Tribunal administratif N° 48580 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48580 3e chambre Inscrit le 23 février 2023 Audience publique du 11 février 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en matière d’inscription au registre des titres
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48580 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 février 2023 par Maître Lynn FRANK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 14 octobre 2022 portant refus d’inscription au registre des titres de formation prévu à l’article 66 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles de son titre de formation d’« Expert-comptable diplômé », lui délivré en date du 11 septembre 2018 par le « Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI » en Suisse, ainsi que contre la décision confirmative de refus du même ministre du 29 novembre 2022, rendue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 avril 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2023 par Maître Lynn FRANK au nom et pour le compte de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Lynn FRANK et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2024.
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En date du 11 septembre 2018, Monsieur (A) se vit délivrer le titre d’« Expert-
comptable diplômé » par le « Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI », désigné ci-après par « le SEFRI », en Suisse.
Le 23 septembre 2022, Monsieur (A) introduisit, auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », une demande d’inscription de son titre prévisé d’« Expert-comptable diplômé» au registre des titres de formation, section de 1 l’enseignement supérieur, tel que prévu à l’article 68 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par la « loi du 28 octobre 2016 ».
Par arrêté du 14 octobre 2022, le ministre refusa de faire droit à la demande lui ainsi soumise par Monsieur (A), sur base des motifs et considérations suivants :
« […] Vu la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 66 à 69 ;
Vu le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et notamment ses articles 9 et 10 ;
Vu la demande présentée par Monsieur (A), né le … à … (LUXEMBOURG), et les pièces produites à l'appui de cette demande ;
Vu le titre de formation délivré au requérant par la Confédération suisse (SUISSE) en septembre 2018 et lui conférant le titre d'Expert-comptable diplômé ;
Considérant que le titre de formation susvisé n'est pas reconnu en Suisse comme relevant de l'enseignement supérieur ; […] ».
Par courriel du 23 octobre 2022 adressé au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après dénommé « le ministère », Monsieur (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre de l’arrêté ministériel du 14 octobre 2022, courriel qui fut encore complété par un courriel du 17 novembre 2022.
Par décision du 29 novembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée avec avis de réception le 3 décembre 2022, le ministre confirma son arrêté du 14 octobre 2022 dans les termes suivants :
« […] En réponse à votre courriel du 23 octobre 2022 concernant le refus d'inscription au registre des titres de formation, section de l'enseignement supérieur, du titre de formation d'Expert-comptable diplômé, délivré en septembre 2018 par la Confédération suisse, je suis au regret de vous informer qu'il n'y a pas d'élément nouveau permettant une réouverture du dossier.
Concernant les conditions ayant trait à l'inscriptibilité d'un diplôme dans le registre des titres de formation, section de l'enseignement supérieur, il y a lieu de noter ce qui suit :
« Les conditions relatives à l'inscription de titres de formation sur le registre des titres de formation, ainsi que relatives au classement dans le cadre luxembourgeois des qualifications sont fixées par les articles 66 à 70 de la loi du 28 octobre 2016, ainsi que par le règlement grand-ducal du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 17 février 2017 », l'article 68 de la loi du 28 octobre 2016 précisant, dans son paragraphe (2) que « Pour être inscrits au registre des titres de formation, section de l'enseignement supérieur, les diplômes, titres et grades de l'enseignement supérieur doivent sanctionner un cycle complet d'études et correspondre aux lois et règlements régissant l'enseignement supérieur de l'Etat où le titre a été conféré. » et, dans son paragraphe (5) que « L'inscription d'un diplôme, titre ou grade dans le registre des titres de formation, section de l'enseignement supérieur, implique le classement, par l'autorité compétente, dans un niveau du cadre luxembourgeois des qualifications tel que défini à l'article 69 », ce dernier fixant huit niveaux de qualifications, allant du 1er niveau de « certificat de 2 réussite du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique » au niveau 8 de « doctorat ». Il ressort encore de l'annexe A du règlement grand-ducal du 17 février 2017 portant sur les descripteurs du cadre luxembourgeois des qualifications que le niveau 8, en ce qui concerne la définition dans le cadre du système d'éducation et de formation formelle, correspond au diplôme de « doctorat » […]. » Moyennant une lecture combinée de ces dispositions avec l'article 1er de la loi modifiée du 19 juin 2009 portant organisation de l'enseignement supérieur, il échoit de constater que le registre des titres de formation, section de l'enseignement supérieur, vise des grades et diplômes à visée académique.
En Suisse, tel que précisé sur le site de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique, le degré tertiaire, c'est-à-dire le plus haut niveau d'un système éducatif, est partagé entre les hautes écoles ainsi que la formation professionnelle supérieure.
Les hautes écoles comprennent les hautes écoles universitaires, les hautes écoles spécialisées et les hautes écoles pédagogiques qui délivrent des grades académiques (bachelor, master et doctorat) selon les directives de la Déclaration de Bologne, tandis que la formation professionnelle supérieure, conformément à l'article 26 de la loi fédérale sur la formation professionnelle du 13 décembre 2002, permet d'acquérir des qualifications en vue d'exercer des activités professionnelles complexes en lien avec les besoins du marché de travail.
Il n'est donc pas contesté que votre titre de formation d'Expert-comptable diplômé est reconnu par l'Etat comme relevant de l'enseignement tertiaire à visée professionnelle.
Néanmoins, il échoit de constater qu'au vu de sa visée strictement professionnelle, il ne saurait être qualifié de formation académique conférant un des grades académiques susvisés;
l'offre de ce genre de formations académiques étant réservée aux hautes écoles et universités suisses.
