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11/03/2025 | LUXEMBOURG | N°52365

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 mars 2025, 52365


Tribunal administratif N°52365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52365 4e chambre Inscrit le 13 février 2025 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52365 du rôle et déposée le 13 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N°52365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52365 4e chambre Inscrit le 13 février 2025 Audience publique du 11 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52365 du rôle et déposée le 13 février 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à la maison retour, sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 29 janvier 2025, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, de le transférer vers les Pays-

Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mars 2025.

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Le 14 novembre 2024, Monsieur (A) introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Italie les 10 août 2015 et 14 septembre 2022, en Allemagne le 14 janvier 2019, aux Pays-Bas le 30 septembre 2022 et en France en date du 5 août 2024.

1Le 5 décembre 2024, Monsieur (A) fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 13 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par lesdites autorités en date du 24 janvier 2025 en raison du fait que les Pays-Bas avaient accepté leur demande de reprise en charge en date du 5 septembre 2024.

Toujours, le 13 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues néerlandais une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 14 janvier 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision du 29 janvier 2025, notifiée à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point (d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 novembre 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) re 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de police judiciaire du 14 novembre 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 5 décembre 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 14 novembre 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Italie en date 2des 10 août 2015 et 14 septembre 2022, une demande en Allemagne en date du 14 janvier 2019, une demande aux Pays-Bas en date du 30 septembre 2022 et une demande en France en date du 5 août 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 5 décembre 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités néerlandaises en date du 13 janvier 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 14 janvier 2025.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Italie en date des 10 août 2015 et 14 septembre 2022, une demande en Allemagne en date du 14 janvier 2019, une demande aux Pays-Bas en date du 30 septembre 2022 et une demande en France en date du 5 août 2024.

3Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine le 9 juin 2013 pour vous rendre au Niger et ensuite en Libye. En juillet 2015, vous auriez quitté la Libye à bord d'une embarcation clandestine en direction de l'Italie. Arrivé sur le territoire des Etats membres, vous avez introduit plusieurs demandes de protection internationale, qui auraient toutes été rejetées. Les autorités néerlandaises vous auraient annoncé que vous seriez rapatrié au Nigéria. Vous auriez donc décidé de quitter les Pays-Bas et avez introduit une demande de protection internationale en France. Les autorités françaises vous auraient expliqué que vous feriez l'objet d'un transfert vers les Pays-Bas, raison pour laquelle vous seriez venu au Luxembourg.

Monsieur, lors de votre entretien Dublin III vous avez indiqué subir d'une sorte de crise et que vous auriez reçu des médicaments depuis votre arrivée au Luxembourg. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas, qui sont l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

4Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale. Pour l'exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 février 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 29 janvier 2025.

5Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en expliquant plus particulièrement être arrivé en Europe via l’Italie où il serait resté plus de 7 ans. Après que sa demande de protection internationale y introduite en août 2015 aurait été rejetée, il se serait rendu en Allemagne avant de revenir en Italie, où il aurait réintroduit une demande de protection internationale en novembre 2022.

Sans attendre la décision y relative des autorités italiennes, il se serait alors rendu aux Pays-Bas pour y introduire une nouvelle demande, puis en France, pays qui aurait refusé de traiter sa demande « en raison de la procédure Dublin III », de sorte qu’il serait finalement arrivé au Luxembourg.

Il fait relever qu’il aurait expliqué, lors de son entretien individuel, que les Pays-Bas l’auraient informé qu’il se trouverait dans une procédure Dublin III en vue d’un transfert en Italie, mais que son transfert aurait été refusé. Il s’ensuivrait qu’il serait dès lors contraint de retourner au Nigeria, alors que toutes les voies de recours auraient été épuisées aux Pays-Bas.

En droit, le demandeur fait plaider que la décision déférée serait entachée d’une violation de l’article 13 du règlement Dublin III, d’une violation de l’article 3 paragraphe (2) du règlement Dublin III, d’une violation de l’article 17 du règlement Dublin III ainsi que d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ».

