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11/03/2025 | LUXEMBOURG | N°48373

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mars 2025, 48373


Tribunal administratif Numéro 48373 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48373 4e chambre Inscrit le 17 janvier 2023 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48373 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2023 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite à la liste V du tableau de

l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à...

Tribunal administratif Numéro 48373 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48373 4e chambre Inscrit le 17 janvier 2023 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48373 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2023 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins des présentes par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Nigeria) et être de nationalité nigériane, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 décembre 2022, portant refus de lui octroyer la protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Parina MASKEEN, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 janvier 2025.

En date du 30 novembre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-

après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date des 3 et 17 mai 2022, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 16 décembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 20 décembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par 1« le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est basée sur les motifs et considérations suivants :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 30 novembre 2020 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche de motifs du 30 novembre 2020, le rapport du Service de Police Judiciaire du 30 novembre 2020 ainsi que le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 3 et 17 mai 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous êtes, né le … à … au Nigéria, que vous êtes de nationalité nigériane, de confession chrétienne et que vous auriez vécu à ….

Vous évoquez comme motif principal de fuite que vous ne pourriez plus retourner dans votre pays d’origine, étant donné que votre vie y serait en danger. En effet, vous expliquez que vous seriez « afraid being killed by my government » alors que vous auriez été « among the peaceful protest of End SARS », qui aurait eu lieu le 20 octobre 2020 au péage de Lekki à … (p.7 du rapport d’entretien et fiche de motif).

Quant aux évènements qui se seraient déroulés dans votre pays d’origine avant votre départ vous racontez que lors de cette manifestation contre les violences policières et plus particulièrement contre le Special Anti-Robbery Squad (ci-après « SARS »), des militaires auraient décidé de réprimer ladite manifestation causant ainsi plusieurs morts et de nombreux blessés, alors qu’ils auraient ouvert le feu sur les manifestants (p.7 et 8 du rapport d’entretien).

Vous expliquez que vous auriez pris une vidéo qui témoignerait des évènements et que vous auriez souhaité utiliser cette vidéo comme preuve afin de la soumettre à la African Unity.

Le même soir, lorsque vous auriez été chez vous et que vous vous seriez absenté pour aller aux toilettes, vous auriez entendu des cris et des coups de feu. Vous vous seriez alors immédiatement enfui et caché dans un buisson jusqu’à ce que la situation se calme. Vous seriez ensuite retourné dans la maison, où vous auriez découvert votre cousin allongé sur le sol et gisant dans son sang. Vous auriez remarqué que votre téléphone et votre portefeuille auraient disparu (p.8 du rapport d’entretien).

En raison de cet incident vous auriez décidé de prendre la fuite car vous supposez que ces « unkown men », seraient des militaires ou des policiers et que ces derniers auraient tué votre cousin à votre place car ils seraient à votre recherche en raison de votre participation à la manifestation #EndSARS et de la vidéo que vous auriez prise (p.8 du rapport d’entretien).

2 2 /7 1 , Avant de quitter votre pays d’origine, vous vous seriez réfugié auprès d’un de vos amis, un dénommé …, dont le père, qui aurait travaillé à l’aéroport de …, vous aurait aidé à vous échapper grâce à un faux passeport (p. 10 et 11 du rapport d’entretien).

Vous ne pourriez désormais plus retourner dans votre pays d’origine alors qu’il serait « obvious » en raison de « everything that happened » que vous seriez « wanted » par les autorités policières de votre gouvernement (p.12 du rapport d’entretien).

Vous ne présentez aucun document à l’appui de votre demande de protection internationale.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que plusieurs incohérences ressortent clairement de votre dossier administratif.

En effet, lors de l’introduction de votre demande de protection internationale, vous indiquez être marié, ce que vous confirmez lors de votre entretien individuel sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale. Or, lorsque l’agent ministériel vous interroge plus précisément concernant votre mariage, vous êtes dans l’impossibilité de fournir des preuves de celui-ci comme par exemple un certificat de mariage, ce que vous justifiez en rétorquant que « we are not officiallly married, we have just kids together » (p.2 du rapport d’entretien). Suite à votre réponse confuse, l’agent ministériel vous a alors posé une dernière fois la question de savoir si vous étiez marié ou non, question à laquelle vous répondez par la négative sans donner aucune autre précision, de sorte qu’il est manifeste que vous ne savez pas véritablement vous-même si vous êtes marié ou non et à quelle version vous en tenir. Ainsi, force est d’ores et déjà de constater que vous n’êtes pas cohérent dès le début de votre demande de protection internationale, alors que vous changez de version comme bon vous semble concerne votre état civil.

