Tribunal administratif N° 52363 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52363 1re chambre Inscrit le 13 février 2025 Audience publique du 10 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52363 du rôle et déposée le 13 février 2025 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée CHATEAUX Avocats SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2157 Luxembourg, 7, rue Mil Neuf Cents, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B225979, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Alexandre CHATEAUX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Burkina Faso) et être de nationalité burkinabée, connu sous un autre alias, actuellement assigné à résidence à la maison retour sise à L-…, et ayant élu domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 29 janvier 2025 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie COLLMANN, en remplacement de Maître Alexandre CHATEAUX, et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 février 2025.
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Le 22 mai 2023, Monsieur (A), connu sous un autre alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Italie en date des 26 juin et 17 septembre 2014, en Allemagne en date du 6 octobre 2016, en Suisse en date du 9 décembre 12016, aux Pays-Bas en date du 29 novembre 2017, en Belgique en date du 31 mai 2018 et en France en date du 10 août 2018.
Le 15 juin 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 22 juin 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 5 juillet 2023.
Par décision du 19 juillet 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Asile et de l’Immigration informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Le recours contentieux introduit par Monsieur (A) en date du 2 août 2023 contre la décision ministérielle, prémentionnée, du 19 juillet 2023 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 23 août 2023, inscrit sous le numéro 49257 du rôle.
En date du 14 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises reçurent de la part des autorités françaises une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III.
Par courrier du 15 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises rappelèrent à leurs homologues français qu’en date du 5 juillet 2023, ils avaient accepté la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III et que suite à la disparition de ce dernier du territoire luxembourgeois, ainsi que de son introduction d’une demande de protection internationale en France le 25 septembre 2023, elles estimèrent que la procédure entre le Luxembourg et la France, telle que prévue par ledit règlement, était close.
Le 11 décembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour.
Une recherche effectuée à la même date par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit, tel que relevé ci-
avant, des demandes de protection internationale dans différents pays, et plus particulièrement encore au Luxembourg en date du 22 mai 2023, aux Pays-Bas en date des 30 août et 1er septembre 2023, ainsi qu’en France en date des 25 septembre 2023 et 5 juin 2024.
En date du 14 janvier 2025, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère en vue 2de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.
Le même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III.
Par courrier du 15 janvier 2025, les autorités françaises refusèrent la demande de reprise en charge de Monsieur (A), alors qu’en date du 2 juillet 2024, les autorités néerlandaises avaient accepté la reprise en charge de ce dernier sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, de sorte qu’elles n’étaient plus responsables de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A).
En date du 15 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières le lendemain sur base du même article.
Par décision du 29 janvier 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) qu’il avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 décembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 11 décembre 2024 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre deuxième demande de protection internationale du 14 janvier 2025.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 11 décembre 2024, vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 6 octobre 2016, une demande en Suisse en date du 9 décembre 2016, trois demandes aux Pays-Bas en date des 29 novembre 2017, 30 août 2023 et 1er septembre 2023, une demande en Belgique en date du 31 mai 2018, trois demandes en France en date des 10 août 2018, 25 septembre 2023 et 5 juin 2024, ainsi qu’une première demande au Luxembourg en date du 22 3mai 2023.
Lors de votre première demande de protection internationale introduite au Luxembourg, la responsabilité de la France pour l’examen de cette demande fut constatée. Alors que vous aviez disparu du territoire luxembourgeois, le transfert vers la France n’a pas pu être exécuté.
Or, il peut être conclu que vous êtes retourné par vos propres moyens en France, étant donné que vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale en France en date du 25 septembre 2023. La procédure Dublin entamée avec la France a donc pu être clôturée.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable de votre deuxième demande de protection internationale au Luxembourg, un entretien Dublin III a été mené en date du 14 janvier 2025.
Sur base de tout ce qui précède, une nouvelle demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 14 janvier 2025, demande qui fut refusée par lesdites autorités françaises en date du 15 janvier 2025, au motif que les Pays-Bas ont accepté la responsabilité de l’examen de votre demande de protection internationale en date du 2 juillet 2024.
Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités néerlandaises en date du 15 janvier 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 16 janvier 2025.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits 4fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 11 décembre 2024 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 6 octobre 2016, une demande en Suisse en date du 9 décembre 2016, trois demandes aux Pays-Bas en date des 29 novembre 2017, 30 août 2023 et 1er septembre 2023, une demande en Belgique en date du 31 mai 2018, trois demandes en France en date des 10 août 2018, 25 septembre 2023 et 5 juin 2024, ainsi qu’une première demande au Luxembourg en date du 22 mai 2023.
Selon vos déclarations, après avoir introduit votre première demande de protection internationale au Luxembourg, vous auriez séjourné pendant un mois aux Pays-Bas pour finalement retourner en France en septembre 2023, pour y introduire une demande de protection internationale. Vous auriez été transféré aux Pays-Bas dans le cadre d’une procédure Dublin.
Après le transfert vers Amsterdam, vous auriez décidé de retourner en France. Vous y seriez resté jusqu’à ce que les autorités françaises vous auraient de nouveau annoncé que vous seriez en procédure Dublin et que vous seriez transféré aux Pays-Bas. Vous auriez donc décidé de quitter la France et vous seriez arrivé au Luxembourg par train en date du 11 décembre 2024.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 14 janvier 2025, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
5Vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendrait en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la susdite décision ministérielle du 29 janvier 2025.
I. Quant à la compétence du tribunal Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation, tel qu’introduit en 6l’espèce.
II. Quant à la recevabilité du recours Positions des parties Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’indication, dans la requête introductive d’instance, du domicile du demandeur, en soulignant que Monsieur (A) aurait disparu de la maison retour depuis le 10 février 2025. Le recours sous analyse ayant été déposé postérieurement à la disparition du demandeur, il considère que la requête introductive d’instance ne ferait pas état du domicile de l’intéressé. En se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 3 décembre 2024, inscrit sous le numéro 50575C du rôle, le représentant étatique soutient que le fait pour le demandeur de ne pas communiquer son adresse exacte nuirait à l’exécution de la décision de justice à intervenir.
Au vu de ce qui précède, le recours serait à déclarer irrecevable.
Le demandeur conclut au rejet de ce moyen d’irrecevabilité.
Appréciation du tribunal Il y a tout d’abord lieu de relever que l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « […] La requête […] contient […] [le] domicile du requérant […] », est à lire ensemble avec l’article 29 de la même loi disposant que « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».
L’article 1er, précité, a pour finalité de permettre à la partie défenderesse de pouvoir utilement identifier le demandeur, afin d’être en mesure d’assurer sa défense de façon valable et complète1.
En l’espèce, s’il y a certes lieu de constater (i) qu’il ressort d’un relevé de la maison retour que suite à l’arrêté ministériel du 29 janvier 2025 assignant le demandeur à résidence dans la maison retour, celui-ci a disparu des lieux le 10 février 2025, (ii) que le demandeur indique, dans sa requête introductive d’instance, demeurer à ladite maison retour, sans fournir de précisions sur son domicile actuel et (iii) qu’une simple élection de domicile ne vaut pas indication du « domicile du requérant » au sens de l’article 1er, alinéa 2 de la loi du 21 juin 19992, le tribunal ne saurait toutefois déceler de lésion des droits de la défense de la partie étatique du fait de l’omission d’indication, dans la requête introductive d’instance, du domicile effectif du demandeur, étant donné que la partie gouvernementale ne s’est pas méprise sur l’identité de celui-ci et a utilement pris position quant au fond du litige.
En outre, en ce qui concerne l’argumentation de la partie étatique selon laquelle l’absence d’adresse du demandeur l’empêcherait d’exécuter le jugement à intervenir, il échet de relever que ces considérations ont trait à l’exécution du jugement à venir et ne sauraient, dès lors, impliquer l’irrecevabilité du recours pour violation des droits de la défense de la partie 1 Trib. adm., 9 juillet 2015, n° 35177 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 482 et les autres références y citées.
2 Idem.
7gouvernementale.
Dans ces circonstances, le moyen d’irrecevabilité pour défaut d’indication dans la requête introductive d’instance d’une adresse effective du demandeur est rejeté.
A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité invoqués, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
III. Quant au fond Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose, en substance, les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que relevés ci-avant.
