Tribunal administratif N° 47719 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47719 4e chambre Inscrit le 21 juillet 2022 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), … (F) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’appel en garantie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47719 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2022 par Monsieur (A), demeurant actuellement à F-…, introduisant un recours dirigé contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 mai 2022 portant rejet de sa réclamation introduite en date du 27 septembre 2021 à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie émis à son encontre en date du 1er juillet 2021 par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er décembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Monsieur (A), préqualifié, en date du 29 décembre 2022 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 janvier 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 novembre 2024.
En date du 1er juillet 2021, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l'encontre de Monsieur (A), en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, dénommée ci-après la « Société », déclarée en état de faillite en date du 29 octobre 2021, ledit bulletin déclarant Monsieur (A) codébiteur solidaire d’un montant de … euros, en principal et intérêts, au titre de la retenue d’impôt sur les traitement et les salaires du personnel pour les années d’imposition 2020 et 2021. Ce bulletin est rédigé comme suit :
« (…) Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société (AA) S.à r.l.
ayant son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Luxembourg Business Registers sous le numéro … à titre de l'impôt sur les traitements et salaires :
Année Principal Intérêts Total 2020 … € … € … € 2021 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Luxembourg Business Register sous la référence …. du ….06.2019 que vous avez été nommé gérant unique de la société (AA) S.à r.l..
En cette qualité vous avez eu le pouvoir d'engager la société sous votre seule signature du 13.05.2019 au 16.03.2021 (date de votre démission).
En votre qualité de gérant unique vous étiez en charge de la gestion de la société (AA) S.à r.l..
Par conséquent et conformément aux termes des § 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (AA) S.à r.l., dont notamment le paiement des impôts dus par la société (AA) S.à r.l. à l'aide des fonds administrés.
En vertu de l'article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu de retenir l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, l'employeur est tenu à déclarer et à verser l'impôt retenu à l'Administration des contributions directes.
En vertu de l'article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d'impôt sur les salaires et les pensions, l'employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.
Dans le cas d'une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers.
En votre qualité de représentant de la société (AA) S. à r.l., il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d'impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.
Or pour les années 2020 à 2021 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.
L'omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d'impôt est à qualifier d'inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société (AA) S.à r.l..
L'omission de payer sur les fonds disponibles de la société (AA) S.à r.l., les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d'inexécution de vos obligations.
Suite à l'inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l'Administration des contributions directes n'a pas perçu les retenues d'impôt d'un montant de … €.
Ce montant de … C se compose comme suit :
Année Principal Intérêts Total 2020 … € … € … € 2021 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 120 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l'extinction de votre pouvoir de représentation.
Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société (AA) S.à r.l..
Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.
Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d'impôt sur les traitements et salaires d'un montant de … €.
Considérant que dans la mesure où, par l'inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l'impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.
Considérant que le § 118 AO m'autorise à engager votre responsabilité.
Considérant le fait qu'en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société (AA) S.à r.l. j'engage votre responsabilité, l’appel en garantie s'élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.
Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de …€, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l'Administration des contributions directes à Luxembourg (…) ».
Par courrier du 27 septembre 2021, parvenu à l’administration des Contributions directes en date du 4 octobre 2021, Monsieur (A) introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », à l’encontre du prédit bulletin d’appel en garantie du 1er juillet 2021.
Par décision du 20 mai 2022, portant le numéro C …, le directeur déclara non fondée la réclamation introduite par Monsieur (A) dans les termes suivants :
« (…) Vu la requête introduite le 1er octobre 2021 par le sieur (A), demeurant à F-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS Luxembourg 1 en date du 1er juillet 2021 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable ;
Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l'impôt sur les traitements et salaires des années 2020 et 2021, y compris les intérêts accumulés depuis lors, au motif qu'il aurait en sa qualité de représentant légal de la société à responsabilité limitée (AA), en faillite depuis le … octobre 2021, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d'impôt sur les salaires, et dont la société était (et est toujours) redevable ;
Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d'une personne morale est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;
Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ; que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;
Considérant qu'il s'avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu'en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre un autre, quod non en l'espèce, étant donné qu'un autre bulletin d'appel en garantie a été émis à l'encontre du sieur … ;
Considérant, matériellement, qu'en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.) l'employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l'impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d'une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l'administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu'il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;
Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3) ; que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;
Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;
Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu'il n'accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d'avant son entrée en fonction, à l'aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l'emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu'elle s'est présentée durant les années antérieures ;
Considérant dans ce contexte, et notamment d'après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'Administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;
Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l'inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :
1) « Dans la mesure où il n'est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n'ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n'ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d'imposition à procéder par la voie de la taxation d'office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d'avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d'imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l'appelant, étant donné qu'en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu'il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d'impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.
