Tribunal administratif Numéro 46729a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:46729a 1re chambre Inscrit le 26 novembre 2021 Audience publique du 24 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consort, …, contre des décisions du bourgmestre de la commune de Schuttrange, en matière d’affectation d’immeubles
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 46729 du rôle et déposée le 26 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1) et de son épouse, Madame (A2), demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation de :
« 1) La décision du bourgmestre de la commune de Schuttrange du 27 août 2021 […] de ne pas soumettre à autorisation, le changement d’affectation de la maison située à L-… destinée à accueillir un projet social.
2) La décision du bourgmestre de la commune de Schuttrange du 5 novembre 2021 […] réitérant que le projet ne devait pas être soumis à autorisation de changement d’affectation. ».
Vu le jugement du tribunal administratif du 14 juin 2023, portant le numéro 46729 du rôle ;
Vu l’arrêt de la Cour administrative du 20 février 2024, portant le numéro 49196C du rôle ;
Revu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Maître Martial BARBIAN, en remplacement de Maître Christian POINT, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 janvier 2025.
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Monsieur (A1) et Madame (A2), ci-après désignés par les « consorts (A) », sont propriétaires d’une maison sise à L-…, tandis que l’administration communale de Schuttrange, ci-après désignée par la « commune », est propriétaire d’une maison sise à L-…, ci-après 1 désignée par « l’Immeuble », située sur la parcelle n° (P1) inscrite au cadastre de la commune de Schuttrange, section … de Munsbach.
Par délibération du 14 avril 2021, le conseil communal de Schuttrange approuva un accord de collaboration, ainsi qu’un contrat de bail relatif à l’Immeuble signé avec l’association sans but lucratif (AA) ASBL, ci-après désignée par « l’ASBL (AA) », « dans le cadre du projet de logements pour jeunes » à Munsbach.
Par courrier du 27 avril 2021, les consorts (A) s’adressèrent une première fois au bourgmestre de la commune de Schuttrange, ci-après désigné par le « bourgmestre », au sujet du projet envisagé par l’accord de collaboration pour marquer leur désaccord et faire valoir qu’il contreviendrait aux dispositions urbanistiques légales et réglementaires applicables.
Le 14 mai 2021, le bourgmestre informa le public par voie d’affichage qu’une demande d’autorisation de construire pour « la modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture » concernant l’Immeuble avait été introduite, tout en invitant les personnes estimant leurs droits et intérêts susceptibles d’être affectés par les décisions administratives à prendre à ce sujet à présenter leurs observations éventuelles du 17 mai au 1er juin 2021.
Par courriers des 18 mai et 24 mai 2021, les consorts (A) manifestèrent à nouveau leur opposition au projet envisagé au bourgmestre.
Par courrier du 6 août 2021, les consorts (A) s’adressèrent, par l’intermédiaire de leur litismandataire, au bourgmestre dans les termes suivants :
« […] [J]e vous prie de bien vouloir me délivrer une copie de/des autorisation(s) concernant le changement d’affectation ainsi que les travaux (création de pièces, etc) accompagnée(s) des plans y relatifs ; le tout en application du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte. […]. ».
Par courrier du 27 août 2021, le bourgmestre s’adressa au litismandataire des consorts (A) dans les termes suivants :
« […] De prime abord, il importe de vous informer qu’à ce jour, aucune autorisation de construire au sens de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, n’a été délivrée concernant le projet en question.
En conséquence et en l’état actuel, je ne suis pas en mesure de vous communiquer « une copie de/des autorisation(s) concernant le changement d’affectation ainsi que les travaux»».
De plus, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que la demande dont je suis saisi ne porte pas sur un « changement d’affectation » de l’immeuble situé à ….
En effet, la demande actuellement en cours d’instruction porte sur la « modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture à L-… ». […] ».
2 Par courrier séparé du même jour, le bourgmestre s’adressa aux consorts (A) comme suit : « Par avis affiché du 17 mai 2021 jusqu’au 1er juin 2021 inclus, le public a été informé de l’introduction d’une demande d’autorisation de construire pour la transformation de la maison située à L-…, conformément aux dispositions de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Aux termes de cet avis, les personnes intéressées ont été invitées à faire connaître leurs observations par écrit entre mes mains.
Il importe de rappeler que par courriers du 27 avril et 18 mai 2021, vous aviez d’ores et déjà fait part de vos réclamations contre ce projet. Par courrier daté du 24 mai 2021, vous avez une nouvelle fois formulé des réclamations à son encontre suite à l’affichage de l’avis précité.
Par la présente, nous entendons prendre position comme suit concernant les réclamations que vous avez formulées :
1. De prime abord et relativement à vos objections formulées dans votre courrier du 27 avril 2021, nous tenons à vous confirmer que la Commune a vérifié, avec l’aide de son conseil juridique, la conformité du projet par rapport aux règles d’affectation prévues par la réglementation urbanistique communale.
2. Par ailleurs, nous tenons à réitérer notre position déjà exprimée et dont il ressort que le projet tel qu’envisagé n’est pas de nature à modifier le statut de la maison sise à l’adresse … à Munsbach qui demeure, conformément à la réglementation urbanistique applicable, une maison unifamiliale.
Il s’ajoute que l’autorisation sollicitée porte sur une maison qui est destinée à l’habitation, de sorte que les règles d’affectation à titre d’habitation prévues par la réglementation urbanistique se trouvent vérifiées, étant encore précisé que contrairement à ce que vous prétendez, les règles d’affectation régissant la « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP] » ne sauraient interférer et faire obstacle à la délivrance de l’autorisation de construire.
