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10/03/2025 | LUXEMBOURG | N°48309

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2025, 48309


Tribunal administratif N° 48309 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48309 1re chambre Inscrit le 23 décembre 2022 Audience publique du 10 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des

avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxe...

Tribunal administratif N° 48309 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48309 1re chambre Inscrit le 23 décembre 2022 Audience publique du 10 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2022 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation de la « […] décision de refus d’autorisation de bâtir n°(D1) du 29 avril 2022 de la ministre de l’Environnement […] » et de la « […] décision implicite de refus de la ministre de l’Environnement consécutive au silence gardé pendant plus de trois mois à la suite d’un recours gracieux introduit le 27 juillet 2022 et reçu par le service autorisations le 03 aout 2022 […] » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 mars 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2023 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2023 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions ministérielles attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL en leurs plaidoiries à l’audience publique du 18 décembre 2024.

Par le biais d’un formulaire de demande daté au 24 février 2021 et réceptionné le 15 avril 2021, Monsieur (A), propriétaire de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Reisdorf, section … de Hoesdorf, sous le numéro (P1), introduisit auprès du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre », 1une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », l’autorisation visant la parcelle susmentionnée et ayant pour objet la « […] [t]ransformation d’une ancienne ferme […] » et, plus particulièrement, la « […] [r]énovation d’une maison unifamiliale avec garage existante […] ».

Le 20 mai 2021, le préposé du triage forestier de Beaufort rendit son avis quant à cette demande, avis auquel le chef de l’Arrondissement de la nature et des forêts Centre-Est se rallia en date du 2 juin 2021.

Par décision du 29 avril 2022, le ministre refusa de faire droit à la demande en question, cette décision étant libellée comme suit :

« […] En réponse à votre requête du 24 février 2021 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour la transformation d’une ancienne ferme sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de REISDORF: section … de Hoesdorf (…), sous le numéro (P1), j’ai le regret de vous informer de devoir réserver une suite défavorable au dossier.

A titre préliminaire, permettez-moi de d’attirer votre attention sur le fait que, selon votre demande et le plan élaboré par le bureau d’architecte (AA), portant la référence « … », Feuille N° 01/01 et daté du 04.03.2021, l’objet de la demande prévoit uniquement une transformation matérielle de la maison d’habitation existante. La transformation et/ou rénovation de la grange ne fait pas partie de la présente demande d’autorisation.

Transformation de la maison existante En ce qui concerne la transformation de la maison existante, le prédit plan prévoit des travaux portant sur la distribution des locaux, ainsi que des modifications extérieures.

Les travaux comprennent une modification de la façade extérieure, plus précisément la suppression de la porte d’entrée actuelle et de deux fenêtres au rez-de-chaussée et l’installation de plusieurs nouvelles fenêtres sur les façades Nord-Est, Sud-Est et Nord-Ouest, ainsi que de nouvelles ouvertures pour deux portes d’entrées séparées.

A l’intérieur du volume bâti, le projet prévoit un changement de la distribution des locaux, un agrandissement du volume bâti ou de la surface construite brute et une augmentation du nombre d’unités d’habitation d’un à deux.

Une augmentation du nombre d’unités d’habitation est, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, uniquement autorisable par l’intermédiaire d’un logement intégré pour les constructions servant à l’habitation au sens de l’article 6, paragraphe 2. Un logement intégré faisant partie de la construction et appartenant au même propriétaire, n’est destiné qu’au logement en faveur d’un membre de la famille participant à l’exploitation ou du personnel de l’exploitation. Cela ne peut se faire qu’à la condition que les activités d’exploitation agricole sont exercées à titre principal au sens de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales.

Sans preuve que vous exercez une activité d’exploitation à titre principale, un logement intégré et par conséquent une augmentation du nombre d’unités d’habitation n’est pas 2autorisable en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

Les avant-corps prévus dans les façades nord-est et nord-ouest constituent des blocs décalés vers l’avant par rapport à la façade existante et par conséquent un agrandissement non autorisable en vertu des dispositions de l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. Sont autorisables l’installation de fenêtres dans la façade, donc dans l’alignement de cette dernière.

S’ajoute à cela que l’avant-corps dans la façade nord-ouest, de par sa situation et son orientation, contribue au changement de la lumière naturelle dans l’environnement nocturne par des sources d’éclairage artificiel. Ce phénomène est mieux connu sous le terme de « pollution lumineuse ».

En vertu des dispositions des articles 61(1) et article 1er de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la surface vitrée orientée nord-ouest n’est donc pas autorisable.

Rénovation de la grange En ce qui concerne la grange accolée à la maison d’habitation, le plan indique des modifications extérieures et l’installation d’une nouvelle porte en bois dans la façade ouest.

Les travaux que vous prévoyez engendrent également un changement de destination de la grange. En effet, une partie de la grange actuelle sera intégrée dans la surface habitable de la maison d’habitation, notamment l’entrée, la bibliothèque et le local technique. Cela impliquerait un changement de destination non compatible aux dispositions de l’article 7, paragraphes 2 et 5 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la nouvelle affection n’étant pas couverte par les dispositions de l’article 6 de la loi précitée.

Toutefois, vous êtes libre de soumettre une demande d’autorisation qui se limite à la rénovation ou à la transformation de la maison d’habitation existante, c’est-à-dire sans augmentation de l’unité d’habitation, sans agrandissement de l’emprise au sol existante, du volume et de la surface construite brute et qui prévoit une intégration harmonieuse du bâtiment dans le paysage en limitant les surfaces vitrées au strict minimum dans la façade nord-ouest.