Pareil constat s’impose concernant les explications contradictoires et farfelues que vous avez données à propos de vos enfants. En effet, vous indiquez que … serait la mère de vos deux enfants (p.4 du rapport d’entretien), et que vous les verriez uniquement «every second weekend». Vous précisez que « my children are living with their mother » (p. 4 du rapport d’entretien). Or, il ressort ensuite clairement de vos explications que vous auriez deux enfants « from 2 different mothers » et que … serait uniquement la mère de votre fils cadet. Vous poursuivez vos propos en expliquant que vous ou votre père seriez le « legal guardian » de …, votre fils aîné (p.5 du rapport d’entretien) et qu’il vivrait avec … et non pas avec sa propre mère. Or, force est de constater que toutes ces informations pris communément ne sont pas cohérentes les unes avec les autres, alors que vous vous adonnez à des explications totalement différentes, qui ne sauraient emporter la conviction concernant votre sincérité.

Ainsi, Monsieur, permettez-moi d’ores et déjà de mettre en doute quant à la sincérité de vos dires, alors qu’il est logique de pouvoir attendre d’un demandeur de protection internationale, dépourvu de toute pièce à l’appui de ses dires, qu’il fasse au moins état d’un 3 3 /7 récit cohérent et logique, surtout lorsqu’il s’agit de donner des informations sur des questions les plus banales et primordiales, comme celles concernant votre état civil ou vos enfants.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il convient de noter que les faits dont vous faites état, ayant trait à votre participation à la manifestation #End SARS du 20 octobre 2020 contre les violences policières pourraient a priori entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Or, force est de constater que les problèmes respectivement les faits que vous décrivez ne revêtent manifestement pas un degré de gravité suffisant tels qu’ils puissent être assimilés à un acte de persécution ou une crainte fondée de persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il sied de rappeler que des centaines de milliers de personnes ont participé, comme vous, à cette manifestation, sans que ces personnes ne soient toutes personnellement persécutées par les autorités.

De plus, force est de constater en l’espèce que vous déclarez avoir participé uniquement à cette unique manifestation du 20 octobre 2020, de sorte qu’on ne saurait considérer que vous êtes un membre actif opposé aux autorités policières de votre gouvernement mais au contraire que vous faites plutôt partie des centaines de milliers de Nigérians, qui, à un certain moment donné, ont exprimé leur mécontentement envers le gouvernement et plus précisément envers l’unité de police spéciale, le SARS.

Dans ce contexte, il convient de noter que le fait d’adopter des opinions en opposition à un régime politique en place ou encore de manifester son mécontentement par rapport à l’emploi des méthodes d’une unité de police n’est pas suffisant pour prétendre au statut de réfugié, alors qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des 4éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque d’être victime d’une persécution.

Force est cependant de constater dans votre cas que le seul fait que vous ayez été, selon vos dires, « very active during the protest » (p.9 du rapport d’entretien) ou encore le fait que vous auriez pris une vidéo témoignant de la brutalité des évènements, ne suffit pas pour constituer une crainte fondée de persécution dans votre chef, alors que rien de grave ne semble vous être arrivé ce jour-là et que vous restez en défaut de démontrer que cela aurait pu vous nuire de quelque manière que ce soit. Ce constat s’impose d’autant plus que, lors de cette manifestation spécifiquement dédiée contre les violences policières, de nombreuses personnes, comme vous, ont été activement impliquées et ont certainement également filmé les évènements.

En outre, il convient encore de constater que vous faites état uniquement de pures et simples suppositions tout au long de votre récit, sans jamais apporter aucun élément concret permettant de corroborer vos dires et permettant de prouver que vous seriez personnellement recherché par les autorités de votre pays, les membres de la police ou encore les membres du SARS.

En effet, en ce qui concerne l’incident survenu dans votre maison, qui aurait causé la mort de votre cousin, vous supposez seulement que « they should be, they must be soldiers » (p.8 du rapport d’entretien) et que « maybe they think he is me » (p.8 du rapport d’entretien).

Vous continuez en expliquant que « it cannot be a coincidence » (p.8 du rapport d’entretien) « because deep in my heart I knew it was SARS or the police » (p.10 du rapport d’entretien).