Concernant l'alignement de votre diplôme à un niveau du cadre luxembourgeois des qualifications, vous avez soulevé que celui-ci est classé au niveau 8 du cadre suisse des certifications. Or, il est également bien précisé dans le supplément au diplôme, joint à votre demande initiale d'inscription au registre des titres ainsi qu'à votre recours, qu'il s'agit du niveau 8 du cadre suisse des certifications formation professionnelle. Il n'est donc aucunement aligné à un niveau du cadre de qualifications pour le domaine des hautes écoles suisses, qui, lui, regroupe les formations académiques.
Cette distinction est également confirmée par « Swissuniversities », la Conférence des recteurs des hautes écoles suisses, qui indique clairement que la Suisse dispose de deux cadres de qualifications:
« Outre le nqf.ch-HS pour le secteur de l'enseignement supérieur, la Suisse dispose d'un deuxième cadre sectoriel de qualifications, le CNC formation professionnelle pour les qualifications de la formation professionnelle. » En effet, comme indiqué dans le graphique figurant à la page 2 de votre recours gracieux, les grades académiques de PhD/doctorat constituent le plus haut niveau de formation académique pouvant être obtenu en Suisse.
3 Ainsi, seuls ces grades académiques sont assimilables au « doctorat » figurant au niveau 8 du cadre luxembourgeois des qualifications et pourraient de ce fait bénéficier d'un classement à ce niveau.
Or, il y a lieu de constater que jusqu'à ce jour vous avez fourni aucun élément probant attestant que votre titre de formation soit assimilable à un grade académique suisse de PhD/doctorat.
Au vu de ce qui précède, le titre de formation d'Expert-comptable diplômé ne peut donc pas être considéré comme étant délivré conformément aux lois et règlements régissant l'enseignement supérieur en Suisse, au sens des dispositions de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, et plus particulièrement ses articles 66 à 69. De même, un alignement sur le niveau 8 du cadre luxembourgeois des qualifications n'est pas possible.
Par conséquent, il n'y a pas lieu de revenir sur la décision du 14 octobre 2022 refusant l'inscription au registre des titres de votre titre de formation. […] ».
Par requête déposée en date du 23 février 2023 au greffe du tribunal administratif, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 14 octobre 2022 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016 de son titre d’« Expert-comptable diplômé », lui délivré en date du 11 septembre 2018 par le SEFRI en Suisse, ainsi que contre la décision précitée du ministre du 29 novembre 2022, rendue sur recours gracieux.
Etant donné que l’article 68, paragraphe (4) de la loi du 28 octobre 2016 prévoit un recours en annulation contre les décisions d’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, le tribunal administratif est incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation sous analyse.
Il est, en revanche, compétent pour statuer sur le recours subsidiaire en annulation qui est encore à déclarer recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, Monsieur (A) fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait refusé l’inscription de son titre de formation d’« Expert-comptable diplômé » au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, au seul motif que ledit titre ne relèverait pas de l’enseignement supérieur en Suisse.
Il explique à cet égard que le titre litigieux lui aurait été délivré suite à un « examen professionnel fédéral supérieur » qui ferait partie intégrale du « degré tertiaire » du système éducatif suisse, lequel y ferait partie de l’enseignement supérieur, alors qu’il correspondrait au plus haut niveau du système éducatif suisse et se positionnerait au-dessus de l’enseignement secondaire.
4 Il précise plus particulièrement que ledit degré se composerait, d’une part, de la formation professionnelle supérieure, de laquelle relèverait le diplôme litigieux et, d’autre part, des Hautes écoles et que tous les diplômes délivrés dans le cadre d’une formation au degré tertiaire s’équivaudraient. En l’espèce, le SEFRI aurait, par courriel du 6 février 2023, confirmé que son titre de formation serait reconnu en Suisse comme relevant de l’enseignement supérieur et qu’il ferait partie du degré tertiaire au même titre que les Hautes écoles, le demandeur mettant encore en exergue que le ministre aurait lui-même, dans sa décision du 29 novembre 2022, reconnu que son titre de formation relèverait du degré tertiaire, lequel correspondrait, de l’avis du demandeur, forcément à l’enseignement supérieur, conclusion à laquelle serait également venu l’Ombudsman dans un courrier du 24 janvier 2023.
Le demandeur ajoute que la Commission de Surveillance du Secteur Financier, désignée ci-après « la CSSF », lui aurait accordé des équivalences dans le cadre de la formation complémentaire des réviseurs d’entreprises, de sorte que celle-ci lui aurait reconnu ses qualifications supplémentaires, en lui octroyant le titre de « Réviseur d’entreprises » tel que défini dans la loi modifiée du 23 juillet 2016 relative à la profession de l’audit, titre auquel on ne saurait accéder qu’après avoir acquis les qualifications théoriques de niveau master ou équivalent spécifiques à la profession.
En droit, le demandeur conclut à l’annulation des décisions litigieuses en faisant valoir un excès de pouvoir et une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre, ainsi qu’une violation tant de la loi du 28 octobre 2016 que du règlement grand-ducal modifié du 17 février 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 17 février 2017 ».
Il reproche, par ailleurs, un défaut de motivation à l’arrêté ministériel du 14 octobre 2022, alors que celui-ci serait laconique en ses explications et n'indiquerait pas sur quels documents, information ou base légale le ministre se serait basé, le demandeur estimant que la simple référence non circonstanciée à des articles de la loi du 28 octobre 2016 serait insuffisante à cet égard.