Dans ce cas, de nouveaux plans, indiquant à la fois la situation actuelle et la situation projetée de la maison et toutes les modifications envisagées, doivent être soumis.

Je tiens à vous informer que la démolition de certaines parties du bâtiment, indiquée dans le plan portant la référence « … », ne nécessitent aucune autorisation de ma part.

Néanmoins, veuillez noter que des constructions en zone verte qui ont été démolies, démontées ou détruites, ne peuvent être reconstruites qu’à condition que leur affectation soit conforme à l’article 6 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. Toute nouvelle construction doit être conforme avec les affectations autorisables en zone verte en vertu de l’article 6 de la loi modifiée précitée. […] ».

Par courrier recommandé avec accusé de réception de son litismandataire du 27 juillet 2022, réceptionné le lendemain, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 29 avril 2022, lequel resta sans réponse du ministre.

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2022, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 29 avril 2022, ainsi que de la décision implicite de refus du ministre découlant du silence gardé pendant plus de trois mois à la suite du susdit recours gracieux.

Dans la mesure où la loi du 18 juillet 2018 sur le fondement de laquelle la décision ministérielle du 29 avril 2022 a été prise ne prévoit pas de recours au fond en la présente matière, l’article 68 de la loi du 18 juillet 2018 prévoyant, au contraire, un recours en annulation, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Moyens des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées.

En droit, il reproche au ministre se s’être livré à une interprétation trop restrictive de la loi du 18 juillet 2018, de sorte à avoir commis une erreur manifeste d’appréciation.

A cet égard, il soutient que la différenciation opérée par le législateur entre les exploitants agricoles à titre principal et les exploitants agricoles à titre accessoire serait prévue par l’article 2 de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales, ci-après désignée par « la loi du 27 juin 2016 », et non pas par la loi du 18 juillet 2018, telle qu’invoquée par le ministre. Il en déduit que cette distinction ne pourrait s’appliquer en l’espèce, tout en soulignant que la dimension de son exploitation agricole serait susceptible d’en assurer la viabilité économique.

Par ailleurs, il se plaint de ce que le ministre aurait refusé de faire droit à sa demande, malgré le fait qu’il aurait versé un plan de développement de son exploitation qu’il aurait fait élaborer en 2008 par « … », tout en soulignant que le fait que dans le passé, il se serait vu accorder des autorisations ministérielles en vue de la construction des bâtiments agricoles situés en face de l’ancienne ferme permettrait de conclure qu’à l’époque, le ministre aurait accepté l’affectation agricole de ces bâtiments.

De même, il fait valoir que son exploitation générerait des biotopes et s’inscrirait dans une démarche écologique conforme aux objectifs de la loi du 18 juillet 2018, puisqu’il s’agirait de la production de miscanthus, servant à l’isolation « bio-sourcée » des habitations.

En outre, le demandeur reproche au ministre de lui avoir opposé un refus dépourvu de motivation réelle, en ce qu’il aurait retenu que son projet serait une source de pollution lumineuse. A cet égard, en soulignant que son projet n’inclurait pas l’installation d’une structure lumineuse conséquente pouvant porter préjudice à la biodiversité et à l’environnement, mais qu’il s’agirait uniquement d’un avant-corps vitré qui ne provoquerait aucun désagrément, il soutient que le ministre serait resté en défaut de citer les espèces qui seraient perturbées par la construction et qu’aucune étude ne semblerait avoir été réalisée pour « […] étayer que l’orientation du garde-corps provoquerait des perturbations en cascade susceptibles d’engendrer des déséquilibres écosystémiques ou entraînerait des conséquences au niveau des communautés d’espèces et de leurs interactions […] ».

4 Le demandeur soulève encore une violation du principe de proportionnalité, en se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2022, portant le numéro 44875 du rôle, ainsi que de l’arrêt confirmatif afférent de la Cour administrative du 20 juillet 2022, portant le numéro 47027C du rôle, et en soutenant qu’en vertu de ce principe, il y aurait lieu d’écarter les motifs de refus tirés d’un changement d’affectation de l’ancienne grange, de même que les « […] arguments opposés à l’encontre des transformations mineures projetées au niveau de la construction existante […] ».

Par ailleurs, Monsieur (A) réfute l’argumentation ministérielle selon laquelle la création d’un local technique, d’une entrée et d’une bibliothèque au niveau de l’ancienne grange s’analyserait en un changement d’affectation de cette dernière, en soutenant qu’il s’agirait d’un simple aménagement, et non pas d’un changement complet de la grange en une maison d’habitation. Il se prévaut, en outre, du susdit arrêt de la Cour administrative du 20 juillet 2022 et soutient que dans cet arrêt, la Cour aurait admis la possibilité d’opérer des changements ou des améliorations sur des constructions légalement existantes qui n’auraient pas d’impact environnemental, tout en soulignant, par référence à un jugement du tribunal administratif du 24 octobre 2007, portant le numéro 21860 du rôle, que l’aménagement d’une pièce n’aurait pas pour effet de changer l’affectation de la construction vue dans son ensemble. Il ajoute que les modifications prévues au niveau de la grange seraient nécessaires pour le corps de logis et n’en constitueraient que les accessoires indispensables, le demandeur soulignant que ces modifications n’auraient pas pour effet de créer une unité d’habitation supplémentaire.

En outre, le demandeur insiste sur le fait que son projet, consistant en une rénovation de l’ancienne ferme visant à la remettre « […] au goût du jour […] », n’aurait pas d’impact négatif sur la faune et la flore, mais permettrait, au contraire, au paysage d’être réhaussé.