Or, force est de relever qu’ici, la mort de votre cousin, aussi regrettable soit-elle, constitue un fait non-personnel, qui est susceptible de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.

Force est cependant de constater que vous évoquez qu’il se serait agi de « unknown men » (p.8 du rapport d’entretien) et que vous émettez uniquement la supposition, qu’il s’agirait de militaires ou de policiers, qui en aurait eu après vous et non pas après votre cousin, supposition qui ne saurait emporter conviction alors qu’elle repose uniquement sur votre propre pressentiment. Il est donc manifeste que vous ignorez l’identité de ces personnes, étant donné que vous parlez de « unknown men » et que vous ne savez clairement pas pour quelles raisons ces personnes en auraient eu après vous ou encore après votre cousin.

Dans cette même lignée, il convient d’ailleurs de s’interroger sérieusement sur le fait de savoir comment ces personnes, qui auraient, selon vos dires, agressé votre cousin à votre place et que vous supposez appartenir aux autorités policières de votre gouvernement, vous auraient retrouvé, alors que ce jour-là des milliers de personnes auraient participé à la manifestation #EndSARS. Votre justification selon laquelle votre ami aurait dit que « your face is everywhere on the news. They think you are the leader of the protest » (p.8 du rapport d’entretien) ne saurait à nouveau pas être convaincante alors que cette manifestation a largement été médiatisée et diffusée sur de nombreuses chaînes de télévision, qui n’auraient certainement pas filmé que vous.

Ainsi, force est donc de constater que les problèmes, respectivement les craintes que vous décrivez ne peuvent être considérés comme des actes de persécutions d’une gravité 5suffisante, alors que vous n’auriez clairement pas été personnellement et individuellement dans le collimateur des forces de l’ordre ou encore de votre gouvernement. Dès lors, vos craintes, en cas de retour dans votre pays d’origine, sont purement hypothétiques et se traduisent tout simplement en un sentiment général d’insécurité, qui ne saurait suffire pour se voir octroyer le statut de réfugié.

Force est encore de souligner, en ce qui concerne votre défaut de plainte, que vous ne sauriez pas non plus vous retrancher derrière la situation générale des manifestants pour justifier le fait que vous n’ayez pas dénoncé le meurtre de sang froid de votre cousin en affirmant que « Police is SARS (…) they all work together » (p.10 du rapport d’entretien). Ce défaut de plainte étant d’autant plus incompréhensible, alors que selon les informations en notre possession, l’unité spéciale du SARS a été dissoute le 11 octobre 2020, soit avant la manifestation du 20 octobre 2020 à laquelle vous auriez participé et que d’autres mesures politiques ont été prises depuis pour satisfaire les manifestants concernant les violences policières. En effet, à cet égard « le président Muhammadu Buhori [a promis] de nouvelles réformes de la police [et] l’inspecteur général de la police Mohammed Adamu, [a annoncé] la création d’une nouvelle unité de police destinée à remplacer la SARS (…). Les agents de l’unité dissoute devront être soumis à des examens médicaux et psychologiques et suivre des formations avant de pouvoir être redéployés, conformément aux demandes des manifestants.

Mohammed Adamu [a annoncé] également la libération de manifestants arrêtés ».

Toujours dans cette même lignée, il convient encore de relever que « Fin octobre 2020, le gouvernement fédéral [a appellé] les Etats à mettre en place des comités chargés de recueillir les témoignages des victimes de la SARS et d’enquêter sur les abus commis par cette unité de police. Le tout premier comité d’enquête [a vu] le jour à … (…). A …, le comité d’enquête ou Judicial Panel of lnquiry and Restitution for Victims of SARS related Abuses and Lekki Toll Gate Incident s’est saisi de l’enquête sur l’incident survenu au péage de Lekki le 20 octobre 2020 [et] plusieurs responsables de l’armée [ont été] suspendus et remplacés à la demande du président (…) comme le général Tukur Buratai, dont la responsabilité avait été mise en cause dans l’incident du péage de Lekki ».

Dès lors, eu égard à toutes ces informations vous ne sauriez reprocher une quelconque absence respectivement volonté d’action aux autorités nigérianes compétentes.

