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1, et cet acte doit revêtir un caractère administratif, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés2, étant souligné que l’acte doit émaner d’une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif et participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-

dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte3.

En l’espèce, il est constant en cause que le courrier du 14 novembre 2022 émane d’un établissement public créé par le biais de la loi du 10 août 1992 qui est placé, suivant l’article 1er, paragraphe (2) de ladite loi, sous la haute surveillance du membre du Gouvernement ayant les postes et les télécommunications dans ses attributions. Le simple fait qu’un acte soit pris 1 Trib. adm., 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n°5 et les autres références y citées.

2 Idem.

3 Trib. adm., 30 octobre 2000, n°11798 du rôle, confirmé par Cour adm. 29 novembre 2001, n°12592C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 9 (1er volet) et les autres références y citées.

par un établissement public n’entraîne toutefois pas ipso facto qu’il s’agisse d’un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions administratives.

En effet, pour qu’un tel acte puisse être considéré d’acte administratif, il importe qu’il relève de l’exercice de la puissance publique, voire de la gestion d’un service public4, étant relevé que l’autorité administrative doit avoir agi, du moins pour cet acte, dans la sphère du droit administratif5.

D’après le premier critère dégagé, doit être qualifié d’acte administratif, l’acte pris par une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif. Il s’agit normalement d’un organisme de droit public ayant la qualité d’autorité administrative, celle-ci étant qualifiée comme autorité participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes, du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte6 - peu importe que l’autorité relève, pour d’autres attributions et décisions, de juridictions différentes7.

En l’espèce, il y a lieu de relever que le courrier litigieux du 14 novembre 2022 fait suite à un courrier du litismandataire des parties requérantes du 22 juin 2022 à travers lequel celui-ci s’est renseigné auprès de (BB) si, suite à une réunion qui s’était tenue le 5 mai 2022 et lors de laquelle il avait notamment été discuté avec les responsables de (BB) au sujet d’un site alternatif d’implantation pour le pylône de transmission du réseau de téléphonie mobile prévu sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Strassen, section … du Bois, sous le numéro (P2), ledit établissement public avait entretemps réalisé des études de faisabilité technique pour déterminer un site d’implantation alternatif se situant à une distance la plus éloignée possible des premières habitations du …. En réponse à ce courrier, (BB) a expliqué, par le biais du courrier litigieux, que suivant les études et simulations réalisées il n’existerait aucune alternative équivalente sérieuse et exploitable à l’emplacement initialement retenu et critiqué par les parties requérantes.

Or, force est de constater que (BB) ne saurait être considérée comme ayant été investie, pour l’acte en cause, de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte. En effet, tel que relevé ci-avant, elle s’est contentée d’exposer que des sites alternatifs pour l’implantation de son pylône avaient été étudiés mais qu’il s’était révélé qu’aucun d’eux ne présenterait des avantages aussi complets que celui initialement retenu, sans que ledit courrier n’impose rien par la contrainte à qui que ce soit. Ce constat s’impose d’autant plus que (BB) n’est de toute façon pas libre d’implanter ses installations radioélectriques où bon lui semble, étant relevé qu’il n’est pas autrement contesté qu’avant de pouvoir implanter et exploiter un pylône de transmission du réseau de téléphonie mobile sur un site quelconque, (BB), à l’instar de tout exploitant privé qui projette, dans le cadre de son activité commerciale ou autre, de mettre en place et d’exploiter un établissement classé, doit introduire des dossiers de demande non seulement d’autorisations 4 Trib. adm., 9 août 2017, n° 38578 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

5 Le Contentieux administratif en droit luxembourgeois par Rusen Ergec, Pas. adm. 2023, p. 26.

6 F. SCHOCKWEILER, Le Contentieux administratif et la Procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 47.

7 Ibidem, n° 49.

d’exploitation sur base des dispositions de la loi du 10 juin 1999, mais également d’autorisation de construire sur le fondement des dispositions de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ce qu’elle a d’ailleurs fait en déposant en date du 1er février 2022 son dossier de demande d’autorisations d’exploitation « pour émetteur d’ondes électromagnétiques du réseau de téléphonie mobile de (BB) à Luxembourg » auprès de l’administration de l’Environnement, autorisations qu’elle a entretemps obtenues de la part des autorités ministérielles compétentes, étant relevé qu’il n’est pas non plus contesté que la partie défenderesse a également demandé et obtenu une autorisation de construire de la part du bourgmestre de la commune de Strassen.