En droit, le demandeur conclut, en premier lieu, à une absence de motivation de la décision déférée. En effet, le ministre se serait contenté de conclure que les Pays-Bas seraient l’Etat responsable du traitement de sa demande de protection internationale, sans préciser sur quelle disposition légale ni selon quel raisonnement juridique cette conclusion aurait été fondée.
Selon le demandeur, l’acceptation par les Pays-Bas de sa reprise en charge ne suffirait pas à établir leur responsabilité quant à l’examen de sa demande de protection internationale ni à justifier son transfert vers cet Etat. Le ministre aurait, en effet, dû vérifier l’effectivité de la responsabilité des Pays-Bas et, le cas échéant, en justifier explicitement les raisons. A défaut d’une telle analyse, la décision déférée manquerait non seulement de motivation, mais elle serait également intervenue en violation des dispositions légales, notamment en violation de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015.
Le demandeur continue en affirmant que si le ministre avait procédé à une analyse de l’effectivité de la responsabilité des Pays-Bas pour l’examen de sa demande de protection internationale, il se serait rendu compte du transfert de cette responsabilité à la France, dans la mesure où, si certes il était présent sur le territoire néerlandais pendant 27 jours, à savoir du 30 août 2023 au 25 septembre 2023, il aurait toutefois séjourné sur le territoire français plus d’une année, soit du 25 septembre 2023 au 11 décembre 2024. Il ajoute, dans ce contexte, qu’aucune disposition du règlement Dublin III ne prévoirait la responsabilité d’un Etat dans lequel le demandeur de protection internationale aurait séjourné uniquement 27 jours.
Il soutient en outre que l’acceptation des autorités néerlandaises, émise le 2 juillet 2024 aux autorités françaises, informant celles-ci qu’elles procéderaient à l’examen de sa demande de protection internationale y formulée le 1er septembre 2023, serait manifestement intervenue hors délai, sans expliquer davantage cette acceptation tardive. Ainsi, et en application de l’article 13 (1) et (2) du règlement Dublin III, seule la France pourrait être considérée comme Etat responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale.
Le demandeur affirme encore que même en admettant que la France ne se considérerait plus responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et que les Pays-Bas seraient désignés comme l’Etat responsable, il y aurait toutefois lieu de noter qu’aucune disposition légale n’autoriserait un Etat membre à effectuer un « transfert direct ». En effet, la France aurait dû accepter son retour sur base de la demande de sa reprise en charge formulée par les autorités ministérielles le 14 janvier 2025 et, par la suite, si elle estimait que les Pays-Bas seraient responsables, organiser son transfert vers cet Etat.
8Le demandeur conteste, en deuxième lieu, son transfert vers les Pays-Bas, en arguant qu’il y risquerait des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-
après désignée par « la Charte », en raison des défaillances systémiques existant dans la procédure d’asile néerlandaise et les conditions matérielles d’accueil. Eu regard au non-respect par les Pays-Bas des normes européennes communes en matière d’asile et à la crise migratoire, sévissant depuis l’année 2022 dans ce pays, le ministre aurait dû apprécier, respectivement tenir compte de la réalité des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale existant aux Pays-Bas au lieu de se contenter d’affirmer que cet Etat bénéficierait de la confiance mutuelle entre Etats membres. Les Pays-Bas ne seraient, en réalité, pas en mesure de fournir des structures d’hébergement adéquates pour accueillir dignement les demandeurs de protection internationale. Cette absence d’infrastructures adéquates pour loger les demandeurs de protection internationale, les laissant sans abri et contraints de dormir à l’extérieur, serait d’ailleurs régulièrement dénoncée par de nombreuses organisations internationales. Si les autorités néerlandaises avaient certes pris certaines mesures d’urgence, les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale resteraient néanmoins inférieures aux standards imposés par la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« directive Accueil »). De telles conditions d’accueil seraient de nature à exposer les demandeurs de protection internationale à une situation manifeste de dénuement matériel, assimilable à un traitement inhumain et dégradant, de sorte que l’exécution de la décision déférée emporterait inévitablement violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
En troisième lieu, le demandeur fait valoir que les autorités luxembourgeoises ne disposeraient d’aucune garantie de la part des autorités néerlandaises qu’il ne ferait pas l’objet d’une décision de refoulement vers son pays d’origine, et ce, alors même que le nouveau gouvernement néerlandais, en place depuis automne 2024, viserait à « se désolidariser » des règles communes en matière d’asile et à mettre en place un régime d’asile plus strict. En n’ayant pas déclaré le Grand-Duché de Luxembourg comme Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale alors que l’article 17 (1) du règlement Dublin III l’en autoriserait, le ministre aurait pris la décision de le transférer vers les Pays-Bas sans justification.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Appréciation du tribunal A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.
