Tribunal administratif N° 49686 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49686 5e chambre Ins crit le 10 novembre 2023 Audience publique du 7 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49686 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 par Monsieur (A), demeurant à L-…, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 septembre 2023, référencée sous le numéro (1) du rôle, portant rejet d’une demande de remise gracieuse introduite le 13 janvier 2023 au sujet de l’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2021, ainsi que des intérêts de retard y afférents ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur (A) en ses explications et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 novembre 2024.
Par courrier daté du 28 mars 2022, réceptionné le 6 avril 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une demande de remise gracieuse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques au titre des années 2018 à 2021.
Par décision datée du 30 septembre 2022, répertoriée sous le numéro (2) du rôle, le directeur accorda la demande de remise gracieuse précitée du 28 mars 2022, en ce qui concerne les impôts dus au titre de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2019 et 2020, constata que, pour l'année d'imposition 2018, la dette d'impôt était intégralement apurée et déclara la demande de remise gracieuse irrecevable en ce qui concerne l’année d’imposition 2021. Cette décision est motivée comme suit :
« […] Vu la demande du le 6 avril 2022 par le sieur (A), demeurant à L-…, ayant pour objet une remise par voie gracieuse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2018 à 2021 ainsi que des intérêts de retard ;
Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;
1 Considérant qu’en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes accordera une remise d'impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l'impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
Considérant que le bulletin d'imposition concernant l’année d'imposition 2018 a été émis en date du 11 novembre 2020 ;
Considérant qu’en vertu du § 153 AO, les droits à restitution permis en dehors des cas visés aux §§ 151 et 152 AO s’éteignent si la demande en remise gracieuse ou en restitution n’a pas été introduite avant la fin de l’année qui suit celle de la survenance des faits à l’origine du droit ;
Considérant qu’en l’espèce la demande en remise gracieuse entrée le 6 avril 2022 n’a donc pas été introduite dans le délai précité ;
Considérant que pour l’année d'imposition 2018 la dette d’impôt est apurée ;
Considérant que pour les avances de l’année 2021, l’imposition n’étant pas encore établie, que dans la mesure où la fixation effective de l’impôt de l’année en question devrait déclencher une cote d'impôt inférieure aux avances débitées, un recalcul sera opéré en conséquence ;
Considérant qu’une demande de remise d’impôt qui n’est pas encore liquidé est irrecevable, dès que la rigueur de la perception ne peut être appréciée ni mesurée, faute de connaître le chiffre à percevoir (C.A. N°16398C du 15 juillet 2003) ; […] ».
En date du 21 décembre 2022, le bureau d’imposition …, section des personnes physiques, ci-après désigné par le « bureau d’imposition » émit à l’égard de Monsieur (A) le bulletin de l’impôt sur le revenu au titre de l’année d’imposition 2021.
Par courrier daté du 1er janvier 2023, réceptionné le 13 janvier 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du directeur une demande de remise gracieuse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques au titre de l’année 2021.
Par décision du 26 septembre 2023, référencée sous le numéro (1) du rôle, le directeur déclara non fondée la demande gracieuse précitée lui soumise en les termes suivants :
« […] Vu la demande présentée le 13 janvier 2023 par le sieur (A), demeurant à L-…, ayant pour objet une remise par voie gracieuse de l'impôt sur le revenu des personnes physiques de l'année 2021, ainsi que des intérêts de retard ;
Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu'il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;
Considérant que la demande est motivée par des considérations qui mettent en cause une situation financière difficile ;
2Considérant que d'après le paragraphe 131 AO une remise gracieuse n'est envisageable que dans la mesure où la perception d'un impôt dont la légalité n'est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;
Considérant qu'une telle rigueur excessive au sens prévisé, incompatible avec le principe d'équité au sens du paragraphe 131 AO, n'est pas à admettre au vu de la situation financière présentée par le requérant ;
Considérant que partant les conditions pouvant légalement justifier une remise gracieuse ne sont pas remplies ;
PAR CES MOTIFS, DÉCIDE :
La demande en remise gracieuse est rejetée. […] ».