3. De plus, vous estimez qu’il s’agirait d’une location non conforme de la maison unifamiliale en question. Même si ces considérations ne sauraient entrer en ligne de compte pour la délivrance d’une autorisation de construire, nous relevons que nous n’avons pas décelé d’éléments faisant état d’une violation d’une disposition légale ou règlementaire applicable et qui seraient de nature à faire obstacle à la délivrance de l’autorisation sollicitée, compte tenu en outre des règles régissant la matière.
4. Ensuite, concernant la problématique du stationnement que vous évoquez, nous renvoyons d’abord au point 2 du présent courrier faisant état du fait que nos vérifications ont montré que le projet est conforme à la règlementation urbanistique applicable.
A ce titre, nous vous donnons à considérer que l’article 17 de la partie écrite du PAG prévoit que :
3 « (2) Sont à considérer comme minimum pour les emplacements pour voitures :
- deux (2) emplacements pour les maisons unifamiliales ;
… » Or, comme le projet ne modifie pas les alentours de la maison et qu’au moins deux emplacements extérieurs et deux emplacements intérieurs, tels qu’autorisés en 1991, sont disponibles, force est de constater que le projet respecte l’exigence d’un minimum de deux emplacements de stationnement.
5. Ensuite, nous souhaitons encore répondre à votre demande visant la communication de documents et nous nous permettons de vous transmettre en annexe les documents suivants :
- Délibération du Conseil Communal du 14 avril 2021 concernant l’approbation de l’accord de collaboration et du contrat de bail avec l’association « (AA) ASBL »;
- Passeport énergétique de la maison …, Munsbach ;
- Avis du Corps grand-ducal d’incendie et de secours du 27 avril 2021 relatif aux prescriptions, conditions et recommandations en matière de prévention incendie ;
- Courrier du 19 mars 2021 du Ministère du Logement concernant l’accord d’une participation étatique.
6. Finalement, en ce qui concerne votre demande d’information concernant une affectation future des parcelles adjacentes à la parcelle accueillant la maison, nous pouvons vous informer que l’acquisition de ces parcelles a été faite dans un but d’utilité publique en prévision d’une extension projetée du campus scolaire et sportif.
Ainsi, après examen de vos remarques, nous considérons que la demande d’autorisation de construire est conforme à la réglementation urbanistique applicable, de sorte je vous fais savoir que je me propose de délivrer l’autorisation de construire pour le projet en question.
Nous vous informons d’ores et déjà, en vertu de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qu’un recours en annulation contre l’autorisation de construire peut être introduit auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois, par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I ou à la liste V. […] ».
Par courrier du 8 septembre 2021, qu’ils qualifient de recours gracieux, les consorts (A) prirent position, par l’intermédiaire de leur litismandataire, comme suit par rapport au courrier précité du 27 août 2021 leur adressé :
« […] Mes mandants maintiennent que le projet dont question devrait être soumis à une autorisation de changement d’affectation. Il ne s’agirait pas seulement d’une « modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture » mais bien du passage de maison unifamiliale à un projet social de réinsertion de jeunes adultes.
En effet, le but principal de ce projet sera la mise à disposition par l’association (AA) ASBL de cette maison à de jeunes adultes (cfr votre courrier du 5 mai 2021 adressé à Madame le ministre de l’Intérieur) dans un but d’inclusion sociale ; cette maison n’ait donc pas destinée directement au logement mais à un but d’inclusion sociale avant d’être destinée à l’habitation.
4 La commune ne donnera pas en « colocation » cette maison directement aux jeunes adultes mais elle donnera cette maison en location à l’asbl qui mettra ensuite ce logement à disposition de jeunes adultes en situation de réinsertion.
Un tel projet répond plus clairement aux destinations prévues dans la zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP], à savoir :
« Les zones de bâtiments et d’équipements publics sont réservées aux constructions et aménagements d’utilité publique et sont destinées à satisfaire des besoins collectifs.
Seuls des logements de service ainsi que les logements situés dans les structures médicales ou paramédicales, les maisons de retraite, les internats, les logements pour étudiants, les logements locatifs sociaux et les logements destinés à l’accueil de demandeurs de protection internationale y sont admis ».
Ce projet serait compatible avec la zone BEP mais pas avec la zone HAB-1, principalement destinée à l’habitation. En tout état de cause, si ce projet devait voir le jour dans la zone HAB-1, il nécessiterait une autorisation de changement d’affectation puisqu’il ne s’agit pas d’un projet principalement destiné au logement mais bien d’un projet d’inclusion sociale.
Par la présente, je vous prie également de bien vouloir me délivrer une copie de l’autorisation de « modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture » ainsi que les plans y relatifs, en application du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte. […] ».
Par décision du 21 septembre 2021, le bourgmestre délivra l’autorisation de construire sollicitée portant la référence numéro …, dans les termes suivants :
« […] Vu la demande du 14 avril 2021 présentée par l’Administration Communale de Schuttrange, ayant siège à L-5367 Schuttrange, Place de l’Eglise, 2, pour la modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture à L-… ;
• un plan montrant le rez-de-chaussée et le premier étage n°… du 26 janvier 2021, modifié le 12 mars 2021, soumis le 18 mai 2021, à l’échelle 1:100 ;
• un plan montrant le sous-sol et les deux coupes n°… du 26 janvier 2021, modifié le 12 mars 2021, soumis le 18 mai 2021, à l’échelle 1:100 ;
• un plan montrant quatre élévations n°… du 20 janvier 2021, soumis le 18 mai 2021, à l’échelle 1:100 ; […] accorde à la partie requérante préqualifié, sous réserve de tous droits généralement quelconques de tiers, l’autorisation sollicitée pour les travaux susmentionnés conformément aux plans et pièces annexés à la demande. […] ».
5 Par courrier du 29 septembre 2021, le bourgmestre s’adressa aux consorts (A) pour leur transmettre l’autorisation précitée du 21 septembre 2021, tout en les informant des modalités et délais des voies de recours applicables. Il en fit de même à l’égard de leur litismandataire par courrier séparé daté du même jour.