En ce qui concerne la violation de l’article 13 du règlement Dublin III, le demandeur fait rappeler qu’il aurait, en date du 14 novembre 2022, introduit une demande de protection internationale en Italie pour ensuite introduire une telle demande aux Pays-Bas en date du 30 novembre 2022, sans attendre la décision des autorités italiennes. Or, les Pays-Bas, après l’avoir informé que l’Italie ne le reprendrait pas, l’auraient placé en rétention.

Etant donné que les Pays-Bas l’auraient informé qu’il serait en procédure Dublin III vers l’Italie où il aurait introduit une demande de protection internationale en date du 14 novembre 2022, soit 16 jours avant sa demande aux Pays-Bas, le demandeur considère que l’Italie devrait être considérée comme étant l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, et ce, nonobstant les considérations politiques relatives au fonctionnement de l’Italie dans le traitement de ces demandes.

En deuxième lieu, le demandeur estime que son transfert vers les Pays-Bas violerait l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, alors que le ministre se serait manifestement abstenu d’examiner de manière rigoureuse et approfondie la situation prévalant aux Pays-Bas, où il y aurait de sérieuses raisons de croire qu'il existerait dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ».

Il cite, dans ce contexte, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », du 21 décembre 2011, dans les affaires jointes C-411/10 et 6C-493/10 , N. S. e.a., qui aurait souligné que la présomption posée par la confiance mutuelle ne serait pas irréfragable, de sorte qu’il incomberait aux États de ne pas transférer un individu lorsque des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’État d’accueil constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur y courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Si la CJUE aurait, dans son arrêt du 19 mars 2019, dans une affaire Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, rappelé l’importance de la confiance mutuelle, elle aurait également confirmé que celle-ci ne serait pas absolue.

Ce serait à tort que le ministre aurait, dans ce contexte, affirmé, de manière non circonstanciée et sans aucune preuve, que les Pays-Bas seraient présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement, alors même qu’il ressortirait des faits de l’espèce, que les Pays-Bas l’auraient d’ores et déjà placé dans un centre de rétention aux fins d’un renvoi au Nigéria.

Selon la jurisprudence de la CJUE, les États membres seraient alors tenus d’examiner dans chaque cas d’espèce dans quelle situation se retrouverait la personne si elle était transférée vers l’Etat membre concerné et renoncer à un transfert vers l’État responsable s’il ne pourrait être ignoré que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil dans ce pays constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur de protection internationale courrait un risque réel d’être soumise à des traitements inhumains ou dégradants, ce qui impliquerait que, lorsque des rapports et articles de presse feraient état d’une situation problématique, les autorités nationales chargées de l’examen de la demande de protection internationale auraient l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux du demandeur concerné ne seraient pas mis à mal après son transfert.

Le demandeur donne à considérer, dans ce contexte, que le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies aurait dressé un constat alarmant quant au traitement des demandeurs d’asile aux Pays-Bas, en estimant qu’il faille limiter le recours à la détention des demandeurs de protection internationale, ce que les Pays-Bas auraient refusé, tout en s’étant, au contraire, récemment engagés à mettre en place le régime le plus strict en matière d’asile.

En troisième lieu, le demandeur conclut encore à une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif qu’à son arrivée au Luxembourg, il aurait mentionné des problèmes médicaux, rappelant qu’il aurait reçu un traitement approprié dès son arrivée au Luxembourg.

Il s’empare d’un arrêt de la CJUE du 16 février 2017, dans une affaire C.K.H. A.S. c.

Republika Slovenija, selon lequel il serait possible de s’opposer à un transfert d’un demandeur de protection internationale en cas de problèmes médicaux graves, si le transfert risquait d’entraîner une détérioration substantielle de l’état de santé.

En effet, les États procédant au transfert devraient vérifier et garantir que des soins de santé seraient également disponibles dans le pays de destination directement après le transfert.

Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînerait pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il 7incomberait aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état le rend inapte à un tel transfert.