Finalement, il convient de noter que si vous aviez réellement été recherché et persécuté par la police nigériane pour les raisons que vous avez mises en avant, il vous aurait été impossible de quitter votre pays d’origine aussi facilement en embarquant à bord d’un vol à destination de la Turquie sans être inquiété par les autorités nigérianes. Certes, vous expliquez que le père de l’un de vos amis vous aurait aidé en vous fournissant un faux passeport : « He helped me to the plane because the document was not mine. He gave me a passeport and a ticket. He knows the secrets because he works at the airport » (p. 11 du rapport d’entretien).

Or, il est en effet raisonnable de penser que, si vous étiez réellement persécuté, vous seriez alors également recherché au niveau des aéroports nationaux par la police nigérienne, ce qui n’a pas été votre cas en l’espèce, alors que la police vous aurait laissé passer entre les filets assez facilement.

A toutes fins utiles, il convient de souligner que selon la Country Guidance sur le Nigeria, qui date d’octobre 2021, et plus précisément concernant les manifestations #EndSARS, le rapport dispose que « Not all individuals under this profile would face the level 6 of risk required to establish well-founded fear of persecution »5, ce qui est clairement votre cas en l’espèce.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut de réfugié, notamment le fait que vous craindriez d’être tué par votre gouvernement en raison de votre participation à la manifestation #EndSARS du 20 octobre 2020.

Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Nigéria, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 janvier 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 16 7 6 /7 décembre 2022, portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre le refus du ministre d’octroyer la protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions ministérielles du 16 décembre 2022, telles que déférées.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale À l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose avoir participé, le 20 octobre 2020, à une manifestation contre les violences policières commises par l’unité de police nigériane dénommée « Special Anti-Robbery Squad », désignée ci-après par « le SARS », tout en précisant que les forces de l’ordre alors intervenues sur place pour disperser les manifestants auraient tiré des coups de feu dans la foule, causant ainsi de nombreux décès.

Monsieur (A) explique avoir filmé le déroulement de la manifestation en question dans le but d’envoyer ultérieurement le matériel vidéo ainsi enregistré à l’Organisation de l’Unité Africaine, pour faire intervenir cette dernière en faveur des manifestants.

Etant rentré à son domicile, où se serait, par ailleurs, trouvé son cousin … n’ayant pas participé à la manifestation, Monsieur (A) aurait entendu, aux alentours de 2:30 heures du matin, alors qu’il se serait trouvé l’extérieur de la maison, des coups de feu provenant de l’intérieur de la maison, ainsi qu’un individu demander où il se trouvait.

Alors qu’il aurait été en train de se cacher derrière un buisson, Monsieur (A) aurait entendu un nouveau coup de feu.

Après être sorti de sa cachette, Monsieur (A) aurait appris de la part d’un voisin que son cousin aurait été tué, le même voisin lui expliquant avoir été en mesure d’apercevoir que les individus s’étant pris à son cousin auraient porté des armes employées par le corps de la police nigériane. Monsieur (A) aurait ensuite découvert le corps de son cousin ensanglanté et gisant au sol, tout en constatant que son portefeuille et son téléphone portable auraient disparu.

Ayant appris qu’il serait apparu dans les médias nigérians en tant que participant à la manifestation du 20 octobre 2020 et craignant pour sa vie, Monsieur (A) aurait alors quitté le Nigéria, grâce à l’aide du père d’un ami, employé aéroportuaire, par un vol à destination de la Turquie. Il aurait ensuite traversé plusieurs pays européens en voiture pour terminer son itinéraire au Luxembourg, pays dans lequel il aurait déposé une demande de protection internationale le 30 novembre 2020.

En droit, le demandeur, reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation s’agissant du bien-fondé de ses craintes de persécutions.

En premier lieu, Monsieur (A) critique la remise en cause par le ministre de la sincérité de son récit pour avoir retenu que les informations qu’il a fournies au sujet de sa situation 8personnelle ne seraient pas cohérentes entre elles. Dans cet ordre d’idées, il conteste que ses explications concernant son statut marital auraient été confuses, dans la mesure où il n’aurait fait que répondre aux questions de l’agent ministériel, en précisant qu’il ne se trouverait pas dans une union officielle avec sa compagne, mais élèverait ensemble avec cette dernière ses deux enfants, dont l’un serait issu d’une précédente union.