(…) Or, le fait pour l'appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l'administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l'égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause.
Cette conclusion ne saurait être invalidée par l'argumentation de l'appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu'il est resté trop longtemps inactif et qu'il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu'il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (Cour administrative du 23 août 2016, n° 38378C du rôle), et que :
2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d'une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l'obligation des représentants d'une société de veiller au paiement des impôts dus (…).
La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.
En premier lieu, il est erroné de limiter l'analyse sur l'obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d'avoir égard à l'ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l'impôt dû.
(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d'imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.
(…) (…), il se dégage de l'ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (Cour administrative du 31 janvier 2017, n° 38343C du rôle) ;
Considérant qu'il ressort du Registre de commerce et des sociétés (RCS) que le réclamant, fondateur de la société à responsabilité limitée (AA), était gérant unique de ladite société du 13 mai 2019, date de la constitution, au 16 mars 2021, date de la publication de sa radiation au RCS, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté ; qu'il était, dès lors, habilité à engager la société vis-à -vis de tiers avec sa signature individuelle ;
Considérant que le réclamant présume que les sommes réclamées correspondraient à des « sommes d'impôts non retenus (sic) pour la société » et argue dès lors que « pendant toute la durée pendant laquelle [il était] gérant de la société (AA) Sarl (sic), tous les impôts [auraient] été réglés à l'euro près » et qu'il ne pourrait « être considéré comme personnellement responsable » « si le cabinet comptable n'a pas fait certaines parties de son travail » ;
Considérant, de prime abord, qu'à l'égard de tiers, dont notamment l'Administration des contributions directes, le réclamant était un représentant de la société pour la période en cause et personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société ; qu'il était ainsi, entre autres, dans l'obligation de retenir, de déclarer et de payer les impôts sur traitements et salaires à l'Administration des contributions directes ;
Considérant que le représentant qui, tel que le réclamant, a accepté sa fonction ne peut, en matière d'appel en garantie, se contenter de contester son pouvoir ; qu'en n'exécutant pas les obligations légales de la société ou en ne veillant pas à leur accomplissement, le représentant manque à son premier devoir, celui d'administrer (Tribunal administratif du 19 mars 2014, n° 32140 du rôle) ;
Considérant que le réclamant n'échappe pas à ses responsabilités parce qu'il délègue en tout ou partie celles-ci à d'autres ; qu'il doit, au contraire, assumer une surveillance constante de ceux à qui il donne pareille délégation ; que la faute n'implique pas seulement de la part du représentant un agissement actif, mais qu'il peut engager sa responsabilité par son attitude passive, sa négligence ou son incurie, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant considéré en soi comme une faute de gestion (cf. Cour administrative du 23 mai 2017, n° 39050C du rôle) ;
Considérant ensuite qu'il ressort du dossier fiscal de la société que les arriérés d'impôt des années 2020 et 2021 correspondent aux retenues d'impôt sur traitements et salaires déclarées par la société pour les mois de septembre 2020 (… (déclaré) — … (payé) = … euros), octobre 2020 (… euros), novembre 2020 (… euros), décembre 2020 (… euros) et janvier 2021 (… euros), mais non payées ; que le dernier paiement pour compte de la société au titre des retenues d'impôt sur traitements et salaires est intervenu en date du 9 octobre 2020, soit cinq mois avant la radiation du réclamant de son poste de gérant unique suivi de la cession de ses parts sociales au nouveau gérant unique (9 juin 2021) ;
Considérant qu'il découle de tout ce qui précède que c'est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée ; que la mise à charge des arriérés de la société à responsabilité limitée (AA), en faillite, au titre de la retenue d'impôt sur les traitements et salaires des années 2020 et 2021, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juillet 2022, Monsieur (A) a introduit un recours portant « réclamation » contre la décision directoriale précitée du 20 mai 2022.
En présence d’un contribuable exerçant, sans l’assistance d’un professionnel de la postulation, les voies de recours lui ouvertes contre une décision directoriale, la désignation impropre, dans la requête introductive, de la voie de recours par lui exercée n’est pas de nature à affecter la recevabilité de son recours du moment qu’il se dégage par ailleurs du contenu de la requête introductive qu’il a entendu exercer contre cette décision la voie de recours lui ouverte par la loi.1 En l’espèce, il ressort du libellé de la requête introductive d’instance que Monsieur (A) entend demander un réexamen de son dossier en contestant le bien-fondé de la décision directoriale, ce qui peut s’analyser en une demande en réformation de la décision déférée.
Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Or, conformément aux dispositions de l’article 8, paragraphe (3), point 1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin d’impôt.
Il y a partant lieu de retenir que Monsieur (A) a entendu introduire un recours au fond à l’encontre de la décision déférée, de sorte que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision directoriale du 20 mai 2022 précitée ayant statué sur les mérites de sa réclamation introduite contre le bulletin d’appel en garantie dont il a fait l’objet et ayant trait au paiement des types d’impôts relevés ci-avant.
Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur souligne que pendant toute la période au cours de laquelle il aurait été gérant de la Société, tous les impôts auraient été réglés à l'euro près et ce, par le biais d’un cabinet comptable chargé expressément d’assurer toutes les obligations comptables et fiscales, à savoir également le calcul et paiement mensuel des retenues sur les salaires.
Il explique ensuite que lors des « régularisations de Février », quelques feuilles d'impôts de certains salariés pour l'année 2020 auraient manqué, de sorte qu’il aurait personnellement envoyé l'ensemble des fiches de retenue d'impôts pour tous les salariés au cabinet comptable, afin que tout soit à jour.
Tout en renvoyant audit courrier, adressé au cabinet comptable avec l'ensemble des feuilles de retenue impôts y annexées, ainsi qu’à la lettre de mission de ce dernier, le demandeur estime avoir fait toutes les déclarations en temps et en heure, de sorte qu’il ne pourrait pas être tenu responsable pour l’exécution partielle ou incomplète des tâches incombant au cabinet comptable.
1 Trib. adm., 10 septembre 2008, n° 23434 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1225 et les autres références y citées.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste encore tant le principe que le montant des impôts actuellement réclamés, alors que ces montants seraient calculés de manière arbitraire sur base d’un taux d’imposition de 33% pour chaque salarié n'ayant pas enregistré sa feuille d'impôts.
Or, aucune retenue n’aurait dû être faite, car l'ensemble des feuilles d'impôts auraient été régularisées en janvier 2022, de manière à ce qu’il serait clair que lesdits salariés n'auraient finalement pas d'impôt à payer.
En effet, les salariés auraient tous été rémunérés par le salaire minimum garanti, de sorte à ne pas avoir d'impôt à payer, mais bien au contraire à bénéficier d’un crédit d'impôt.
Etant donné qu’aucune retenue n’aurait dû être faite, il ne saurait être question d’une faute de sa part.
Le demandeur renvoie à nouveau à ses démarches faites à la fin de l'année 2020 pour mettre à jour toutes les fiches de retenue d'impôt, ainsi qu’à la réponse afférente du bureau d'imposition.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en se référant en substance aux développements de la décision directoriale déférée, tout en insistant sur le constat qu’il serait de jurisprudence constante que le fait, pour un représentant légal d’une entreprise, de ne pas verser les retenues sur salaire légalement dues constituerait un comportement fautif per se dans le chef dudit représentant, sans qu'il ne soit nécessaire de rapporter d'autre preuves à ce titre et sans possibilité pour ce dernier de se décharger de sa responsabilité en affirmant que la charge de la gestion journalière aurait appartenu à autrui, alors qu’en cas de délégation, il appartiendrait audit représentant d’assumer une surveillance constante de ses délégués.
Quant à l’affirmation du demandeur selon laquelle tout serait réglé, le délégué du gouvernement souligne qu’en vertu de l'article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », il incomberait à ce dernier de prouver que les arriérés réclamés auraient bien été payés, ce qu'il resterait pourtant en défaut de faire.
Même s'il avait appartenu au bureau comptable de s'occuper de la confection des fiches de salaire et des déclarations RTS, ce ne serait certainement pas à ce dernier de payer les salaires et retenues y afférentes.
Le délégué du gouvernement fait encore dupliquer que contrairement à ce qui serait affirmé par le demandeur, dans son mémoire en réplique, la dette fiscale ne trouverait pas son origine dans une imposition forfaitaire au taux maximum de 33 % suivant l'article 143 LIR du fait de l'absence des fiches d'impôt, mais résulterait du non-paiement des retenues sur traitements et salaires déclarées par le demandeur lui-même, tel que cela ressortirait des déclarations RTS versées à l'appui du mémoire en duplique.
Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.
Force est d’abord au tribunal de rappeler qu’en vertu des dispositions de l’article 136 alinéa (4) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, dénommée ci-après « LIR », l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».
Il s’ensuit que les gérants d’une société à responsabilité limitée sont tenus de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment celle de payer, sur les fonds qu’ils gèrent, les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour compte d’autrui.
