Tribunal administratif N° 48975 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48975 1re chambre Inscrit le 24 mai 2023 Audience publique du 10 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en matière de protection de la nature
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48975 du rôle et déposée le 24 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 28 septembre 2022, portant refus de sa demande d’autorisation pour la « construction d’un entrepôt sylvicole sur la parcelle inscrite au cadastre de la Commune de Grosbous, section … de Grosbous, lieu-
dit « … », sous le numéro n°(P1) », ainsi que de la décision confirmative sur recours gracieux du même ministre du 24 février 2023 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 octobre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Hervé HANSEN déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 novembre 2023 pour compte de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hervé HANSEN et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 février 2025.
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En date du 8 mai 2018, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », une autorisation de principe pour la construction d’un abri sylvicole sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Grosbous, section … de Grosbous, lieu-dit « … », sous le numéro (P1), ci-après désigné la « parcelle n° (P1) », demande qui fut refusée par le ministre de l’Environnement en date du 23 octobre 2018.
1 Le recours gracieux introduit par l’ancien mandataire de Monsieur (A) en date du 16 janvier 2019 contre la décision du 23 octobre 2018, fut rejeté par le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », par une décision du 31 janvier 2022.
En date du 18 mars 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du ministre une nouvelle demande tendant à se voir accorder l’autorisation pour la construction d’un entrepôt sylvicole sur la parcelle n°(P1).
En date du 27 avril 2022, le préposé du Triage de Grosbous de l’Administration de la nature et des forêts rendit l’avis suivant : « (…) La construction dépasse les 10m2 Le plan de gestion ainsi que la justification des propriétaires des parcelles forestières fait défaut.
La surface sylvicole comprend 13 ha.
La construction n’a pas une pente unique.
La demande pour l’installation photovoltaïque sur le toit fait défaut.
Les plans ne respectent pas les consignes du MECDD.
Je propose que le service autorisation demande des éléments manquants avant de clôturer le dossier (…) ».
En date du 1er juin 2022, le chef de l’arrondissement Nord de la nature et des forêts émit un avis libellé comme suit : « (…) • Le requérant parle de « Bewirtschaftete Parzellen », or il faudrait inviter le requérant de fournir un extrait cadastral afin de prouver que les surfaces sont dans sa propriété, et en ajoutant que le RGD concernant les constructions sylvicoles fait toujours défaut, lequel évoque qu’une surface minimale est requise ! • La surface forestière est de 5,57 ha selon courrier du requérant.
• Le même RGD parle de 100 m2 de surface.
Si le MECDD se base sur les démarches du RGD en procédure, le projet devrait être refusé. (…) ».
Par décision du 28 septembre 2022, le ministre refusa de faire droit à la demande introduite par Monsieur (A), ledit refus étant libellé comme suit :
« (…) Je fais suite à votre requête du 25 mars 2022 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour la construction d’un hangar sylvicole sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de GROSBOUS: section … de Grosbous (…), sous le numéro (P1).
Selon l’article 6 (1) de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles : « Sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.
Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation. » 2Considérant la surface forestière que vous exploitez, soit 5,57 hectares selon vos informations, votre activité ne saurait être qualifiée d’exploitation forestière justifiant la construction d’un hangar sylvicole en zone verte, zone qui par principe est destinée à rester libre de toute construction.
Sachez encore que les travaux forestiers exécutés pour le compte de tiers ne sont pas assimilés au concept d’exploitation sylvicole au sens de l’article 6 de la loi modifiée précitée, mais sont considérés comme activité commerciale et ne donnent dès lors pas droit à l’application des conditions d’exception définies par l’article 6 précité.
Par conséquent, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je dois réserver une suite défavorable au dossier. (…) ».
Par courrier de son ancien mandataire du 22 novembre 2022, réceptionné le 28 novembre 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 28 septembre 2022.
Le 24 février 2023, le ministre refusa de faire droit au recours gracieux lui ainsi soumis.
Cette décision confirmative de refus est libellée comme suit :
« (…) La présente fait suite à votre recours gracieux du 28 novembre 2022 formulé à l’encontre de la décision n°(D1) du 28 septembre 2022 concernant la construction d’un entrepôt sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de GROSBOUS: section … de Grosbous (…), sous le numéro (P1).
En l’absence de tout élément nouveau, la décision n°(D1) du 28 septembre 2022 est maintenue dans son intégralité. (…) ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mai 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 septembre 2022 portant refus de lui accorder une autorisation pour la construction d’un hangar sylvicole sur la parcelle n° (P1), et de la décision confirmative du ministre du 24 février 2023, précitée, prise sur recours gracieux.
Quant à la compétence du tribunal Dans la mesure où la loi du 18 juillet 2018 sur le fondement de laquelle les décisions litigieuses ont été prises ne prévoit pas de recours au fond en la présente matière, l’article 68 de ladite loi prévoyant, au contraire, un recours en annulation, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En revanche, le demandeur a valablement pu introduire le recours subsidiaire en annulation.