Par requête inscrite sous le numéro 49686 du rôle et déposée le 10 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif, Monsieur (A) a introduit un recours à l’encontre de la décision précitée du directeur du 26 septembre 2023, référencée sous le numéro (1) du rôle.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Lorsque la requête introductive d’instance omet - comme c’est le cas en l’espèce -
d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le requérant a entendu introduire le recours admis par la loi1.
Conformément aux dispositions combinées du § 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée communément appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.
Il y a partant lieu d’admettre que Monsieur (A) a entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
2) Quant au fond Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur précise qu’il ne contesterait pas « la légalité, ni quant à la forme, ni quant au fond » de la dette fiscale dont il serait redevable au titre de l’imposition de l’année 2021, laquelle s’élèverait à la somme de … euros.
1 Trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1286 et les autres références y citées.
3Il expose en revanche qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter de cette dette. A l’appui de sa position, il invoque la situation de précarité dans laquelle il se trouverait depuis son divorce intervenu au début de l’année 2021. Il indique qu’il aurait été contraint de dormir dans la rue, dans son véhicule, avant de parvenir, grâce au soutien de ses enfants, de ses amis et de sa famille, à retrouver un emploi ainsi qu’un logement.
Il ajoute qu’il assumerait seul, avec son seul salaire, l’ensemble des charges suivantes :
le loyer, les factures téléphoniques de la famille, les facture d’électricité et d’assurance, les frais scolaires des enfants, les frais médicaux ainsi que l’entretien de sa voiture qui lui serait nécessaire pour se rendre sur le lieu de son travail.
Il en conclut qu’avec une saisie sur salaire de 1.000 euros par mois, il ne lui resterait que … euros par mois pour vivre, ce qui ne serait pas suffisant pour subvenir aux besoins de ses enfants et honorer l’ensemble de ses charges. Selon lui, une telle situation le précipiterait dans la pauvreté et entraînerait l’accumulation de dettes.
Le demandeur ajoute qu’il disposerait d’un revenu salarié mensuel d’environ … euros et que, à la suite d’un divorce et de plusieurs décisions judiciaires, il aurait ses quatre enfants à charge. Il précise que sa fille aînée serait inscrite en première année de master, sa seconde fille suivrait des études de droit en première année, et que ses deux plus jeunes enfants seraient scolarisés à l’école internationale ….
Il fait valoir que son ex-épouse aurait été condamnée à payer une pension alimentaire de … euros pour chacun des deux premiers enfants et de … euros pour chacun des deux plus jeunes enfants. Toutefois, il souligne qu’aucun versement n’aurait été effectué à ce jour, son ex-épouse arguant d’un changement dans sa situation financière, ce qui aurait conduit à l’ouverture de procédures judiciaires lesquelles seraient encore en cours.
Le demandeur soutient par ailleurs que son ex-épouse aurait disposé de revenus confortables, et se réfère à l’appui de cette affirmation à la « feuille d’impôt 2021 ». Il déclare néanmoins qu’« elle n’a[urait] pas omis [sic] à ses obligations fiscales et […] a[urait] mis [l]es enfants et [lui]-même dans une situation financière difficile. ».
Il renvoie ensuite à la décision directoriale du 30 septembre 2022 laquelle aurait déclaré fondée sa demande de remise gracieuse du 6 avril 2022 au sujet des années 2019 et 2020 dans la mesure où la perception de l’impôt aurait entraîné une rigueur subjective dans son chef, tout en insistant sur le fait que le directeur n’aurait pas pu se prononcer sur l’année d’imposition faute de l’établissement d’un « avis d’impôt 2021 » à la date de ladite décision par son ex-
épouse.
Il affirme enfin que « la contribution des impôts » lui aurait conseillé d’introduire une demande similaire pour ses dettes fiscales relatives à ses revenus de l’année d’imposition 2021.
Il soutient qu’il aurait fourni les mêmes justificatifs et qu’il se trouverait dans une situation identique à celle précédemment examinée c’est-à-dire pour les années 2019 et 2020, à savoir :
même emploi, même salaire et la charge de quatre enfants à sa charge. Il déclare qu’il ne comprendrait pas pour quelle raison sa demande aurait, cette fois, fait l’objet d’un traitement différent.
4Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que la requête introductive d’instance du demandeur serait injustifiée et conclut, en conséquence, que le recours ne serait pas fondé.
Au soutien de sa position, il fait valoir que le revenu mensuel net disponible du demandeur serait composé de son salaire de … euros, des allocations familiales de … euros et non pas de … euros, tel que déclaré par le demandeur, de la subvention de loyer de … euros et des pensions alimentaires pour les enfants, qu’il évaluerait à … euros, auquel il conviendrait de soustraire le loyer de … euros et … euros de frais de parking, ce qui porterait le revenu mensuel net disponible, selon le délégué du gouvernement, à … euros, un montant qu’il estime suffisant pour régler la dette fiscale. En ce qui concerne les « frais courants », lesquels seraient supportés par tout citoyen dans une situation comparable, le délégué du gouvernement soutient qu’il n’y aurait pas lieu de les prendre en compte.
Le délégué du gouvernement insiste ensuite sur le fait que « [l]’épouse devrait également contribuer ». A cet égard, il conteste l’affirmation du demandeur selon laquelle ce dernier ne percevrait pas de pensions alimentaires et estime qu’en tout état de cause, le demandeur ne serait pas sans recours pour recouvrer les sommes qui lui seraient dues. Il suggère, à cet effet, qu’il s’adresse au Fonds National de Solidarité, qu’il engage une saisie mobilière sur la base du titre exécutoire dont le demandeur serait déjà détenteur, notamment par le biais d’une saisie sur salaire, ou encore qu’il dépose plainte pour abandon de famille. Le délégué du gouvernement reproche au demandeur de n’avoir entrepris aucune de ces démarches et conclut que « nul ne p[ourrait] se prévaloir de sa propre turpitude ».
Appréciation du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.
Aux termes du § 131 AO, une remise gracieuse se conçoit « […] dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. […] ».
Il résulte de cette disposition qu’une remise gracieuse n’est envisageable que (i) soit objectivement ratione materiae, si l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur, (ii) soit subjectivement ratione personae dans le chef du contribuable concerné, si la perception de l’impôt apparaît comme constituant une rigueur incompatible avec le principe d’équité, sa situation personnelle étant telle que le paiement de l’impôt compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables2.
Une demande de remise d’impôt s’analyse exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la 2 Cour. adm. 29 juillet 2015, n° 35480C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 839 (4e volet) et les autres références y citées.
5fixation de cette même dette3, en ce sens qu’aucune contestation tenant au caractère excessif allégué dans le chef de l’imposition en question ne saurait être prise en considération comme telle au titre d’une remise gracieuse4.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur ne conteste ni l’existence ni le bien-fondé de la dette fiscale. Il n’avance pas non plus de moyen tiré d’une quelconque rigueur objective, mais se prévaut exclusivement d’une rigueur subjective dans sa personne liée à sa situation financière précaire, de sorte que le tribunal limitera son analyse à ce volet.
L’existence d’éventuelles raisons subjectives pouvant justifier une remise gracieuse s’apprécie au jour où le tribunal est amené à statuer, de sorte que le tribunal saisi d’un recours en réformation est appelé à apprécier la situation de fait et de droit telle qu’elle se présente au moment où il rend son jugement5 et est amené à examiner toutes les pièces même les plus récentes pour apprécier la situation économique actuelle du demandeur. A cet égard, le tribunal rappelle que la charge de la preuve incombe au contribuable conformément à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après « la loi du 21 juin 1999 » qui dispose que « [l]a preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ».
En l’espèce, la partie étatique conteste d’abord, en substance, l’existence d’une situation économique précaire, ou à tout le moins difficile, qui serait de nature à établir l’existence d’une rigueur subjective dans le chef du demandeur.
S’agissant, en premier lieu, de la dette fiscale litigieuse, il ressort de l’extrait de compte daté du 21 décembre 2022, émis par le bureau d’imposition, que Monsieur (A) est redevable d’un montant de … euros au titre de l’impôt sur le revenu pour l’année 2021. A ce montant s’ajoutent des intérêts de retard d’un montant de … euros, portant ainsi le solde total de la dette fiscale litigieuse due par Monsieur (A) au titre de l’année 2021 à … euros.