Le demandeur se livre ensuite à une critique des dispositions de l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018 et, plus particulièrement, du critère y inscrit selon lequel les activités d’exploitation devraient être opérées à titre principal.

En citant l’article 2 (2) et (3) de la loi du 27 juin 2016, ainsi que l’article 2 (3) du règlement grand-ducal modifié du 23 juillet 2016 portant exécution des titres I et II de la loi du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 23 juillet 2016 », il fait valoir que la distinction entre les agriculteurs à titre principal et les agriculteurs à titre accessoire, telle qu’opérée par la loi du 18 juillet 2018, serait de nature économique et ne reposerait pas sur des considérations ayant trait à la protection de la nature et des ressources naturelles.

Cette distinction serait critiquable, en ce qu’elle serait contreproductive vis-à-vis des objectifs de la loi du 18 juillet 2018. En effet, elle reviendrait à favoriser des formes de culture intensive et à permettre l’implantation de constructions agricoles aux dimensions et formes industrielles, portant atteinte au paysage traditionnel.

Il s’agirait d’une situation inéquitable, étant donné que l’application des dispositions de l’article 6 (1), précité, de la loi du 18 juillet 2018 serait limitée à des exploitations agricoles d’envergure, malgré le fait que ce seraient avant tout les exploitants agricoles à titre accessoire, voire les exploitants ne bénéficiant pas du statut d’exploitant agricole, qui développeraient des formes d’exploitations plus respectueuses de l’environnement naturel. Dans ce contexte, le demandeur souligne que nonobstant les dispositions de l’article 6 (1), alinéa 4, point 6° de la 5loi du 18 juillet 2018, autorisant des constructions de petite envergure, lorsqu’il s’agirait d’activités d’exploitation qui comporteraient la gestion des surfaces proches de leur état naturel, une inégalité persisterait entre les agriculteurs concernant la transformation et la rénovation de leurs constructions. En effet, les constructions nécessaires aux exploitants agricoles à titre accessoire seraient « […] probablement plus grandes […] » que les « […] constructions de petite envergure […] » prévues par la loi.

La susdite distinction entre les agriculteurs à titre principal et les agriculteurs à titre accessoire serait encore critiquable en ce qu’elle détournerait le but de la loi du 27 juin 2016, qui aurait introduit la distinction en question dans le contexte des investissements et des subsides, dans le but de s’assurer de la viabilité à long terme des exploitations agricoles auxquelles l’Etat accorderait des aides pour des investissements d’envergure, le demandeur donnant encore à considérer que ladite distinction aurait vocation à disparaître à travers la « […] réforme de la PAC 2023-2027 […] ».

Dans son mémoire en réplique, et s’agissant de son argumentation ayant trait à une interprétation trop restrictive de la loi du 18 juillet 2018, le demandeur insiste sur le fait que contrairement à ce que soutiendrait le délégué du gouvernement, il exercerait bien une activité agricole, en sa qualité de producteur de miscanthus. Après avoir cité l’article 2, point 1. du règlement grand-ducal du 23 juillet 2016, il souligne qu’il serait en mesure de gérer une exploitation dont la dimension économique serait susceptible d’en assurer la viabilité. A cet égard, il insiste sur le fait que la production et l’utilisation de miscanthus seraient en plein essor. De même, il souligne que le fait qu’il aurait quitté l’association sans but lucratif (BB) ASBL ne signifierait pas qu’il ne serait plus producteur de miscanthus. Il exercerait toujours son exploitation et il organiserait et participerait à des événements concernant le miscanthus.

Depuis 2020, il effectuerait des démarches en vue de la certification du miscanthus comme matériau de construction, le demandeur mettant encore en exergue son implication dans la construction en miscanthus du « […] … […] » à Esch-sur-Alzette.

S’agissant du motif de refus selon lequel son projet serait une source de pollution lumineuse, le demandeur insiste sur le fait qu’il ne souhaiterait qu’installer une baie vitrée, tout en soulignant que pour la grande majorité de la faune, la lumière froide serait la plus dangereuse, tandis que les sources de lumière présentant une grande longueur d’onde seraient souvent bien tolérées, voire seraient sans impact sur le faune. Dans ce contexte, le demandeur réfute l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle, d’une part, les forêts entourant le site litigieux serviraient d’habitat, notamment, au Murin de Bechstein, et, d’autre part, une ancienne ferme constituerait un habitat classique pour des chauves-souris en général, en soutenant qu’il ne s’agirait que de suppositions non autrement étayées.

En outre, il insiste sur le fait que la partie étatique n’aurait pas démontré de préjudice qui serait causé par la baie vitrée litigieuse, tout en mettant en exergue le fait que le site litigieux ne serait pas inoccupé, mais serait, au contraire, animé, compte tenu de son activité de producteur de miscanthus.

En citant l’article 61 de la loi du 18 juillet 2018, le demandeur donne encore à considérer qu’il aurait été loisible au ministre de lui demander d’envisager la construction d’une baie vitrée de moindre taille, au lieu de refuser son projet de manière générale, attitude qui contreviendrait au principe de proportionnalité.

6A l’appui de son moyen tiré de la violation dudit principe, le demandeur insiste sur le fait que contrairement à l’argumentation du délégué du gouvernement, l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 20 juillet 2022 serait bien transposable en l’espèce, alors que son projet ne porterait pas préjudice à l’environnement. En citant l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018, Monsieur (A) soutient que les bâtiments seraient anciens et nécessiteraient une rénovation importante afin de ne pas tomber en décrépitude, tout en soulignant que son projet permettrait de valoriser le paysage.