En estimant que le ministre aurait détourné le sens de ses propos pour les faire apparaître comme confus, voire même douteux, Monsieur (A) fait valoir que le ministre, pour mettre en cause sa crédibilité, n’évoquerait, in fine, que deux éléments ayant trait à sa situation personnelle, soit des éléments secondaires et, en tout état de cause, insuffisants pour remettre en cause la véracité de l’ensemble de son récit.

Il se réfère ensuite à la position commune du 4 mars 1996 définie par le Conseil de l’Europe sur la preuve des faits et à l’article 4, paragraphe (5) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte), pour conclure au caractère cohérent de ses propos, non contredits par des informations générales, et à la crédibilité générale de son récit.

Le demandeur passe ensuite en revue les dispositions légales et la jurisprudence des juridictions administratives en ce qui concerne les critères à remplir par les demandeurs du statut de réfugié et soutient avoir exposé à suffisance les menaces qui pèseraient sur sa vie, en évoquant, en particulier, l’assassinat de son cousin par la police nigériane.

Il cite un communiqué de presse de l’organisation non gouvernementale « Amnesty International » paru en février 2021, intitulé « #Endsars mouvement : from Twitter to nigerian streets », ainsi qu’un article de presse publié par la chaîne de télévision « Africanews » sur son site internet le 20 octobre 2022, intitulé « Nigeria : 40 #EndSARS protesters languishing in jail two years after protest », faisant état d’un usage de force excessif de la part des forces de l’ordre nigérianes à l’encontre des manifestants, ayant entrainé des décès et des détentions de plusieurs de dizaines de manifestants à l’occasion des actions de protestation des mois d’octobre 2020.

Or, le soir même de l’une de ces manifestations, le demandeur explique avoir entendu des individus abattre son cousin, en ayant déclaré, avant de passer à l’acte, qu’ils auraient été à sa recherche, alors que l’un d’eux aurait demandé où se trouverait « … ».

Le demandeur en conclut qu’eu égard à la brutalité des forces de l’ordre ayant tenté de réprimer les manifestants, il serait évident que l’assassinat de son cousin serait dû à ces manifestations contre le SARS et qu’il n’aurait réussi à échapper au même sort qu’en s’étant mis à l’abri.

Il donne à considérer que même si le décès de son cousin constituerait un fait non personnel, les circonstances l’ayant entouré, la qualité de policier de ses auteurs et le fait que ces derniers auraient été à sa recherche, démontreraient indéniablement qu’il serait dans le collimateur des forces de l’ordre, ce qui justifierait sa crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, et ce, sans que cette crainte ne soit remise en cause par le fait que d’autres personnes auraient pris part à des manifestations et auraient ainsi pu apparaître dans les médias, au même titre que lui. Il ajoute, par ailleurs, 9qu’aucun doute ne pourrait exister au sujet de la qualité des individus ayant exécuté son cousin, dans la mesure où ses voisins les auraient identifiés comme appartenant aux forces de l’ordre nigérianes.

Le demandeur renvoie, dans ce contexte, à un communiqué de presse du 21 octobre 2020, publié par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme (UNCHR), intitulé « Nigéria : Michel Bachelet condamne les assassinats commis par l’armée et appelle à une « réforme en profondeur » des forces de sécurité », et soutient que même si l’unité SARS aurait entretemps été dissoute, il serait totalement erroné d’affirmer que le gouvernement, respectivement les forces de l’ordre seraient à même d’apporter une protection adéquate aux manifestants, alors qu’ils continueraient de les cibler et de les torturer, tel que cela se dégagerait d’un communiqué de presse de l’Amnesty International du 20 octobre 2022, intitulé « Nigeria :

Two years on, more than 40 #EndSARS protesters still languishing in jail ».

Le demandeur conclut dès lors également à la réformation de la décision déférée pour erreur manifeste « d’interprétation » dans le chef du ministre à cet égard.

Quant au volet de la décision déférée lui refusant le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu à tort qu’au cours de son entretien portant sur les motifs de sa demande de protection internationale, il n’aurait pas invoqué des faits relevant d’atteintes graves au sens des articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, alors qu’au contraire, il aurait « fait état des persécutions graves qu’il risque[rait] de subir en cas de retour au Nigéria », respectivement aurait été « témoin d’atteintes graves », dans la mesure où, d’une part, son cousin aurait été victime des représailles menées par les forces de l’ordre nigérianes et, d’autre part, des militants du mouvement « #End SARS » seraient toujours détenus et torturés par les autorités nigérianes, sans qu’un procès n’aurait été entamé afin de punir les incivilités commises par les forces de l’ordre nigérianes au cours de ce mouvement.