Le demandeur souligne que s’il était renvoyé aux Pays-Bas, et compte-tenu de la politique de durcissement des conditions d’accueil y en vigueur, il serait exposé à des traitements inhumains et dégradants et mis dans des conditions difficilement acceptables, de sorte que le ministre aurait dû se déclarer compétent pour traiter sa demande au fond pour des « raisons humanitaires ou exceptionnelles ».

Finalement le demandeur estime encore que l’article 3 de la CEDH se trouverait violé, alors que la compétence des Pays-Bas serait contestée et qu’il se dégagerait clairement des informations de sources publiques qu’il y existerait des motifs raisonnables de croire qu’il encourrait, en cas de transfert vers les Pays-Bas, un risque réel et sérieux d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires aux interdictions de l’article 3 de la CEDH.

Il cite, à cet effet un arrêt du 24 octobre 2023 de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », dans une affaire AMA c/PAYS-BAS, ayant reconnu la violation de l’article 3 de la CEDH dans le cadre d’un renvoi d’un demandeur de protection internationale des Pays-Bas vers le Bahreïn, alors que les autorités néerlandaises n’auraient pas procédé à une évaluation suffisante des risques en cas de retour de ce dernier vers son pays d’origine.

Or, au vu son vécu aux Pays-Bas, il serait indéniable qu’il se verrait renvoyer au Nigéria par les autorités néerlandaises, alors même qu’il craindrait des traitements inhumains, voire de se faire tuer en cas de retour au Nigeria.

Il cite encore l’arrêt précité de CJUE du 16 février 2017 pour soutenir qu’au vu du caractère absolu de l’interdiction de l’article 4 de la Charte, les États membres pourraient méconnaitre un risque réel et avéré de traitements inhumains ou dégradants affectant un demandeur d’asile même s’il n’existerait pas de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable.

Or, en l’espèce, la probabilité pour lui de se retrouver aux Pays-Bas dans des conditions inhumaines et d’être renvoyé au Nigéria immédiatement après son transfert vers les Pays-Bas ne serait pas hypothétique mais réelle.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis 1 Trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et les autres références y citées.

8accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour assurer le suivi du dossier du demandeur à la suite du rejet de sa demande de protection internationale prévoit que « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate, de prime abord, qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait les Pays-Bas, en ce qu’il y a introduit une demande de protection internationale en date du 30 septembre 2022, entretemps rejetée par les autorités néerlandaises compétentes, et que ces dernières ont accepté sa reprise en charge le 14 janvier 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation du demandeur suivant laquelle la décision ministérielle litigieuse serait intervenue en violation de l’article 13 du règlement Dublin III aux termes duquel : « 1. Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

2. Lorsqu’un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l’entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d’au moins cinq mois avant d’introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

9Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d’au moins cinq mois, l’État membre du dernier séjour est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

En effet, nonobstant le constat que le demandeur reste en défaut de préciser dans quel cas de figure dudit article 13 il se trouverait, il échet de relever que les explications de la requête introductive d’instance selon lesquelles, aux Pays-Bas, il se serait uniquement trouvé « en procédure Dublin vers l’Italie », sont contredites par ses propres explications dans le cadre de son entretien Dublin III, où il précise que les Pays-Bas, si ledit pays avait effectivement en premier lieu envisagé un transfert vers l’Italie, avaient néanmoins décidé de se déclarer responsables pour connaître de sa demande au fond2, laquelle fut finalement rejetée en avril 2024. Il s’ensuit que le moyen afférent manque manifestement non seulement en droit, mais aussi en fait et encourt dès lors le rejet.

Ensuite, il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne le moyen du demandeur relatif à l’existence de défaillances systémiques aux Pays-Bas, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire de l’article 3 de la CEDH -, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre3.

2 Entretien Dublin III du 5 décembre 2024, p.4 : « (…) This ending up with the Dutch authorities telling me that my case will be looked at in the Netherlands, but in April of 2024, they rejected my application (…) ».

3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16 PPU, pt. 92.

10A cet égard, le tribunal relève que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH et le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dénommée ci-après « la Convention torture », ainsi que du principe de non-

refoulement prévu par la Convention de Genève, et disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être 4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform, pt. 78.