De même, le demandeur insiste sur le fait que les travaux prévus au niveau de l’ancienne grange ne constitueraient pas un changement d’affectation de celle-ci, tout en soulignant que dans son arrêt, précité, du 20 juillet 2022, la Cour administrative aurait écarté une interprétation restrictive de la notion de changement d’affectation, pour admettre la rénovation d’une grange.

S’agissant de ses critiques formulées à l’égard de l’application, au cas d’espèce, des dispositions de l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018, le demandeur soutient, en substance, qu’au vu de son activité de producteur de miscanthus, il serait à qualifier d’exploitant à titre principal, au sens de l’article 2 de la loi du 27 juin 2016, tout en expliquant que son projet ne serait destiné qu’à lui permettre de continuer à exercer son activité dans de bonnes conditions.

Si le tribunal devait arriver à la conclusion qu’il ne constituerait pas un exploitant agricole à titre principal, le demandeur soutient qu’il conviendrait d’interroger la Cour constitutionnelle sur la question de la conformité de l’article 6 de la loi 18 juillet 2018 à l’article 10bis de la Constitution, eu égard à la différence de traitements y prévue entre les exploitants agricoles à titre principal et les exploitants agricoles à titre accessoire, qui ne serait pas rationnellement et objectivement justifiée par rapport au but poursuivi, à savoir la protection de l’environnement, étant donné qu’un agriculteur à titre principal causerait « […] plus de dommage à la nature et aux paysages qu’un producteur à titre occasionnel, de produits bios par exemple […] ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il statue dans le cadre d’un recours en annulation, de sorte à devoir apprécier la légalité des décisions déférées en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elles ont été prises.

S’agissant de la légalité externe des décisions déférées et pour autant qu’à travers son argumentation selon laquelle le ministre lui aurait opposé un refus dépourvu de motivation réelle, en retenant que son projet serait une source de pollution lumineuse, le demandeur ait entendu soulever une insuffisance de motivation des actes attaqués, le tribunal relève que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, non expressément invoqué par Monsieur (A), prévoit ce qui suit :

« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

7- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale. […] ».

Il ressort de cette disposition réglementaire que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, énumérées à l’alinéa 2 de ladite disposition, parmi lesquelles figurent, notamment, celles qui refusent de faire droit à la demande de l’intéressé et celles qui interviennent sur recours gracieux, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

En l’espèce, le tribunal constate que la décision ministérielle déférée du 29 avril 2022 est motivée tant en fait qu’en droit, le ministre ayant, dispositions légales à l’appui, indiqué les raisons l’ayant amené à refuser de faire droit à la demande de l’intéressé, à savoir les considérations suivantes :

i.

le projet du demandeur comporterait une augmentation du nombre d’unités d’habitation, qui, en vertu de l’article 7 (3) de la loi du 18 juillet 2018, ne serait autorisable que par l’intermédiaire d’un logement intégré pour les constructions servant à l’habitation au sens de l’article 6 (2), ce qui serait soumis à la condition que les activités d’exploitation agricole seraient exercées à titre principal au sens de la loi du 27 juin 2016, condition qui ne serait cependant pas remplie en l’espèce, faute de preuve par le demandeur qu’il exercerait une activité d’exploitation agricole à titre principal, ii.

les avant-corps prévus dans les façades nord-est et nord-ouest de la maison d’habitation constitueraient des blocs décalés vers l’avant par rapport à la façade existante et par conséquent un agrandissement non autorisable en vertu des dispositions de l’article 7 (3) de la loi du 18 juillet 2018, iii.

l’avant-corps dans la façade nord-ouest de la maison, de par sa situation et son orientation, contribuerait au changement de la lumière naturelle dans l’environnement nocturne par des sources d’éclairage artificiel, phénomène qui serait mieux connu sous le terme de « pollution lumineuse », de sorte à ne pas être autorisable en vertu des dispositions des articles 61 (1) et 1er de la loi du 18 juillet 2018 et iv.

compte tenu du fait que le demandeur projetterait d’intégrer une partie de la grange actuelle dans la maison d’habitation, à savoir l’entrée, la bibliothèque et le local technique futurs de celle-ci, les travaux prévus impliqueraient un changement de destination de la grange qui serait contraire aux dispositions de l’article 7 (2) et (5) de la loi du 18 juillet 2018, la nouvelle affectation n’étant pas couverte par les dispositions de l’article 6 de la même loi.

Par ailleurs, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, 8l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse.1 Or, en l’espèce, la partie étatique a, au cours de la phase contentieuse, complété la motivation fournie par le ministre, en prenant position de manière détaillée quant aux contestations du demandeur, le délégué du gouvernement ayant, plus particulièrement, précisé le motif de refus ayant trait à une pollution lumineuse, en indiquant, en substance, d’une part, qu’une baie vitrée d’une maison d’habitation éclairée normalement pourrait, selon les circonstances, être une source de pollution lumineuse présentant un danger pour la conservation de la faune ou du milieu naturel en général et, d’autre part, que tel serait le cas en l’espèce, étant donné (i) que le « … » serait un « … » et constituerait la seule source de lumière à l’endroit litigieux, (ii) que les forêts entourant le site litigieux et constituant pour moitié une zone Natura 2000 serviraient d’habitat, notamment, au Murin de Bechstein, (iii) qu’une ancienne ferme constituerait un habitat classique pour des chauves-souris en général et (iv) que la plupart des espèces de chauves-souris éviteraient la lumière.

La motivation ainsi fournie par le ministre et complétée par le délégué du gouvernement est suffisamment précise pour permettre au demandeur d’exercer la défense de ses intérêts en connaissance de cause et au tribunal d’exercer son contrôle de légalité.