Le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle déférée sur ce volet de sa demande au motif qu’en tant que manifestant identifié par les forces armées nigérianes, il encourrait un risque réel et sérieux de subir des atteintes graves en cas de retour au Nigéria, pays dont la situation serait telle qu’il y risquerait d’être victime de tortures ou des traitements inhumains ou dégradants au sens de la loi du 18 décembre 2015, de la part des forces de l’ordre.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé en ces deux volets.

Le tribunal relève, d’abord, qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, 10point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il résulte de ces dispositions que tant l’octroi du statut de réfugié que celui de la protection subsidiaire est conditionné par une gravité suffisante des persécutions, respectivement des atteintes invoquées, découlant de leur nature ou de leur répétition ou accumulation.

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

11 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit, quant à lui, la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant 12son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions et les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Il s’ajoute aux considérations qui précèdent que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laisse supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans son office de juge du fond en matière de demande de protection internationale, le tribunal doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais inclut également l’appréciation de la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité des déclarations du demandeur.

Le tribunal constate qu’à l’appui de son recours contre le refus du ministre de lui accorder une protection internationale en ses deux volets, le demandeur invoque le même fait non personnel, à savoir, le meurtre de son cousin qu’il impute aux autorités nigérianes qui seraient à sa recherche pour le punir en raison de l’enregistrement vidéo du déroulement de la manifestation du mouvement « #EndSARS » du 20 octobre 2020.

Or, il ressort de l’analyse du tribunal et indépendamment de la question de la sincérité, voire de la crédibilité du récit du demandeur, que ce fait ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié, ni de celui conféré par la protection subsidiaire dans son chef.

A cet égard, il échet de relever que des faits non personnels mais vécu par d’autres personnes ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement de faire l’objet d’atteintes graves que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières1, preuve qui n’est cependant pas rapportée en l’espèce.

En effet, force est d’abord au tribunal de constater que contrairement aux allégations du demandeur, il ne résulte d’aucun élément objectif du dossier que la mort de son cousin était effectivement due à des manifestations, ni qu’elle était imputable aux forces de l’ordre nigérianes, alors que le demandeur n’était d’ores et déjà personnellement pas en mesure d’identifier les individus à l’origine de l’incident litigieux, le seul avis de ses voisins selon lequel il se serait agi des membres de la police nigériane2, non appuyée par un quelconque élément tangible, ne constitue qu’une supposition. A cet égard, il y a encore lieu de souligner que le demandeur a d’emblée indiqué à l’agent du ministère chargé de son audition qu’il s’agissait d’« unknown men »3 et qu’il n’a pas été en mesure d’expliquer pour quelle raison, il a ultérieurement conclu à la qualité de membres de force de l’ordre dans le chef des individus qui auraient exécuté son cousin, alors qu’à la question de l’agent « How did you know they 1 Trib. adm. 10 janvier 2011, n° 27191 du rôle, Pas. adm. 2024 V° Etrangers, n° 197 et l’autre référence y citée ;

2 Rapport d’entretien de Monsieur (A), p. 8.

3 Ibidem.

13were soldiers ? »4, le demandeur a répondu « I said the unknown men. So, they should be, they must be soldiers. »5, respectivement « The neighbors told me »6 ou encore, « (…) deep in my heart, I knew it was SARS or the police. »7. Il s’y ajoute que le demandeur a précisé à l’agent ministériel qu’il n’avait pas interrogé ses voisins au sujet de leur conviction quant à la qualité d’agents des forces de l’ordre des individus ayant abattu son cousin et que cette conviction ne se basait que sur l’aperçu par lesdits voisins du type des armes à feu portées par les individus en question8, à savoir « federal guns »9 et non pas « « petit » guns »10, affirmation, à elle seule, également insuffisante pour établir la qualité d’agents des forces de l’ordre dans le chef des individus auxquels le demandeur impute la mort de son cousin.