Par courrier du 5 novembre 2021, le bourgmestre répondit au courrier précité du 8 septembre 2021 dans les termes suivants :
« […] Nous tenions par la présente à revenir au contenu de votre courrier précité du 8 septembre dans lequel vous indiquez que vos mandants maintiennent que le projet aurait nécessité une autorisation de changement d’affectation. De plus, vous prétendez que ce projet serait compatible avec la définition de la « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP]»», mais qu’il ne serait en revanche pas conforme aux règles d’affectation régissant la «»zone d’habitation 1 [HAB-1] ».
Or, et tel qu’exposé dans nos courriers adressés à vos mandants, nous considérons que le projet en question ne nécessitait pas une autorisation de changement d’affectation, étant donné que l’affectation de l’immeuble à l’habitation n’est pas modifiée.
En outre et à supposer même, pour les seuls besoins de la discussion, que nous serions en présence d’un des types de logement visés à l’alinéa 2 de la définition de la « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP] » prévue à l’article 9 du plan d’aménagement général, il y a lieu de relever que la définition de cette zone ne saurait interférer et ne pouvait constituer un obstacle à la délivrance de l’autorisation de construire. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 novembre 2021, les consorts (A) firent introduire une requête tendant à l’annulation de 1) « La décision du bourgmestre de la commune de Schuttrange du 27 août 2021 […] de ne pas soumettre à autorisation, le changement d’affectation de la maison située à L-… destinée à accueillir un projet social », et de 2) « La décision du bourgmestre de la commune de Schuttrange du 5 novembre 2021 […] réitérant que le projet ne devait pas être soumis à autorisation de changement d’affectation. ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2022, Monsieur (B1), Monsieur (B2), Madame (B3) et Madame (B4), tous propriétaires d’une maison sise à L-…, déclarèrent vouloir intervenir volontairement dans la présente instance, sur base de l’article 20 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par la « loi du 21 juin 1999 », Monsieur (B2) ayant, quant à lui, déclaré, par l’intermédiaire de son litismandataire, vouloir se désister de sa requête en intervention volontaire en date du 8 févier 2023.
Par jugement du 14 juin 2023, le tribunal administratif (i) donna acte à Monsieur (B2) qu’il se désistait de l’intervention volontaire déposée le 20 mai 2022, (ii) reçut en la forme la requête en intervention volontaire introduite par les parties intervenantes, (iii) déclara le recours principal des consorts (A) dirigé contre les courriers du bourgmestre des 27 août et 5 novembre 2021 irrecevable, au motif, en substance, d’une part, que le courrier attaqué du bourgmestre du 27 août 2021 ne s’analysait pas en une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours, mais représentait un acte préparatoire de la décision finale que le bourgmestre se proposait de prendre, à savoir l’autorisation de construire du 21 septembre 2021 et, d’autre 6 part, que le courrier attaqué du bourgmestre du 5 novembre 2021 ne constituait pas non plus une décision administrative susceptible de recours pour ne pas revêtir de caractère décisionnel, mais une explication du bourgmestre pour justifier son intervention antérieure, (iv) rejeta, en conséquence, la requête en intervention volontaire, (v) rejeta les demandes en paiement d’une indemnité de procédure formulées par les consorts (A) et les parties intervenantes et (vi) condamna les consorts (A), les parties intervenantes et Monsieur (B2) aux frais et dépens.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 21 juillet 2023, inscrite sous le numéro 49196C du rôle, les consorts (A), Madame (C1), en sa qualité d’héritier de feu Monsieur (B1), décédé le 22 novembre 2022, Monsieur (C2), en sa qualité d’héritier de feu Monsieur (B1), Madame (C3), en sa qualité d’héritière de feu Monsieur (B1), Madame (B3) et Madame (B4) relevèrent appel de ce jugement.
Par arrêt du 20 février 2024, la Cour administrative donna acte à Madame (C1), à Monsieur (C2) et à Madame (C3), en leur qualité d’héritiers de feu Monsieur (B1), qu’ils se désistaient de leur appel introduit par requête déposée le 21 juillet 2023, déclara ce désistement régulier et constata l’extinction de l’instance dans leur chef. Pour le surplus, elle déclara l’appel recevable et fondé et, partant, par réformation du jugement entrepris du 14 juin 2023, dit que c’était à tort que le tribunal administratif avait déclaré irrecevable le recours originaire du 26 novembre 2021 pour défaut de caractère décisionnel des courriers attaqués du bourgmestre des 27 août et 5 novembre 2021. La Cour renvoya, dès lors, le dossier devant le tribunal administratif en prosécution de cause, tout en déboutant les appelants de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure, en mettant les frais de l’instance d’appel à charge de la commune et en réservant les frais de première instance.
A titre liminaire, le tribunal constate qu’il ressort de l’arrêt de la Cour administrative du 20 février 2024 que la partie intervenante Monsieur (B1) est décédée le 22 novembre 2022 et que ses héritiers, Madame (C1), Monsieur (C2) et Madame (C3), se sont désistés de leur appel introduit par requête déposée le 21 juillet 2023.
Dans ces circonstances, le renvoi de l’affaire devant le tribunal en prosécution de cause, tel qu’opéré par la Cour administrative dans son arrêt du 20 février 2024, n’a pas eu pour effet de saisir le tribunal à nouveau de la requête en intervention volontaire de feu Monsieur (B1), le jugement initial étant devenu définitif à l’égard de ce dernier, respectivement de ses héritiers.
Toujours à titre liminaire, force est de constater que dans son arrêt du 20 février 2024, la Cour administrative n’a pas réformé le jugement du 14 juin 2023, en ce que le tribunal avait donné acte à Monsieur (B2) de ce qu’il s’était désisté de l’intervention volontaire déposée le 20 mai 2022, ni en ce que la requête en intervention volontaire introduite par les parties intervenantes avait été déclarée recevable en la forme, la Cour ne s’étant prononcée ni directement, ni indirectement sur ces volets du jugement entrepris.
