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06/02/2025 | LUXEMBOURG | N°52092

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 février 2025, 52092


Tribunal administratif N° 52092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52092 2e chambre Inscrit le 13 décembre 2024 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2024 par Maître Miche

l KARP, avocat à la Cour, assisté de Maître Elena FROLOVA, avocat, tous les deux inscr...

Tribunal administratif N° 52092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52092 2e chambre Inscrit le 13 décembre 2024 Audience publique du 6 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, assisté de Maître Elena FROLOVA, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, assigné à résidence à … sise à L-…, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 novembre 2024, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 janvier 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 janvier 2025.

Le 14 décembre 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, entretemps devenu le ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par renonciation expresse du 5 janvier 2023, Monsieur (A) déclara vouloir renoncer officiellement à sa demande de protection internationale au motif qu’il souhaiterait retourner volontairement dans son pays d’origine, l’Ukraine.

1Le 10 février 2023, Monsieur (A) sollicita la réouverture de son dossier relatif à sa demande de protection internationale conformément à l’article 23, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.

En date du 10 mars 2023, Monsieur (A) passa un entretien avec un agent du ministère sur les motifs sous-tendant sa demande de protection internationale.

Par renonciation expresse du 14 avril 2023, Monsieur (A) déclara vouloir renoncer officiellement à sa demande de protection internationale au motif qu’il souhaiterait retourner volontairement en Moldavie.

Par arrêté du 14 avril 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, tout en lui ordonnant de quitter ledit territoire dans un délai de 30 jours.

Le 2 mai 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 mai 2023, Monsieur (A) passa un entretien avec un agent du ministère sur les motifs sous-tendant sa seconde demande de protection internationale.

Par décision du 28 novembre 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.

Cette décision est libellée comme suit : « […] En date du 2 mai 2023, vous avez introduit une demande ultérieure de protection internationale au Luxembourg sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je tiens à vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) d) de la Loi de 2015, votre demande de protection internationale ultérieure est irrecevable.

1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux En date du 3 novembre 2022, vous avez introduit une demande de protection temporaire qui a été refusée par décision ministérielle du 10 novembre 2022.

En date du 14 décembre 2022, vous avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg. Vous aviez invoqué avoir introduit une demande de protection internationale parce que votre demande de protection temporaire a été refusée et que vous ne pourriez plus retourner en Ukraine à cause de la guerre, la situation étant trop instable.

2Le 5 janvier 2023, vous avez officiellement renoncé à votre demande de protection internationale au motif que vous souhaiteriez retourner en Ukraine.

Le 10 février 2023, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.

Le 23 mars 2023, votre mandataire a informé la Direction générale de l’immigration que vous compteriez à nouveau renoncer à votre demande de protection internationale ;

toutefois, le 27 mars 2023, votre mandataire a informé la Direction générale de l’immigration que vous auriez encore changé d’avis et désireriez désormais rester au Luxembourg.

Le 14 avril 2023, vous avez encore une fois renoncé à votre demande de protection internationale au motif que vous souhaiteriez retourner en Moldavie. Le même jour, une décision de retour a été prise à votre encontre, vous notifiée en mains propres.

Le 2 mai 2023, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg Il ressort encore de votre dossier administratif que les autorités norvégiennes ont émis un signalement SIS à votre encontre, vous refusant l’entrée sur le territoire, valable jusqu’au 17 juin 2025. Vous avez en outre été expulsé de la Norvège par décision des autorités norvégiennes du 7 août 2019, après avoir été condamné à payer une amende pour des faits de contrebande et de vol. Il en est de même d’un signalement SIS des autorités suisses, vous interdisant en date du 16 janvier 2023, l’accès et le séjour sur le territoire, interdiction valable jusqu’au 15 janvier 2026.

Enfin, il ressort de votre dossier administratif qu’en date du 31 janvier 2023, vous avez été amené à un commissariat de police après avoir commis un vol au Luxembourg. Il ressort du rapport de police du 2 mai 2023, que « Seit Januar, ist derselbe unzählige Male wegen Diebstahl aufgefallen, ausserdem wegen Gewalttätigkeiten, Unterbringen im Passagearrest sowie BTM Konsum ». Vous avez à cette occasion expliqué avoir quitté la Moldavie en octobre 2022 sur base de problèmes personnels. Vous ne sauriez par ailleurs pas pourquoi vous avez introduit une demande de protection internationale. Le 9 juillet 2023, vous avez à nouveau été interrogé par la police dans le cadre d’un vol commis dans une auberge de jeunesse. Il ressort ensuite du rapport de police du 11 septembre 2023, que vous aviez jusqu’à ce moment été fiché par la police luxembourgeoise à 23 reprises « 4 x Schlägerei, 12 x Ladendiebstahl, 2 x Arrest, 1 x BTM, 2 x Meldung, 1 x Umwelt- Schutt- Müllablagerung ». Le 20 avril 2024, vous avez été interrogé par la police après la commission d’un autre vol. Vous avez alors prétendu avoir deux enfants, un qui vivrait avec sa mère en Moldavie, l’autre avec sa mère en Ukraine. Le 29 avril 2024, vous avez à nouveau été interrogé par la police après avoir commis un vol. Vous avez alors précisé que vos enfants vivraient toujours en Ukraine.

