Tribunal administratif N° 50835a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50835a 4e chambre Inscrit le 30 juillet 2024 Audience publique du 21 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50835 du rôle et déposée le 30 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Libye), de nationalité libyenne, demeurant à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 juillet 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 août 2024 ;
Vu le jugement du 15 octobre 2024, inscrit sous le numéro 50835 du rôle, rendu par le premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal, renvoyant l’affaire devant la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. HELLAL et Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2024.
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Le 29 septembre 2023, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la Police grand-
ducale, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour.
Le 11 octobre 2023, Monsieur (A) fut entendu séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etatresponsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Le 28 juin 2024, l’intéressé fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 11 juillet 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur (A) comme suit :
« (…) Monsieur, vous déclarez vous nommez (A), être né le … à …/…, et être de nationalité libyenne. Vous auriez dernièrement vécu à … avec vos parents, votre fratrie ainsi qu'avec votre grand-mère paternelle. En Libye, vous auriez travaillé en tant que commerçant et, en Ukraine, vous auriez travaillé en tant que chauffeur de taxi. Toute votre famille séjournerait encore en Libye.
En 2017, vous seriez parti en Ukraine pour y faire des études. Après y avoir séjourné pendant deux années, vous seriez retourné en Libye pour environ dix à quinze jours avant de repartir en Ukraine. Vous auriez quitté l'Ukraine pendant la guerre russo-ukrainienne et auriez séjourné en Libye de mai 2022 jusqu'au 1er avril 2023. Vous seriez par la suite encore une fois retourné en Ukraine et y auriez séjourné d'avril 2023 à septembre 2023 avant de venir au Luxembourg.
(…) » Le ministre informa ensuite Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
après avoir résumé ses déclarations comme suit :
« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 octobre 2023 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 30 octobre 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Vous signalez être de nationalité tunisienne, célibataire, être de confession musulmane et être originaire de …, où vous auriez vécu avec vos parents et votre fratrie et travaillé comme agent de sécurité pour le Ministère de l'éducation. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous auriez été menacé par votre famille.
En 2004, âgé de 10 ans, vous auriez été agressé sexuellement par votre voisin. Il en aurait parlé à ses amis et par la suite tout le monde l'aurait su. Lorsque vos frères auraient appris ce qui vous serait arrivé, ils vous auraient menacé alors que votre famille serait pratiquante et que cette histoire d'agression l'aurait déshonorée. Vous ne feriez confiance à personne en Tunisie et vous n'y auriez jamais recherché de l'aide ou une protection.
2 Le 5 avril 2023, vous avez demandé un visa aux autorités islandaises, demande qui a été refusée le 11 avril 2023. Début juillet 2023, vous auriez quitté la Tunisie à bord d'un bateau à destination de l'Italie, où vos empreintes ont été enregistrées le 11 juillet 2023, mais où vous auriez « refuser de demander l'asile parce que mon but était de chercher un contrat de travail » (rapport du Service de Police Judiciaire). Après avoir séjourné pendant une dizaine de jours en Italie, vous vous seriez installé clandestinement en France, où vous auriez alors vécu pendant trois mois. Vous précisez avoir dormi dans la rue à Nice et avoir recherché en vain un travail. A ce moment, vous auriez eu l'idée de demander l'asile et le 21 octobre 2023, vous auriez pris un bus à Paris pour venir introduire une telle demande au Luxembourg.
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous ne présentez aucun document.
Vous prétendez d'abord avoir perdu vos documents d'identité en traversant la Méditerranée et précisé par la suite que vous auriez décidé de laisser votre carte d'identité auprès de votre famille avec laquelle vous n'auriez plus de contact, tandis que votre passeur aurait jeté votre passeport à la mer. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 juillet 2024, inscrite sous le numéro 50835 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation 1) de la décision précitée du ministre du 11 juillet 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, telles que déférées.
Par un jugement du 15 octobre 2024, inscrit sous le numéro 50835 du rôle, le premier juge au tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal, considéra que le recours n’était pas manifestement infondé et renvoya en conséquence l’affaire devant la formation collégiale de la quatrième chambre du tribunal administratif.
A titre liminaire, le tribunal tient à relever qu’il a été jugé par la Cour administrative qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2 de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Ainsi, si le juge unique estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale, qui elle, est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. De plus, le renvoi devant la formation collégiale doit rendre possible l’examen de tous les moyens présentés par le demandeur et la formation collégiale doit pouvoir statuer sur la totalité des moyens présentés en relation avec le fond du litige1.