Les contestations du demandeur ayant trait à une insuffisance de motivation des décisions déférées encourent, dès lors, le rejet.

Quant au fond, le tribunal relève qu’il n’est pas contesté que la parcelle sur laquelle est située la construction concernée par les travaux litigieux est classée en zone verte au sens de l’article 3, point 1° de la loi du 18 juillet 2018.

Il y a lieu de relever que la loi du 18 juillet 2018 poursuit, tel qu’indiqué en son article 1er, les objectifs suivants : « 1° la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel ; 2° la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, 3° la protection et la restauration des biotopes, des espèces et de leurs habitats, ainsi que des écosystèmes, 4° le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques ; 5° la protection des ressources naturelles contre toutes dégradations ; 6° le maintien et la restauration des services écosystémiques ; et 7° l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ».

Pour assurer le respect de ces objectifs, le législateur a, à travers l’article 6 (1) de ladite loi, limitativement énuméré les constructions pouvant être érigées dans la zone verte, respectivement a, à travers l’article 7 de la même loi, encadré les conditions dans lesquelles une construction existante peut subir des travaux de rénovation, de transformation ou encore d’agrandissement.

L’article 7 de la loi du 18 juillet 2018, tel qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée, visant les constructions existantes sises en zone verte, est libellé comme suit :

1 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 93 et les autres références y citées.

9« (1) Lorsqu’une construction existante située dans la zone verte compromet le caractère d’un site, le ministre peut ordonner que son aspect extérieur soit modifié de façon qu’elle s’harmonise avec le milieu environnant.

(2) Les constructions légalement existantes situées dans la zone verte ne peuvent être rénovées ou transformées matériellement qu’avec l’autorisation du ministre. La destination est soit maintenue soit compatible avec l’affectation prévue à l’article 6.

Les constructions qui ne sont pas légalement existantes en zone verte ne peuvent pas être rénovées ou transformées matériellement.

Pour les constructions servant à l’habitation, aucune augmentation du nombre d’unités d’habitation n’est autorisée, sauf le cas du logement intégré pour les constructions servant à l’habitation au sens de l’article 6, paragraphe 2.

Les constructions agricoles couvertes par l’autorisation prévue à l’article 6, paragraphe 1er, à condition qu’elles ne changent pas de destination et ne changent pas leur aspect extérieur, ne nécessitent pas d’autorisation pour les rénovations à l’intérieur de ces constructions.

(3) Les constructions légalement existantes dans la zone verte ne peuvent être agrandies qu’avec l’autorisation du ministre et à condition que leur destination soit compatible avec l’affectation prévue à l’article 6. Aucune augmentation du nombre d’unités d’habitation n’est autorisée, sauf le cas de logement intégré pour les constructions servant à l’habitation au sens de l’article 6, paragraphe 2. Le ministre peut prescrire, en cas de demande d’augmentation de l’emprise au sol ou de la surface construite brute de la construction existante, une emprise au sol maximale ou une surface construite brute maximale du projet de construction à autoriser.

Les constructions qui ne sont pas légalement existantes en zone verte ne peuvent pas être agrandies.

(4) Pour les constructions situées dans la zone verte aucun changement de destination ne sera autorisé s’il n’est pas compatible avec les affectations prévues par l’article 6.

(5) Par constructions légalement existantes dans la zone verte, on entend les constructions qui ont été autorisées par le ministre et qui ont fait l’objet d’exécution conforme à toutes les autorisations délivrées par le ministre, ou qui ont été légalement érigées avant toute exigence d’autorisation du ministre, et dont tous travaux postérieurs à la première érection ont été dûment autorisés et légalement effectués.

Par destination d’une construction, on entend l’emploi déterminé de la construction dans son ensemble.

Une transformation matérielle comprend l’ensemble des travaux portant sur la distribution des locaux d’une construction, ainsi que toute modification extérieure.

Une rénovation comprend les travaux consistant à remettre dans un bon état les éléments existants d’un volume bâti fonctionnel et peut comprendre un changement d’équipements vétustes ainsi que la modification des murs intérieurs non porteurs et de la distribution des locaux tout en préservant l’ensemble des dalles, des murs extérieurs. La 10rénovation peut également porter sur les travaux de réfection de la toiture, dès lors que sa forme et ses dimensions se trouvent conservées.

Un agrandissement est une augmentation de l’emprise au sol, du volume bâti ou de la surface construite brute.

(6) Les constructions en zone verte qui ont été démolies, démontées ou détruites, ne peuvent être reconstruites qu’à condition que leur affectation soit conforme à l’article 6.

Une autorisation portant dérogation à l’alinéa 1er peut être accordée au propriétaire dans le cas où une construction a été détruite, partiellement ou intégralement, par un cas fortuit, au moment où elle servait de résidence habituelle au sens de la loi modifiée du 19 juin 2013 relative à l’identification des personnes physiques. […] ».

L’article 6 de la même loi, intitulé « Règles concernant les nouvelles constructions », auquel l’article 7 renvoie plus particulièrement en ses paragraphes (2), (3) et (4), est libellé comme suit :

« (1) Sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation.

Il appartient au requérant d’une autorisation de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte.

Ne comptent pas comme activités d’exploitation au sens de la présente loi les activités économiques sans lien avec la production de matière première, notamment la location ou le prêt à usage de bâtiments, étables ou machines à des tiers.