Le tribunal retient, dès lors, que ces deux points ont été définitivement jugés à travers le jugement, précité, du 14 juin 2023, de sorte qu’il n’y reviendra pas dans le cadre du présent jugement. Ainsi, à l’instar de ce qui a été retenu ci-avant en ce qui concerne l’intervention volontaire formée par feu Monsieur (B1), le tribunal n’est, à la suite du renvoi par la Cour, plus saisi de la requête en intervention volontaire de Monsieur (B2), de sorte que parmi les parties intervenantes initiales, seules Madame (B3) et Madame (B4) demeurent parties à l’instance.
7 En revanche, et même si la Cour ne s’est pas expressément prononcée à cet égard, le tribunal retient qu’en réformant le jugement initial dans la mesure où le recours avait été déclaré irrecevable pour ne pas être dirigé contre des actes administratifs susceptibles de recours contentieux et en renvoyant l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal, la Cour a implicitement, mais nécessairement réformé ledit jugement en ce que le tribunal avait rejeté, d’une part, les demandes d’octroi d’une indemnité de procédure, telles que formulées par les demandeurs et les parties intervenantes qui sont restées parties à l’instance, à savoir Madame (B3) et Madame (B4), et, d’autre part, la requête en intervention volontaire de ces dernières.
En effet, chacun de ces volets du jugement initial a été motivé par l’irrecevabilité du recours principal.
I) Quant à la recevabilité du recours Etant donné que dans son arrêt du 20 février 2024, la Cour administrative a réformé le jugement du tribunal administratif du 14 juin 2023, en disant que c’était à tort que le tribunal avait déclaré irrecevable le recours originaire du 26 novembre 2021 pour défaut de caractère décisionnel des courriers attaqués du bourgmestre des 27 août et 5 novembre 2021, tout en renvoyant le dossier devant le tribunal de céans en prosécution de cause, il appartient encore à celui-ci de se prononcer sur les autres moyens d’irrecevabilité soulevés par la commune.
a) Quant à l’intérêt à agir des consorts (A) Positions respectives des parties La commune soulève l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des consorts (A).
A l’appui de ce moyen, elle fait valoir que dans leur recours, les demandeurs ne feraient état d’aucun élément qui serait de nature à justifier leur intérêt à agir, tout en soutenant que le fait qu’à travers les courriers attaqués, le bourgmestre ait porté à leur connaissance que le projet communal au niveau de l’Immeuble ne nécessiterait pas une autorisation de changement d’affectation et serait conforme aux règles d’affectation fixées pour la « zone d’habitation 1 [HAB-1] », ci-après désignée par « la zone HAB-1 », par le plan d’aménagement général (« PAG ») ne serait pas de nature à aggraver concrètement leur situation de voisins.
Elle ajoute, en substance, que si l’intérêt à agir des demandeurs devait s’apprécier par rapport à l’autorisation de construire du 21 septembre 2021, ces derniers ne pourraient pas non plus valablement se prévaloir d’une aggravation de leur situation de voisins, étant donné que l’autorisation en question ne porterait que sur une modification des cloisons intérieures de l’Immeuble, ainsi que sur la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture, de sorte que ni le gabarit ni l’implantation de l’Immeuble ne seraient modifiés.
Dans son mémoire en duplique, la commune soutient que les demandeurs n’auraient pas d’intérêt à agir, étant donné que les courriers attaqués seraient dépourvus d’élément décisionnel propre, de sorte que leur annulation éventuelle ne pourrait procurer aux consorts (A) une quelconque satisfaction.
Pour autant que l’intérêt à agir des demandeurs serait à apprécier par rapport à l’autorisation de construire du 21 septembre 2021, elle fait plaider que contrairement à ce qui 8 serait soutenu par les consorts (A), le projet communal ne consisterait pas à transformer l’Immeuble en un centre éducatif ou un centre de réinsertion. L’Immeuble demeurerait une maison unifamiliale affectée à l’habitation de ses occupants, de sorte que son statut ne serait pas modifié. En effet, il servirait essentiellement et principalement à l’hébergement de ses occupants qui pourraient bénéficier, s’ils le souhaitent et de manière très accessoire, à raison d’une fois par semaine, d’un encadrement socio-éducatif.
La commune ajoute que les demandeurs n’auraient pas démontré en quoi, concrètement, le projet litigieux serait de nature à aggraver leur situation de voisins. Leurs développements selon lesquels le projet changerait « […] l’environnement existant […] », générerait des passages journaliers d’éducateurs et de psychologues et aurait un impact négatif « […] en termes de bruit, de passage routier, de visuel […] », voire pourrait donner lieu à des « […] comportements différents de la norme […] » seraient hypothétiques et non autrement étayés. Ils seraient même contredits par le fait, d’une part, qu’un encadrement socio-éducatif des occupants de l’Immeuble ne serait prévu qu’une seule fois par semaine, de sorte qu’il n’y aurait pas de passages journaliers d’éducateurs ou d’autres personnes pouvant générer des nuisances en termes de bruits et de trafic et, d’autre part, que l’Immeuble n’accueillerait qu’un maximum de sept occupants, ce qui serait comparable à une famille, certes nombreuse.
De même, les demandeurs ne fourniraient pas d’éléments dont il se dégagerait que les courriers attaqués et, plus loin, le projet communal auraient un impact négatif sur la valeur de leur maison.
Les demandeurs concluent au rejet de ce moyen d’irrecevabilité.