Le 29 juin 2024, en état d’ébriété manifeste, vous avez refusé de quitter une chambre d’un hôtel dans lequel vous n’étiez pas logé. Après arrivée de la police, vous avez refusé de suivre les ordres des policiers tout en les insultant. Vous avez par la suite frappé un policier avec votre coude et s’en est suivie une lutte avec les policiers durant laquelle vous vous êtes très violemment rebellé avant d’avoir pu être immobilisé. En date du 15 octobre 2024, vous avez été incarcéré au Centre pénitentiaire pour une affaire de vol. Le 18 octobre 2024, vous êtes sorti de prison. Il ressort encore de votre dossier administratif qu’hormis des « lourds 3antécédents au KBT », vous avez causé plusieurs incidents dans votre foyer d’accueil compromettant la sécurité des résidents et du personnel encadrant.

2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale ultérieure Vous déclarez être de nationalité ukrainienne, célibataire et originaire de … bien que vous ayez depuis 1990 vécu à …, un village dans …. En 2007, vous auriez quitté l’Ukraine à destination de la Moldavie, respectivement de la Transnistrie et vous confirmez ne plus avoir vécu dans votre pays d’origine au cours des quinze dernières années. Deux à trois fois par an, vous seriez toutefois retourné en Ukraine pour rendre visite à des amis, la dernière fois en 2021. Vous précisez en outre que vous auriez par le passé égaiement séjourné en Suède, en Norvège et en Italie. En 2021, voire, en août 2022, vous auriez quitté la Moldavie alors qu’en tant qu’Ukrainien, vous n’auriez plus pu vivre en Transnistrie à cause de vos convictions politiques étant donné que la région serait plutôt prorusse. En 2022, vous auriez notamment séjourné en Arménie, en Russie, en Lituanie, en Pologne, en République tchèque, en Suisse et en Italie avant de venir au Luxembourg.

Après la renonciation à votre première demande de protection internationale, vous seriez revenu au Luxembourg alors que vous auriez décidé de « doch hier zu bleiben » (p. 3 du rapport d’entretien), après que vous vous seriez trouvé illégalement en Allemagne, où la police aurait confisqué votre passeport et vous aurait donné 24 heures pour quitter le pays.

Contrairement à vos dires dans le cadre de cette renonciation, vous auriez en outre décidé de ne pas retourner vivre en Moldavie parce que vous auriez appris que vous seriez arrêté par la police. Vous expliquez ceci par le fait que vous n’auriez pas eu le droit de quitter la Moldavie et que vous auriez dû vous présenter régulièrement auprès de la police, raison pour laquelle vous y seriez désormais recherché. Etant donné que vous aviez invoqué les mêmes craintes d’emprisonnement dans le cadre de votre première demande de protection internationale, vous avez été prié d’expliquer votre choix de tout de même renoncer à cette première demande afin de retourner en Moldavie et vous répondez alors qu’« Ich weiß es nicht, vielleicht wollte ich doch ins Gefängnis gehen. Unterwegs habe ich es mir anders überlegt » (p. 4 du rapport d’entretien).

Vous confirmez qu’il n’existerait pas d’élément nouveau à la base de votre nouvelle demande de protection internationale et que rien n’aurait changé par rapport à la première.

Vous ne pourriez pas retourner en Ukraine à cause de la guerre et vous précisez sur votre fiche de motifs manuscrite du 2 mai 2023, que vous n’auriez plus vécu en Ukraine depuis quinze ans et que vous n’y auriez personne.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre passeport interne ukrainien ;

- votre « Anlaufbescheinigung » émise par les autorités allemandes à Berlin le 15 avril 2023.

Dans le cadre de votre première demande de protection internationale, vous aviez en outre versé votre passeport ukrainien émis en juin 2017 ainsi qu’un « certificat » émis par les autorités moldaves le 7 août 2020, concernant votre condamnation du 11 janvier 2020, à une peine de prison de huit mois, après avoir purgé une première peine de prison en 2016.

43. Quant à l’irrecevabilité de votre demande de protection internationale ultérieure En vertu des articles 28 (2), point d) et 32 de la Loi de 2015, le Ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Avant tout autre développement en cause, il échet de noter qu’une demande de protection internationale s’analyse par rapport au pays d’origine du demandeur, respectivement, par rapport au pays dont il possède la nationalité et qui est dans votre cas l’Ukraine. Il s’ensuit que vos motifs de fuite en lien avec la Moldavie, à savoir vos prétendus problèmes avec les autorités moldaves, qui constituent la base essentielle de vos deux demandes de protection internationale introduites au Luxembourg, ne sauraient par conséquent pas être pris en compte ou analysés dans le cadre de la présente décision. En effet, seuls vos motifs de fuite en lien avec l’Ukraine feront l’objet de cette analyse.