En l’espèce, il est constant en cause, pour ne pas avoir été contesté, que le demandeur avait été nommé gérant unique de la Société depuis le 13 mai 2019 jusqu’à sa démission du 16 mars 2021, de sorte que le demandeur, en tant que représentant de la Société, est, de jure, considéré responsable de l’administration cette dernière pendant toute la période litigieuse.
Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle des représentants du fait du non-paiement des impôts dont est redevable une personne morale, le paragraphe 109 AO dispose dans son alinéa 1er : « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind. ». Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société.
Il se dégage encore de ces dispositions, que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.
Par ailleurs, le paragraphe 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », dispose que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu 2 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.
einem Teil fordern ». Dès lors, en cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG en vertu duquel ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d'imposition n'est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d'entre eux.
En toute hypothèse, il appartient cependant au bureau d'imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix. Le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève en effet pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce, à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce. Il appartient dès lors à l’administration de justifier la décision à ce double égard.
Quant à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation par l’administration, le paragraphe 2 StAnpG dispose dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht.
(2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.
En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur selon lequel il n’y aurait pas de retenues d’impôts non réglées, alors que les salariés de la Société auraient été payés au salaire minimum ne donnant pas lieu à des retenues, force est de relever, tel que souligné par le délégué du gouvernement qu’en vertu de l'article 59 de la loi du 21 juin 1999, il incombe au contribuable de rapporter « la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt (…) ».
Dans ce contexte, il échet de relever qu’il ressort des déclarations de la retenue d’impôt sur les rémunérations opérées par le cabinet comptable au nom de la Société pour les mois de septembre 2020 à janvier 2021, telles que figurant au dossier fiscal, que les sommes réclamées ce titre, s’élèvent actuellement à la somme totale déclarée de … euros, moins les sommes d’ores et déjà continuées à l’AED, à savoir … euros, soit en principal au montant de … euros, tel que ce décompte figure également dans la décision directoriale précitée ci-avant in extenso.
Si le demandeur invoque actuellement plusieurs échanges entre lui-même et l’administration des Contributions directes ainsi que son cabinet comptable, selon lesquels, en novembre 2020, les fiches de retenue d’impôt pour l’année 2020 avaient dû être rectifiées concernant 18 salariés de la Société, il ressort cependant expressément du courrier électronique du 18 novembre 2020, envoyé à ce titre par le demandeur à l’administration des Contributions directes, que ce problème ne concernait que « certains de [s]es salariés », de sorte que, contrairement aux allégations y relatives du demandeur, il ne ressort pas de ces pièces qu’aucun des salariés n’aurait été soumis à des retenues d’impôts, d’autant plus que les déclarations de la retenue d’impôt sur les rémunérations adressées par le cabinet comptable à l’administration des Contributions directes ont été, pour la plupart, faites après cette opération de rectification. En effet, il ressort des pièces versées par le demandeur lui-même qu’il a transmis à son cabinet comptable les fiches de retenue, rectifiées à sa demande par l’administration des Contributions directes, au moyen d’un courrier électronique daté du 2 décembre 2020, de sorte que le cabinet comptable a bien été au courant de ces nouvelles fiches de retenue d’impôt, relatives à un certain nombre de salariés de la Société (au nombre de 18), au moment de faire les déclarations de retenue sur les traitements faites en date des 7 décembre 2020, 25 janvier et 19 février 2021, sur base desquelles est notamment justifiée la créance fiscale litigieuse.
Il suit de ces constatations que le demandeur est resté en défaut de rapporter la preuve selon laquelle la créance fiscale actuellement litigieuse ne serait pas due, étant relevé que cette dernière résulte clairement, tel que relevé plus haut, des propres déclarations afférentes de la Société, par le biais de son cabinet comptable, déclaration qui sont à considérer comme des bulletins d’imposition non formels au sens du paragraphe 212 AO, ayant entretemps acquis force de chose décidée pour ne pas avoir été attaqués dans un délai de trois mois par voie de réclamation devant le directeur à partir de la date supposée d’émission d’un bulletin de retenues d’impôts, correspondant, en principe, à la date de la réception de la déclaration des retenues opérées par le débiteur des revenus3, étant relevé que dans la mesure où le demandeur a rempli les fonctions de gérant unique à cette époque, il aurait bien été en mesure d’exercer les voies de recours légalement prévues contre lesdits bulletins.
Par ailleurs et en tout état de cause, il échet de retenir qu’à défaut de pièces desquelles il ressortirait que toutes les retenues déclarées avaient bien été continuées à l’administration des Contributions directes par la Société ou par son cabinet comptable, le demandeur laisse de prouver son allégation selon laquelle, sous sa gérance, toutes les créances fiscales auraient été réglées à l’euro près.