1 Cour adm., 11 février 2020, n° 43786C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 59 et l’autre référence y citée.Il s’ensuit que le tribunal de céans est dispensé de toiser le volet du recours contestant le choix du ministre de procéder à l’analyse de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
Étant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions précitées du ministre du 11 juillet 2024, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur rappelle certains faits et rétroactes tels que relevés ci-avant, tout en faisant des observations préliminaires quant aux circonstances dans lesquelles il aurait déposé une demande de protection internationale au Luxembourg.
En substance, il estime avoir été trompé par les autorités ministérielles qui l’auraient empêché de se prévaloir d’une protection temporaire à laquelle il aurait eu droit, compte tenu du fait qu’il aurait régulièrement vécu en Ukraine lors de l’invasion russe le 24 février 2022, dans le cadre de ses études universitaires, territoire sur lequel il aurait vécu du 8 septembre 2017 au 22 septembre 2023. Le demandeur fait encore valoir qu’il ne se serait même pas vu octroyer le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, dans le cadre de sa procédure accélérée, alors même que son pays d’origine, la Libye, serait notoirement connu comme ayant traversé des cycles de violences aveugles jusqu’à l’heure actuelle.
Il critique, dans ce contexte, la décision déférée en ce qu’elle l’aurait fait passer pour une personne indécise en indiquant qu’il aurait introduit une demande en obtention d’une protection temporaire en date du 28 septembre 2023 et qu’il aurait renoncé, le même jour, à cette demande pour introduire, le lendemain, une demande en obtention d’une protection internationale. S’il ne conteste pas avoir entendu solliciter une demande de protection temporaire, il fait toutefois relever que des personnes, au guichet unique, lui auraient indiqué, le jour de l’introduction de sa demande de protection temporaire, qu’il n’aurait aucune chance de l’obtenir, de sorte à lui recommander d’y renoncer. Le demandeur indique qu’il aurait une nouvelle fois, en date du 11 octobre 2023, été avisé qu’il n’aurait aucune chance d’obtenir la protection temporaire, alors même qu’il serait éligible à cette protection, et ce après avoir renoncé, à cette même date, à sa demande de protection internationale.
Le demandeur reproche ensuite à la décision déférée d’avoir édulcoré le raisonnement relatif à la situation sécuritaire en Libye dans le seul but de justifier un refus de protection à son égard, ledit raisonnement ne se fondant que sur un arrêt rendu par Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », en date du 13 juillet 2023.
Il fait relever, à cet égard, qu’en novembre 2022, le Parlement européen aurait pourtant indiqué, à propos de la Libye, et à la suite du report sine die des élections en décembre 2021, que la situation politique et sécuritaire s’y serait encore détériorée en 2022, ce qui aurait aggravé le blocage politique et les divisions dans le pays. Le demandeur indique que la Libye ne disposerait toujours pas d’institutions nationales unifiées, d’une constitution largement acceptée et d’un cadre électoral, tout en expliquant que le nouvel envoyé des Nations Unies en Libye aurait été nommé en septembre 2022, et aurait parmi ses priorités le soutien à un accord sur un cadre constitutionnel et un calendrier pour les élections, le suivi du cessez-le-feu etl’assistance à la commission militaire libyenne mixte dans la supervision du retrait immédiat de toutes les forces étrangères. L’Union européenne continuerait d’accompagner les autorités libyennes, notamment par l’intermédiaire de sa mission d’assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye et de son opération militaire EUNAVFOR MED IRINI en Méditerranée. Le demandeur soutient qu’en 2024, la situation sécuritaire en Libye resterait extrêmement précaire et complexe, marquée par des affrontements armés, notamment des violences significatives à … entre les deux principales milices causant des dizaines de morts et des centaines de blessés, combats illustrant le manque de contrôle centralisé sur les forces armées dans le pays et soulignant les tensions persistantes entre différents groupes armés, tout en relevant que cette fragmentation des forces de sécurité, notamment en raison de nombreux groupes armés opérant indépendamment compliquerait les efforts pour établir un ordre public cohérent et stable et empêcherait la création d’une force de sécurité unifiée et disciplinée. Cette situation contribuerait à une insécurité accrue pour les civils et exacerberait la crise humanitaire, des problèmes humanitaires liés aux droits de l’Homme, notamment des détentions arbitraires, des mauvais traitements et des violences sexuelles dans les centres de détention, ainsi que des mauvais traitements et l’exploitation de migrants et réfugiés et l’impact régional négatif des troubles des pays voisins, comme le coup d’état militaire au Niger. La Libye, en 2024, serait confrontée à une situation sécuritaire instable, caractérisée par des conflits internes, une fragmentation des forces de sécurité et de graves problèmes humanitaires, les efforts pour stabiliser la situation étant entravés par la division politique et l’absence d’un gouvernement central fort.