Force est ensuite de noter que vous confirmez vous-même que rien n’aurait changé par rapport aux motifs de fuite vous ayant poussé une première fois à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg. En effet, vous confirmez ne toujours pas pouvoir retourner en Ukraine à cause de la guerre. Il est dès lors établi que vous ne présentez pas d’éléments nouveaux à la base de votre nouvelle demande de protection internationale, tels que définis par les articles 28 et 32 de la Loi de 2015.

Ce constat doit encore davantage être tiré alors que vous restez tout au long de vos deux demandes de protection internationale extrêmement vague et superficiel pour ce qui est des raisons vous empêchant de retourner vivre en Ukraine. Vous vous contentez de confirmer dans le cadre de la présente demande que rien n’aurait changé par rapport aux motifs mentionnés dans le cadre de la première demande et qui, pour ce qui est de l’Ukraine, se résumaient aux commentaires suivants « In die Ukraine kann ich wegen des Krieges nicht, es ist zu unruhig dort » (p. 6 du rapport d’entretien du 10 mars 2023), tout en notant comme motifs sur votre fiche de motifs manuscrite du 2 mai 2023 « à cause de la guerre. Je n’ai plus vécu en Ukraine depuis plus de 15 ans et je n’ai personne là-bas ». Ni vous, ni votre mandataire, n’avez à un quelconque moment au cours de vos deux demandes de protection 5internationale voulu ajouter un commentaire par rapport à vos motifs de fuite en lien avec l’Ukraine.

Force est dès lors de constater que vous ne mentionnez aucune crainte directe et personnelle liée à la guerre en Ukraine, aux bombardements ou à des destructions éventuelles en vous contentant de mentionner que la situation serait instable et que vous ne pourriez pas rentrer chez vous à cause de la « guerre ». Ces seules allégations totalement vagues et vides de toute crainte de persécution personnelle ne sauraient toutefois pas suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée d’être victime d’actes de persécution ou d’atteintes graves en Ukraine, respectivement, pendant la guerre en Ukraine, tel que prévus et définis par les textes précités. En effet, si la situation sécuritaire prévalant actuellement en Ukraine se caractérise par un niveau significatif de violence, celle-ci est cependant marquée par des disparités régionales en termes d’étendue respectivement de niveau de violence ainsi que d’impact sur les populations civiles. La situation sur l’ensemble du territoire ukrainien n’est actuellement pas d’une telle gravité que chaque civil y risquerait de subir une atteinte grave de par sa seule présence sur le territoire ukrainien, de sorte que le seul fait d’être ressortissant ukrainien ne saurait suffire pour se voir octroyer automatiquement le statut conféré par la protection subsidiaire. Vous précisez en tout cas dans ce contexte être originaire de … bien que vous ayez vécu de 1990 jusqu’à votre départ en 2007 à …, dans … également … de …. Concernant la situation de sécurité qui prévaut dans votre région d’origine, région dans laquelle vous auriez vocation à vous réinstaller en cas de retour dans votre pays d’origine, force est de constater qu’en novembre 2024, les régions de l’Ukraine de l’Ouest ou de l’Ukraine centrale doivent toujours être définies comme étant beaucoup plus sûres et clairement moins touchées par les destructions liées aux attaques russes que les régions du sud ou de l’est de l’Ukraine. Force est en effet de constater qu’au vu de leur proximité avec les fronts de la guerre, ces régions connaissent un niveau de violence beaucoup plus élevé et pareillement un risque pour la population civile d’être exposée à des atteintes graves bien plus élevé. Au vu des dernières informations recueillies, ces régions continuent à subir la quasi-totalité des bombardements ou attaques russes. On peut par ailleurs soulever qu’aussi bien les autorités françaises, qu’allemandes, tout comme tout récemment les autorités norvégiennes sont d’avis que les régions de l’Ukraine de l’Ouest peuvent être définies comme étant sûres.

Les motifs que vous exprimez s’analysent dès lors en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée de subir des persécutions. Ces allégations ne constituent dès lors manifestement pas non plus des éléments nouveaux qui augmenteraient de manière significative la probabilité de vous faire octroyer une protection internationale, tel que prévu par la loi.

Que votre situation en Ukraine ne serait nullement si grave ou urgente au point de justifier l’octroi d’une protection internationale se trouve davantage confirmé par le constat que vous prétendez qu’un de vos enfants, voire, vos enfants, vivraient toujours en Ukraine, auprès de leurs mères, tout en ne faisant pas part d’un quelconque problème personnel ou ne serait-ce que d’un incident concret auquel ils auraient été confrontés.