Quant à la recevabilité du recours Moyens et arguments des parties 3Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef du demandeur, au motif que celui-ci ne serait que propriétaire de 49 ares de parcelles forestières, tandis que ses parents seraient les propriétaires de toutes les autres parcelles forestières dont le demandeur se prévaut à l’appui de sa demande de construire. Suivant le délégué du gouvernement, ce seraient les parents du demandeur qui auraient un intérêt à agir en l’espèce.
Le demandeur souligne quant à lui qu’il serait le propriétaire de la parcelle n° (P1) sur laquelle le ministre lui a refusé la construction d’un hangar sylvicole, qu’il aurait sollicité l’autorisation de construire et qu’il serait le destinataire des décisions litigieuses, de sorte qu’il aurait un intérêt personnel et certain d’agir.
Appréciation du tribunal Il y a lieu de rappeler qu’en matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif1.
En effet, pour justifier d’un intérêt à agir, il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d’un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l’annulation de l’acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle2. Ainsi, il faut que la décision querellée entraîne des conséquences fâcheuses pour le demandeur, de nature matérielle ou morale et que l’annulation poursuivie mette fin à ces conséquences3.
En l’espèce, dans la mesure où il n’est pas contesté pour encore ressortir de l’extrait cadastral versé en cause que Monsieur (A) est le propriétaire de la parcelle n° (P1) sur laquelle le hangar sylvicole litigieux est projeté et qu’à travers les décisions litigieuses, le ministre lui a refusé cette construction sur ladite parcelle, il dispose d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre des décisions déférées.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité formulé par le délégué du gouvernement encourt le rejet.
A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal retient que le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.
Quant au fond Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels que relatés ci-dessus tout en ajoutant qu’il exploiterait, dans le cadre de son activité sylvicole, 1 Cour adm., 14 juillet 2009, n°s 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 13 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 7 novembre 2016, n°s 36132 et 36133 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 15 et les autres références y citées.
4plusieurs parcelles forestières d’une contenance totale de 5 hectares et 57 ares, dont 49 ares lui appartiendraient et 5 hectares et 8 ares appartiendraient à ses parents.
En droit, il fait en premier lieu valoir que les décisions déférées seraient à annuler pour excès de pouvoir, en ce qu’elles seraient entachées d’une erreur d’appréciation manifeste.
Après avoir cité le paragraphe 1er de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 relatif aux constructions conformes à l’affectation de la zone verte ainsi que la jurisprudence4 des juridictions administratives sur la définition de la sylviculture et de l’exploitation sylvicole, le demandeur soutient qu’il exercerait une activité sylvicole au sens de ladite loi, dans la mesure où il serait amené à entretenir, conserver, regénérer et reboiser une surface totale de 5 hectares et 57 ares de bois et de haies. Pour ce faire, il disposerait de deux tracteurs, de deux remorques, d’un chariot à bois long, d’un broyeur, d’un treuil ainsi que de divers autres appareils comme des tronçonneuses et des débroussailleuses, le demandeur soulignant qu’il serait indispensable que ces machines et outils spécifiques pourraient être entreposés dans un hangar sylvicole.
Dans la mesure où la construction litigieuse se trouverait dès lors en lien direct avec son activité sylvicole, ce serait à tort que le ministre aurait retenu que son activité ne serait pas à considérer comme exploitation sylvicole aux termes de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 18 juillet 2018.
Ce serait encore à tort que le ministre aurait retenu qu’il exercerait des travaux forestiers pour le compte de tiers, le demandeur soulignant à cet égard qu’il n’aurait jamais indiqué vouloir procéder à des travaux forestiers pour le compte de tierces personnes, mais que son activité se limiterait à des travaux sur ses propres parcelles ainsi que sur celles de ses parents.
En deuxième lieu, Monsieur (A) estime que les décisions litigieuses seraient à annuler pour violation de la loi et, plus particulièrement, pour violation de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 18 juillet 2018, en ce que le ministre a retenu que la surface forestière exploitée serait insuffisante. Il souligne à cet égard qu’aucun texte de loi n’exigerait l’exploitation d’une surface forestière minimale et que le projet de règlement grand-ducal concernant certains types de constructions en zone verte, auquel l’Administration de la nature et des forêts a fait référence dans le cadre de ses avis des 27 avril et 1er juin 2022, précités, lequel prévoirait effectivement l’exploitation d’une surface forestière minimale, n’aurait aucune force contraignante pour ne constituer qu’un projet. En s’appuyant encore sur les travaux parlementaires relatifs à la loi du 18 juillet 2018, le demandeur fait valoir que tous les types de constructions non énumérés à l’article 6, paragraphe (1), alinéa 1er de ladite loi, seraient par principe autorisables, et qu’à défaut d’un texte normatif prévoyant l’exigence d’exploitation d’une surface forestière minimale, la construction projetée serait autorisable, de sorte que les décisions litigieuses auraient été prises en violation de la loi.