Appréciation du tribunal Le tribunal relève que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif.1 L’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés.2 En l’espèce, il convient de rappeler que dans son arrêt du 20 février 2024, la Cour administrative est arrivée à la conclusion que contrairement à ce que le tribunal avait retenu dans son jugement du 14 juin 2023, les courriers attaqués constituent des décisions administratives susceptibles de recours contentieux.
1 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.
2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.
9 Il s’ensuit que l’argumentation de la commune selon laquelle les demandeurs n’auraient pas d’intérêt à agir, étant donné que les courriers attaqués seraient dépourvus d’élément décisionnel propre, est d’ores et déjà à écarter.
Pour arriver à la susdite conclusion, la Cour a noté ce qui suit :
« […] Contrairement aux premiers juges ayant retenu que les courriers attaqués ne contenaient que les explications et informations du bourgmestre quant à l’absence de nécessité de solliciter et d’obtenir une autorisation pour un changement d’affectation, la Cour considère que ces deux courriers matérialisent en réalité la décision du bourgmestre de ne pas soumettre le projet communal litigieux à une autorisation pour changement d’affectation au motif que ce projet ne comporterait pas, selon lui, de changement de l’affectation de l’immeuble à l’habitation. En décidant de la sorte, le bourgmestre a en quelque sorte dispensé la commune de Schuttrange de demander une autorisation pour un changement d’affectation.
C’est encore à tort que la partie intimée entend mettre en balance qu’il aurait appartenu aux appelants d’introduire un recours contre l’autorisation de construire.
En effet, la dispense ci-avant dégagée constitue une décision qui doit être considérée comme étant par nature détachable de l’autorisation de construire. En plus, elle a été détachée de l’autorisation de construire, puisqu’elle a été prise avant même la délivrance de l’autorisation de construire en date du 21 septembre 2021. D’ailleurs, le bourgmestre a informé les appelants, dans son courrier parallèle du 27 août 2021 adressé à leur litismandataire, qu’il n’avait pas été saisi d’une demande portant sur un changement d’affectation, mais uniquement d’une demande portant sur la modification de cloisons intérieures, la suppression d’une fenêtre et l’ajout d’une ouverture, de sorte que l’autorisation de construire n’a pu porter que sur les travaux envisagés et non sur une demande d’autorisation pour un changement d’affectation.
Cette décision du bourgmestre, encore confirmée par son courrier du 5 novembre 2021, constitue ainsi un acte détachable de l’autorisation de construire et est d’ailleurs détaché en l’espèce, tel que cela vient d’être retenu ci-dessus, de sorte qu’elle doit pouvoir être attaquée directement en justice. […] ».
Ainsi, selon la Cour, les courriers attaqués sont à considérer comme matérialisant la décision – constitutive d’un acte détachable et détaché de l’autorisation de construire – du bourgmestre de ne pas soumettre le projet communal litigieux à une autorisation pour changement d’affectation, au motif que ce projet ne comporterait pas, selon lui, de changement de l’affectation de l’Immeuble à l’habitation, le bourgmestre ayant en quelque sorte dispensé la commune de demander une autorisation pour un changement d’affectation.
L’intérêt à agir des demandeurs ne doit, dès lors, pas être apprécié par rapport à l’autorisation de construire du 21 septembre 2021, mais par rapport à cette décision de ne pas soumettre le projet communal à une autorisation pour changement d’affectation, constitutive d’une sorte de dispense de demande d’une telle autorisation.
Quant à la nature du projet litigieux, le tribunal relève que celui-ci est décrit dans le préambule de l’accord de collaboration conclu le 25 mars 2021 entre la commune et l’ASBL (AA) en ces termes :
10 « […] Entendu qu’il importe à la Commune de Schuttrange de soutenir de jeunes adultes qui, pour diverses raisons, souhaitent quitter leur domicile familial, afin d’entrer dans la vie d’adulte et devenir indépendants.
Considérant que, pour ce faire, le Conseil communal de la Commune de Schuttrange a approuvé unanimement les plans et le devis pour la réalisation de logements pour jeunes.
Ainsi, le propriétaire envisage la transformation de sa maison sise à L-…, en vue de donner ladite maison en location à « (AA) ASBL », association ouvrant dans le domaine de l’inclusion sociale par le logement. L’immeuble servira à l’hébergement de jeunes adultes (ci-
après aussi désignés les « occupants »).
Le gestionnaire est intéressé à louer ladite maison comprenant 7 chambres (ci-après « l’objet de la location »).
[…] Le gestionnaire de l’objet de la location, conclura avec les occupants un contrat d’hébergement, lequel ne pourra jamais constituer un contrat de location respectivement de sous-location au sens de la loi sur le bail à loyer. […] ».
Par ailleurs, l’accord de collaboration précise, sub « 1. Objet », que l’Immeuble « […] serv[ira] de structure de chambres pour jeunes […] ».
Le tribunal relève encore que les futurs occupants de l’Immeuble bénéficieront d’un encadrement socio-éducatif, ainsi que cela se dégage du point 6. de l’accord de collaboration, rédigé comme suit :
« […] Le gestionnaire effectue seul et garantit l’encadrement socio-éducatif des occupants. Par encadrement socio-éducatif il est compris la gestion du groupe et l’encadrement individuel de chaque occupant et la collaboration avec les services externes mentionnés dans l’accord d’accompagnement social annexé au contrat d’hébergement.
(Modèles en annexe) Le propriétaire n’assumera aucune fonction de gardien ou de surveillant et restera extérieur au lien contractuel qui lie le gestionnaire aux occupants et au personnel encadrant. ».
Quant aux modalités de l’encadrement socio-éducatif, le modèle de contrat d’hébergement annexé à l’accord de collaboration précise ce qui suit, en son point d., intitulé « Assistance et accompagnement social » : « Le personnel de la (AA) assure une permanence hebdomadaire dans le lieu d’hébergement. L’élève s’engage à se présenter régulièrement lors des permanences.