5 Ibidem, pt. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pt. 95.

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, pt. 62.

11qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201710.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201911 que, pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13.

En l’espèce, le demandeur estime que les défaillances systémiques aux Pays-Bas résulteraient des conditions d’accueil auxquelles devraient faire face les demandeurs de protection internationale en ce que les Pays-Bas recourraient trop souvent à des détentions de demandeurs de protection internationale, dans des conditions contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il incombe au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir que la situation aux Pays Bas, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant, étant à cet égard relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

Dans ce contexte, il importe tout d’abord de constater que le demandeur n’a, lors de son entretien Dublin III en date du 5 décembre 2024, pas soutenu que les autorités néerlandaises lui auraient refusé l’accès à la procédure d’asile ou aux conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale. Il résulte au contraire du rapport dudit entretien, tel que relevé ci-avant, que les Pays-Bas avaient expressément accepté la responsabilité pour connaître au fond de sa demande de protection internationale y déposée le 30 septembre 2022, de même que le demandeur a indiqué ne pas avoir de problème avec les Pays-Bas, sauf qu’en raison du rejet de sa demande, il risquerait actuellement d’être éloigné vers son pays 10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

12 Ibid., pt. 92.

13 Ibid., pt. 93.

12d’origine14.

Ensuite, s’il se dégage certes des documents invoqués par le demandeur, que les autorités néerlandaises se sont fait reprocher en 2017 par l’organisation Amnesty international de procéder trop souvent à des détentions de migrants, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que le rapport en question, datant de plus de 7 années, ne saurait refléter la situation actuelle de l’accueil de demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’extrait d’un article de presse relatant le souhait, non encore concrétisé, de l’actuel gouvernement néerlandais de durcir le ton en matière d’asile, voire même de se retirer des règles de l’Union européenne en matière d’immigration et de l’asile.

Le tribunal relève ainsi que le demandeur n’établit pas que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que les Pays-Bas sont signataires de la Charte, de la CEDH et de la Convention torture, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 -

ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Il y a, par ailleurs, lieu de rappeler que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Il s’ensuit que le demandeur ne saurait se prévaloir, dans le cadre du présent recours, de l’existence alléguée de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil de demandeurs de protection internationale dans ce pays pour contester son transfert vers les Pays-Bas, alors qu’il ne s’y trouvera pas dans une situation comparable.

En cas de transfert vers les Pays-Bas, il devra, en effet, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Même à admettre que le système d’accueil néerlandais était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il appartiendrait au demandeur de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes compétentes. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système néerlandais n’était pas conforme aux normes européennes. Dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale directement auprès des autorités 14 Entretien Dublin III du 5 décembre 2024, p.4 : « I have no problem at all in the NETHERLANDS, but the only problem I have in the Netherlands is that they want to deport me back to Nigeria. ».

13néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.

Le tribunal relève encore que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies, désigné ci-après par « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise qui exposerait les demandeurs de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

Néanmoins, il convient encore de relever, dans ce cadre, que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

En ce qui concerne le non-respect, par les Pays-Bas, du principe de non-refoulement dont se prévaut encore le demandeur sans le nommer dans le cadre de son moyen relatif à une violation de l’article 3 de la CEDH, il y a tout d’abord lieu de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 30 novembre 202318, la juridiction de l’Etat membre requérant, saisie d’un recours contre une décision de transfert, ne peut examiner s’il existe un risque, dans l’Etat membre requis, d’une violation du principe de non-refoulement auquel le demandeur de protection internationale serait soumis à la suite de son transfert vers cet Etat membre, ou par suite de celui-ci, lorsque, tel que c’est le cas en l’espèce, cette juridiction ne constate pas l’existence, dans l’Etat membre requis, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’une protection internationale. Des divergences 15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 18 CJUE, 30 novembre 2023, affaires jointes C-228/21, C-254/21, C-297/21, C-315/21 et C-328/21.

14d’opinion entre les autorités et les juridictions de l’Etat membre requérant, d’une part, et celles de l’Etat membre requis, d’autre part, en ce qui concerne l’interprétation des conditions matérielles de la protection internationale n’établissent pas l’existence de défaillances systémiques.