En ce qui concerne, en second lieu, sa situation financière, le demandeur a versé en cause un courrier daté du 28 mars 2024, émis par un agent de l’Office social … et adressé à son attention, accompagné d’une annexe intitulée « SITUATION FINANCIERE DU MENAGE ».
Il ressort dudit courrier, ainsi que de son annexe que les revenus mensuels totaux du demandeur s’élèvent à … euros, comprenant un salaire net de … euros, des allocations familiales de …euros, ainsi qu’une subvention de loyer de … euros, qu’il aurait introduit une demande d’allocation de vie chère auprès du FNS en février 2024 et qu’il ne percevrait toujours pas de pensions alimentaires pour ses enfants de la part de son ex-épouse.
S’agissant des dépenses mensuelles du demandeur, celles-ci s’élèveraient à … euros, comprenant notamment un loyer incluant les charges de … euros, des frais internet de … euros, 3 Trib. adm., 17 octobre 2001, n° 13099 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°839 (2e volet) et les autres références y citées.
4 Cour adm., 11 janvier 2007, n° 22033C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 841 (1er volet) et les autres références y citées.
5 Cour adm., 30 novembre 2017, n° 39695 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 25 et les autres références y citées.
6une assurance voiture de … euros, une « saisie- impôts » de …euros, des frais de parking de … euros, des frais d’électricité de … euros, une dépense de …euros portant la mention « Ecole … – arrangement », une dépense de … euros sous le poste « frais d’alimentation » portant le commentaire « … - …BES », des frais d’essence de … euros, une dépense de … euros portant la mention « BUY WAY », des frais d’« assurance maladie facultative » de …euros, des cotisations syndicales de … euros, ainsi que des frais vestimentaires de … euros.
Dans son courrier daté du 28 mars 2024, l’agent de l’Office social mentionne l’ensemble des aides sociales dont le demandeur a bénéficié au cours de l’année 2022.
Ainsi, en juillet 2022, l’Office social a accordé au demandeur une prise en charge des frais scolaires du lycée … d’un montant total de …euros, non remboursable. La moitié de cette somme a été prise en charge directement par l’Office social, tandis que l’autre moitié a été avancée sous la condition d’une cession des allocations familiales, avec un remboursement mensuel fixé à … euros. En janvier 2024, une aide d’un montant de …euros a été accordée au demandeur au titre des frais de loyer. En février 2024, l’Office social lui a octroyé une aide financière sous la forme d’un accès et d’un bon d’épicerie sociale, pour une durée de trois mois, d’un montant total de …euros. Enfin, en mars 2024, une aide financière a été accordé au demandeur pour la prise en charge de frais d’huissier à hauteur de …euros ainsi que de frais médicaux d’un montant de …euros.
L’agent de l’Office social évalue le revenu disponible mensuel à -…euros et précise que « […] Ce solde négatif s’explique partiellement par le fait que vous avez une saisie de …€ sur votre salaire et que les pensions alimentaires dont vous devriez bénéficier n’ont pas encore été jugée […] ».
Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur ajoute, d’une part, qu’il assumerait la charge de ses quatre enfants et, d’autre part, que son ex-épouse aurait été condamnée, en substance, à verser une pension alimentaire de … euros pour chacun des deux enfants aînés et de … euros pour chacun des enfants cadets, mais qu’elle refuserait de s’en acquitter.