Il s’y ajoute que le comportement du demandeur immédiatement après la découverte du corps de son cousin est en décalage avec sa conviction que les meurtriers relèveraient des autorités nigérianes, alors que sa première réaction à son arrivée sur les lieux avait été de vérifier si son portefeuille et son téléphone potable11 n’avaient pas disparu, sans que cette réaction ne fasse l’objet d’une explication plausible de sa part suite à une interrogation à ce sujet par l’agent ministériel12, dans la mesure où il a répondu à ce dernier « (…) cause my phone is like my best friend. I need it for everything. (…) »13, étant encore relevé que le demandeur a expliqué à l’agent que son domicile était sous scellées « (…) because the house is like a crime scene. (…) The Government closed it because my cousin was killed in the house »14, affirmations qui ne sont pas, elles non plus, en phase avec la thèse du meurtre de son cousin par les forces de l’ordre nigérianes.

Par ailleurs, si le demandeur affirme que son cousin aurait été tué en raison des représailles menées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants du mouvement « #EndSARS », représailles qui l’auraient visé personnellement pour avoir filmé le déroulement de la manifestation du 20 octobre 2020 et pour être apparu dans les actualités de l’époque dans les médias nigérianes, il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit, là aussi, que d’une supposition, le demandeur restant, contrairement à ce qu’il prétend, en défaut d’établir avoir été dans le collimateur des autorités nigérianes, sa seule affirmation en ce sens, respectivement l’affirmation d’un ami selon laquelle son image serait apparu partout dans les actualités des médias nigérianes relatives à la manifestation du 20 octobre 202015 restant à l’état de pures allégations. Dans ce contexte, il échet d’abord de relever qu’il ressort du rapport d’entretien portant sur les motifs de sa demande de protection internationale qu’après avoir, dans un premier temps, déclaré à l’agent ministériel qu’il serait en mesure de trouver sur internet des preuves concernant son apparition dans les actualités des médias nigérianes, il n’a in fine pas fourni le moindre élément probant en ce sens. Il s’y ajoute que mis à part le fait d’avoir avancé que les individus ayant abattu son cousin se seraient au préalable enquis, avant le passage à l’acte, au sujet du demandeur, en demandant où il se trouvait et en mentionnant son prénom16, 4 Ibidem.

5 Ibidem.

6 Ibidem.

7 Ibidem, p. 10.

8 Ibidem.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 Ibidem, p. 8.

12 Ibidem.

13 Ibidem.

14 Ibidem, p. 3.

15 Ibidem, p. 9.

16 Ibidem, p. 8.

14respectivement que les autorités nigérianes seraient à sa recherche en raison de son enregistrement vidéo du déroulement de la manifestation du 20 octobre 2020, le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer comment il aurait su que les autorités nigérianes seraient à sa recherche, alors qu’à la question « How do you know that you are wanted now ? »17, le demandeur a répondu « Because it is obvious, everything that happened… so it is obvious »18.

Par ailleurs, il a encore déclaré qu’il ne disposait pas d’éléments de preuve que les autorités nigérianes seraient à sa recherche, telle, par exemple, une preuve que les forces de l’ordre se seraient présentées à son domicile à cette fin ou qu’ils auraient contacté des membres de sa famille restés au Nigéria19.

Il échet partant de conclure des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’avoir démontré un lien concret entre sa participation à la manifestation du 20 octobre 2020 et le meurtre allégué de son cousin, de sorte à ne pas avoir établi des éléments personnels l’exposant à un acte similaire. Ce fait n’est partant pas de nature à constituer dans son chef un indice sérieux d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève, respectivement de faire l’objet d’atteintes graves au sens des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, mais tout au plus, à l’instar de ce qui a été souligné par la partie étatique, un sentiment général d’insécurité à cet égard, étant rappelé que ni les motifs, ni les auteurs du prétendu meurtre ne sont connus.

Il y a ensuite lieu de relever qu’en ce qui concerne, en l’espèce, la demande en obtention d’une protection subsidiaire, le demandeur ne fait pas état d’un risque d’être victime d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée dans ses deux volets, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour être non fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre, principalement, en conséquence de la réformation de la décision de refus d’une protection internationale et, subsidiairement, pour violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les 17 Ibidem, p. 12.

18 Ibidem.

19 Ibidem.

15décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que ce dernier ne peut pas être considéré comme étant exposé à des actes de persécution, respectivement à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine, la décision de refus du 16 décembre 2022 est valablement assortie d’un ordre de quitter le territoire, sans, de ce fait, violer l’article 129 de la loi du 29 août 2008 aux termes duquel « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il s’ensuit que le recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 16 décembre 2022 portant refus de la protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 16 décembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 février 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48373
Date de la décision : 11/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-11;48373 ?

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