Par ailleurs, et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever que la décision ministérielle déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence les Pays Bas, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé arbitrairement dans son pays d’origine par les autorités néerlandaises. Il ne fournit plus particulièrement aucun élément de nature à démontrer que les Pays Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à son égard et failliraient dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

De plus, si par impossible les autorités néerlandaises devaient néanmoins décider d’éloigner le demandeur, même le cas échéant en violation de l’article 33 de la Convention de Genève, non explicitement invoqué par le demandeur, à supposer que l’intéressé soit effectivement exposé à un risque concret et grave en cas de retour au Nigéria, il lui appartiendrait, tous recours internes éventuellement épuisés - le demandeur devant d’abord faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises compétentes en usant des voies de droit adéquates19 - de saisir la CourEDH et de lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de prier les autorités néerlandaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Cette conclusion n’est pas énervée par l'arrêt rendu par la CourEDH du 24 octobre 2023 dans l'affaire A.M.A. c. Pays-Bas, que le demandeur invoque et au sujet duquel il verse un communiqué de presse de la part du greffe de ladite Cour, et qui avait critiqué l'absence, aux Pays-Bas, d'un réexamen approfondi des éléments nouveaux présentés dans le cadre de la procédure de réexamen de la demande de protection internationale, alors que le demandeur laisse d’établir qu’il se trouvera dans une situation comparable, étant relevé qu’il a lui-même déclaré avoir eu accès à un conseil juridique aux Pays-Bas en vue d’introduire des recours, contrairement à ce qui était le cas dans le cas d’espèce soumis à la CourEDH dans l’affaire concernée.

Il ne se dégage dès lors pas non plus des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert du demandeur vers les Pays Bas l’exposerait à un risque réel et sérieux de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que, compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers les Pays Bas, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, 19 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

15respectivement de faire l’objet d’un refoulement en violation de l’article 33 de la Convention de Genève. Ainsi, le moyen tenant, dans ce contexte, à une violation de l’article 3 de la CEDH, pris isolément, est à rejeter.

En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il y a lieu de relever que celui-ci dispose comme suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ».

Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III, est discrétionnaire et relève du pouvoir d’appréciation étendu des Etats membres20, mais ne constitue nullement un droit pour le demandeur, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201721.

Force est encore de relever qu’un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge22, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration23.

En ce qui concerne l’état de santé du demandeur, tel que mis succinctement en avant, dans ce contexte, par celui-ci dans son recours, le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il ne se dégage pas de la jurisprudence de la CJUE24 que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé, lorsque ce dernier déclare avoir un quelconque problème de santé.

En effet, suivant la jurisprudence de la CJUE, ce n’est que si un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, que les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé 20 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

21 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

22 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

23 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

24 Voir en ce sens CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

16de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée25.

La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable. Les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposent, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Le tribunal se doit de constater qu’en l’espèce, le demandeur, qui a affirmé lors de son entretien Dublin III souffrir d’une certaine forme d’épilepsie, état avec lequel il aurait appris à vivre26, ne verse cependant aucune pièce faisant état de ce problème de santé dans son chef, de même qu’il ne soumet aucun élément, voire même un quelconque indice concret susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas être transféré aux Pays-Bas, respectivement pas y accéder aux soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système d’aide néerlandais, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises compétentes en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas par le biais de la 25 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.

26 Rapport Dublin III du 5 décembre 2024, p. 2 : « (…) I have a sort of seizure, but I have been living with it so it's okay. (…) ».

17communication aux autorités néerlandaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant, conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Au vu de ces considérations, il doit être retenu que l’état de santé du demandeur ne saurait s’analyser en un élément humanitaire ou exceptionnel qui aurait dû amener le ministre à appliquer la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que ce moyen laisse également d’être fondé, faute de tout autre élément mis en avant qui pourrait s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire.

Au vu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le tribunal est dès lors amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 mars 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 52365
Date de la décision : 11/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-11;52365 ?

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