Dans un même ordre d’idées, l’intéressé reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération l’ensemble des documents qu’il aurait fournis, notamment dans le cadre de son recours gracieux, et que le ministre n’aurait pas vérifié à suffisance les mentions inscrites sur le titre litigieux, le demandeur réitérant à ce sujet ses développements par rapport à l’équivalence des diplômes délivrés en Suisse dans le cadre du degré tertiaire.
A cet égard, et après un renvoi à la jurisprudence en la matière, ainsi qu’aux articles 66 à 70 de la loi du 28 octobre 2016 et au règlement grand-ducal du 17 février 2017, le concerné cite l’article 68, paragraphe (2) de la loi du 28 octobre 2016 pour faire valoir que le titre litigieux remplirait l’ensemble des conditions y prévues à savoir (i) d’être reconnu en Suisse comme relevant de l’enseignement supérieur, (ii) de sanctionner un cycle d’études complet, (iii) de correspondre aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur en Suisse et (iv) d’avoir été délivré par la Confédération Suisse, alors qu’il serait notamment signé par le SEFRI et porterait le logo officiel de celle-ci, l’intéressé précisant de nouveau que l’ensemble de ces points aurait été confirmé par le SEFRI dans un courriel du 6 février 2023.
En ce qui concerne, ensuite, la classification du titre dans un niveau du cadre luxembourgeois des qualifications tel que le prévoirait l’article 68, paragraphe (5) de la loi du 5 28 octobre 2016, le demandeur estime que le ministre ne se serait pas basé sur les différents niveaux possibles qui seraient prévus dans la première colonne et qui prévoiraient les niveaux 1 à 8 du cadre luxembourgeois des qualifications, désigné ci-après « le CLQ ». Le demandeur fait encore plaider qu’il ressortirait du site internet de l’institut « Life long Learning » que « le rapport de référencement du cadre luxembourgeois des qualifications vers le cadre européen des certifications pour la formation tout au long de la vie et le cadre de qualification dans l’espace européen de l’Enseignement supérieur », désigné ci-après par « le rapport de référencement », lequel aurait été présenté par le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse et le ministre au groupe consultatif du cadre européen des certifications, définirait trois catégories de descripteurs, à savoir les connaissances, les aptitudes et les attitudes. Il en ressortirait encore qu’une des caractéristiques du CLQ concernerait la terminologie, dans la mesure où le terme français « certification » y aurait été traduit par le terme « qualification » pour inclure la notion de certification, de sorte que le CLQ se caractériserait donc « par des qualifications et non pas des certifications ».
Monsieur (A), relève, dans ce contexte, que son titre litigieux ferait également référence au cadre européen des certifications, désigné ci-après par « le CEC », de sorte que tant le Luxembourg que la Suisse suivraient le modèle européen en cette matière. Or, la Suisse classerait le titre litigieux au niveau 8 de qualification selon le cadre national des certifications de la formation professionnelle, désigné ci-après par « le CNC », tel qu’il ressortirait du site internet www.fedlex.admin.ch, le titre litigieux indiquant par ailleurs, dans son « supplément au diplôme », lequel suivrait le modèle élaboré par la Commission européenne, le Conseil de l’Europe et l’UNESCO/CEPES suivant la décision no 2241/2004/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 instaurant un cadre communautaire unique pour la transparence des qualifications et des compétences (Europass), désigné ci-après par « l’Europass », un classement au niveau 8 selon le cadre CEC. De même, il ressortirait d’une vérification sur le site internet de la Commission européenne qui permettrait de comparer divers diplômes faisant partie des cadres et systèmes nationaux des certifications, que le titre litigieux correspondrait à un niveau 8 au Luxembourg, soit à un « doctorat ou équivalent ». Le demandeur en conclut que le ministre n'aurait pu se méprendre de la classification de son titre au niveau 8.
Monsieur (A) reproche ensuite au ministre de ne pas avoir d’office procédé à l’inscription de son titre au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, conformément à l’article 68, paragraphe (3) de la loi du 28 octobre 2016, de sorte que celui-ci aurait contrevenu au principe en la matière de ne pas avoir le pouvoir de vérifier le contenu ou la qualité de l’enseignement suivi, ni même la durée des études, le demandeur citant encore un jugement du tribunal administratif, non autrement référencé, suivant lequel la notion d’enseignement supérieur ne se limiterait pas à des études universitaires.
En ce qui concerne plus particulièrement la décision ministérielle du 29 novembre 2022, rendue sur recours gracieux, le demandeur fait valoir que le ministre, en argumentant que le titre litigieux ne serait « au vu de sa visée strictement professionnelle » pas à considérer comme un diplôme « académique », aurait ajouté un nouvel motif de refus, lequel ne serait prévu ni par la loi du 28 octobre 2016, ni par le règlement grand-ducal du 17 février 2017, lesquels ne feraient aucune distinction entre diplômes à visée académique et professionnelle. Le concerné conclut que le ministre aurait commis un excès de pouvoir en décidant que seuls des titres académiques, voire universitaires, pourraient être inscrits au registre des titres de formation.
6 Le demandeur précise finalement qu’à défaut d’inscription de son titre de formation au registre des titres de formation, enseignement supérieur, niveau 8, il ne saurait bénéficier de la prime de vingt points indiciaires prévue par l’article 24 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, désignée ci-après par « la loi du 25 mars 2015 ».