Les activités d’exploitation visées à l’alinéa 1er et les constructions autorisables doivent répondre aux critères suivants :

1° Les activités d’exploitation agricole, horticole, maraîchère et viticole sont opérées à titre principal au sens de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales. […] (2) Une construction servant à l’habitation ayant un lien fonctionnel direct avec les activités d’exploitation agricole exercées à titre principal peut être autorisée en zone verte, pour autant que la construction est nécessaire à l’activité agricole. Un lien fonctionnel direct entre une construction servant à l’habitation et une exploitation agricole est donné lorsque l’activité agricole nécessite la présence rapprochée et permanente du chef d’exploitation. La construction servant à l’habitation est alors considérée comme construction agricole et faisant partie intégrante de l’exploitation. Une seule construction servant à l’habitation est autorisée par exploitation agricole. Cette construction servant à l’habitation peut comprendre un logement intégré faisant partie de la construction et appartenant au même propriétaire, à condition de n’être destiné qu’au logement en faveur d’un membre de la famille participant à l’exploitation ou du personnel de l’exploitation. Un règlement grand-ducal détermine les 11dispositions relatives aux dimensions, à la durabilité et à l’intégration des constructions servant à l’habitation. […]. ».

L’article 7 de la loi du 18 juillet 2018 distingue en ses paragraphes (2) et (3) entre, d’une part, les rénovations ou transformations matérielles et, d’autre part, les agrandissements.

Si les rénovations et transformations matérielles sont autorisables soit si la destination de la construction est maintenue, soit si elle est compatible avec l’affectation prévue à l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018, il en est différemment des travaux d’agrandissement qui, eux, ne sont autorisables que pour autant que la destination de la construction est compatible avec l’une des affectations prévues à cet article 6.

L’article 7 de la loi du 18 juillet 2018, tel qu’il est libellé, consacre donc le droit au maintien de l’existant, sur le fondement d’un droit antérieurement acquis, tandis que les travaux allant au-delà ne sont autorisables que pour autant que l’affectation prévue est conforme avec l’une des activités limitativement énumérées à l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018.

Autrement dit, les travaux portant sur une construction légalement existante dont l’affectation telle que maintenue n’est pas compatible avec l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 ne sont autorisables que pour autant qu’il s’agisse de travaux de rénovation ou de transformation matérielle, tandis qu’ils sont interdits lorsqu’il s’agit de travaux d’agrandissement ou de reconstruction au sens de la loi.

Par ailleurs, l’article 7 (3) de la loi du 18 juillet 2018 interdit toute augmentation du nombre d’unités d’habitation, en prévoyant à titre d’exception l’hypothèse d’un logement intégré pour les constructions servant à l’habitation au sens de l’article 6 (2). Etant donné que ledit article 6 (2) vise les constructions servant à l’habitation ayant un lien fonctionnel direct avec les activités d’exploitation agricole exercées à titre principal, pour autant que les constructions sont nécessaires à l’activité agricole, la création d’un logement intégré dans une maison d’habitation sise en zone verte n’est autorisable qu’en présence d’une activité d’exploitation agricole exercée à titre principal, tel que souligné à juste titre par le ministre.

Quant à la définition des différentes catégories de travaux, il convient de renvoyer à l’article 7 (5) de la loi du 18 juillet 2018, d’après lequel (i) une transformation matérielle comprend l’ensemble des travaux portant sur la distribution des locaux d’une construction, ainsi que toute modification extérieure, (ii) une rénovation comprend les travaux consistant à remettre dans un bon état les éléments existants d’un volume bâti fonctionnel et peut comprendre un changement d’équipements vétustes ainsi que la modification des murs intérieurs non porteurs et de la distribution des locaux tout en préservant l’ensemble des dalles, des murs extérieurs, de même qu’elle peut porter sur les travaux de réfection de la toiture, dès lors que sa forme et ses dimensions se trouvent conservées, et (iii) un agrandissement vise des travaux impliquant une augmentation de l’emprise au sol, du volume bâti ou de la surface construite brute.

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’immeuble du demandeur est à qualifier de construction légalement existante, au sens de l’article 7 de la loi du 18 juillet 2018.

Le tribunal relève ensuite qu’il se dégage du plan versé à l’appui de la demande d’autorisation de Monsieur (A), et plus particulièrement des mentions « objet de la demande » 12y apposées, que l’objet de la demande en question se limite à des modifications de la maison d’habitation et d’une partie de la grange y accolée.

Concrètement, le projet consiste, premièrement, en des modifications aux niveaux des portes et des fenêtres de la maison et d’une partie de la grange. Parmi ces modifications figure la création, dans les façades nord-est et nord-ouest de la maison d’habitation et au premier étage de celle-ci, d’avant-corps vitrés, augmentant le volume bâti et la surface construite brute de l’immeuble, ce qui constitue un agrandissement au sens de l’article 7 (3) et (5), alinéa 5 de la loi du 18 juillet 2018.

Deuxièmement, le projet consiste en la création d’une unité d’habitation supplémentaire dans la maison d’habitation, qui sera subdivisée en un « appartement 1 », situé au rez-de-chaussée et comprenant un living avec cuisine ouverte, une chambre à coucher et une salle de bains, et en un « appartement 2 », comprenant, au 1er étage, une bibliothèque, un living avec cuisine ouverte et une salle à manger et, sous les combles, un « masterbedroom », une chambre et une salle de bains, chacun de ces appartements disposant d’une entrée séparée.

Cette création d’une unité d’habitation supplémentaire tombe dans le champ d’application de l’article 7 (3) de la loi du 18 juillet 2018.