Il s’ensuit que ce premier moyen mettant en doute l’existence de la dette fiscale doit encourir le rejet.
En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur selon lequel aucune responsabilité ne saurait être engagée dans son chef au motif que toutes les obligations comptables et fiscales auraient été déléguées à un cabinet comptable, laquelle se serait exclusivement occupée de ces questions, force est de relever que le représentant d’une société qui a accepté sa fonction ne peut pas se contenter de contester par la suite son pouvoir. En effet, en n’exécutant pas les obligations légales de la société, il manque à son premier devoir, celui d’administrer4.
De plus, il convient de rappeler à cet égard que les gérants sont, en tout état de cause, responsables d’un défaut de surveillance de la personne à laquelle ils ont délégué la gestion journalière5. En effet, il est admis que les gérants nommés sont censés disposer de la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-
actifs, ils répondent de leurs actes de la même façon. Le seul fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société étant en soi une faute de gestion. En effet, la faute n’implique pas de la part du gérant un agissement actif. La responsabilité d’un gérant peut être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie ; aussi, le comportement d’un gérant, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à 3 Cour adm., 27 juillet 2016, n° 37634C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 4 Trib. adm. 8 novembre 2016, n° 36410 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 5 Trib. adm. 6 juillet 2016, n° 36437 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes6.
Il est rappelé qu’en tant que personne étant de jure en charge de l’administration de la société, le demandeur, conformément au paragraphe 103 AO, était en effet personnellement tenu, indépendamment de toute délégation de pouvoir, pendant les périodes correspondant à l’exercice de cette fonction, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, de sorte qu’il était obligé de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor public, ou, du moins, de faire en sorte que cela soit fait par le tiers auquel il a délégué cette charge.
En tout état de cause, l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’aurait de facto pas été en charge du règlement des retenues d’impôt sur salaire, - au-delà du constat qu’une telle délégation ne ressort nullement de la convention entre la Société et son cabinet comptable, telle que versée à l’appui du recours, - est à rejeter, étant donné que les gérants d’une société n’échappent pas à leurs responsabilités parce qu’ils délèguent en tout ou en partie celles-ci à d’autres ; ils doivent au contraire assumer une surveillance constante de ceux à qui ils donnent pareille délégation7.
La faute commise est d’autant plus condamnable qu’en ne payant pas des sommes qui sont dues au fisc, le demandeur a ainsi arrogé un crédit à la Société, qui a alors pu détourner l’argent qu’elle était tenue de payer pour compte de ses salariés, étant relevé qu’il s’agit de sommes d’argent qui, dès le versement du salaire, ne doivent pas recevoir une affectation autre que le seul paiement de l’impôt dû par le salarié. Or, en ne donnant pas à ces montants l’affectation qu’ils doivent recevoir, le représentant de la société détourne lesdits montants à d’autres fins, ce qui constitue à l’évidence une inexécution gravement fautive de ses devoirs, qu’il n’a d’ailleurs pas pu ignorer.
Il s’ensuit que le demandeur ne saurait valablement minimiser, voire rejeter sa responsabilité en se retranchant derrière le fait que le paiement des retenues sur salaires effectuées par la Société aurait dû être exercée par une autre personne. Le moyen afférent est partant également à rejeter.
Finalement et pour autant que de besoin, quant à la décision de l’administration des Contributions directes de se tourner spécialement vers le demandeur, il échet de rappeler que le paragraphe 7, alinéa 3 StAnpG, dispose que « jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », de sorte que le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce, à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.
6 Trib. adm. 8 novembre 2016, n° 36410 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 7 Cour adm. 18 octobre 2016, n°37845C et 37846C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu En cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du paragraphe 7 StAnpG qui dispose que ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d’imposition n’est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux8. En toute hypothèse, il appartient au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix. En effet, conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.
En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant unique, au motif qu’il était personnellement responsable des insuffisances d’impôt qui sont la conséquence de son comportement fautif, à savoir son défaut d’avoir fait en sorte que la dette fiscale soit réglée.
En avançant ces considérations à l’appui de sa décision, le bureau d'imposition et, après lui, le directeur, se sont livrés à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de fonder leur décision.
Il suit de ce qui précède et à défaut d’autres moyens que le recours est à rejeter dans son ensemble.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 mai 2022 ;
au fond, le déclare non justifié ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2025 par :
Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Olivier Poos 8 Ttrib. adm. 8 novembre 2016, n° 36410 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 15