En ce qui concerne le deuxième critère dégagé pour qu’un acte puisse être qualifié d’acte administratif, à savoir celui qu’il relève de la gestion d’un service public, il y a lieu de relever que même si (BB) est à considérer comme étant chargée de la gestion d’un service public à travers notamment la fourniture d’un service postal universel et de services de télécommunication accessibles à tous les citoyens, il n’en reste pas moins que dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, à travers le courrier du 14 novembre 2022, (BB) ne fait que renvoyer aux résultats des études menées dont il se dégagerait qu’aucun site alternatif ne présenterait les mêmes avantages que celui initialement retenu, ledit courrier ne saurait être considéré comme relevant directement de la gestion au sens strict d’une mission de service public lui confiée. En effet, étant donné que la mise en place et l’exploitation d’un pylône de transmission du réseau de téléphonie mobile ne sont pas réservées à (BB), mais peuvent tout aussi bien être assurées par des opérateurs de télécommunication privés, (BB) doit être considérée comme s’étant exprimée, à travers le courrier litigieux, comme n’importe quel exploitant privé cherchant à implanter ses installations radioélectriques de la manière la plus utile et efficace possible.

Au vu des considérations qui précèdent, le courrier du 14 novembre 2022 ne saurait être considéré comme un acte relevant de la sphère administrative susceptible d’un recours contentieux.

Pour être tout à fait complet et pour les seuls besoins de la discussion, le tribunal se doit de rappeler que même lorsqu’un acte émane d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, il doit, en tout état de cause, constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame8. Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision9. Plus précisément, une lettre par laquelle une autorité se borne à exprimer une intention ou à s’expliquer sur une intention qu’elle révèle ne constitue pas un acte administratif de nature à faire grief, qu’elle soit adressée à un administré ou à une autre autorité10.

Il est encore admis que lorsque l’administration se borne à exprimer ses prétentions, essentiellement lorsque, à propos d’un litige, elle indique les droits qui lui paraissent être les 8 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 45, et les autres références.

9 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.

2023, V° Actes administratifs, n° 69 (1er volet), et les autres références y citées.

10 J.Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 30, p.41.

siens ou dénie ceux dont se prévaut son adversaire, un tel acte ne constitue qu’une prise de position qui ne lie ni le juge ni les intéressés et qui ne saurait dès lors donner lieu à un recours11.

Dans le même ordre d’idée, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer le requérant sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique12 n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. C’est ainsi notamment qu’il a été retenu que l’acte par lequel l’autorité compétente, répondant à une demande de renseignements d’un particulier, lui fait savoir qu’aucune construction ne peut être érigée sur son terrain, ne constitue pas un refus d’autorisation de construire et n’est pas susceptible de faire grief13.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la nature décisionnelle d’un acte ne dépend pas uniquement de son libellé et de sa teneur, mais également de la demande qu’il entend rencontrer14.

Le tribunal se doit, à cet égard, de rejoindre la partie défenderesse dans son constat suivant lequel le courrier du 14 novembre 2022, hormis de ne pas relever de la sphère administrative, est de toute façon également dépourvu de tout élément décisionnel. En effet, tel que relevé ci-avant, (BB) s’est contentée, à travers son courrier du 14 novembre 2022, de répondre à une demande de renseignements lui adressée et d’informer le litismandataire des parties requérantes au sujet du résultat des études menées par elle, tout en expliquant pour quelles raisons, au vu de ce résultat, aucun site alternatif à celui initialement retenu et ayant entretemps été autorisé par les autorités compétentes, ne permettrait le déploiement utile et efficace du nouveau pylône de transmission de son réseau de téléphonie mobile. Le courrier litigieux doit dès lors s’analyser en un simple courrier d’information à travers lequel (BB) a exprimé sa position quant à la possibilité d’implanter son pylône sur un site alternatif.