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il conteste plus particulièrement l’argumentation du demandeur tenant à une absence d’indication de la part du ministre des bases légales sur lesquelles les décisions déférées ont été prises, alors que le concerné admettrait lui-même que le ministre aurait cité de nombreux articles de la loi du 28 octobre 2016.
Tout en citant l’article 68 de la même loi, le délégué du gouvernement se réfère ensuite à l’annexe A du règlement grand-ducal du 17 février 2017 pour soutenir que le niveau auquel le demandeur souhaiterait que son titre soit inscrit au registre des titres de formation, en l’occurrence le niveau 8, correspondrait au diplôme de « doctorat », lequel relèverait de l’enseignement supérieur conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 19 juin 2009 portant organisation de l’enseignement supérieur, désignée ci-après par « la loi du 19 juin 2009 ». Le délégué du gouvernement met, dans ce contexte, en exergue que l’inscription au registre des titres de formation, ainsi que le CLQ, lequel représenterait la reconnaissance académique des titres et grades de l’enseignement supérieur étrangers, viserait exclusivement des grades et diplômes à visée académique. Il souligne à cet égard que s’il n’y avait aucun doute que le titre litigieux sanctionnerait « un enseignement de type supérieur », il n’en resterait pas moins que le diplôme n'attribuerait pas un véritable grade académique de docteur, respectivement un classement au niveau 8 du CLQ.
Au contraire, le demandeur aurait relevé lui-même que son titre serait classé au niveau 8 du CNC, lequel serait régi par la loi suisse du 13 décembre 2002 sur la formation professionnelle, suivant l’ordonnance du SEFRI du 11 mai 2015, tandis que les formations dispensées par les Hautes écoles seraient régies par la loi fédérale sur l’encouragement des hautes écoles et la coordination dans le domaine suisse des hautes écoles, de sorte que ces deux types d’enseignement, tout en relevant tous deux du degré tertiaire du système éducatif en suisse, seraient régis par des textes législatifs différents. Il s’en suivrait que le titre litigieux, du fait de ne pas avoir été délivré par une Haute école, ne saurait être considéré comme un grade académique de docteur délivré par les autorités suisses. Ainsi, il ressortirait du rapport explicatif de l’année 2014 concernant l’ordonnance sur le cadre national des certifications pour les diplômes de la formation professionnelle qu’en raison de différences dans la compétence de légiférer qui incomberait à la Confédération suisse dans le domaine de la formation professionnelle et dans le domaine des Hautes écoles, que le cadre des qualifications pour le domaine des Hautes écoles ne serait pas traité par ladite ordonnance. De même, suivant l’article 63 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, la Confédération aurait la compétence de légiférer en matière de formation professionnelle, tandis que son article 63a conférerait cette compétence aux cantons en ce qui concerne la coordination et la garantie de l’assurance de qualité des Hautes écoles dans l’espace suisse. Cette distinction entre les deux cadres de qualifications serait également confirmée, d’une part par « Swissuniversities » et, d’autre part, par le SEFRI.
7 Il précise à cet égard que le cadre suisse de qualification dans le domaine des hautes écoles prévoirait en effet les trois niveaux de Bachelor, Master et doctorat. Ainsi, le titre suisse de doctorat constituerait le plus haut niveau de formation académique qui pourrait être obtenu en Suisse et serait assimilable au niveau 8 du CLQ, ce qui ne serait pas le cas du titre litigieux, alors que ce dernier ne constituerait, en Suisse, pas un titre de doctorat.
Le délégué du gouvernement réfute encore l’argumentation du demandeur suivant laquelle son diplôme serait reconnu en Suisse comme relevant d’un niveau 8 dans le CEC, alors que ledit instrument ne serait pas légalement contraignant.
Il estime ensuite que, faute pour le demandeur d’avoir renversé la présomption de légalité attachée aux décisions déférées, son argumentation serait à rejeter pour ne pas être fondée.
Quant aux développements du demandeur tenant à l’absence d’inscription d’office de son titre litigieux sur le registre des titres de formation conformément au paragraphe (3) de l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, le délégué du gouvernement relève que ledit paragraphe ne serait applicable que dans l’hypothèse où un accord en ce sens aurait été conclu entre les Etats concernés, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, alors qu’aucun tel accord n’aurait été conclu entre le Luxembourg et la Suisse, de sorte que le moyen y afférent serait également à rejeter pour ne pas être fondé.
La partie étatique conclut finalement au rejet des développements du demandeur tenant au préjudice qui résulterait pour lui des décisions déférées, alors que l’obtention de la prime prévue à l’article 24 de la loi du 25 mars 2015 ne ferait pas l’objet du présent recours. Quant aux développements du demandeur relatifs au fait que ses qualifications professionnelles auraient été reconnues tant par le ministre de la Justice que par la CSSF, il conclut également à leur rejet, alors que cette question serait étrangère à la question de l’inscription au registre des titres de formation.
Dans son mémoire en réplique, Monsieur (A) réitère ses développements par rapport à la jurisprudence des juridictions administratives suivant laquelle l’enseignement supérieur ne se limiterait pas à des études universitaires, laquelle le délégué du gouvernement n’aurait pas contredite dans son mémoire en réponse.
Il donne par ailleurs à considérer que la partie étatique admettrait, dans son mémoire en réponse, que le titre litigieux relèverait de l’enseignement supérieur, et ne contesterait, de ce fait, pas que ledit titre ne devrait pas être enregistré dans la section de l’enseignement secondaire du titre des registres, le concerné précisant encore qu’il ne prétendrait pas que son titre constituerait un doctorat, mais un diplôme qui devrait être inscrit dans la section de l’enseignement supérieur du registre des titres de formation.