Le fait que vous avez en plus jugé opportun de renoncer à deux reprises à votre première demande de protection internationale, tout en expliquant encore en janvier 2023, donc bien après le début de l’invasion russe, vouloir rentrer en Ukraine et non pas en Moldavie, prouve par ailleurs le non sérieux de vos démarches ou de votre personne et le peu d’intérêt que vous portez de manière générale à votre situation personnelle, respectivement, à votre procédure d’asile et à vos possibilités de profiter d’une protection dans un pays sûr.

6Comme vous l’avez d’ailleurs à un moment signalé à un policier, vous ne sauriez en fait même pas pourquoi vous auriez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg, tandis qu’il ressortait du début d’entretien dans le cadre de votre première demande de protection internationale que vous auriez uniquement introduit cette demande parce que votre demande de protection temporaire avait été refusée Le constat que vous n’êtes pas à risque d’être victime, en cas de retour en Ukraine, d’actes de persécution au sens des textes précités, est finalement aussi confirmé par votre comportement que vous avez décidé d’adopter au Luxembourg. En effet, alors qu’on peut attendre d’une personne persécutée ou qui craint réellement d’être persécutée et qui serait vraiment à la recherche d’une protection, qu’elle soit reconnaissante de son accueil dans un pays sûr ou qu’elle tente plutôt de s’intégrer dans la société qui lui aurait offert refuge, vous avez toutefois opté pour un comportement criminel dès votre arrivée au Luxembourg. Tel que susmentionné, il ressort en effet de maints rapports de police que vous vous êtes fait ficher au Luxembourg pour la commission d’un nombre impressionnant d’infractions et d’incidents au cours des deux seules années que vous auriez vécu dans le pays. En octobre 2024, vous avez par ailleurs intégré le Centre pénitentiaire pour une affaire de vol, après que vous aviez notamment déjà été expulsé de la Norvège pour une affaire de contrebande et de vol.

A toutes fins utiles on peut encore ajouter que si vos motifs de pure convenance personnelle notés sur votre fiche de motifs de manuscrite sont à percevoir comme des éléments nouveaux ou complémentaires par rapport aux motifs mentionnés dans le cadre de votre première demande, il s’avère toutefois que vous n’étiez évidemment pas dans l’incapacité de les mentionner au cours de cette précédente procédure. En effet, vous auriez manifestement déjà pu parler du fait que vous n’auriez plus vécu en Ukraine depuis quinze ans et que vous n’y auriez personne dans le cadre de votre première demande de protection internationale.

Ces faits ne sauraient dès lors pas être définis comme étant des éléments nouveaux tel que prévu par ledit article 28. De toute façon, des simples motifs de convenance personnelle ne sauraient pas non plus, tel que défini par cet article, augmenter de manière significative les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale ; de tels motifs ne rentrant pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. Enfin, le fait que vous prétendez en plus qu’au moins un de vos enfants vivrait toujours en Ukraine, démontre par ailleurs la fausseté de votre remarque que vous n’auriez plus personne en Ukraine, pays dans lequel vous auriez en plus encore régulièrement voyagé jusqu’en 2021, pour aller rendre visite à des amis.

Partant votre demande en obtention d’une protection internationale ultérieure est déclarée irrecevable. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 novembre 2024.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur (A) sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

7 Le tribunal est dès lors incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal.

Il est, par contre, compétent pour statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être de nationalité ukrainienne, avoir vécu depuis 1990 à …, un village dans …, et avoir quitté l’Ukraine en 2007 pour se rendre en Moldavie et plus précisément en Transnistrie. Il ajoute qu’il ne serait retourné dans son pays d’origine que deux à trois fois par an et pour la dernière fois en 2021 pour assister à un enterrement. Il continue en expliquant que dès l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il aurait, en tant qu’ukrainien, dû fuir la Transnistrie qui serait pro-russe, en précisant qu’il aurait séjourné en Arménie, en Lituanie, en Pologne, en République tchèque, en Suisse et en Italie avant de venir au Luxembourg en novembre 2022. Il aurait introduit une demande de protection internationale au Luxembourg parce qu’il craindrait de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Ukraine, alors qu’il aurait refusé d’intégrer l’armée ukrainienne et de se battre sur le front ou de participer à l’effort de guerre. Par ailleurs, sa ville d’origine dans … subirait des bombardements réguliers, le demandeur soulignant qu’il ne serait pas possible d’y vivre dans des conditions sûres et durables.

En droit, le demandeur invoque tout d’abord une violation de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015 en ce que le ministre aurait fait une mauvaise analyse de la situation en Ukraine, alors qu’il ne prendrait pas en compte qu’une partie de la population ukrainienne aurait des opinions politiques, morales et culturelles en opposition à celles du pouvoir actuellement en place. Il donne à considérer que depuis l’invasion russe le 24 février 2022, la population ukrainienne vivrait un véritable cauchemar, tant d’un point de vue humanitaire qu’en matière de droits de l’Homme, alors qu’elle subirait, d’une part, les conséquences du conflit armé et des bombardements russes et, d’autre part, une restriction de ses libertés imposée par les autorités du pays qui auraient décrété la loi martiale et la loi sur la mobilisation générale. Il reproche, dans ce contexte, au ministre de ne pas avoir procédé à l’analyse des risques qu’il encourrait en cas de retour en Ukraine en se référant à la situation prévalant actuellement dans ce pays, tout en soulignant que procéder à une telle analyse géopolitique serait une exigence de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015 sur laquelle devrait se fonder l’avis motivé du ministre.