L’accompagnement social est garanti par le service ayant introduit la demande.
L’Annexe 2 du présent contrat règle les dispositions de l’accompagnement. ».
Le modèle de l’accord sur l’accompagnement social annexé à l’accord de collaboration est libellé comme suit :
11 « […] L’usager [Nom Usager] déclare avoir été mis en contact avec l’asbl (AA) par l’intermédiaire du service social [(BB)] représenté par [Accompagnateur social] et s’engage à garder un contact régulier avec ce service tout au long de la durée de l’utilisation du logement dont le contrat d’hébergement, signé le [Signature du Contrat] , se réfère à la chambre no. [Code Logement] sise [Adresse WG].
Tout refus de collaboration avec le service social susmentionné entraîne de la part de l’asbl (AA) une résiliation du contrat d’hébergement.
Le service social s’engage, à son tour, envers l’asbl (AA) à assurer un accompagnement personnalisé du bénéficiaire pendant toute la période du contrat.
Projet de vie et d’insertion personnel […] L’usager s’engage à mettre en œuvre son projet de vie et d’insertion personnel, une réunion semestrielle aura lieu afin de constater l’évolution du projet et d’adapter les objectifs fixés si nécessaire. […] ».
Ainsi, en résumé, le projet litigieux consiste en la création d’une « […] structure de chambres pour jeunes […] » comprenant sept chambres individuelles qui seront mises à disposition, par le biais de contrats d’hébergement, à des jeunes adultes qui y habiteront et qui, pour diverses raisons, souhaitent quitter leur domicile familial, afin d’entrer dans la vie d’adulte et devenir indépendants, les futurs occupants bénéficiant d’un encadrement socio-éducatif à travers une permanence hebdomadaire assurée par l’ASBL (AA) et un accompagnement social personnalisé réalisé par un service social externe avec lequel les jeunes s’obligeront à garder un contact régulier, tout en s’engageant à mettre en œuvre un projet de vie et d’insertion personnel qui sera évalué dans le cadre de réunions semestrielles.
Or, le tribunal ne saurait exclure que la mise en œuvre de ce projet de mise à disposition de sept chambres individuelles à des jeunes adultes bénéficiant d’un encadrement socio-éducatif soit susceptible d’exposer les demandeurs, qui sont les voisins directs de l’Immeuble, à une certaine augmentation du niveau de bruit régnant dans le quartier résidentiel concerné, qui se présente sous la forme d’un cul-de-sac composé de maisons unifamiliales.
Le tribunal en déduit que les consorts (A) ont un intérêt suffisant à voir vérifier la légalité de la décision du bourgmestre de ne pas soumettre ce projet à une autorisation pour changement d’affectation, étant précisé que la question de savoir si ce projet comporte effectivement un tel changement d’affectation ou non relève du bien-fondé de la motivation avancée par le bourgmestre et, dès lors, du fond du litige.
Le moyen d’irrecevabilité sous examen encourt, dès lors, le rejet.
b) Quant à la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai pour agir La commune se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours quant à la forme et quant au délai.
12 S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation3, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions4.
Dès lors, et dans la mesure où la commune est restée en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable quant à la forme et quant au délai, ses contestations afférentes encourent le rejet.
En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours est à déclarer recevable.
II) Quant au fond Moyens des parties A l’appui de leur recours, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base des actes déférés, les demandeurs soulèvent une violation de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 », en soutenant que contrairement à l’argumentation du bourgmestre, le projet communal litigieux comporterait bien un changement d’affectation de l’Immeuble, en ce qu’il s’agirait du passage d’une maison unifamiliale à un projet social de réinsertion de jeunes adultes.
La finalité de ce projet serait la mise à disposition par l’ASBL (AA) de l’Immeuble à des jeunes adultes dans un but d’inclusion sociale. L’Immeuble serait donc destiné à ce but avant d’être destiné à l’habitation. Il ressortirait, d’ailleurs, du susdit accord de collaboration que les occupants disposeraient d’un encadrement socio-éducatif comprenant la gestion du groupe, l’encadrement individuel et la collaboration avec les services externes.
La commune ne donnerait pas l’Immeuble directement en colocation aux jeunes adultes, mais elle le donnerait en location à l’ASBL (AA), qui mettrait ensuite ce logement à la disposition de jeunes adultes en situation de réinsertion. L’ASBL (AA) conclurait avec les occupants des contrats d’hébergement qui ne pourraient jamais constituer des contrats de location, de sorte qu’il serait clair que le projet litigieux constituerait un projet social, et non pas un projet d’habitation.
Les demandeurs ajoutent que ce projet serait compatible avec la « zone de bâtiments et d’équipements publics [BEP] », ci-après désignée par « la zone BEP », et non pas avec la zone HAB-1.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que les actes attaqués violeraient tant l’article 37, précité, de la loi du 19 juillet 2004 que l’article 3 de la partie écrite du PAG, de même qu’ils seraient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.
3 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 et les autres références y citées.
13 Ils réfutent l’argumentation communale selon laquelle les chambres composant l’Immeuble seraient destinées à héberger de jeunes adultes qui seraient autorisés à y habiter, de sorte que le projet litigieux n’aurait pas pour effet de modifier la destination de l’Immeuble à l’habitation et serait conforme aux règles d’affectation prévues par l’article 3, précité, de la partie écrite du PAG. Par ailleurs, ils contestent l’affirmation de la commune selon laquelle la destination de l’Immeuble resterait « unifamiliale ».