Il réitère ensuite ses développements quant à l’absence de notion de qualification académique dans le cadre des articles 66 à 70 de la loi du 28 octobre 2016, tout en ajoutant que le ministre citerait la définition de l’enseignement supérieur universitaire contenue à l’article 1er, paragraphe (1) de la loi du 19 juin 2009 et omettrait de prendre en compte le paragraphe (2) dudit article lequel prévoirait en son alinéa 3 des formations diplômantes organisées par des établissements d’enseignement étrangers, cas de figure dans lequel tomberait le titre litigieux, 8 lequel constituerait un diplôme, titre ou grade de l’enseignement supérieur tel que prévu à l’article 66, alinéa 1er de la loi du 28 octobre 2016.
Quant à l’argumentation de la partie étatique tenant à l’absence d’accord conclu entre la Suisse et le Luxembourg prévoyant l’inscription d’office des titres de formation telle que prévue à l’article 68, paragraphe (3) de la loi du 28 octobre 2016, le concerné fait valoir que ledit article prévoirait « un accord » et que « l’accord sur la libre circulation des personnes de l’Union européenne » prévoirait en son annexe III des dispositions relatives à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. Ladite annexe listerait également les directives de l’Union européenne que la Suisse aurait reprise dans le domaine de la qualification professionnelle, de sorte que le système européen de reconnaissance des qualifications professionnelles, notamment la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, désignée ci-
après par « la directive 2005/36/CE », serait applicable dans le cadre des relations entre le Luxembourg et la Suisse.
Le demandeur constate ensuite que le ministre serait resté muet par rapport à ses développements relatifs au rapport de référencement et lui reproche de ne pas avoir fait de distinction entre les formations professionnelles relevant de l’enseignement supérieur, d’une part, et l’enseignement secondaire, d’autre part.
Il insiste ensuite sur le fait que son titre litigieux constituerait une qualification supplémentaire par rapport à un Master, alors que suite à sa maîtrise universitaire il aurait obtenu non seulement le titre litigieux, mais encore le titre suisse d’ « expert-réviseur » par l’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision, le titre de « Réviseur d’entreprises » par la CSSF, ainsi que le titre d’ « expert judiciaire » par le ministère de la Justice, le demandeur renvoyant par ailleurs aux travaux parlementaires de la loi du 25 mars 2015 pour conclure qu’un titre équivalent à un titre de doctorat donnerait également droit à la prime prévue à l’article 24 de celle-ci, interprétation que partagerait également le Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat.
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique fait valoir que si certes la notion d’enseignement supérieur ne viserait pas uniquement les études universitaires, alors qu’y serait incluse la formation de l’enseignement supérieur de type court menant au titre de brevet de technicien supérieur, elle n’inclurait pas pour autant le titre litigieux lequel relèverait d’une formation professionnelle supérieure. Le délégué du gouvernement précise encore que l’inscription au registre des titres de formation impliquerait également un classement dans un niveau du CLQ, et qu’une telle inscription ne serait possible que pour des titres académiques.
En ce qui concerne le renvoi par le demandeur à l’accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes laquelle renverrait en son annexe III à la directive 2005/36/CE, le délégué du gouvernement fait relever que celle-ci serait relative à la reconnaissance professionnelle tandis que le registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, viserait les titres académiques, tel qu’il ressortirait également d’un jugement du tribunal administratif du 3 avril 2019, inscrit sous le numéro 40070 du rôle. Il en conclut que les développements relatifs à ladite directive seraient à écarter du débat pour ne pas être pertinents, celle-ci visant l’objectif de la mobilité de travailleurs au sein de l’Union européenne via la reconnaissance professionnelle en vue de l’accès à une profession réglementée, ce qui ne 9 serait pas l’objet de la demande litigieuse laquelle viserait l’inscription au registre des titres de formation. Le délégué du gouvernement poursuit son argumentation en se référant à un arrêt de la Cour administrative du 8 octobre 2019, inscrit sous le numéro 42552C du rôle, duquel il déduit que bien que la loi du 28 octobre 2016 viserait aussi bien la reconnaissance professionnelle que la reconnaissance académique, il s’agirait toutefois de deux concepts distincts et différenciés par ladite loi, de sorte que les développements du demandeur relatifs aux articles 1 à 65 de la loi du 28 octobre 2016, lesquels traiteraient exclusivement de la reconnaissance professionnelle, seraient également à écarter pour défaut de pertinence.
La partie étatique insiste encore qu’elle n’aurait jamais considéré que le titre litigieux relèverait de l’enseignement secondaire et renvoie, pour le surplus, à son mémoire en réponse.
Analyse du tribunal A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
I. Quant à la légalité externe L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, non invoqué en l’espèce mais auquel se rattache le moyen tendant à une absence de motivation des décisions déférées, dispose que : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle;
- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.
Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. […] ».
Cette disposition consacre dès lors le principe selon lequel d’une manière générale toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et certaines catégories de décisions, notamment celles refusant de faire droit à la demande de l’intéressé et celle prise sur recours gracieux, telles que les décisions déférées, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.