Troisièmement, le tribunal constate que la cage d’escalier permettant d’accéder au différents niveaux de l’« appartement 2 », la susdite bibliothèque et un local « chauffage/techniques » font partie de l’ancienne grange, qui est donc partiellement intégrée dans la maison d’habitation, ce qui constitue manifestement un changement de la destination de cette partie de la grange, tombant dans le champ d’application 7 (4) de la loi du 18 juillet 2018, contrairement à ce que fait plaider le demandeur.

Ces opérations d’agrandissement et de changement de destination ne sont, en vertu des dispositions de l’article 7 (3) et (4) de la loi du 18 juillet 2018, autorisables qu’à condition que la destination de la construction soit compatible avec l’affectation prévue à l’article 6 de la même loi, ce qui, en présence d’une activité d’exploitation agricole alléguée, suppose, en vertu du paragraphe (1), alinéa 4, point 1° dudit article 6, qu’il s’agisse d’une activité d’exploitation agricole opérée à titre principal au sens de la loi du 27 juin 2016.

Quant à l’augmentation du nombre d’unités d’habitation, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 7 (3) de la loi du 18 juillet 2018 qu’une telle opération n’est, en principe, pas autorisable, sauf s’il s’agit de la création d’un logement intégré pour une construction servant à l’habitation au sens de l’article 6 (2) de loi du 18 juillet 2018, le tribunal venant de retenir que compte tenu du renvoi ainsi fait par le législateur à cette dernière disposition légale, la création d’un logement intégré dans une maison d’habitation sise en zone verte n’est autorisable qu’en présence d’une activité d’exploitation agricole exercée à titre principal.

La loi du 27 juin 2016, à laquelle renvoie l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018, prévoit ce qui suit, en son article 2 :

« (1) Au sens de la présente loi, les notions d’exploitant agricole et d’exploitation agricole couvrent l’ensemble des activités des agriculteurs, viticulteurs, éleveurs, arboriculteurs, horticulteurs, pépiniéristes, jardiniers, maraîchers, apiculteurs et distillateurs.

13(2) Par exploitation agricole, on entend une unité technico-économique à caractère agricole gérée distinctement de toute autre, disposant d’un ensemble de moyens humains et matériels et comprenant en propriété ou ayant à sa disposition permanente et à long terme, le cas échéant, par voie de location, tous les moyens de production nécessaires permettant d’en assurer une gestion indépendante, dont notamment les bâtiments, les machines et les équipements et exploitant au minimum 3 hectares admissibles de terres agricoles ou 0,10 hectare de vignobles ou 0,50 hectare de pépinières ou 0,30 hectare de vergers ou 0,25 hectare de maraîchages.

(3) Sont considérés comme exploitants agricoles à titre principal, les exploitants agricoles :

1. qui gèrent une exploitation agricole dont la dimension économique est susceptible d’en assurer la viabilité économique ;

2. dont la part du temps de travail consacré aux activités extérieures à l’exploitation agricole est inférieure à la moitié du temps de travail total de l’exploitant, tout en ne dépassant pas 20 heures par semaine ;

3. qui ne sont pas bénéficiaires d’une pension de vieillesse ; et 4. qui n’ont pas atteint l’âge de soixante-cinq ans.

(4) Si l’exploitant agricole est une personne morale, il est à considérer comme exploitant à titre principal :

1. si l’exploitation agricole répond aux exigences du paragraphe 3, point 1 ; et 2. si la ou les personnes appelées à gérer l’exploitation agricole remplissent les conditions prévues au paragraphe 3, points 2 à 4 et participent ensemble au capital social à hauteur de 40 pour cent au moins.

(5) Sont considérés comme exploitants agricoles à titre accessoire, les exploitants agricoles :

1. qui gèrent une exploitation agricole dont la dimension économique est susceptible d’assurer la viabilité économique de l’activité agricole ;

2. qui ne sont pas bénéficiaires d’une pension de vieillesse ; et 3. qui n’ont pas atteints l’âge de soixante-cinq ans.

(6) Si l’exploitant agricole est une personne morale, il est à considérer comme exploitant à titre accessoire :

1. si l’exploitation agricole répond aux exigences du paragraphe 5, point 1 ; et 2. si la ou les personnes appelées à gérer l’exploitation agricole remplissent les conditions prévues au paragraphe 5, points 2 et 3 et participent ensemble au capital social à hauteur de 40 pour cent au moins.

(7) L’exploitant agricole personne morale doit en outre remplir les conditions suivantes :

1. La propriété de la personne morale doit porter au moins sur l’ensemble du cheptel mort et vif de l’exploitation agricole.

2. Les biens meubles ou immeubles acquis après la constitution de la personne morale et pour lesquels une aide à l’investissement est allouée, doivent être la propriété de la personne morale.

3. Les immeubles bâtis ou non bâtis dont les associés sont propriétaires et qui sont exploités par la personne morale, doivent être pris à bail par la personne morale.

14 (8) Un règlement grand-ducal fixe les paramètres servant au calcul de la dimension économique d’une exploitation agricole et définit la notion de viabilité économique.

(9) A chaque exploitation agricole ne peut être attribué qu’un seul numéro d’exploitation. ».

En l’espèce, le demandeur, en se prévalant d’une activité de producteur de miscanthus, soutient qu’il serait à qualifier d’exploitant agricole à titre principal. Subsidiairement, il soulève la contrariété de l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018 à l’article 10bis de la Constitution, au motif, en substance, qu’en vertu de cette disposition légale, les exploitants agricoles à titre accessoire seraient discriminés par rapport aux exploitants agricoles à titre principal.