S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement du moyen tiré d’un défaut de motivation de celle-ci, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit […] ».
Force est au tribunal de constater qu’en l’espèce, la décision déférée est motivée tant en fait qu’en droit, en ce qu’elle indique, en se basant sur les articles 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18 (1) b) du règlement Dublin III, les raisons ayant amené le ministre à prendre la 9décision de ne pas examiner la demande de protection internationale de Monsieur (A) et de le transférer vers les Pays-Bas, à savoir le fait que le demandeur a introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 30 août et 1er septembre 2023, que les autorités françaises l’ont informé que les Pays-Bas avaient accepté la responsabilité de l’examen de sa demande de protection internationale le 2 juillet 2024 et que les Pays-Bas ont accepté la reprise en charge du demandeur le 16 janvier 2025 sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III. Le ministre a, en outre, retracé l’itinéraire suivi par le demandeur pour venir au Luxembourg en constatant qu’après y avoir introduit une première demande de protection internationale le 22 mai 2023, il avait séjourné pendant un mois aux Pays-Bas avant de retourner en France en septembre 2023, où il avait introduit une nouvelle demande de protection internationale. Par ailleurs, le ministre a constaté que le demandeur avait ensuite été transféré aux Pays-Bas dans le cadre d’une procédure Dublin III et qu’après son transfert, il était retourné en France, où il était resté jusqu’à ce que les autorités françaises lui avaient annoncé leur intention de le transférer vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III, ce qui l’avait conduit à quitter la France pour revenir au Luxembourg. Le ministre a encore relevé que lors de son entretien Dublin III, le demandeur n’avait pas fait mention d’éventuelles particularités sur son état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas. Par ailleurs, le ministre a relevé que les Pays-Bas sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (« Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Convention torture »), et que de ce fait, ils sont présumés respecter l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 3 de la Convention torture, et qu’il n’existe ni de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») ou de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), ni une recommandation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »), visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas. Le ministre a également exclu l’application de l’article 16 (1) du règlement Dublin III pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de la demande de protection internationale du demandeur. Enfin, il a relevé qu’il ne lui avait soumis aucun élément humanitaire ou exceptionnel ayant dû l’amener à appliquer l’article 17 (1) du règlement Dublin III, voire d’autres raisons individuelles qui pourraient empêcher sa remise aux autorités néerlandaises.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que cette motivation suffit à l’exigence de motivation inscrite à l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, étant encore souligné qu’il ne résulte d’aucun élément soumis en cause que le ministre n’aurait, pour prendre la décision litigieuse, pas procédé à une analyse sérieuse du respect effectif par l’Etat néerlandais des normes invoquées, tel que le fait plaider le demandeur.
Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur est rejeté.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la 10personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « l’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre […] ».
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait les Pays-Bas, en ce qu’il y avait introduit des demandes de protection internationale les 30 août et 1er septembre 2023 et que les autorités néerlandaises avaient accepté sa reprise en charge le 16 janvier 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers les Pays-Bas.