Force est au tribunal de constater que les décisions déférées énoncent clairement les motifs gisant à leur base, à savoir le motif, contenu dans l’arrêté ministériel du 14 octobre 2022, que le titre d’ « Expert-comptable diplômé » délivré au demandeur par la Confédération suisse 10 en septembre 2018 ne serait pas reconnu en Suisse comme relevant de l’enseignement supérieur, ainsi que le motif, contenu dans la décision du 29 novembre 2022, que le titre litigieux relèverait de la formation professionnelle et non pas académique en Suisse, cette motivation ayant encore été complétée par les précisions fournies en cours d’instance par le délégué du gouvernement.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’aurait pas connu les documents sur lesquels s’est basé le ministre pour motiver les décisions déférées. En effet, dans la mesure où des éléments de motivation ont existé au moment où la décision déférée a été prise, ceux-ci peuvent encore être valablement fournis par l’auteur de la décision en cours de procédure contentieuse, sous l’obligation toutefois qu’un débat contradictoire ait pu avoir lieu impliquant toutes les parties à l’instance1, ce qui est le cas en l’espèce dans la mesure où le demandeur a pu prendre position sur les éléments de motivation ainsi fournis à travers son mémoire en réplique. Par ailleurs, et contrairement à l’inexistence de motifs, une imprécision de motivation ne constitue pas un vice susceptible d’entraîner l’annulation des décisions affectées, mais est tout au plus de nature à entraîner la suspension des délais de recours2.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur un défaut de motivation est à rejeter comme étant non fondé, étant précisé que le bien-fondé de cette motivation fera l’objet d’une analyse au fond.
II. Quant à la légalité interne Le tribunal administratif, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé qu’il ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.
L’article 66 de la même loi dispose qu’ « (1) En vue de la protection des titres de formation, il est créé, sous forme électronique, un registre des titres de formation comportant deux sections: une section relevant des diplômes, titres et grades de l’enseignement secondaire, de l’enseignement secondaire technique et de la formation professionnelle, visée sous l’article 67 et désignée ci-après par «section de l’enseignement secondaire», et une section relevant des diplômes, titres et grades de l’enseignement supérieur, visée sous l’article 68 et désignée ci-
après par «section de l’enseignement supérieur».
(2) La section de l’enseignement secondaire est de la compétence du ministre ayant l’Education nationale dans ses attributions et du ministre ayant la Formation professionnelle dans ses attributions, la section de l’enseignement supérieur est de la compétence du ministre ayant l’Enseignement supérieur dans ses attributions. […] ».
1 Trib. adm., 1er mars 2004, n° 16788 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 81 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 23 décembre 2004, n° 18236 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 82 (2e volet) et les autres références y citées.
11 Le tribunal constate tout d’abord qu’il est constant en cause que le demandeur a, par un formulaire daté au 23 septembre 2022, demandé l’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, prévu à l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, de son titre d’« Expert-comptable diplômé » lui délivré en date du 11 septembre 2018 par le SEFRI.
Il échet à cet égard de constater d’ores et déjà que les développements du demandeur tenant à une prime prévue par la loi du 25 mars 2015 sont à rejeter pour défaut d’objet, l’octroi dans le chef du demandeur de ladite prime ne faisant pas l’objet des décisions déférées, étant encore relevé que l’intérêt à agir du demandeur n’a pas été remis en cause.
Il échet ensuite de constater que le ministre a refusé une telle inscription audit registre des titres des formations au motif que ledit titre ne relèverait pas de l’enseignement supérieur, mais, faute de visée académique, de la formation professionnelle, laquelle ne serait pas visée par l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016. Le tribunal relève encore à ce stade que contrairement aux développements du demandeur la partie étatique n’a, à travers ses mémoires en réponse et en duplique, pas reconnu que le titre litigieux relèverait de l’enseignement supérieur en Suisse, alors qu’elle a uniquement estimé que celui-ci relèverait d’une « formation professionnelle supérieure ».
A cet égard, il convient de rappeler que la loi du 28 octobre 2016 a, d’une part, trait à la reconnaissance des qualifications professionnelles et, d’autre part, à l’inscription au registre des titres de formations, ces deux procédures étant distinctes. Dans la mesure où la demande litigieuse du concerné a exclusivement trait à l’inscription de son titre sur le registre des titres de formation, l’ensemble des développements de part et d’autre ayant trait à la reconnaissance des qualifications professionnelles du demandeur par le ministre de la Justice ou la CSSF sont à rejeter pour défaut de pertinence, étant relevé que l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016 attribue la compétence exclusive en matière d’inscription au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, au ministre.
S’agissant ensuite de la question si le titre litigieux peut être inscrit à la section de l’enseignement supérieur du registre des titres de formation, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, « (1) Nul ne peut publiquement porter le titre d’un grade d’enseignement supérieur, si le diplôme suivi du nom de l’établissement d’enseignement supérieur ainsi que l’appellation du titre conféré n’ont pas été inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur.
(2) Pour être inscrits au registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, les diplômes, titres et grades de l’enseignement supérieur doivent sanctionner un cycle complet d’études et correspondre aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré.
(3) L’inscription des diplômes nationaux dans cette section du registre des titres de formation se fait d’office.
L’inscription d’un diplôme émis par un Etat avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu un accord se fait d’office, sur base d’une demande individuelle.
[…] 12 (5) L’inscription d’un diplôme, titre ou grade dans le registre des titres de formation, section de l’enseignement supérieur, implique le classement, par l’autorité compétente, dans un niveau du cadre luxembourgeois des qualifications tel que défini à l’article 69. ».