A l’appui de ses affirmations, le demandeur se prévaut, notamment, des pièces suivantes :
(i) des factures émises par la société (AA) au titre de la fourniture d’électricité d’un montant de … euros pour le mois d’août 2023 et d’un montant de … euros pour le mois de septembre 2023, ainsi que les avis de débit correspondants ;
(ii) un courrier en date du 19 juin 2023, émanant de la direction du lycée …, établissant un échéancier de paiement relatif à une dette impayée d’un montant de … euros, prévoyant son apurement par le versement de mensualités de … euros à compter du 1er juillet 2023 jusqu’au 1er avril 2031, la dernière échéance étant fixée à … euros ;
(iii) des avis de crédit et de débit relatifs au compte bancaire ouvert à son nom, incluant un avis de crédit pour un montant de … euros avec la mention « PRESTATIONS FAMILIALES », versé par la Caisse pour l’avenir des enfants avec date de valeur au 25 septembre 2023, ainsi que divers autres avis de débit, tous datés au cours de l’année 2023, comportant notamment les libellés suivants : « loyer octobre » pour un montant de … euros, « loyer septembre » pour un montant de … euros, « parking place octobre » pour un montant de … euros, « parking place septembre » pour un montant de … euros, « lycée … » 7pour un montant de … euros, « domiciliation foyer assurances s.a. » pour un montant de …euros et « domiciliation (BB) […] » pour un montant de …euros ;
(iv) les certificats de salaire, de retenue d’impôt et de crédits d’impôts bonifiés établis au nom du demandeur pour les années 2021 et 2022 ;
(v) un certificat de scolarité en date du 5 octobre 2023, attestant que Madame (A1) était inscrite en première année de master pour l’année universitaire 2023-2024 auprès de l’« … », ainsi qu’un certificat de scolarité en date du 6 septembre 2023, attestant que Madame (A2) était inscrite à l’« Université de … » en première année de bachelor pour le semestre d’hiver 2023-2024 et que les frais d’inscription de … euros y relatifs auraient été payés ;
(vi) un certificat de résidence élargi, émis par le Centre des technologies de l’information de l’Etat en date du 9 octobre 2023, attestant que Madame (A1), née le …, Madame (A2), née le …, Madame (A3), née le …ainsi que Monsieur (A4), né le …, résident à la même adresse que lui ;
(vii) un certificat d’affiliation au Centre commun de la sécurité sociale en date du 8 novembre 2023, attestant que, du 1er octobre 2021 jusqu’à la date de ladite attestation, le demandeur était salarié auprès de la société (CC) ;
(viii) une lettre en date du 17 juillet 2024, émanant de la société (DD), ayant pour objet « déclaration négative concernant la saisie-arrêt … », informant le demandeur et son litismandataire que « Madame (B) », débitrice saisie, n’est plus employée de ladite société depuis le … juin 2024, qu’elle a été en incapacité de travail du … janvier 2024 au … juin 2024, et qu’en conséquence, elle ne percevait plus de salaire depuis le mois de mars 2024, la Caisse Nationale de Santé prenant en charge le paiement de son indemnité pécuniaire ;
(ix) un courrier non daté du litismandataire du demandeur, confirmant la réception d’un montant de … euros de la part de la société (DD), avec la mention « Saisie … » ;
(x) un courrier en date du 6 novembre 2023, ayant pour objet « Sommation à tiers détenteur n° d’ordre … », par lequel le bureau d’imposition informe le demandeur qu’une saisie a été effectuée en date du 6 novembre 2023 auprès de son employeur, la société (CC), à concurrence d’un montant de … euros ;
(xi) les bulletins de salaire des mois de décembre 2023, de janvier 2024 et de février 2024 ;
(xii) un courrier de la Banque … en date du 1er mars 2023, adressé à « Madame (A)-
(B) » et à l’attention de « Monsieur (A) », informant les destinataires de la résiliation de la convention de crédit d’un montant de … euros, conclue le 24 septembre 2018, en raison d’un dépassement non autorisé et d’un solde débiteur de … euros sur le compte IBAN … ;
(xiii) un courrier de la Banque … en date du 17 février 2023, adressé à « Madame (A)-(B) » et à l’attention de « Monsieur (A) », informant les destinataires d’un solde débiteur de … euros sur le compte IBAN … et de la résiliation de la convention de crédit d’un montant de … euros, conclue le 24 septembre 2018, en raison d’un dépassement non autorisé ; et (xiv) un courrier en date du 23 février 2023, ayant pour objet « Cession de salaires », par lequel la société (CC) informe le demandeur qu’une demande de cession de salaire a été réceptionnée à son encontre pour un montant de … euros.
