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10/02/2025 | LUXEMBOURG | N°52324

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 février 2025, 52324


Tribunal administratif N° 52324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52324 2e chambre Inscrit le 3 février 2025 Audience publique du 10 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52324 du rôle et déposée le 3 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avo

cat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon...

Tribunal administratif N° 52324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52324 2e chambre Inscrit le 3 février 2025 Audience publique du 10 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52324 du rôle et déposée le 3 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 23 janvier 2025 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 26 janvier 2025 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marina LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », de la police grand-ducale du 26 novembre 2024 que Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre sans être en mesure de présenter des documents d’identité valables.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans à son égard à partir de la sortie de l’Espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 26 novembre 2024, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, laquelle fut basée sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 1sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 26 novembre 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 23 décembre 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois avec effet au 26 décembre 2024, dans la mesure où les motifs de la mesure de placement du 26 novembre subsistaient et où Monsieur (A) avait refusé de se soumettre au relevé de ses empreintes digitales.

Suivant jugement du tribunal administratif du 8 janvier 2025, inscrit sous le numéro 52182 du rôle, Monsieur (A) fut débouté de son recours contentieux introduit le 2 janvier 2025 à l’encontre de l’arrêté ministériel du 23 décembre 2024, précité.

Par arrêté du 23 janvier 2025, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 26 janvier 2025.

Ledit arrêté est fondé sur la motivation suivante :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés du 26 novembre et 23 décembre 2024, notifiés le 26 novembre respectivement le 24 décembre avec effet au 26 décembre 2024, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 26 novembre 2024 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé continue à refuser la prise d’empreintes digitales ;

Considérant qu’en raison du manque de coopération de l’intéressé en vue de son identification il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 23 janvier 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 26 janvier 2025.

2Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, avant de rappeler les faits et rétroactes de l’affaire tel qu’ils ont été relevés ci-avant et de souligner que la décision querellée lui causerait torts et griefs et ne répondrait pas aux conditions requises par la loi, respectivement par les dispositions européennes, en particulier les articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », le demandeur explique être un ressortissant marocain et être entré en Europe afin d’y introduire une demande de protection internationale et d’y travailler.

Il expose encore avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité sur le territoire luxembourgeois, conformément aux dispositions de l’article 136 de la loi du 29 août 2008 En droit, le demandeur fait plaider que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l’étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumise à l’appréciation souveraine du juge.

Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5 de la CEDH. A cet égard, il se réfère à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie, et précise qu’un placement en rétention devrait rester une ultima ratio.

A cet égard, le demandeur fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté », et sollicite son placement au sein de la maison retour, anciennement dénommée structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg « SHUK », en renvoyant à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 6 mai 2024, inscrit sous le numéro 50351 du rôle.

Après avoir cité l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, il donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux 3normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.

Le demandeur souligne qu’il aurait démontré sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises et qu’il aurait indiqué auprès de la police qu’il serait prêt à quitter volontairement le Luxembourg, avant d’insister sur le fait qu’il afficherait un comportement irréprochable au Centre de rétention et serait une personne « responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse », de sorte qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

A cet égard, le demandeur fait valoir que son placement à la maison retour serait plus adapté à sa situation personnelle.

Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à la maison retour constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Sur le fondement de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur affirme ensuite que le juge administratif devrait vérifier, d’une part, l’existence d’une possibilité d’éloignement et, d’autre part, la diligence avec laquelle l’éloignement est poursuivi aux fins d’écourter au maximum le placement en rétention, Or, en l’espèce, les perspectives de procéder à son éloignement seraient vouées à l’échec puisque le Consulat général du Royaume du Maroc n’aurait pas procédé à son identification officielle et que depuis le 26 novembre 2024, le ministre serait resté en défaut de s’enquérir auprès des autorités marocaines sur les modalités d’un éloignement dans son chef, le demandeur relevant que jusqu’à présent aucun laissez-passer n’aurait été délivré en vue de son rapatriement. Il devrait dès lors être admis que son éloignement ne serait, à l’heure actuelle, pas organisé avec la diligence nécessaire.

Pour étayer cet argumentaire, le demandeur cite des extraits d’un jugement rendu par le président du tribunal administratif en date du 21 novembre 2024, inscrit sous le numéro 51824 du rôle, et reproche, en substance, aux autorités luxembourgeoises de ne pas poursuivre activement, de manière continue et non-interrompue les démarches nécessaires en vue de l’éloigner vers son pays d’origine, ce qui enfreindrait ses droits fondamentaux et constituerait une ingérence à son droit à la liberté.

Le demandeur en conclut qu’il ne serait pas établi que son éloignement vers son pays 4d’origine pourrait être mené à bien, de sorte que sa libération immédiate du Centre de rétention devrait être ordonnée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « [a]fin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée.