Il fait valoir que depuis « le décret du Président de l’Ukraine du 24 février 2022 n° 64/2022 "sur l’introduction de la loi martiale en Ukraine", approuvé par la loi de l’Ukraine du 24 février 2022 n°. 2102-IX et le décret du Président de l’Ukraine du 24 février 2022 n° 65/2022 "sur la mobilisation générale", approuvé par la loi de l’Ukraine du 3 mars 2022 n° 2105-IX », tous les hommes âgés de 18 à 60 ans devraient être inscrits auprès de l’armée ukrainienne, être munis d’un document d’immatriculation militaire et auraient interdiction de franchir la frontière de l’Etat ukrainien, pour participer à l’effort de guerre, sauf à de rares exceptions. Le demandeur met, à cet égard, en avant qu’il serait parti en Transnistrie en novembre 2007, de sorte qu’il ne serait pas en mesure de fournir ni un document d’enregistrement militaire, ni de sursis de la conscription, ni d’exclusion de l’enregistrement militaire en raison de problèmes de santé, tout en précisant que pour se faire délivrer un passeport ou recevoir des services consulaires, il devrait fournir des documents d’enregistrement militaire valides aux autorités ukrainiennes. Or, au vu de la prolongation de 8ces deux décrets présidentiels le 23 juillet 2024, il se trouverait illégalement en dehors des frontières de l’Ukraine, de sorte qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants pour non-respect de la loi martiale et de la loi sur la mobilisation générale en cas de retour.

Il souligne avoir démontré que ses opinions politiques et morales lui interdiraient de faire la guerre au risque de tuer quelqu’un, tout en mettant en exergue qu’il ne se sentirait plus concerné par les difficultés de son pays d’origine qu’il aurait abandonné depuis plus de 17 années. Ses craintes seraient, dès lors, vérifiées et non pas hypothétiques au vu du conflit armé, de la prolongation de la loi martiale, de la prolongation de la loi sur la mobilisation générale, de l’abaissement de l’âge de la conscription et de l’augmentation du recrutement militaire.

Il soutient, dans ce contexte, que l’objection de conscience au service militaire serait reconnue en droit international comme étant inhérente au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ancré à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tout en se référant, à cet égard, à une déclaration du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme.

Il met en avant que dans la mesure où l’Ukraine aurait suspendu au début de la guerre le 24 février 2022 le droit à l’objection de conscience existant et que des premières condamnations auraient eu lieu avec des peines de plusieurs années de détention, il risquerait de se retrouver en prison ou d’être obligé de servir l’effort de guerre en cas de retour.

Il estime que ces faits augmenteraient de façon significative la probabilité qu’il remplisse les conditions pour se voir accorder un statut de protection internationale.

Il ajoute qu’il encourrait un risque réel et personnel de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), disposition qui, combinée à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement ou d’extradition d’une personne vers un pays où elle risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 en question.

Après avoir cité l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, il fait valoir que dans la mesure où il aurait fui son pays d’origine en 2007 en raison de traitements inhumains et dégradants envers lui, il serait évident que maintenant, alors qu’il y existerait un conflit armé et que la situation se serait encore dégradée, il craindrait de nouveau de subir des traitements dégradants et humiliants dès son retour sur le territoire ukrainien, dès lors qu’aucune protection ne pourrait lui être garantie.

Il conteste, à cet égard, que le ministre aurait procédé à une évaluation individuelle de sa demande de protection internationale en tenant compte du fait qu’il aurait déjà été persécuté ou qu’il aurait déjà subi des atteintes graves dans son pays d’origine, tel que l’exigerait l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. Le ministre ne pourrait pas non plus contester qu’il existerait de bonnes raisons de penser que ces traitements inhumains et dégradants ou ces atteintes graves pourraient se reproduire compte tenu de l’aggravation de la situation catastrophique en Ukraine et de la poursuite du conflit armé.

9Il conclut que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation en ne lui accordant pas le statut de réfugié.

Le demandeur se prévaut encore du principe d’égalité de traitement qui existerait entre les citoyens ukrainiens résidants en Ukraine le 24 février 2022 et les citoyens ukrainiens hors du pays à cette date et estime que l’article 14 de la CEDH relatif à l’interdiction de discrimination devrait s’appliquer. En subissant les conséquences dramatiques de la guerre, il aurait dès lors le droit de choisir, comme les autres citoyens de l’Ukraine, une place pour vivre dans des conditions sûres et durables.