Il résulte de cette disposition que l’inscription au registre des titres d’enseignement supérieur est subordonnée à la double condition que le titre en question sanctionne un cycle complet d’études et qu’il correspond aux lois et règlements du pays régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre a été conféré. Il ressort de la jurisprudence des juridictions administratives, qu’à cette fin, le ministre compétent est appelé à constater si le diplôme, dont l’inscription au registre est demandée, représente un titre d’enseignement supérieur légalement conféré, en prenant exclusivement en considération la législation régissant l’enseignement supérieur de l’Etat de délivrance dudit diplôme3, sans cependant que sa compétence implique une appréciation des études accomplies.
Ainsi, le pouvoir du ministre n’est pas discrétionnaire, mais il doit examiner si le document qui lui est soumis remplit les conditions requises pour être inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur, ce qui implique qu’il doit contrôler le niveau des études et la qualité du document qui les sanctionne.
Il échet, tout d’abord de constater que l’article 68, paragraphe (3), alinéa 2 de la loi du 28 octobre 2016, sur lequel le demandeur se base pour conclure que le ministre aurait dû procéder d’office à l’inscription de son titre litigieux au registre des titres de formation, n’est, indépendamment de la question de savoir s’il peut être inscrit sur ledit registre, pas applicable en l’espèce, étant donné que les accords y visés constituent, tel que relevé à bon droit par le délégué du gouvernement, ceux conclus entre les Etats du Benelux4, ainsi que par les Etats du Benelux avec les Etats baltes5, aucun accord dans ce sens n’ayant été conclu avec la Suisse, pays de délivrance du diplôme du demandeur.
Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur par rapport à la directive 2005/36/CE, le champ d’application de ladite directive étant limité à la reconnaissance des qualifications professionnelles et non pas à l’inscription de titres de formation de l’enseignement supérieur.
Le moyen afférent encourt dès lors le rejet pour ne pas être fondé.
Le tribunal constate, ensuite, que, pour déterminer si le titre litigieux relève de l’enseignement supérieur, il y a lieu, aux termes de l’article 68, paragraphe (2) de la loi du 28 octobre 2016, de se référer aux lois et règlements suisses et non pas à la législation luxembourgeoise. Il s’ensuit que le constat que le titre litigieux a été délivré au demandeur à l’issue d’une formation dénommée « formation professionnelle supérieure » suivant les lois et règlements suisses, ne saurait ipso facto emporter que cette formation relève de la « formation professionnelle » telle que visée à l’article 66 de la loi du 28 octobre 2016, et de l’exclure du champ d’application de l’article 68 de la même loi, alors qu’il importe de vérifier si cette formation, au-delà de la terminologie choisie par les autorités suisses, relève de l’enseignement 3 Trib. adm., 6 avril 2000, n° 11570, confirmé par arrêt du 24 octobre 2000, n° 11984C, Pas. adm. 2023, V° Autorisation d’établissement, n° 92 et les autres références y citées.
4 Projet de loi n° 6893, commentaire des articles « Article 68 », p.79.
5 Loi du 14 décembre 2022 portant approbation du Traité sur la reconnaissance automatique des qualifications de l’enseignement supérieur, fait à Bruxelles, le 14 septembre 2021.
13 supérieur suivant les lois et règlements suisses. Il s’ensuit également qu’il s’impose au tribunal de rejeter d’ores et déjà les développements de part et d’autre tenant à la définition de l’enseignement supérieur contenue à l’article 1er de la loi du 19 juin 2009, celle-ci ne relevant pas des lois et règlements suisses.
Ce constat n’est pas énervé par la référence du délégué du gouvernement à un jugement du tribunal administratif du 3 avril 2019, inscrit sous le numéro 40070 du rôle, duquel il ressortirait que seuls les titres académiques seraient susceptibles d’être inscrits sur le registre des titres de formation, alors que si, certes, le tribunal y a retenu que les articles 66 à 70 de la loi du 28 octobre 2016 concernent le registre des titres de formation qui visent la reconnaissance académique d’un titre de formation, les termes ainsi utilisés par le tribunal ont eu pour objectif de différencier, d’une part, la procédure de reconnaissance des qualifications, voire les compétences professionnelles d’une personne acquises à travers une formation et, d’autre part, la procédure de reconnaissance du titre délivré à l’issue d’une formation.
Dans la mesure où il ne ressort par ailleurs d’aucune autre argumentation de la partie étatique que seules les formations « à visée académique » relèveraient de l’enseignement supérieur, ce moyen est d’ores et déjà à rejeter et il échet de vérifier, in concreto, si le titre litigieux relève, indépendamment de sa dénomination, de l’enseignement supérieur en Suisse, étant relevé qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le titre litigieux a été délivré par la Confédération suisse à l’issue d’un examen fédéral supérieur et sanctionne un cycle complet d’études.
Il convient d’ailleurs de relever que dans la mesure où les actes administratifs individuels bénéficient d’une présomption de légalité, il appartient au demandeur de justifier que son diplôme a été délivré conformément aux lois et règlements en matière d’enseignement supérieur du pays de délivrance, étant relevé que la question du niveau de classification du titre litigieux s’impose uniquement dans un deuxième stade d’analyse.
Force est de constater que le demandeur entend rapporter une telle justification en se basant sur (i) les mentions que comporte le titre litigieux, (ii) sur le site internet du SEFRI lequel comporterait l’illustration d’un schéma du système éducatif suisse, duquel il ressortirait que l’enseignement supérieur en suisse serait désigné par le terme « degré tertiaire » et que les formations professionnelles supérieures en feraient partie au même niveau que des Hautes écoles, (iii) sur un courriel du SEFRI du 6 février 2023 duquel il ressortirait que le titre litigieux relèverait de l’enseignement supérieur suisse au même titre que les Hautes écoles suisses, ainsi que (iv) sur l’attestation de « Expertsuisse » du 11 septembre 2018.