Force est ensuite de constater que le demandeur conteste la compétence de principe de l’Etat néerlandais en faisant valoir que la France serait l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
Il y a toutefois lieu de constater que, tel que relevé ci-avant, une recherche EURODAC a révélé que si l’intéressé avait déposé des demandes de protection internationale en France les 25 septembre 2023 et 5 juin 2024, raison pour laquelle une demande de reprise en charge de Monsieur (A) a été envoyée aux autorités françaises le 14 janvier 2025, il se dégage néanmoins du courrier de refus de celles-ci du 15 janvier 2025 qu’entretemps, les Pays-Bas sont devenus l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, dans la mesure où les autorités néerlandaises ont accepté, le 2 juillet 2024, une demande de reprise en charge leur adressée par les autorités françaises. Au vu de la disparition de Monsieur (A), le délai pour effectuer son transfert a été prolongé de 18 mois, à savoir jusqu’au 2 janvier 2026. C’est du fait de ce transfert de responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale de l’intéressé aux autorités néerlandaises et de l’introduction de demandes de protection internationale par le demandeur aux Pays-Bas en date des 30 août et 1er septembre 2023, que les autorités ministérielles ont contacté leurs homologues néerlandais en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui a été explicitement acceptée par ces derniers en date du 16 janvier 2025. Au vu de ce qui précède, les autorités néerlandaises sont a priori compétentes pour examiner la demande de protection internationale de l’intéressé.
S’agissant encore de l’argumentation du demandeur avancée pour justifier que la France serait l’Etat responsable et se basant sur une violation de l’article 13 du règlement Dublin III, il y a lieu de relever que ledit article dispose que : « 1. Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze 11mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.
2. Lorsqu’un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l’entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d’au moins cinq mois avant d’introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.
Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d’au moins cinq mois, l’État membre du dernier séjour est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. » Or, en l’espèce, l’intéressé n’est pas une personne ayant franchi irrégulièrement la frontière d’un Etat membre sans introduire de demande de protection internationale dans le premier pays européen dans lequel il se trouvait. Au contraire, il s’agit d’une personne ayant déposé une multitude de demandes de protection internationale dans différents Etats membres depuis son entrée dans l’espace Schengen en 2014. L’article 13 du règlement Dublin III ne lui est dès lors pas applicable et l’argumentation afférente est à rejeter pour être non fondée.
Enfin, les développements du demandeur relatif à la durée de son séjour en France, ainsi qu’à l’impossibilité pour le ministre de procéder à un « transfert direct » sont, à défaut d’indication d’une base légale, non fondés, le tribunal précisant, à ce propos, qu’il ne lui appartient pas de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Au vu de ce qui précède, le moyen du demandeur relatif à une incompétence des Pays-
Bas pour examiner sa demande de protection internationale est à rejeter.
Il y a ensuite lieu de préciser que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
Pour autant qu’à travers ses développements selon lesquels les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale ne seraient pas garanties aux Pays-Bas, le demandeur ait entendu se prévaloir des dispositions de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non expressément invoqué en l’espèce, le tribunal relève qu’aux termes de cet article :
« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 124 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.
La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé3.
A cet égard, le tribunal relève que les Pays-Bas sont tenus au respect, en adhérant aux textes légaux communautaires et en tant que signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention torture, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres, ainsi que les Etats y adhérant, peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6. Dans un arrêt du 16 février 20177, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile8, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres 3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 78.
5 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.
8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
13et les Etats y adhérant.
Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives9, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE10, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201711.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201912 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine13. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-
ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant14.
En l’espèce, il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation aux Pays-Bas, telle que décrite par lui, atteindrait le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant.
Il ressort des développements du demandeur que ce dernier fonde l’existence de défaillances systémiques aux Pays-Bas sur une dégradation des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, et plus particulièrement sur une défaillance existant au niveau de l’hébergement, qui trouverait ses origines dans la crise migratoire sévissant aux Pays-
Bas depuis l’année 2022. Il convient de relever, à cet égard, que si certes les différents articles de presse versés en cause font état (i) de problèmes rencontrés par les autorités néerlandaises pour loger les demandeurs de protection internationale, (ii) d’une aggravation de la situation en matière d’accès aux soins de santé de ces derniers, et (iii) de l’intention du gouvernement néerlandais de mettre en place un « régime d’asile le plus strict qui soit », ces mêmes articles ne 9 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.
10 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.
11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
12 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.
13 Ibid., pt. 92.
14 Ibid., pt. 93.
14permettent néanmoins pas de retenir de manière générale l’existence, à l’heure actuelle, de défaillances systémiques aux Pays-Bas, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.
Par ailleurs, le tribunal constate que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH, relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas de ressortissants burkinabés dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.
Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.
15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.
17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
88.
15 Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé18.
Or, en l’espèce, il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement les droits du demandeur n’auraient pas été respectés aux Pays-
Bas dans le cadre de sa demande de protection internationale y introduite. Il ne ressort plus particulièrement pas des déclarations faites par le demandeur lors de son entretien Dublin III ni du recours sous analyse que les autorités néerlandaises lui auraient refusé l’accès à la procédure d’asile. Il ne se dégage pas non plus des éléments du dossier qu’au cours de son séjour aux Pays-
Bas, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, ni qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfait, et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités néerlandaises avant de le transférer. Ce constat est corroboré par le fait que dans le cadre de son entretien Dublin III, Monsieur (A) a indiqué que lors de son séjour aux Pays-Bas, il aurait séjourné dans un foyer pour refugiés19, de sorte à ne pas avoir rencontré un problème au niveau de son hébergement. En outre, la simple communication d’articles de presse dénonçant des problèmes au niveau de l’hébergement et de l’accès aux soins de santé des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas sans mise en lien avec sa situation personnelle est insuffisante pour conclure à l’existence d’un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert aux Pays-Bas.
A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas non plus des éléments soumis au tribunal que les autorités néerlandaises refuseraient de traiter la demande de protection internationale de Monsieur (A), lesdites autorités ayant, au contraire, accepté la reprise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III. Il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que les autorités néerlandaises compétentes risqueraient de violer le droit du demandeur à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risqueraient de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus par lui dans son pays d’origine, le demandeur n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive Accueil.
Outre le fait que le demandeur n’a, ainsi, pas établi que, dans son cas précis, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour aux Pays-Bas, il n’a pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale aux Pays-Bas ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-
ci n’auraient aux Pays-Bas aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates20 étant relevé que les Pays-Bas sont 18 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarahel c. Suisse, n° 29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
19 Page 4 du rapport d’entretien Dublin III.
20 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
16signataires de la Charte, de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention torture, ainsi que de la Convention de Genève et devrait, à ce titre, en appliquer les dispositions.
Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’asile néerlandais est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’accueil et d’aide néerlandais n’était pas conforme aux normes européennes.
S’agissant de l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation du principe de non-refoulement, le tribunal relève que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202321, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences d’opinions entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.
Par ailleurs, et en tout état de cause, la décision déférée n’implique pas un retour de Monsieur (A) vers son pays d’origine, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence les Pays-Bas, a reconnu en date du 16 janvier 2025, être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé dans son pays d’origine, alors même qu’il y encourrait un risque sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants.
Ce constat ne saurait être remis en cause par l’intention du gouvernement néerlandais de mettre en place un régime d’asile plus strict, dans la mesure où le demandeur reste en défaut de démontrer qu’à l’heure actuelle, le gouvernement néerlandais appliquerait déjà un tel régime d’asile plus strict et qui consisterait à procéder à un refoulement des demandeurs de protection internationale dans leur pays d’origine.
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités néerlandaises devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.
Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert 21 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-315/21 et C328/21.
17du demandeur vers les Pays-Bas l’exposerait à un retour forcé dans son pays d’origine, qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte Il s’ensuit que l’argumentation ayant trait à une violation du principe de non-refoulement est à rejeter pour ne pas être fondée.
Dans ces circonstances, le tribunal est amené à conclure que le demandeur reste en défaut d’établir que son transfert vers les Pays-Bas l’exposerait personnellement à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que le moyen ayant trait à une violation isolée desdits articles est à rejeter.
En ce qui concerne finalement la violation alléguée de l’article 17 du règlement Dublin III, celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».
A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres22, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201723.
Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge24, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration25.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que pour conclure à une violation de l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, le demandeur invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui de son moyen tiré de la violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ensemble le principe de non-refoulement.
Or, dans la mesure où cet argumentaire a été rejeté ci-avant et que d’autres considérations n’ont pas été mises en avant par le demandeur sous cet aspect pour infirmer le constat afférent du tribunal, celui-ci conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
22 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
23 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.
24 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 et les autres références y citées.
25 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 13 et les autres références y citées.
18Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 19