Quant à l’octroi de la protection subsidiaire, il met en avant sa crainte de devoir retourner en Ukraine et d’y subir des traitements dégradants et humiliants compte tenu de l’autoritarisme répressif des autorités ukrainiennes qui, sous le couvert de la loi martiale, ne toléreraient aucune opposition, et des « sentiments pros pour la guerre de la population ». Il réitère sa crainte de faire l’objet d’atteintes graves et individuelles contre sa vie au vu du conflit armé dans son pays d’origine, tout en insistant sur le fait que contrairement aux affirmations du ministre, la région de … subirait aussi des bombardements quotidiens de l’armée russe.

Il estime que les conditions prévues à l’article 39, point a) seraient réunies en l’espèce en raison de la loi martiale et de l’inefficacité de l’Etat ukrainien de protéger sa population.

Il réitère qu’en application des articles 3 de la CEDH et 129 de la loi du 29 août 2008, il ne pourrait pas être refoulé dans un pays où il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH.

Au vu de ce qui précède, la décision querellée serait à annuler.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le ministre aurait omis de prendre en considération tous les faits pertinents concernant son pays d’origine et plus particulièrement la situation sécuritaire qui y règne actuellement, ledit article prévoit ce qui suit : « Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ; […] ».

Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, le ministre a pris position de façon détaillée quant aux motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale en analysant si les éléments soumis à la base de celle-ci sont à qualifier de faits ou éléments nouveaux au sens de l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015 de nature 10à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Par ailleurs, il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait pas procédé à un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles il s’est fondé pour prendre la décision litigieuse. Au contraire, il se dégage de la décision querellée que le ministre a analysé l’état de guerre en Ukraine et plus particulièrement dans la région de …, région originaire du demandeur, et de … de … où il aurait vécu depuis 2007, ainsi que les risques que le demandeur y encourrait en cas de retour.

A cet égard, si le demandeur critique plus particulièrement le ministre en ce qu’il n’aurait pas suffisamment pris en considération la situation politique et sécuritaire en Ukraine, ainsi que le risque encouru dans son chef en cas de retour dans son pays d’origine pour vérifier s’il remplit les conditions d’octroi d’une protection internationale, le tribunal relève que le ministre a déclaré irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur (A) sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, qui énumère les hypothèses dans lesquelles « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies […] ».

Il s’ensuit qu’à supposer justifié le recours à cette dernière disposition légale - question relevant de l’appréciation du bien-fondé de la décision querellée - le ministre n’était précisément pas tenu de vérifier si le demandeur remplit ou non les conditions d’octroi d’une protection internationale.

Dans ces circonstances, le moyen tiré d’une violation de l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015 encourt le rejet.

Ensuite, quant au bien-fondé de la décision déférée, il y a d’abord lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants : […] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à 11l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris, notamment, le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande -, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il appartient dès lors au tribunal d’analyser les motifs soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments, ainsi que, le cas échéant, leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplit les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure.

Il est constant en cause que la demande de protection internationale de Monsieur (A) faisant l’objet de la décision actuellement déférée a été introduite le 2 mai 2023, soit après la renonciation expresse par le demandeur à sa première demande de protection internationale le 14 avril 2023, de sorte que la demande actuellement litigieuse doit être qualifiée de demande ultérieure au sens de l’article 32, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant ensuite de la question de savoir si les éléments soumis par Monsieur (A) dans le cadre de sa nouvelle demande peuvent être qualifiés de nouveaux au sens des articles 28 et 32, précités, de la loi du 18 décembre 2015, il échet d’abord de souligner que sont à considérer comme nouveaux, au sens de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015, des 12éléments qui sont postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et à la procédure contentieuse afférente1, respectivement à la renonciation expresse du demandeur à sa demande de protection internationale.

A cet égard, il apparaît à la lecture des rapports des auditions effectuées dans le cadre des première et deuxième demandes de protection internationale que le demandeur a présenté exactement les mêmes motifs.

En effet, force est de constater qu’à l’appui de sa première demande de protection internationale introduite auprès du ministère le 14 décembre 2022, le demandeur a invoqué (i) l’état de guerre en Ukraine (« In die Ukraine kann ich wegen des Krieges nicht, es ist zu unruhig dort »2) en donnant à considérer le fait que sa demande de protection temporaire avait été refusée et (ii) le fait qu’il aurait été obligé de quitter la Moldavie, respectivement la Transnistrie, alors qu’il y risquerait d’être emprisonné à cause de ses convictions politiques3.

Dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, Monsieur (A) a indiqué sur la fiche manuscrite des motifs remise lors de l’introduction de sa demande qu’il demanderait une protection internationale « à cause de la guerre. Je n’ai pas vécu en Ukraine depuis plus de 15 ans et je n’ai personne là-bas ». Dans le cadre de son entretien ministériel du 4 mai 2023, le demandeur a en substance réitéré ses problèmes qu’il aurait eus en Moldavie à cause de ses convictions politiques en expliquant qu’il ne pourrait pas retourner vivre dans ce pays au motif qu’il y serait arrêté par les autorités locales puisqu’il n’aurait pas eu le droit de quitter ledit pays alors qu’il aurait dû se présenter régulièrement auprès de la police4. Le demandeur a, par ailleurs, confirmé qu’il n’existerait pas d’éléments nouveaux à la base de sa nouvelle demande de protection internationale et que rien n’aurait changé par rapport à sa première demande5.