Finalement, Monsieur (A) se prévaut encore d’un excès de pouvoir dans le chef du ministre, en ce que les décisions litigieuses auraient été prises en violation des principes généraux de la sécurité juridique et de la confiance légitime. Il souligne dans ce contexte que sa première demande en obtention d’une autorisation de construire introduite en date du 8 mai 2018 aurait été rejetée par décisions ministérielles des 23 octobre 2018 et 31 janvier 2022 aux motifs que le stockage de bois de chauffage ne serait pas à considérer comme activité sylvicole et que les machines dans sa possession ne justifieraient pas la construction d’un abri de 200 m2, de sorte qu’il aurait légitimement pu croire qu’en renonçant au stockage de bois et en 4 Cour adm., 26 mai 2016, n° 37444C du rôle ; trib. adm., 11 juillet 2016, n° 36354 du rôle.
5diminuant les dimensions de la construction envisagée dans le cadre de sa nouvelle demande d’autorisation de construire introduite en date du 18 mars 2022, celle-ci serait acceptée.
Cependant, dans ses décisions litigieuses des 28 septembre 2022 et 24 février 2023, le ministre a rejeté cette nouvelle demande en invoquant de nouveaux motifs de refus, de sorte qu’il se serait départi brusquement d’une attitude suivie à son égard dans le passé. Ce comportement serait contradictoire et imprévisible, de sorte que le ministre aurait violé les principes généraux de la sécurité juridique et de la confiance légitime et que les décisions litigieuses seraient à annuler.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours au motif que l’activité du demandeur ne saurait être considérée comme exploitation sylvicole au sens de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018. Tout en admettant qu’aucun texte normatif ne prévoirait l’exploitation d’une surface forestière minimale, il souligne qu’il serait de longue date usage que des abris sylvicoles ne seraient autorisés qu’à partir d’une surface forestière minimale de 10 hectares, surface, qui ne serait pas arbitraire, mais dûment et objectivement justifiée, la partie étatique soulignant que le demandeur ne disposerait que d’une surface extrêmement réduite de 5 hectares et 56 ares et que toute parcelle forestière n’impliquerait pas ipso facto un droit à se voir autoriser une construction dans l’intérêt d’une exploitation de ladite parcelle.
Le demandeur ne rapporterait pas non plus la preuve qu’il gérerait les parcelles forestières lui-même, dans un objectif de produire du bois et de conserver la forêt pour les générations futures ou dans un but écologique tel qu’exigé par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 18 juillet 2018. Il se serait ainsi contenté d’énumérer les parcelles forestières sans expliquer en quoi consisterait concrètement son activité et sans présenter un plan de gestion, voire une pièce prouvant la production de bois. Il se serait également adonné à une simple énumération des machines, sans avoir prouvé qu’il en serait effectivement le propriétaire et sans avoir prouvé qu’il en aurait réellement besoin pour gérer la surface forestière, la partie étatique soulignant que le demandeur disposerait également de 7 hectares de surfaces agricoles, de sorte que les deux tracteurs pourraient aussi être utilisés dans le cadre d’une activité agricole.
Les machines invoquées par le demandeur seraient encore exagérées par rapport à la taille des parcelles forestières, la partie étatique cite dans ce contexte une note élaborée par le directeur de l’Administration de la nature et des forêts, suivant laquelle une surface forestière minimale de 100 hectares serait nécessaire pour rentabiliser des machines forestières lourdes, et qu’une surface minimale de forêts serait encore nécessaire pour se voir accorder une autorisation de construire un hangar sylvicole.
La partie étatique souligne ensuite que l’installation de panneaux photovoltaïques sur l’intégralité du toit de la construction projetée serait également surdimensionnée pour le seul éclairage du hangar.
Suivant le délégué du gouvernement, la gestion de 5 hectares et 56 ares de forêt serait à qualifier d’activité de loisir plutôt que d’exploitation sylvicole, alors que le terme « exploitation » prévu par l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 présupposerait une activité d’une certaine envergure exercée avec un certain sérieux, la partie étatique se référant dans ce contexte aux décisions5 des juridictions administratives en la matière. Dans la mesure où le demandeur serait resté en défaut de prouver une activité à qualifier d’exploitation sylvicole, ce serait à bon droit que le ministre lui a refusé l’autorisation de construire sollicitée.
5 Cour adm., 29 novembre 2012, n° 31164C du rôle ; trib. adm., 20 septembre 2023, n° 46564 du rôle.
6La partie étatique se rapporte ensuite à prudence de justice concernant les considérations ministérielles suivant lesquelles le demandeur effectuerait des travaux forestiers pour le compte d’autrui, tout en soulignant que la majorité des parcelles forestières dont le demandeur se prévaut appartiendrait à ses parents.
Le délégué du gouvernement réfute ensuite l’argumentation du demandeur, suivant laquelle tous les types de constructions non énumérés à l’article 6, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi du 18 juillet 2018 seraient par principe autorisables tout en expliquant l’historique de cette disposition légale et en se référant à un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2023, inscrit sous le numéro 46564 du rôle. Il en conclut que ledit alinéa 1er ne saurait être interprété comme la volonté du législateur d’admettre les constructions en zone verte pour des activités de loisir, mais qu’il faudrait qu’une activité soit opérée à titre professionnel ou suivant une consistance et une constance certaine qui requerrait pour le moins une expertise quasi professionnelle, ce qui ne serait pas le cas pour le demandeur. Aucune violation de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 ne saurait dès lors être reprochée au ministre.