A cet égard, ils soulignent que le projet viserait la création d’une institution d’accueil de jour et de nuit dans le cadre d’un logement encadré avec un suivi socio-éducatif. Soutenir qu’il ne s’agirait pas d’un changement d’affectation par rapport à une maison unifamiliale, au seul motif que les personnes encadrées y logeraient, serait intenable. A suivre la thèse communale, une maison unifamiliale pourrait, sans demande de changement d’affectation, être aménagée en une maison de retraite, un hôpital psychiatrique, un centre d’accueil pour personnes dépendantes à certaines substances ou un centre de réfugiés. Toutes ces structures répondraient, non pas à un besoin privé de logement, mais à un besoin collectif. Le fait que des personnes y dormiraient et y vivraient ne serait pas à lui seul pertinent pour qualifier le bâtiment les accueillant de « logement » ou d’« habitation ». L’accent serait mis sur l’encadrement, tandis que le logement ne serait que l’accessoire.
Dans ce contexte, les demandeurs soulignent que l’objet de l’ASBL (AA) serait de promouvoir l’intégration sociale par le biais du logement. Ainsi, l’hébergement serait l’un des moyens, ensemble avec, notamment, le suivi socio-éducatif, pour atteindre le but de l’ASBL (AA), à savoir l’intégration sociale.
En citant l’article 8 (2), alinéa 1er du règlement grand-ducal modifié du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement général d’une commune, de même que la définition de la notion de « logement », telle qu’inscrite à l’annexe II du règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », ci-après désigné par « le règlement grand-ducal « PAP » du 8 mars 2017, ils soutiennent que la structure projetée ne serait pas à considérer comme une habitation, mais qu’il s’agirait de réaliser un « […] centre à des fins d’utilité publique […] », qui ne serait pas autorisable en zone HAB-1.
Ce serait, dès lors, à tort que le bourgmestre aurait décidé que le projet litigieux ne nécessiterait pas une autorisation de changement d’affectation, de sorte que les actes attaqués devraient encourir l’annulation.
En outre, les demandeurs maintiennent leur position suivant laquelle le projet litigieux serait conforme aux destinations prévues pour la zone BEP, en ce qu’il s’agirait d’un « logement locatif social », et font valoir que l’argumentation en sens contraire de la commune méconnaîtrait le principe de l’estoppel, alors que le « Centre socio-éducatif » sis à Schrassig serait classé en ce type de zone.
Les parties intervenantes se rallient aux développements des demandeurs, tandis que la commune conclut au rejet tant du recours principal que de la requête en intervention volontaire.
Appréciation du tribunal 14 A titre liminaire, le tribunal rappelle que dans son arrêt, précité, du 20 février 2024, la Cour administrative a retenu que les courriers attaqués sont à considérer comme matérialisant la décision – constitutive d’un acte détachable et détaché de l’autorisation de construire – du bourgmestre de ne pas soumettre le projet communal litigieux à une autorisation pour changement d’affectation, au motif que ce projet ne comporterait pas, selon lui, de changement de l’affectation de l’Immeuble à l’habitation.
Ainsi, la seule question dont le tribunal est utilement saisi est celle de savoir si le projet communal litigieux comporte un changement d’affectation de l’Immeuble soumis à l’autorisation du bourgmestre ou non.
En revanche, la question de savoir si l’éventuel changement d’affectation est autorisable au vu de la réglementation urbanistique applicable, de même que celle de la conformité du projet communal avec les règles d’affectation régissant la zone HAB-1, respectivement la zone BEP, dépassent le cadre du présent litige, de sorte que les développements afférents des parties sont d’ores et déjà à écarter pour défaut de pertinence.
Le tribunal relève ensuite qu’aux termes de l’article 37, alinéas 1er et 2 de la loi du 19 juillet 2004, « Sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation, ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais sont soumis à l’autorisation du bourgmestre. […] L’autorisation n’est accordée que si les travaux sont conformes au plan ou au projet d’aménagement général et, le cas échéant, au plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », respectivement au plan ou projet d’aménagement particulier « quartier existant » et au règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites. ».
Ainsi, cette disposition légale soumet à l’autorisation du bourgmestre, notamment, tout changement du mode d’affectation d’une construction.
Force est au tribunal de constater que ni la loi du 19 juillet 2004, ni ses différents règlements grand-ducaux d’exécution, ni les travaux parlementaires relatifs à la loi modificative du 28 juillet 2011 – dont est issue la version de l’article 37, précité, de la loi du 19 juillet 2004 applicable en l’espèce et qui y a introduit le principe selon lequel un changement du mode d’affectation d’une construction est soumis à l’autorisation du bourgmestre – ne contiennent une définition de la notion de « changement du mode d’affectation ».
En revanche, au niveau communal, cette notion est définie au point 4. de l’annexe I du règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites de la commune de Schuttrange, ci-après désigné par « le RB », dans les termes suivants : « Changement complet ou partiel de la destination d’une construction. Sont considérées comme destination d’une construction notamment les fonctions d’habitat, de commerce, d’artisanat, de service, d’industrie, d’agriculture et de service public. ».
Or, en l’espèce, le tribunal constate qu’à la suite de la mise en œuvre du projet communal litigieux, tel que décrit ci-avant, l’Immeuble sera toujours destiné à une fonction d’habitat.
15 En effet, les jeunes adultes se verront mettre à disposition des chambres individuelles dans le cadre de contrats d’hébergement, tout en se partageant l’usage des pièces communes de l’Immeuble, et il se dégage de l’article 4 du modèle de contrat d’hébergement, tel que versé en cause par la partie communale, que les futurs occupants auront l’obligation d’établir leur habitation principale à l’adresse de l’Immeuble.
Il est certes exact qu’en sus de la mise à disposition d’une chambre aux fins d’habitation, les futurs occupants bénéficieront d’un encadrement socio-éducatif à travers une permanence hebdomadaire assurée par l’ASBL (AA) et un accompagnement social personnalisé réalisé par un service social externe avec lequel les jeunes s’obligeront à garder un contact régulier, tout en s’engageant à mettre en œuvre un projet de vie et d’insertion personnel qui sera évalué dans le cadre de réunions semestrielles.