Force est au tribunal de constater que l’ensemble des pièces versées en cause par le demandeur corrobore l’état financier tel que dressé par l’agent de l’Office social et met 8particulièrement en évidence que la situation financière du demandeur est considérablement aggravée par une dépense mensuelle de … euros portant la mention « saisie- impôts ».
A cet égard, le tribunal relève que, bien que l’agent de l’Office social ait qualifié la dépense mensuelle de … euros de « saisie- impôts », le demandeur fait défaut d’apporter des éléments suffisamment circonstanciés pour justifier le calcul de ce montant. Or, l’examen des bulletins de salaire du demandeur, tant pour le mois de décembre 2023 que pour le mois de janvier 2024, révèle une distinction dans la rubrique « Saisies/Cessions » entre, d’une part, des « saisies calculées » sous le code « … » et, d’autre part, des « cessions calculées » sous le code « … ».
Il ressort toutefois du courrier en date du 6 novembre 2023, intitulé « Sommation à tiers détenteur n° d’ordre … » et émis par le bureau d’imposition à l’encontre du demandeur, que le salaire de ce dernier a fait l’objet de « saisies » sur salaire auprès de son employeur, la société (CC). Il est, dès lors, de la compréhension du tribunal que ces « saisies » correspondent aux montants mentionnés dans les bulletins de salaire du demandeur sous la rubrique « saisies calculées » avec le code « … », lesquels s’élevaient à … euros pour le mois de décembre 2023 et à … euros pour le mois de janvier 2024.
Partant, le tribunal déduit de l’ensemble des documents versés en cause par le demandeur que la dette d’impôt mensuelle à la charge du demandeur s’élève à la somme de … euros.
Quant au courrier du 17 février 2023, émanant de la Banque … à l’attention de la société (CC), ainsi qu’au courrier du 23 février 2023, adressé par la société (CC) au demandeur, ils portent tous deux la référence « Recouvrement … » et se réfèrent à une demande de « cession » de salaire. Le tribunal est dès lors amené à conclure que cette « cession » de salaire est inscrite dans les bulletins de salaire du demandeur sous la rubrique « cessions calculées » avec le code « … », laquelle s’élevait à … euros pour le mois de décembre 2023 et à … euros pour le mois de janvier 2024.
Il ressort par ailleurs d’un courrier en date du 31 janvier 2023, émanant de la Banque … à l’attention de « M. Mme (A)-(B)p/a Mme (A)-(B)» et de « M. Mme (A)-(B)p/a M (A) », portant également la référence « … », que la dette trouve son origine dans un dépassement non autorisé d’un montant de … euros sous une convention de crédit du 24 septembre 2018. Il s’ensuit que la « cession » de salaire est relative à des défauts de paiement dans le cadre de ladite convention de crédit et, par conséquent, elle est étrangère à la dette fiscale litigieuse.
En tout état de cause, force est au tribunal de constater qu’il est établi en l’espèce, au vu de la situation financière du demandeur, que le paiement de l’impôt par le demandeur compromet son existence économique et le prive des moyens de subsistance indispensables.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il conteste que le demandeur ne perçoive pas de pensions alimentaires, cette affirmation – non autrement circonstanciée – reste à l’état de pure allégation et encourt le rejet.
A travers son affirmation selon laquelle « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » ainsi qu’à travers les reproches adressés au demandeur quant à l’absence de démarches entreprises en vue d’obtenir une pension alimentaire, la partie étatique pose, de l’entendement du tribunal, la question de savoir si le demandeur doit être considéré, dans le 9cadre du §131 AO, comme étant digne de bénéficier d’une remise gracieuse d’impôts fixés légalement dans son chef.
A cet égard, force est au tribunal de rappeler qu’outre son état d’indigence, il faut que le contribuable soit digne de la remise gracieuse, ce qui suppose que sa situation économique difficile ne lui soit pas imputable et qu’il ait toujours rempli consciencieusement ses obligations fiscales6. En effet, la fonction de la remise en équité ne saurait être de permettre au contribuable, ayant agi fautivement, de se voir libérer de sa charge d’impôt.
Il sied également de rappeler que le contribuable qui ne saurait être considéré comme digne de bénéficier d’une remise gracieuse est, avant tout, celui qui aurait manqué à ses obligations fiscales7.