La partie étatique estime finalement que le moyen du demandeur tendant à une violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime ne serait pas fondé, dans le mesure où les décisions ministérielles des 23 octobre 2018 et 31 janvier 2022 ne se limiteraient pas à la référence au stockage du bois et à la taille du hangar projeté, mais souligneraient encore en quoi une activité sylvicole ouvrant droit à construire en zone verte consisterait, activité qui n’aurait à aucun moment été prouvée par le demandeur. Elle ajoute qu’une confiance légitime ne saurait en tout état de cause être tirée d’une interprétation a contrario d’une décision ministérielle et ne pourrait naître que d’un acte positif reconnaissant explicitement l’élément dont le demandeur souhaiterait se prévaloir. Par ailleurs, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes n’imposerait pas au ministre une motivation exhaustive, de sorte que d’autres moyens de refus pourraient également s’appliquer.
Elle conclut dès lors au rejet du recours.
Dans son mémoire en réplique, Monsieur (A) reprend son argumentation telle que développée dans sa requête introductive d’instance, en ajoutant qu’en date du 15 octobre 2022, il aurait encore conclu un contrat de bail à ferme portant sur des parcelles forestières d’une superficie de 6 hectares et 76 ares, de sorte qu’il entretiendrait actuellement des forêts d’une superficie totale de 12 hectares et 33 ares.
Dans le cadre de son moyen ayant trait à une erreur d’appréciation manifeste dans le chef du ministre, le demandeur critique tout d’abord l’argumentation étatique suivant laquelle son activité ne serait pas à qualifier d’exploitation sylvicole, en soulignant qu’il veillerait à la gestion durable, à l’entretien et à la conservation des parcelles forestières pour des générations futures et à des fins écologiques. Il s’adonnerait ainsi à l’élimination des arbres morts ou pourris ainsi qu’au rajeunissement naturel de la forêt nécessaire pour garantir un développement racinaire non perturbé, une meilleure stabilité des arbres et l’apparition de nouvelles plantes, le demandeur contestant dans ce contexte encore la nécessité de présenter un plan de gestion, tel que souligné par la partie étatique, au motif qu’aucun texte normatif n’imposerait la production d’un tel plan dans le cadre d’une demande d’autorisation de construire.
Le demandeur soutient ensuite qu’afin d’effectuer tous ces travaux sylvicoles, il aurait besoin des machines énumérées ci-dessus. Il réfute dans ce contexte l’allégation étatique 7suivant laquelle ses deux tracteurs seraient utilisés dans le cadre d’une activité agricole, dans la mesure où ses propriétés agricoles feraient toutes l’objet de contrats de bail à ferme et seraient entretenues par des agriculteurs, le demandeur versant dans ce contexte encore les documents d’immatriculation de ses deux tracteurs et de sa remorque afin de prouver qu’il serait bien le propriétaire des machines dont il se prévaut.
Il poursuit en indiquant que toutes ses machines constitueraient des outils nécessaires à son exploitation sylvicole, alors que son premier tracteur disposerait d’un chargeur frontal et d’un « Kipper » afin de charger et de transporter le bois, que son second tracteur serait utilisé pour des travaux forestiers lourds et pourrait être combiné avec les remorques et le treuil nécessaire pour tirer et traîner les arbres, que le broyeur serait utilisé pour réduire notamment l’herbe se situant le long du chemin forestier adjacent aux parcelles forestières, que la grande remorque serait utilisée pour transporter des troncs d’arbres et que la remorque pour voiture serait utilisée pour transporter divers petits appareils tels que les tronçonneuses et les débroussailleurs. Il aurait dès lors à suffisance prouvé le besoin de ses machines dans le cadre de son activité, de sorte qu’il remplirait les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 18 juillet 2018.
En ce qui concerne les considérations étatiques relatives aux panneaux photovoltaïques projetés, le demandeur précise que l’électricité ainsi générée ne serait pas uniquement utilisée pour l’alimentation énergétique du hangar litigieux, mais qu’un raccordement au réseau électrique et un éventuel approvisionnement de sa maison d’habitation seraient également prévus.
Dans le cadre de son moyen tiré de la violation de la loi, Monsieur (A) critique tout d’abord la partie étatique pour avoir fait référence à une note élaborée par le directeur de l’Administration de la nature et des forêts suivant laquelle une surface forestière minimale de 100 hectares serait nécessaire pour rentabiliser des machines forestières lourdes, et qu’une surface minimale de forêts serait encore nécessaire pour se voir accorder une autorisation de construire un hangar sylvicole, en soulignant, d’un côté, que ses deux tracteurs seraient des occasions mises en circulation en 1977, respectivement 1997, de sorte que les informations contenues dans ladite note ne seraient pas pertinentes en l’espèce, et, de l’autre côté, qu’en tout état de cause, des directives internes, comme ladite note invoquée par la partie étatique, ne lui seraient pas opposables mais seraient uniquement obligatoires pour les agents auxquels elles s’adressent. Une telle note ne saurait, par ailleurs, prévoir des règles allant au-delà de ce qui est prévu par la loi, de sorte que les considérations étatiques à cet égard seraient à rejeter.