Le demandeur estime en outre qu’en 2024, la Libye aurait aussi été le théâtre de violences aveugles, principalement dues à des affrontements entre différents groupes armés et milices, ces violences se caractérisant par des attaques qui toucheraient souvent des civils et des infrastructures civiles, exacerbant la situation humanitaire et sécuritaire dans le pays. Il y aurait des affrontements entre milices, notamment les combats entre groupes armés à … qui seraient une source majeure de violence aveugle causant de nombreuses victimes civiles, ces conflits se déroulant souvent dans des zones peuplées entraînant des pertes en vies humaines et des dégâts matériels considérables. De même des attaques sur les infrastructures essentielles auraient pour conséquence que les hôpitaux, les écoles et les installations de distribution d’eau et d’électricité seraient fréquemment endommagées ou détruites lors de ces affrontements, ces attaques compromettant l’accès des civils aux services de base et aggravant leurs conditions de vie déjà précaires dans de nombreuses régions. Des violations des droits de l’Homme, incluant des violences aveugles comme des arrestations arbitraires, des détentions prolongées sans procès, des tortures et d’autres formes de mauvais traitements constitueraient également des pratiques répandues dans les zones contrôlées par les différentes factions armées où l’Etat de droit serait souvent inexistant. Enfin les populations vulnérables, notamment les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile en Libye seraient particulièrement exposées aux violences aveugles, ces dernières étant souvent détenues dans des conditions inhumaines, victimes de trafic d’êtres humains et subissant des violences sexuelles et d’autres formes d’exploitation.
Ces violences aveugles illustreraient l’instabilité chronique de la Libye où l’absence d’un gouvernement central fort et la fragmentation des forces de sécurité continueraient de plonger le pays dans un cycle de violence et d’insécurité.
Le demandeur rappelle ensuite qu’il serait un ressortissant libyen, ayant vécu en Ukraine en raison de ses études universitaires ayant abouti à un Master II en marketing. Il explique avoir d’abord entendu bénéficier de la protection temporaire, dévolue aux résidents réguliers en Ukraine, en raison de l’invasion russe, mais qu’il aurait été dissuadé de déposerune telle demande. En raison de la situation notoire d’insécurité dans son pays de naissance, il aurait finalement déposé une demande de protection internationale.
En droit, et après avoir fait un exposé de la situation des droits de l’Homme en Libye d’après l’organisation non gouvernementale Amnesty International, le demandeur donne à considérer, quant au refus de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, que la décision déférée n’aurait pas correctement tenu compte de la situation actuelle en Libye telle que décrite précédemment, son pays d’origine étant en proie à l’insécurité et à des actes de terrorisme. En se référant à la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, le demandeur fait valoir que les Etats membres accorderaient le statut conféré par la protection subsidiaire à un demandeur de protection internationale qui se trouverait hors de son pays d'origine et ne pourrait pas y retourner parce qu’il craindrait avec raison d’y faire l’objet d’atteintes graves, à savoir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, la peine de mort ou l’exécution, ou une menace contre sa vie en raison d'une violence non ciblée liée à un conflit armé interne ou international, ce qui serait le cas pour lui. Le demandeur fait en outre relever que la Libye, d’une part, ferait partie des pays africains présentant le risque le plus élevé de problèmes de santé et, d’autre part, ne figurerait pas sur la liste des pays d’origine sûr fixée par la voie d’un règlement grand-ducal qui désignerait un pays comme pays d’origine sûr lorsque d’une manière générale et durable il n’y aurait aucune persécution au sens de la Convention de Genève ou aucune atteinte grave au sens de la définition de la protection subsidiaire.
Enfin, il requiert la réformation de l’ordre de quitter le territoire en conséquence de la réformation du refus d’accorder une protection internationale, tout en estimant qu’eu égard au principe de précaution, il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire des personnes vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elles courraient un risque réel de subir des atteintes graves à leur vie au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pris en ses trois volets.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dansle cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Il y a ensuite lieu de préciser que dans la présente matière, le juge administratif doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.
Le tribunal doit, tout d’abord, constater qu’en ce qui concerne le refus ministériel d’accorder le statut de réfugié à Monsieur (A), ce dernier se limite à solliciter, dans le cadre du dispositif de son recours, à se voir octroyer ledit statut, sans développer d’argumentation y afférente.