En l’espèce, la partie étatique n’affirme ni que le demandeur ait manqué à ses obligations fiscales ni qu’il soit fautif de sa charge fiscale mais elle lui reproche, en substance, d’avoir manqué de diligence en s’abstenant d’entreprendre les démarches nécessaires en vue de recouvrer les pensions alimentaires dues.
Or, il ressort des pièces versées en cause par le demandeur, et notamment d’un certificat établi par Maître Laura GUETTI en date du 18 mars 2024, que celle-ci a été mandatée par le demandeur afin de l’assister dans le recouvrement des arriérés de pensions alimentaires impayés.
Par ce mandat, lequel s’inscrit dans le cadre des droits reconnus au créancier d’une obligation alimentaire, le demandeur atteste de sa volonté expresse d’exercer les voies de droit nécessaires afin d’obtenir l’exécution des obligations qui lui sont dues ainsi qu’à ses enfants.
S’agissant des démarches effectivement entreprises en vue du recouvrement des pensions alimentaires, il ressort encore des documents versés en cause que, face au refus de l’ex-épouse du demandeur de s’acquitter de ses obligations, ce dernier a entrepris, par l’intermédiaire de son litismandataire, des actions pour assurer le recouvrement des sommes dues. En particulier, un courrier de la société (DD) daté du 17 juillet 2024, adressé à « (A) p.
adr. Me GUETTI Laura », et ayant pour objet « déclaration négative concernant la saisie-arrêt … », atteste de la tentative de saisie-arrêt sur les rémunérations de l’ex-épouse auprès de son employeur, la société (DD). Cette tentative est restée infructueuse car l’intéressée n’était plus employée par cette société depuis le … juin 2024 et ne percevait plus de salaire depuis le mois de mars 2024. Néanmoins, il ressort des éléments versés en cause que ladite saisie-arrêt, référencée sous le code « … », a effectivement permis de recouvrer une partie des sommes dues par l’ex-épouse du demandeur. En effet, un courrier électronique non daté, mais émanant du litismandataire du demandeur, atteste de la réception d’un paiement de … euros en provenance de la société (DD), avec la mention « Saisie … Conc pensions alimentaires juin 2024 ». Force est par conséquent au tribunal de constater que le demandeur a entrepris des démarches appropriées afin d’assurer l’exécution des obligations alimentaires incombant à son ex-épouse.
Partant, si le délégué du gouvernement soutient, à juste titre, que d’autres démarches auraient pu être engagées par le demandeur afin d’obtenir le recouvrement intégral des sommes dues par son ex-épouse, il n’en demeure pas moins qu’il a activement tenté de recouvrer les 6 A. Steichen, Manuel de droit fiscal, 6e éd., Legitech, 2023, p. 426.
7 Fatima CHAOUCHE et Joëlle LYAUDET, Fiscalité des personnes physiques, éditions Larcier, 3e édition, n° 1346, p.867.
10pensions alimentaires, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas être digne de bénéficier d’une remise gracieuse. Le tribunal retient, au contraire, que les diligences accomplies par le demandeur démontrent son engagement à faire valoir ses droits et à obtenir l’exécution des obligations qui lui sont dues.
Il s’ensuit que le moyen de la partie étatique est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précédent qu’il y a lieu d’accorder une remise gracieuse du montant de 43.668 euros dû par le demandeur au titre de l’année d’imposition 2021, en ce compris les intérêts de retard dus sur ce montant, compte tenu de l’existence vérifiée d’une rigueur subjective rendant inéquitable le paiement de cet impôt dans son chef.
Le recours est, dès lors, justifié et la décision directoriale du 26 septembre 2023 encourt la réformation en ce sens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 26 septembre 2023, référencée sous le numéro (1) du rôle ;
au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision directoriale du 26 septembre 2023, dit que la demande de remise gracieuse introduite devant le directeur de l’administration des Contributions directes est fondée pour le montant de 43.668 euros fixé au titre de l’année 2021, en ce compris les intérêts de retards dus sur ce montant ;
renvoie le dossier pour exécution devant le directeur de l’administration des Contributions directes ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 mars 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge.
en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 11 12