Or, le tribunal constate que face aux contestations de la partie étatique, le demandeur ne rapporte pas la preuve qu’au jour de la prise des décisions déférées, il aurait exercé une quelconque activité agricole, que ce soit à titre principal ou à titre accessoire, les pièces qu’il verse dans ce contexte, à savoir un plan de développement de son exploitation établi par « … » le 6 juin 2007, une invitation à une exposition ayant eu lieu le 17 octobre 2019, une version actualisée en date du 27 avril 2022 d’une offre du 24 août 2020 pour une « attestation SECO » d’un « système « Panneaux préfabriqués constitués d’une ossature en bois et d’un remplissage en béton de Miscanthus », ainsi qu’un « Contrat de collaboration » entre « … » et l’association sans but lucratif de droit belge (CC) ASBL, relatif à la « Promotion du miscanthus au Grand-

Duché de Luxembourg et en Belgique », non signé et daté du 17 octobre 2019, étant manifestement insuffisantes à cet égard.

S’il est constant en cause que dans le passé, le demandeur s’est vu accorder une autorisation ministérielle pour la construction d’un hall agricole dans le cadre de l’activité de production de miscanthus qu’il exerçait, de manière non contestée, à l’époque, l’existence de cette autorisation, rendue sous l’empire de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, abrogée par la loi du 18 juillet 2018, ne permet pas à elle seule de conclure à la subsistance de cette activité lors de la prise des décisions déférées et elle n’est, d’ailleurs, pas de nature à dispenser le demandeur de l’obligation de se conformer aux dispositions de la législation en vigueur, en cas d’introduction d’une nouvelle demande d’autorisation, telle que celle faisant l’objet du présent recours.

Dans ces circonstances, et au vu des développements faits ci-avant, le tribunal arrive à la conclusion que le projet du demandeur, en ce qu’il implique un agrandissement et un changement de destination des constructions existantes, ainsi que la création d’une unité d’habitation supplémentaire, n’est pas autorisable, en vertu des dispositions combinées des articles 6 et 7 (3) et (4) de la loi du 18 juillet 2018.

En l’absence de preuve d’une quelconque activité d’exploitation agricole dans le chef du demandeur, l’argumentation subsidiaire de celui-ci, ayant trait à une discrimination opérée par l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018 entre les exploitants agricoles à titre principal et les exploitants agricoles à titre accessoire, en violation de l’article 10bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, consacrant le principe d’égalité devant la loi, est dépourvue de pertinence, le demandeur ne relevant ni de l’une ni de l’autre de ces deux catégories de personnes. Dès lors, et conformément aux dispositions de l’article 6, alinéa 2, point a) de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, 15il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle en relation avec cette prétendue discrimination, la réponse à cette question n’étant pas nécessaire pour rendre le présent jugement. L’argumentation sous analyse est, par conséquent, à rejeter.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est a priori à juste titre que le ministre a refusé de faire droit à la demande d’autorisation de Monsieur (A), sans qu’il y ait besoin de prendre position quant au bien-fondé du motif de refus ayant trait à une pollution lumineuse, cet examen devenant surabondant.

Le demandeur se prévaut cependant encore du principe de proportionnalité et soutient que son projet ne porterait pas atteinte à l’environnement, en se référant, dans ce contexte, à l’article 62 de la loi du 18 juillet 2018, aux termes duquel :

« Les autorisations requises en vertu de la présente loi sont refusées lorsque les projets du requérant sont de nature à porter préjudice à la beauté et au caractère du paysage ou s’ils constituent un danger pour la conservation du sol, du sous-sol, des eaux, de l’atmosphère, de la flore, de la faune ou du milieu naturel en général ou lorsqu’ils sont contraires à l’objectif général de la présente loi tel qu’il est défini à l’article 1er. ».

Or, il est de jurisprudence que l’examen de l’impact environnemental éventuel d’un projet n’intervient qu’après la vérification de la conformité du projet à l’affection de la zone verte et non pas pour l’hypothèse d’un projet qui n’est pas compatible avec cette même zone, tel que c’est le cas en l’espèce, le ministre n’ayant dans pareille hypothèse pas d’autre option que de refuser purement et simplement l’autorisation sollicitée en vertu du principe de non-constructibilité régissant la zone verte.2 Ce principe a encore été récemment rappelé par la Cour administrative dans deux arrêts des 17 octobre 20243 et 14 janvier 20254.

S’agissant du principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité, le tribunal constate que contrairement à ce que soutient le demandeur, les travaux projetés ne constituent pas des adaptations minimes, qui seraient nécessaires afin d’éviter la dégradation de son immeuble. En effet, ces travaux comportent, outre une augmentation de la surface habitable de la maison existante par l’ajout d’avant-corps et par l’intégration dans la maison d’une partie de l’ancienne grange, la création d’une unité d’habitation supplémentaire, dépourvue de tout lien avec une quelconque activité agricole dans le chef du demandeur ou l’une des autres activités visées à l’article 6 (1) de la loi du 18 juillet 2018. Les travaux litigieux contribuent, dès lors, au développement de l’habitat – et ainsi, du moins potentiellement, à un accroissement de la présence humaine – en zone verte, qui est, pourtant, par définition, destinée à rester libre et où la présence de logements ne se conçoit, dès lors, qu’à titre exceptionnel.

Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait déceler de violation du principe de proportionnalité, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

2 Trib. adm., 24 octobre 2007, n° 22683 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Environnement, n° 36 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 17 octobre 2024, n° 50421C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

4 Cour adm., 14 janvier 2025, n° 50944C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

16Le demandeur sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 5000 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Cette demande est cependant à rejeter, au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48309
Date de la décision : 10/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-10;48309 ?

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