Le tribunal constate ensuite, à la lecture de la requête introductive d’instance, telle que résumée ci-avant, que le demandeur met en cause les conclusions de la décision ministérielle déférée en ce qu’elle n’aurait pas valablement pris en compte ni la situation sécuritaire actuelle en Ukraine, ni sa qualité d’objecteur de conscience au service militaire, le demandeur mettant, en effet, plus particulièrement en avant qu’en cas de retour en Ukraine, il risquerait d’y faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH en raison de l’application de la loi martiale et de la loi sur la mobilisation générale par les autorités au pouvoir.

A cet égard, le tribunal constate, à titre liminaire, que Monsieur (A) invoque des craintes de persécutions et d’atteintes graves tant par rapport à son pays d’origine, l’Ukraine, que par rapport à son dernier pays de résidence, la Moldavie. Dans la mesure où la question de savoir si un étranger craint avec raison d’être persécuté ou de subir des atteintes graves doit être examinée par rapport au seul pays dont celui-ci a la nationalité6 et que Monsieur (A) a exclusivement la nationalité ukrainienne, l’analyse de la recevabilité de sa demande de protection internationale se limite à sa situation en cas de retour dans son pays d’origine, en l’occurrence l’Ukraine, ledit « pays d’origine » étant défini à l’article 2, point p) de la loi du 1 Voir en ce sens trib., adm. 6 décembre 2006, n° 22137 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 91.

2 Page 6/9 du rapport d’entretien du 10 mars 2023.

3 Idem.

4 Page 3/6 du rapport d’entretien du 4 mai 2023.

5 Idem.

6 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 18573 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 127 et les autres références y citées.

1318 décembre 2015 comme étant « le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ». C’est, dès lors, à bon droit que le ministre a considéré que les motifs de fuite du demandeur en lien avec la Moldavie, à savoir ses prétendus problèmes avec les autorités moldaves en raison de ses convictions politiques, qui constituent, par ailleurs, la base essentielle de ses demandes de protection internationale introduites au Luxembourg, ne sauraient pas être pris en compte ou analysés dans le cadre de la présente procédure.

En ce qui concerne ensuite les motifs de fuite invoqués par rapport à son pays d’origine, l’Ukraine, force est de constater que le demandeur se réfère, comme dans le cadre de sa première demande de protection internationale, à l’état de guerre qui y règne, celui-ci ayant, en effet, mentionné sur la fiche manuscrite des motifs remise lors de l’introduction de sa demande de protection internationale qu’il ne pourrait toujours pas retourner en Ukraine « à cause de la guerre. Je n’ai plus vécu en Ukraine depuis plus de 15 ans et je n’ai personne là-bas ».

L’état de guerre en Ukraine ayant nécessairement un caractère évolutif, il appartenait au ministre d’analyser si les éléments invoqués par le demandeur en relation avec la situation sécuritaire actuelle dans ce pays augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

A cet égard, il y a tout d’abord lieu de relever que le demandeur n’a pas fait état d’une crainte directe et personnelle liée à la guerre, aux bombardements ou à des destructions éventuelles en Ukraine, mais il s’est contenté de mentionner de manière vague et générale que la situation y serait instable.

Concernant le reproche selon lequel le ministre n’aurait pas pris en considération la situation sécuritaire actuelle en Ukraine, le tribunal renvoie aux informations circonstanciées, appuyées par des sources internationales, contenues dans la décision ministérielle querellée desquelles il se dégage que si la situation en Ukraine se caractérise certes par un niveau significatif de violence, elle est toutefois marquée par des disparités régionales en termes d’étendue, respectivement de niveau de violence ainsi que d’impact sur les populations civiles. Il se dégage encore de la décision querellée que la situation sur l’ensemble du territoire ukrainien n’est actuellement pas d’une telle gravité que chaque civil y risquerait de subir une atteinte grave par sa seule présence sur le territoire ukrainien, de sorte que le seul fait d’être ressortissant ukrainien ne saurait suffire pour se voir octroyer automatiquement le statut conféré par la protection subsidiaire.