Le demandeur se base ensuite sur un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2023, n° 46564 du rôle, pour soutenir qu’il disposerait encore d’une certaine expérience en matière sylvicole, qu’il aurait acquise à travers son expérience et des connaissances transmises de génération en génération et notamment par son père, de sorte que son activité ne saurait être qualifiée de loisir, mais qu’il entretiendrait de façon continue, sérieuse et quasi-professionnelle les parcelles forestières qu’il exploite.
Il réitère finalement son moyen relatif à une violation des principes généraux de la sécurité juridique et de la confiance légitime, le demandeur soulignant plus particulièrement qu’à aucun moment, le ministre ne lui aurait reproché dans ses décisions des 23 octobre 2018 et 31 janvier 2022 de ne pas prouver à suffisance son exploitation sylvicole aux termes de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018.
8Les décisions litigieuses seraient dès lors à annuler.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement reprend son argumentation telle que développée dans son mémoire en réponse.
Il admet ensuite que le demandeur exploiterait aujourd’hui 12 hectares de forêts, mais estime cependant que dans la mesure où le juge serait amené, dans le cadre d’un recours en annulation, à se placer au jour de la prise de la décision litigieuse, les 6 hectares de forêts pris en bail en octobre 2022 ne seraient pas à prendre en compte dans le cadre du présent litige. Il conteste, par ailleurs, l’authenticité dudit contrat de bail en raison du lien de parenté du bailleur avec le demandeur.
La partie étatique conteste ensuite la gestion durable d’une forêt par le demandeur, alors que si ce dernier avait certes énuméré tous les travaux qu’il effectuerait sur les parcelles forestières concernées, il serait cependant resté en défaut non seulement de rapporter la preuve de ces travaux, mais encore d’expliquer en quoi lesdits travaux consisteraient dans une gestion durable d’une forêt, tout en soulignant que la gestion durable d’une forêt se prouverait par la production d’un plan de gestion et non pas par l’invocation vague de quelques travaux basiques en forêts.
Concernant les deux tracteurs dont le demandeur se prévaut, le délégué du gouvernement réitère ses doutes quant à leur affectation réelle et conteste que les parcelles agricoles de Monsieur (A) feraient l’objet de contrats de bail à ferme. Par ailleurs, son chargeur frontal, son broyeur d’herbe et sa grande remorque seraient plus adaptés pour des travaux agricoles que pour des travaux sylvicoles.
Il souligne ensuite que bien que ni le projet de règlement grand-ducal concernant certains types de constructions en zone verte ni la note élaborée par le directeur de l’Administration de la nature et des forêts n’auraient une valeur juridique, ces textes auraient cependant été élaborés par des experts en la matière pour encore traduire leur définition d’une exploitation sylvicole par rapport à une simple activité sylvicole.
Finalement, la partie étatique invoque un nouveau motif de refus en contestant le besoin réel de la construction litigieuse, nécessaire pour se voir accorder une autorisation de construire en zone verte. Elle souligne dans ce contexte que le demandeur disposerait d’une grange d’une surface de 220 m2 se trouvant à Grosbous, à 700 mètres du lieu où il souhaiterait ériger la construction litigieuse. Le demandeur disposerait, par ailleurs, d’une aire de stockage, d’un abri et d’un garage de 75 m2 auprès de sa maison d’habitation, où il garerait d’ores et déjà ses remorques et ses deux tracteurs, le délégué du gouvernement soulignant dans ce contexte encore qu’il ressortirait également des photos aériennes versées en cause que les tracteurs du demandeur seraient bel et bien utilisés dans le cadre de travaux agricoles.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève de prime abord que la légalité d’une décision administrative s’apprécie dans le cadre d’un recours en annulation en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, puisque le juge, lorsqu’il contrôle les décisions de l’administration, doit se placer au même moment et il ne peut tenir compte des circonstances de droit ou de fait postérieures à l’acte attaqué, puisque dans le contentieux de l’annulation, il ne peut substituer son appréciation à celle de l’administration. La légalité d’un acte 9administratif se trouve donc en principe cristallisée au moment où cet acte est pris et le juge se place exactement dans les mêmes conditions où se trouvait l’administration ; c’est la logique du procès fait à un acte6.
Il convient ensuite de rappeler que saisi d’un recours en annulation, le tribunal vérifie si les motifs sont de nature à justifier légalement la décision attaquée et contrôle si celle-ci n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité7.