C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les 5meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien, voire à cinq reprises au cas où l’une des conditions de l’alinéa 2 de l’article 120, paragraphe (3) se trouve remplie.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ». Afin de pouvoir prolonger le placement au-delà de trois reprises, il faut, en sus des conditions ci-avant énoncées, que le retard dans l’opération d’éloignement soit dû à un manque de coopération de la personne concernée, ou bien aux retards dans l’obtention de pays tiers des documents nécessaires.

S’agissant, tout d’abord, des contestations de Monsieur (A) quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 26 novembre 2024, ainsi que d’une décision du même jour valant interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et ne disposant pas de documents de voyage valables, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), lettre c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « [l]e risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Sur base de ces considérations, il échet de retenir que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant au reproche du demandeur suivant lequel une mesure d’assignation à résidence, plus particulièrement à la maison retour, aurait dû être appliquée en l’espèce, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

6 a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

7a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque attache particulière, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à la maison retour, alors qu’une telle structure d’hébergement ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas concevable.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait prêt à coopérer avec les autorités luxembourgeoises et selon laquelle son comportement au Centre de rétention serait irréprochable, respectivement qu’il se considérerait comme une personne responsable, respectueuse et bien intégrée, un tel comportement n’étant pas per se de nature à laisser conclure à une garantie de représentation suffisante et à renverser la présomption de risque de fuite dans le chef du demandeur.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite des contestations des demandeurs quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate qu’il se dégage d’une note au dossier datée au 28 novembre 2024, respectivement d’un échange de courriers électroniques entre un agent du ministère des Affaires intérieures et un agent de police du 10 décembre 2024, que les empreintes digitales du demandeur, qui n’ont pu être relevées au cours de la semaine du 28 novembre 2024 en raison d’un problème technique, n’ont pas non plus pu être prises en date du 10 décembre 2024 en raison du refus du demandeur. Il ressort encore d’un courrier électronique adressé par un agent du Centre de rétention à un agent du ministère des Affaires intérieures en date du 24 décembre 2024 que contrairement à ce qu’il avait affirmé antérieurement, le demandeur ne voudrait plus rentrer volontairement dans son pays d’origine et qu’il continuerait à refuser de donner ses empreintes digitales. Il ressort ensuite d’un courrier électronique du 6 janvier 2025 qu’un agent du ministère des Affaires intérieures avait de nouveau abordé en vain le demandeur au sujet du relevé de ses empreintes digitales. Il se dégage enfin du dossier administratif et plus particulièrement de deux notes au dossier des 23 janvier et 7 février 2025 qu’à ces dates le demandeur a « continu[é] à refuser la prise d’empreintes digitales ».

Compte tenu de ce qui précède, l’affirmation du demandeur suivant laquelle il aurait « démontré sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises » se trouve en contradiction flagrante avec son refus persistant de se soumettre à une mesure nécessaire à son identification et ainsi au traitement de son dossier et, plus particulièrement, à l’obtention d’un laissez-passer des autorités étrangères.

Il s’ensuit qu’en tenant ainsi inutilement en échec la procédure d’éloignement laquelle stagne à ce stade uniquement du fait de son manque de coopération, le demandeur ne saurait, en application de l’adage Nemo auditur propriam turpitudinem allegans, imputer une 8quelconque faute au ministre qui est précisément tributaire de la collaboration du demandeur et qui a, en l’occurrence, dans les circonstances données et dans le cadre des possibilités légales lui conférées, fait preuve de suffisamment de diligence pour tenter d’organiser l’éloignement du demandeur, étant d’ailleurs encore précisé à cet égard que le législateur a fait du manque de coopération de l’intéressé une cause pouvant justifier la prorogation de la mesure de placement au-delà de trois reprises, faculté ancrée à l’alinéa 2 de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

Au vu des considérations qui précèdent, il échet de conclure que le dispositif d’éloignement est actuellement toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise. Les contestations afférentes sont dès lors à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acception la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Dans un arrêt du 15 décembre 2016, la CourEDH a encore retenu que « [l]’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.

Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] » 3.

En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans en date du 26 novembre 2024, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, et d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement dont il fait l’objet en exécution de ladite décision de retour est menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la mesure de prorogation du placement en rétention actuellement litigieuse est légale – le tribunal ayant, plus particulièrement, retenu qu’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention n’est pas envisageable, que le demandeur n’a pas renversé la présomption d’un risque 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, premier point, et les autres références y citées.

3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

9de fuite dans son chef et que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise et, d’autre part, que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il n’existerait en l’espèce pas de perspective raisonnable d’éloignement. Dans ces circonstances, une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115 ne se conçoit en tout état de cause pas, indépendamment de la question de l’effet direct de ces derniers.

Enfin, en ce qui concerne le moyen simplement effleuré par le demandeur suivant lequel la décision litigieuse contreviendrait à l’article 3 de la CEDH, il convient de rappeler que les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, sauf à constituer des moyens que le tribunal aurait pu invoquer d’office, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant encore relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens de droit.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, 10et lu à l’audience publique du 10 février 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52324
Date de la décision : 10/02/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-02-10;52324 ?

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