Concernant la situation sécuritaire qui prévaut dans la région d’origine du demandeur, à savoir …, région dans laquelle il aurait vocation à se réinstaller en cas de retour dans son pays d’origine, il se dégage des informations étayées du ministre « qu’en novembre 2024, les régions de l’Ukraine de l’Ouest ou de l’Ukraine centrale doivent toujours être définies comme étant beaucoup plus sûres et clairement moins touchées par les destructions liées aux attaques russes que les régions du sud ou de l’est de l’Ukraine. Force est en effet de constater qu’au vu de leur proximité avec les fronts de la guerre, ces régions connaissent un niveau de violence beaucoup plus élevé et pareillement un risque pour la population civile d’être exposée à des atteintes graves plus élevé. Au vu des dernières informations dont dispose la partie étatique, ces régions continuent à subir la quasi-totalité des bombardements ou attaques russes. Il peut par ailleurs être soulevé qu’aussi bien les autorités françaises qu’allemandes, tout comme tout récemment les autorités norvégiennes, sont d’avis que les régions de l’Ukraine de l’Ouest peuvent être définies comme étant sûres. ».

14Au vu des informations circonstanciées dans la décision ministérielle par rapport à la situation sécuritaire générale en Ukraine et plus particulièrement dans la région d’origine du demandeur et à défaut d’éléments probants contraires de la part du demandeur permettant de retenir que la situation sécuritaire actuelle sur l’ensemble du territoire ukrainien et surtout dans sa région d’origine serait telle que chaque civil y risquerait de subir une atteinte grave de par sa seule présence sur ledit territoire, c’est à bon droit que le ministre a considéré que le motif de fuite ainsi invoqué n’augmente pas de manière significative la probabilité que le demandeur puisse se faire octroyer une protection internationale, le tribunal rejoignant, au contraire, les conclusions du ministre selon lesquelles les craintes que Monsieur (A) exprime par rapport à l’état de guerre en Ukraine s’analysent en un simple sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015. Dans ce contexte, il y a encore lieu de rejeter le moyen fondé sur une prétendue inégalité de traitement au sens de l’article 14 de la CEDH entre les citoyens ukrainiens résidants en Ukraine le 24 février 2022 et les citoyens ukrainiens hors du pays à cette date, alors qu’indépendamment de la pertinence à faire valoir un tel moyen dans le cadre d’une demande de protection internationale, celui-ci n’est pas fondé au vu de la situation sécuritaire en Ukraine telle qu’analysée ci-dessus et de la possibilité pour Monsieur (A) de s’installer, comme d’autres Ukrainiens, dans certaines régions de l’Ukraine qui peuvent être définies comme étant sûres.

Encore que le demandeur a confirmé lors de son entretien ministériel que rien n’aurait changé par rapport aux motifs de fuite l’ayant poussé une première fois à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, force est de constater que celui-ci a fait état, dans la requête introductive d’instance, de sa prétendue qualité d’objecteur de conscience au service militaire et de ses craintes, dans ce contexte, de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine pour non-respect de la loi martiale et de la loi sur la mobilisation générale, lois qui auraient été approuvées en Ukraine en février, respectivement en mars 2022 et prolongées à plusieurs reprises et notamment par deux décrets présidentiels du 23 juillet 2024. Or, si certes le demandeur invoque ces éléments pour la première fois dans le cadre de la présente procédure contentieuse, de sorte qu’ils constituent a priori des éléments nouveaux au sens des articles 28 et 32 de la loi du 18 décembre 2015, force est néanmoins de constater que ceux-ci ne sauraient justifier une poursuite de l’examen de sa deuxième demande de protection internationale dans la mesure où la prétendue qualité d’objecteur de conscience au service militaire invoquée par Monsieur (A), laquelle est d’ailleurs contestée par la partie étatique, de même que ses craintes afférentes de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine pour avoir refusé d’intégrer l’armée ukrainienne et de se battre sur le front ou de participer à l’effort de guerre, trouvent toutes leur origine dans la loi martiale et la loi sur la mobilisation générale approuvées en droit ukrainien les 24 février et 3 mars 2022 et ont dès lors nécessairement déjà existé lors de l’introduction de sa première demande de protection internationale en décembre 2022, de sorte que le demandeur aurait déjà pu les invoquer à cette occasion. Dans la mesure toutefois où le demandeur est resté en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles, sans faute de sa part, il aurait été dans l’incapacité de faire valoir ces éléments au cours de la précédente procédure, les conditions prévues à l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015 ne sont pas remplies en l’espèce.

Il s’ensuit que c’est également à bon droit que le ministre n’a pas continué l’examen de la deuxième demande de protection internationale de Monsieur (A) par rapport à ces faits.

Par conséquent, l’ensemble des moyens invoqués à cet égard, fondés sur une prétendue violation des articles 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, 3 de la CEDH et 129 de la loi du 29 août 2008 encourent également le rejet pour ne pas être fondés.

15Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision du ministre de déclarer la deuxième demande de protection internationale introduite par Monsieur (A) irrecevable, en application de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, n’est pas sujette à critique.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée, de sorte que le recours y relatif encourt le rejet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre des Affaires intérieures du 28 novembre 2024 déclarant irrecevable la demande de protection internationale ultérieure de Monsieur (A) ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 6 février 2025 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52092
Date de la décision : 06/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-06;52092 ?

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