Il y a encore lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Concernant tout d’abord le moyen du demandeur tiré d’une violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, il convient à titre liminaire de préciser que le principe général de sécurité juridique dégagé essentiellement par la Cour de Justice de l’Union européenne, comme constituant un principe général de droit8, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme9, a essentiellement pour objet des garanties quant à une application constante et cohérente du droit par les administrations, ledit principe général du droit s’opposant ainsi à tout changement brusque et imprévisible dans le comportement de l’administration vis-à-vis de ses administrés.
Le principe général de la confiance légitime, qui s’apparente au principe de la sécurité juridique précité, et qui a également été consacré par la jurisprudence communautaire en tant que principe général du droit communautaire10 tend à ce que les règles juridiques ainsi que l’action administrative soient empreintes de clarté et de prévisibilité, de manière à ce qu’un administré puisse s’attendre à un comportement cohérent et constant de la part de l’administration dans l’application d’un même texte de loi ou règlement. Ainsi, ce principe 6 Trib. adm., 16 juin 2016, n° 36542 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
7 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.
8 Cf. notamment CJUE 22 mars 1961, aff. 42 et 49/59, S.N.U.P.A.T. c/ Haute Autorité de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier 9 Cf. notamment CourEDH 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c/ Belgique.
10 Cf. notamment CJUE 5 juin 1973, aff. 81/72, Commission. c/ Conseil.
10s’entend comme étant la confiance que les destinataires de règles ou de décisions sont normalement en droit d’avoir dans la stabilité, au moins pour un certain temps, des situations établies sur la base de ces règles ou de ces décisions. Ainsi, les destinataires de ces décisions sont notamment en droit de voir respecter par l’administration leurs droits acquis voire ceux qui leur ont été reconnus sous une législation donnée, tant que le cadre juridique et factuel reste le même11.
Dès lors, le principe de la confiance légitime de l’administré s’oppose à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés, autrement dit, le principe de confiance légitime implique que l’administré est en droit d’exiger de l’autorité administrative qu’elle ne se départisse pas brusquement d’une attitude qu’elle a suivie dans le passé12.
Un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines13.
En l’espèce, il échet de constater que le demandeur tire son moyen ayant trait à une violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime des décisions ministérielles non déférées des 23 octobre 2018 et 31 janvier 2022 libellées comme suit : « (…) En réponse à votre requête du 8 mai 2018 par laquelle vous sollicitez une autorisation de principe pour la construction d’un abri sylvicole sur un fond inscrit au cadastre de la commune de GROSBOUS : section … de Grosbous (…) sous le numéro (P1), j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais réserver une suite favorable au dossier.
Selon l’article 6, paragraphe 1er de la loi précité sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.
Or, selon l’article 6 précitée, seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation.
Par activité d’exploitation sylvicole, on entend les activités comportant les travaux et pratiques par lesquels est assurée la gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans l’objectif soit de production de bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique.
Ne comptent pas comme activité sylvicole, les activités de transformation de bois en tant que matière première énergétique ou de construction.
11 Trib. adm., 7 octobre 2010, n° 25999 du rôle, disponible sous : www.justice.public.lu 12 Trib. adm., 22 juin 2016, n° 36604 du rôle, Pas. adm 2024, V° Lois et Règlements, n° 77 et les autres références y citées.
13 Cour adm., 18 mai 2010, n° 26683C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et Règlements, n° 75 (7e volet) et les autres références y citées.
11Dès lors la production, le stockage et la vente de vois de chauffage ne sont pas à considérer comme des activités sylvicoles. (…) » et « (…) Selon l’article 6, paragraphe 1er de la loi précité sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.
Or, selon l’article 6 précitée, seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation.
Par activité d’exploitation sylvicole, on entend les activités comportant les travaux et pratiques par lesquels est assurée la gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans l’objectif soit de production de bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique.
Ne comptent pas comme activité sylvicole, les activités de transformation de bois en tant que matière première énergétique ou de construction. Seules des constructions sylvicoles en rapport direct avec la forêt exploitée et indispensables à l’exploitation sylvicole sont autorisables. Ne sont pas autorisables les dépôts et ateliers servant à l’entreposage de machines, d’outils et de matériels es entreprises exerçant leurs activités principalement sur des terrains appartenant à des tiers.
Il en résulte que le stockage de bois de chauffage n’est pas à considérer comme des activités sylvicoles et que la construction demandée ne répond pas à une affectation autorisable en vertu de l’article 6, paragraphe 1er de la loi modifiée du 18 juillet 2018.
De plus, les machines énumérées dans votre demande ne justifient pas la construction d’un abri de 200 m2. (…) ».
Force est au tribunal de constater qu’à travers les décisions invoquées, le ministre n’a pas fait une promesse au demandeur, ni créé au profit de ce dernier une situation administrative acquise, ni réellement reconnu ou créé un droit subjectif dans son chef, en ce qui concerne le sort à réserver à une éventuelle future demande d’autorisation de construire un hangar sylvicole sur la parcelle n° (P1), dans la mesure où les décisions précitées se bornent, en effet, à refuser l’autorisation de construire du demandeur en indiquant différents motifs à la base de ce refus.