A cet égard, le tribunal constate tout d’abord qu’il n’est pas contesté que le système éducatif suisse désigne son enseignement supérieur par le terme « degré tertiaire », tel qu’il ressort également du graphique contenu dans le « supplément de diplôme » annexé au titre litigieux qui classe à ce niveau les « formations professionnelles supérieures » ainsi que les « Hautes écoles », y inclus les universités, les explications du graphique énonçant par ailleurs qu’ « […] En Suisse, les formations du degré tertiaire s’effectuent soit dans un cadre d’une formation professionnelle supérieure soit auprès d’une haute école. […] », explication qui ressort d’ailleurs également du site internet du SEFRI.
14 Cet élément est encore confirmé par le courriel du SEFRI du 6 février 2023, lequel confirme au demandeur que « […] Ce diplôme […] fait partie du degré tertiaire au même titre que les hautes écoles. […] ».
Il échet, par ailleurs, de constater que le graphique contenu à l’annexe du titre litigieux comporte des références à la Classification Internationale Type de l’Education de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) de 2011, désigné ci-après par « la CITE ». Or, indépendamment de la question de la force contraignante de la CITE, il ressort dudit graphique, que la Confédération suisse, laquelle a délivré le titre litigieux, classe les diplômes délivrés à l’issue d’une formation professionnelle supérieure, à savoir le « brevet fédéral » et le « diplôme fédéral », tel que le titre litigieux, au niveau 6, correspondant au niveau de Bachelor, respectivement au niveau 7, correspondant au niveau de Master, de la CITE, tandis qu’elle classe les diplômes de Bachelor et Master délivrés par les Hautes écoles et universités suisses également à ces niveaux, à savoir les niveaux 6 respectivement 7 dudit instrument. Cette indication conforte ainsi le constat que les formations professionnelles supérieures relèvent, en Suisse, de l’enseignement supérieur, de sorte que le titre litigieux est susceptible d’être inscrit sur le registre des titres de formations, enseignement supérieur, tel que prévu à l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016.
Si le système éducatif suisse offre dès lors certes deux voies différentes dans le cadre de son enseignement supérieur, c’est à tort que le ministre a estimé que le titre litigieux, délivré dans le cadre de la voie de la formation professionnelle supérieure, ne relèverait pas de l’enseignement supérieur en Suisse.
Ce constat n’est pas énervé par les développements de la partie étatique tenant à la Constitution fédérale suisse laquelle confèrerait aux cantons la compétence de légiférer en matière des Hautes écoles, tandis que cette compétence serait réservée à la Confédération suisse en ce qui concerne les formations professionnelles, alors que le tribunal est dans l’impossibilité d’entrevoir en quelle mesure cette législation entrainerait ipso facto la conclusion que les formations professionnelles ne relèveraient ainsi pas de l’enseignement supérieur en Suisse, étant relevé qu’il n’appartient, en tout état de cause, pas au tribunal de suppléer la carence des parties et de rechercher lui-même les arguments à la base de leurs développements.
Ce constat n’est pas non plus énervé par le fait, tel que relevé par la partie étatique, qu’au niveau des certifications nationales en Suisse, les diplômes délivrés à l’issue d’une formation professionnelle supérieure, relèvent d’une législation différente des diplômes délivrés par les hautes écoles et universités, alors que cet élément est étranger à la question de savoir si les titres délivrés à l’issue d’une formation professionnelle en Suisse font partie de l’enseignement supérieur suisse, mais de la question de la classification desdits diplômes en Suisse et, en subséquence, de la question de leur classification dans le CLQ au Luxembourg.
En ce qui concerne précisément la question de la classification du titre litigieux dans un des 8 niveaux visés par le CLQ prévu à l’article 69 de la loi du 28 octobre 2016, le tribunal constate que dans la mesure où une telle classification n’a, aux termes de l’article 68, paragraphe (5) de la loi du 28 octobre 2016, lieu qu’en cas d’inscription d’un titre au registre des titres de formation, le ministre n’a, en refusant précisément, l’inscription du titre litigieux au registre des titres de formation, section enseignement supérieur, pris aucune décision portant sur la classification dudit titre audit registre, les développements à cet égard dans le cadre de la décision ministérielle du 29 novembre 2022 constituant des arguments à l’appui de 15 l’argumentation tenant à établir que le titre litigieux ne relèverait pas de l’enseignement supérieur en Suisse. Il s’ensuit que l’ensemble des développements de part et d’autre relatifs au classement ou non du titre litigieux au niveau 8 du CLQ tel que prévu à l’article 69 de la loi du 28 octobre 2016 sont à écarter pour défaut d’objet.
A défaut d’autres moyens, le recours est dès lors à déclarer fondé et les décisions déférées, en ce qu’elles refusent l’inscription du titre d’« Expert-comptable diplômé » délivré au demandeur par la Confédération suisse le 11 septembre 2018 au registre des titres de formations, section de enseignement supérieur, tel que prévu à l’article 68 de la loi du 28 octobre 2016, sont à annuler.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation contre l’arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 14 octobre 2022 portant refus d’inscription au registre des titres prévu à l’article 68 de la loi modifiée du 28 octobre 2016 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles du titre de’« Expert-comptable diplômé», délivré à Monsieur (A) en date du 11 septembre 2018 par la Confédération suisse, ainsi que contre la décision confirmative de refus du même ministre du 29 novembre 2022 ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule lesdites décisions et renvoi le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2025 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 16