En tout état de cause, il échet encore de relever qu’il ressort, en l’espèce, des déclarations du demandeur, telles qu’actées au rapport d’audition, que sa demande en obtention d’une protection internationale est, d’une part, basée sur des motifs de pure convenance personnelle, notamment le souhait de continuer ses études au Luxembourg, Monsieur (A) ayant, à cet égard, déclaré auprès du ministère « Pour moi, après des recherches sur internet, le Luxembourg était le meilleur pays pour les langues et les études dans ma spécialité »2, et, d’autre part, sur la situation générale sécuritaire en Libye à laquelle le demandeur se réfère. En réponse à la question « Est-ce que vous avez eu personnellement un problème en Libye ? », il a déclaré « Non, je n'ai pas eu de problème avec les gens. Le problème, c'est le manque de 2 Rapport d’entretien du 28 juin 2024, p. 4.sécurité. Mon problème, c'est la situation de la Libye qui est non stable. C'est un pays non sûr. » 3, tout en déclarant, quant aux craintes concrètes en cas de retour dans son pays d’origine, « On ne peut pas le savoir »4.
Au regard de ce qui précède, le tribunal est amené à constater que les faits ainsi invoqués ne sont manifestement pas motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social, de sorte qu’ils ne peuvent pas justifier l’octroi du statut de réfugié.
Ainsi, le fait de vouloir continuer ses études dans un certain pays, respectivement le fait que dans son pays d’origine la situation générale sécuritaire serait instable, sans invoquer le moindre incident ou problème y rencontré, lié à sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social et dont il aurait été victime en Libye, ne tombent pas, de par leur nature, dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur n’ayant, à cet égard, ni invoqué ni a fortiori établi avoir personnellement rencontré le moindre problème dans son pays d’origine, de sorte que les éléments invoqués à l’appui de son recours se traduisent en un sentiment général d’insécurité qui ne saurait justifier l’octroi du statut de réfugié.
Il s’ensuit qu’au regard des conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, le demandeur est partant à débouter de sa demande visant à obtenir ledit statut.
En ce qui concerne ensuite les conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, il se dégage des dispositions légales précitées que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire suppose, entre autres, que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale atteignent un certain degré de gravité - lequel est déterminé, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave ».
Force est de constater qu’en l’espèce, et au vu de l’absence de tout fait lié à sa situation personnelle, tel que relevé ci-avant, le demandeur n’allègue pas risquer de subir la peine de mort ou l’exécution au sens de l’article 48, point a) de la loi du 18 décembre 2015, ni d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens du point b) du même article, de sorte que l’analyse du tribunal se limitera à la crainte du demandeur d’être victime de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle découlant du conflit armé interne régnant dans son pays d’origine depuis des années, au sens du point c) du même article.
Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15, point c) de la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil européen du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les 3 Rapport d’entretien du 28 juin 2024, p. 4.
4 Ibidem.
8 personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH5.
Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), qui distingue deux situations : (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »6 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »7.
Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.
La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque d’être victime de la violence aveugle.
Or, si le demandeur a apporté des éléments mettant en exergue que la situation sécuritaire en Libye est certes instable et volatile, il ne ressort néanmoins pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal qu’il régnerait actuellement dans ce pays, et notamment dans la ville de … dont le demandeur est originaire, une situation de violence aveugle d’un niveau tel que tout civil présent sur le territoire devrait du seul fait de sa présence être regardé comme étant personnellement soumis à des menaces graves contre sa vie ou sa personne8, la CourEDH étant parvenue à la même conclusion dans son arrêt précité du 13 juillet 2023.
Dès lors, étant donné que le demandeur n’a pas fait état d’éléments propres à sa situation personnelle qui aggraveraient dans son chef le risque lié à la violence aveugle - ce dernier n’ayant décrit aucun fait personnel dans le cadre de son vécu dans son pays d’origine -, Monsieur (A) n’a pas rapporté la preuve, lui incombant, qu’à l’heure actuelle, un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.
5 CJUE, grande chambre, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C- 465/07, paragraphe 28.
6 Ibidem, paragraphe 35.
7 Ibidem, paragraphe 39.
8 Voir, p. ex. : Cour adm., 29 juin 2023, n° 47677C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
Il y a partant lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur, à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de ses auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, prise dans ses deux volets, de sorte que le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est à déclarer comme non fondé.
Quant à la décision portant ordre de quitter le territoire, il échet de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale n’est pas fondé, de sorte que c’est, à juste titre, que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur dès lors qu’un retour dans son pays d’origine ne l’exposerait ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.
Il s’ensuit qu’à défaut de tout autre moyen y relatif dans la requête introductive d’instance, le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi par le jugement du 15 octobre 2024, inscrit sous le numéro 50835 du rôle, rendu par le premier juge au tribunal administratif, en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal ;
vidant le jugement du 15 octobre 2024 ;
déclare recevable le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 11 juillet 2024 ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute en tous ses volets ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mars 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 11