Il n’en reste pas moins que cet encadrement socio-éducatif comporte, non pas la présence constante, au sein de l’Immeuble, de personnes autres que les jeunes adultes y habitant, mais uniquement une permanence hebdomadaire assurée par l’ASBL (AA) et des réunions semestrielles avec un service social, de même qu’un simple contact, certes régulier, entre les jeunes et ce service social, de sorte qu’en principe, les occupants vivront seuls dans l’Immeuble.
Par ailleurs, il n’est pas prévu que ces réunions semestrielles et ce contact régulier doivent nécessairement avoir lieu en présentiel au sein de l’Immeuble, de sorte qu’ils pourraient aussi se dérouler, par exemple, dans les locaux dudit service social, voire être assurés par le biais de moyens de communication à distance. Ce dernier constat s’impose plus particulièrement en ce qui concerne le contact régulier devant exister entre les jeunes adultes et le service social, un tel contact pouvant consister en un échange de messages électroniques et/ou des entretiens téléphoniques.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le tribunal partage l’appréciation de la partie communale selon laquelle cet encadrement socio-éducatif reste largement accessoire par rapport à la fonction principale de l’Immeuble, à savoir permettre aux occupants d’y habiter.
Cette conclusion est corroborée par les plans joints à l’autorisation de construire du 21 septembre 2021, dont il ressort que l’Immeuble ne comportera aucune pièce spécifiquement dédiée à la mise en œuvre de l’encadrement socio-éducatif et que l’on ne retrouverait pas dans une maison d’habitation ordinaire.
Ainsi, nonobstant l’encadrement socio-éducatif dont bénéficieront les futurs occupants de l’Immeuble, celui-ci reste destiné à une fonction d’habitat, de sorte qu’il n’y a pas de changement du mode d’affectation de la construction au sens de la définition de la notion afférente, telle qu’inscrite au point 4. de l’annexe I du RB.
Même à admettre que constituerait un changement du mode d’affectation d’une maison unifamiliale soumis à l’autorisation du bourgmestre en vertu de l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004, non seulement l’affectation de celle-ci à une fonction autre que l’habitat, mais aussi la modification du statut de maison unifamiliale de la construction, ce qui ne ressort cependant pas expressément du libellé dudit article 37, le tribunal constate, de concert avec la partie communale, qu’en l’espèce, le projet communal litigieux n’a pas d’incidence sur le statut de maison unifamiliale de l’Immeuble.
16 En effet, aux termes de l’annexe I de la partie écrite du PAG, reprenant, notamment, les définitions figurant à l’annexe II du règlement grand-ducal « PAP » du 8 mars 2017, la notion de « logement » vise « […] un ensemble de locaux destinés à l’habitation, formant une seule unité et comprenant au moins une pièce de séjour, une niche de cuisine et une salle d’eau avec WC », celle de « logement de type collectif » désigne « […] toute unité de logement dans une maison plurifamiliale ou dans une maison bi-familiale », celle de « maison bi-familiale » correspond à « […] une construction servant au logement permanent et comprenant deux unités de logement » et celle de « maison plurifamiliale » vise « une construction servant au logement permanent et comprenant plus de deux unités de logement », tandis que constitue une « maison unifamiliale » « […] une construction servant au logement permanent et comprenant en principe une seule unité de logement […] ».
En l’espèce, il se dégage des explications de la partie communale, non contestées par les autres parties en cause et corroborées par l’accord de collaboration, le modèle de contrat d’hébergement y annexé et les plans joints à l’autorisation de construire du 21 septembre 2021, que les différentes chambres de l’Immeuble seront mises à la disposition des futurs occupants, qui devront y établir leur habitation principale et qui se partageront les pièces communes constituées par une cuisine avec séjour, ainsi que des salles d’eau et WC, sans que ces chambres comprennent chacune à titre individuel une pièce de séjour, une niche de cuisine et une salle d’eau avec WC, de sorte que l’Immeuble comportera toujours une seule unité de logement.
Le tribunal en déduit qu’une fois le projet communal litigieux mis en œuvre, l’Immeuble répondra toujours à la définition de la notion de « maison unifamiliale », telle qu’énoncée ci-avant, nonobstant le fait qu’à travers des contrats d’hébergement individuels, les chambres seront mises à la disposition de différentes personnes a priori non liées par des liens familiaux5 et peu importe l’encadrement socio-éducatif dont ces personnes bénéficieront, lequel reste largement accessoire par rapport à la fonction principale de l’Immeuble, à savoir permettre à ses occupants d’y habiter, tel que retenu ci-avant.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que c’est à juste titre que le bourgmestre a décidé de ne pas soumettre le projet communal litigieux à une autorisation pour changement d’affectation.
Il s’ensuit que le recours en annulation sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par voie de conséquence, la même conclusion s’impose en ce qui concerne la requête en intervention volontaire de Madame (B3) et de Madame (B4), à travers laquelle celles-ci entendent en substance faire valoir les mêmes moyens que ceux développés par les consorts (A) dans leur requête introductive d’instance conformément à l’article 20 de la loi du 21 juin 1999.
III) Quant aux demandes d’octroi d’une indemnité de procédure Compte tenu de l’issue du litige, les demandeurs et les parties intervenantes, Madame (B3) et Madame (B4), sont à débouter de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure.
5 Voir, par analogie : trib. adm., 8 janvier 2018, n° 38557 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
17 Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi de l’arrêt de la Cour administrative du 20 février 2024, portant le numéro 49196C du rôle ;
vidant le jugement 14 juin 2023 ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la requête en intervention volontaire de Madame (B3) et de Madame (B4) ;
condamne les demandeurs, ainsi que Madame (B3) et Madame (B4) aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mars 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 18