Par ailleurs, le tribunal ne saurait suivre l’argumentation du demandeur suivant laquelle sa première demande d’autorisation de construire sur la parcelle n° (P1) ne lui aurait pas été délivrée aux seuls motifs que le stockage de bois de chauffage n’est pas à considérer comme activité sylvicole et que les machines dans sa possession ne justifient pas la construction d’un abri de 200 m2, alors qu’il ressort encore du libellé des décisions précitées que le ministre a également considéré que le demandeur ne s’adonnerait pas à une activité d’exploitation sylvicole comportant les travaux et pratiques par lesquels est assurée la gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans l’objectif soit de production du bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique, le ministre ayant, en effet, particulièrement surligné cette partie de ses décisions pour conclure que la construction demandée ne répond pas à une affectation autorisable en vertu de l’article 6, paragraphe 1er de la loi du 18 juillet 2018.
A cela s’ajoute qu’en tout état de cause, la simple indication des motifs à la base d’une décision de refus ne saurait créer, dans le chef d’un administré, une confiance légitime de 12penser qu’une demande future en autorisation de construire sera accueillie favorablement dès que lesdits motifs ne perdurent plus, tel qu’allégué par le demandeur, alors que d’autres motifs de refus non explicitement indiqués peuvent également se trouver à la base de la décision, étant souligné que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ne prévoit qu’une motivation sommaire et que d’autres motifs ayant existé au moment de la prise de décision peuvent être fournis même au cours de la procédure contentieuse14.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne ensuite le bien-fondé des décisions ministérielles litigieuses, force est tout d’abord de constater qu’il n’est pas contesté que la parcelle n° (P1) sur laquelle le demandeur entend construire un hangar sylvicole se trouve classée en zone verte au sens de l’article 3, point 1er de la loi du 18 juillet 2018.
Il y a ensuite lieu de relever que la loi du 18 juillet 2018 poursuit, tel qu’indiqué en son article 1er, les objectifs suivants : « 1° la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel ; 2° la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels ; 3° la protection et la restauration des biotopes, des espèces et de leurs habitats, ainsi que des écosystèmes ; 4° le maintien et l’amélioration des équilibres et de la diversité biologiques ; 5° la protection des ressources naturelles contre toutes dégradations, 6° le maintien et la restauration des services écosystémiques ; et 7° l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ».
Pour assurer le respect de ces objectifs, le législateur a, à travers l’article 6, paragraphe (1), précité, de ladite loi, limitativement énuméré les constructions pouvant être érigées dans la zone verte.
L’article 6 est libellé comme suit : « (1) Sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.
Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation.
Il appartient au requérant d’une autorisation de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte.
Ne comptent pas comme activités d’exploitation au sens de la présente loi les activités économiques sans lien avec la production de matière première, notamment la location ou le prêt à usage de bâtiments, étables ou machines à des tiers.
Les activités d’exploitation visées à l’alinéa 1er et les constructions autorisables doivent répondre aux critères suivants :
(…) 14 Trib. adm., 17 mars 2003, n° 15365 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 84 et les autres références y citées.
132° Par activités d’exploitation sylvicole, on entend les activités comportant les travaux et pratiques par lesquels est assurée la gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans un objectif soit de production de bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique.
Ne comptent pas comme activité sylvicole, les activités de transformation de bois en tant que matière première énergétique ou de construction.
Seules des constructions sylvicoles en rapport direct avec la forêt exploitée sont autorisables. Ne sont pas autorisables les dépôts et ateliers servant à l’entreposage de machines, d’outils et de matériels des entreprises exerçant leurs activités principalement sur des terrains appartenant à des tiers. (…) ».
L’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 limite ainsi la possibilité d’ériger une construction en zone verte aux seules constructions « ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel », tout en imposant encore à travers son paragraphe (1), alinéa 4, point 2° pour ce qui est plus particulièrement des activités d’exploitation sylvicole que celles-ci soient exercées dans un but de gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans un objectif soit de production de bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique, à l’exclusion des activités de transformation de bois en tant que matière première énergétique ou de construction.
Il découle du libellé même de l’article 6, paragraphe (1), précité, que dans la mesure où seules les constructions y visées sont autorisables en zone verte par le ministre compétent, le texte légal consacre le principe de non-constructibilité pour ladite zone et rejoint ainsi les objectifs de la loi consistant notamment dans la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel. Or, le principe même de la non-constructibilité applicable pour la zone verte appelle comme corollaire une interprétation stricte des exceptions légalement prévues. Ainsi, une construction ne saurait être autorisée que dans la mesure où il est vérifié dans son chef qu’elle sert à suffisance à l’une des activités limitativement énumérées à l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 18 juillet 201815.
L’alinéa 2 du premier paragraphe de l’article 6, précité, précise encore que seules les constructions indispensables aux activités d’exploitation visées à l’alinéa 1er du même paragraphe sont autorisables et qu’il appartient au requérant de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction, cette exigence ayant été introduite par la loi du 18 juillet 2018 pour satisfaire également au principe que la zone verte est destinée à rester libre16.