Par ailleurs, outre le fait qu’à travers le courrier litigieux (BB) s’est bornée de répondre à la demande de renseignements lui adressée au sujet de la possibilité d’implanter son pylône sur un site alternatif, il y a encore lieu de rappeler, tel que relevé ci-avant, que (BB), en tant que futur exploitant d’un pylône de transmission du réseau de téléphonie mobile, ne peut pas décider unilatéralement d’implanter un nouveau pylône sur un site de son choix, mais elle doit, à l’instar de tout exploitant privé désireux d’exploiter un établissement classé, demander et obtenir de la part des autorités administratives compétentes les autorisations requises en vertu des législations en vigueur et ce, préalablement à la mise en place et à l’exploitation d’une telle installation sur le site retenu. De ce fait, le courrier du 14 novembre 2022 ne saurait de toute façon être considéré comme ayant par lui-même modifié l’ordonnancement juridique ni a fortiori comme ayant produit des effets juridiques affectant directement la situation personnelle ou patrimoniale des parties requérantes. Ce sont, en effet, les autorisations d’exploitation émanant des autorités ministérielles compétentes, respectivement l’autorisation de construire émanant du bourgmestre de la commune devant accueillir l’installation litigieuse, en l’occurrence le bourgmestre de la commune de Strassen, qui ont été délivrées en vue de la mise en place et de l’exploitation des installations radioélectriques sur le site litigieux qui sont seules susceptibles de faire grief aux parties requérantes, étant relevé que celles-ci ont fait introduire 11 J. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, 1962, T. II, n° 1014, p. 463 ; voir aussi trib. adm., 6 octobre 2004, n° 16533, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 85 et les autres références y citées.

12 J. Falys, op.cit., n° 34, p.45.

13 CdE belge, 13 mars 1959, n° 6960.

14 Trib. adm., 5 février 2007, n° 21736 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n°47 et les autres références y citées.

des recours aussi bien contre l’autorisation d’exploitation délivrée par le ministre de l’Environnement le 17 novembre 2022 que par le ministre du Travail le 21 novembre 2022.

Il s’ensuit que le courrier du 14 novembre 2022 ne saurait être qualifié ni d’acte administratif individuel de nature à faire grief, ni d’ailleurs d’acte à caractère réglementaire à portée générale, un acte ne faisant en effet partie de la catégorie des actes administratifs à caractère réglementaire que s’il a un effet direct sur les intérêts privés d’une personne dont il affecte immédiatement la situation, effet que le tribunal vient de dénier ci-avant au courrier litigieux.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent le volet du recours dirigé contre le courrier du 14 novembre 2022 est à rejeter.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne le volet du recours dirigé contre le courrier du 21 février 2023, qualifié par les parties requérantes de « décision confirmative de refus de l’établissement public (BB) […], réceptionnée le 24 février 2023, à la suite d’un recours gracieux introduit en date du 23 décembre 2022 ».

En effet, il y a lieu de relever qu’est qualifié de recours gracieux, ou recours à l’autorité mieux informée, un recours adressé par l’administré à l’autorité même qui a pris l’acte et dont l’impétrant espère que, mieux informée, elle acceptera de reconsidérer le problème. Un recours gracieux ne se conçoit dès lors qu’en présence d’un acte administratif.

Dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant que le courrier du 14 novembre 2022 ne constitue pas un acte administratif susceptible d’un recours contentieux et donc a fortiori ni une « décision […] portant refus de reconsidérer le lieu d’implantation d’un pylône destiné à accueillir des antennes d’ondes électromagnétiques », telle que déférée au tribunal à travers le recours sous analyse, le courrier du 21 février 2023 ayant fait suite au courrier du litismandataire des parties requérantes du 22 décembre 2022, qualifié par celui-ci de « recours gracieux », ne saurait pas davantage s’analyser en une « décision confirmative du refus de l’établissement public (BB) […] à la suite d’un recours gracieux introduit en date du 23 décembre 2022 ». Le volet du recours dirigé contre le courrier du 21 février 2023 encourt dès lors également le rejet.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres moyens d’irrecevabilité, respectivement d’incompétence soulevés par la partie défenderesse, le recours sous analyse est à rejeter.

Eu égard à l’issue du litige, la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 7.000 euros, telle que formulée par les parties requérantes sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, est également à rejeter.

Le même sort est à réserver à la demande de (BB) visant à voir condamner les parties requérantes à lui payer solidairement sinon in solidum une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros sur le même fondement légal, étant donné que la partie défenderesse n’établit pas en quoi il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à sa charge.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

rejette le recours en annulation ;

rejette les demandes tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure, telles que formulées de part et d’autre ;

condamne les parties requérantes aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 6 février 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48746
Date de la décision : 06/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-06;48746 ?

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