Il échet ensuite de constater que par les décisions litigieuses des 28 septembre 2022 et 24 février 2023, le ministre a refusé d’accorder l’autorisation de construire litigieuse aux motifs que le demandeur exécuterait des travaux forestiers pour le compte de tiers qui ne seraient pas assimilés au concept d’exploitation sylvicole, et que son activité ne serait pas à qualifier d’exploitation sylvicole en ce qu’il serait resté en défaut de prouver qu’il assurerait la gestion durable d’une forêt ou d’un boisement dans un objectif soit de production de bois, soit de conservation au profit des générations futures, soit écologique au sens de l’article 6, paragraphe (1), alinéa 4, point 2° de la loi du 18 juillet 2018.
15 Trib. adm., 21 mars 2018, n° 38750 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Environnement, n° 45.
16 Doc. parl, 7048/08 p. 11.
14La partie étatique a encore complété cette motivation dans le cadre du présent recours, en contestant le caractère indispensable, voire le besoin réel, de la construction projetée au sens de l’article 6, paragraphe (1), alinéa 2 de la même loi, étant précisé à cet égard que la motivation d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et qu’il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse17. Dans la mesure où des éléments de motivation ont existé au moment où la décision déférée a été prise, ceux-ci peuvent encore être valablement fournis par l’auteur de la décision en cours de procédure contentieuse, sous l’obligation toutefois qu’un débat contradictoire ait pu avoir lieu impliquant toutes les parties à l’instance, et l’administration n’est pas tenue de fournir déjà au niveau de la phase précontentieuse, suite à un recours gracieux, la motivation détaillée à la base de la décision prise18.
Concernant plus précisément ce motif de refus complémentaire, force est tout d’abord de constater que Monsieur (A) a, auprès du ministre ainsi que dans le cadre du présent recours, motivé sa demande d’autorisation de construire un hangar sylvicole par la nécessité d’entreposer ses machines, à savoir deux tracteurs, deux remorques, un chariot à bois long, un broyeur, un treuil ainsi que divers autres appareils comme des tronçonneuses et des débroussailleuses.
Il résulte ensuite des explications étatiques que le demandeur disposait, au moment des décisions litigieuses, d’ores et déjà d’une grange d’une surface de 220 m2 située à Grosbous à 700 mètres du lieu où la construction litigieuse est projetée. Ces explications se trouvent corroborées par une image tirée de « google street view », versée en cause par le délégué du gouvernement, montrant cette grange ensemble avec le tracteur du demandeur et sa remorque entreposés sous l’auvent de ladite grange, ainsi que par différentes photos, versées en cause en tant que pièces 24 à 30 par le demandeur, montrant le tracteur avec chargeur frontal et « Kipper », le deuxième tracteur, le treuil, le broyeur, la grande remorque ainsi que la remorque pour voitures entreposés dans ladite grange.
Il se dégage également des images aériennes versées en cause par le délégué du gouvernement, qu’à côté de sa maison d’habitation, le demandeur disposait également d’un garage supplémentaire d’une surface de 76,8 m2 susceptible de servir comme entrepôt de ses machines.
Le tribunal constate ensuite que le demandeur est resté en défaut de prendre position par rapport à cette argumentation étatique, pour avoir ni contesté les affirmations du délégué du gouvernement, ni expliqué la situation ainsi mise en avant, ni motivé davantage le besoin réel de la construction litigieuses par d’autres considérations. Or, et si la motivation complémentaire de refus a certes été fournie pour la première fois dans le mémoire en duplique de la partie étatique, il n’en reste pas moins que le demandeur aurait eu la possibilité de demander la production d’un mémoire supplémentaire pour prendre position sur cette nouvelle argumentation, ce qu’il n’a toutefois pas fait, voire d’y prendre position au plus tard à l’audience publique des plaidoiries, ce qu’il a également omis de faire.
17 Cour adm., 13 décembre 2011, n° 28969C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 84 et les autres références y citées.
18 Trib. adm., 1er mars 2004, n°16788 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 84 et les autres références y citées.
15Dans ces conditions, eu égard aux explications non contestées de la partie étatique qui précèdent, corroborées par les pièces versées en cause, il échet de retenir que le demandeur est resté en défaut de démontrer le caractère indispensable, voire le besoin réel de la construction projetée, au sens de l’article 6, paragraphe (1), alinéa 2 de la loi du 18 juillet 2018, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la construction d’un hangar sylvicole sur la parcelle n° (P1).
Il s’ensuit que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu de statuer sur les autres motifs ministériels de refus, étant rappelé qu’en cas de pluralité de motifs invoqués, la décision administrative est justifiée si l’un d’eux est de nature à la fonder, emportant ainsi le rejet du recours dirigé contre elle19.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.- euros telle que formulée par le demandeur sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter pour ne pas être fondée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’un indemnité de procédure de 3.000 euros, telle que formulée par le demandeur ;
met les frais et dépens de l’instance à charge du demandeur.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 19 Trib. adm., 15 mai 2000, n° 11767, Pas. adm. 2024, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 81 et les autres références y citées.