Tribunal administratif Numéro 48627 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48627 1re chambre Inscrit le 2 mars 2023 Audience publique du 26 mars 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48627 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2023 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour en tant que membre de famille […] et portant obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours […] » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 février 2025.
Par décision du 8 février 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Madame (A) le statut de réfugié, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 7 février 2022.
Par courrier du 7 janvier 2022, le ministre informa Madame (A) qu’un titre de séjour « […] en qualité de protection internationale – statut de réfugié […] » lui serait délivré avec une validité du 7 janvier 2022 au 6 janvier 2027.
En date du 23 février 2022, Monsieur (B), de nationalité algérienne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 4 mars 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa Monsieur (B) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée dans le cadre d’une procédure accélérée, sur lefondement des dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par jugement du premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, du 6 avril 2022, inscrit sous le numéro 47205 du rôle, Monsieur (B) fut débouté de son recours contentieux introduit le 17 mars 2022 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 mars 2022.
En date du 14 avril 2022, Madame (A) et Monsieur (B), ci-après désignés par « les époux (B) », contractèrent mariage au Luxembourg.
Par courrier du 18 mai 2022, réceptionné le 20 mai 2022, Madame (A) introduisit auprès du ministre une demande tendant à l’octroi, à Monsieur (B), d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial, demande qui fut rejetée par décision ministérielle du 14 juin 2022, libellée comme suit :
« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 20 mai 2022.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, en application de l’article 69, paragraphe (1) de loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le ressortissant de pays peut demander le regroupement familial des membres de famille définis à l’article 70 s’il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale et s’il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille.
Conformément à l’article 6, paragraphe (1) du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008, définissant les critères de ressources et de logement prévu par la loi du 29 août 2008, l’évolution prospective de la probabilité de maintien des ressources stables, régulières et suffisantes est fondée sur un pronostic selon lequel les ressources pourront raisonnablement être disponibles durant l’année suivante de la date de dépôt de la demande de regroupement familial, de sorte que le regroupant ne doit pas recourir au système d’aide sociale. Le ministre peut tenir compte des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé la demande.
Or, vu que votre revenu se compose du revenu minimum garanti, vous ne disposez pas de ressources suffisantes personnelles pour subvenir à vos besoins et ceux des membres de famille à votre charge sans recourir au système d’aide sociale.
À titre subsidiaire, Monsieur (B) n’apporte pas de preuve qu’il remplit les conditions exigées pour bénéficier d’une autorisation de séjour à d’autres fins dont les différentes catégories sont prévues par l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l’autorisation de séjour lui est refusée en application des articles 75, point 1 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
2 Par ailleurs, il y a lieu de soulever que selon la décision ministérielle du 7 mars 2022, Monsieur (B) est en obligation de quitter le territoire depuis le 5 mai 2022. […] ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 septembre 2022 et par courrier électronique du même jour, Madame (A) fit introduire, par le biais de son litismandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 14 juin 2022. Dans le cadre de ce recours gracieux, elle sollicite, à titre subsidiaire, l’octroi, à Monsieur (B), d’une autorisation de séjour pour raisons privées.
Ledit recours gracieux fut rejeté par décision ministérielle du 30 novembre 2022, notifiée en date du 6 décembre 2022, dans les termes suivants :
« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu par courriel en date du 13 septembre 2022.
Je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 14 juin 2022 dans son intégralité. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2023, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle susvisée du 30 novembre 2022.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaurent de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation principal introduit par la demanderesse. En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse rappelle en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus, tout en précisant qu’elle aurait divorcé de son ancien conjoint Monsieur (C) par jugement du juge aux affaires familiales du 27 mars 2019, avant de s’être engagée dans une relation conjugale avec Monsieur (B).
Monsieur (B) demeurerait depuis lors de façon ininterrompue au sein du foyer de la demanderesse et de ses trois enfants, issus de sa relation conjugale avec Monsieur (C).
En droit, la demanderesse fait plaider qu’elle serait inscrite à l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignée par « l’ADEM », depuis l’année 2019 et qu’elle serait activement à la recherche d’un emploi, de sorte à pouvoir raisonnablement s’attendre à disposer de ressources stables, régulières et suffisantes dans l’année suivant la demande de regroupement familial. La demanderesse donne encore à considérer que Monsieur (B) exercerait une activité professionnelle en tant que salarié pour laquelle il percevrait un salaire mensuel brut de 3.500 euros par mois.
En deuxième lieu, la demanderesse fait valoir que la décision de refus déférée méconnaîtrait l’article 77 (1) de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 8 de la Conventionde sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », étant donné que Monsieur (B) serait obligé de quitter le territoire luxembourgeois depuis le 5 mai 2022, malgré le fait d’être marié avec la demanderesse depuis le 14 avril 2022 et qu’il considérerait les enfants de son épouse comme ses propres enfants.
En dernier lieu, en se prévalant des articles 76 (1) et 78 (1) b) de la loi du 29 août 2008, la demanderesse fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait rejeté la demande subsidiaire d’autorisation de séjour pour raisons privées, étant donné que Monsieur (B) ne constituerait pas une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publique et qu’il remplirait l’ensemble des conditions pour pouvoir en bénéficier.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens.
Appréciation du tribunal L’article 69 (1), point 1., de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
[…] (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».
Aux termes de l’article 70 (1) de la même loi, « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire […] ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans du regroupant […] ».
Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne lesconditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.
Il ressort encore de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, défini à l’article 70 de la même loi – article qui vise au point a) de son paragraphe 1er le conjoint du regroupant –, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.
Etant donné que Madame (A) a obtenu le statut de réfugié le 8 février 2017 et que la demande de regroupement familial des époux (B) a été introduite le 20 mai 2022, soit bien au-delà du délai de 6 mois suivant l’octroi d’une protection internationale, tel que prévu par l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, elle doit remplir les conditions cumulatives prévues par l’article 69 (1) de la même loi.
Dès lors, et dans la mesure où il est constant en cause que Madame (A) bénéficie d’une allocation d’inclusion octroyée par le Fonds National de Solidarité, elle doit être considérée comme recourant au système d’aide social, de sorte qu’elle ne remplit pas la condition de disposer de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, telle que prévue à l’article 69 (1), point 1 de la loi du 29 août 2008, ce que la demanderesse ne conteste, d’ailleurs, pas.
Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation que Monsieur (B) poursuivrait une activité rémunérée au Luxembourg, étant donné que, conformément à l’article 69 (1), point 1, précité, seules les ressources du regroupant sont à prendre en considération.
Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial de Madame (A).
S’agissant ensuite du moyen tiré de la violation de l’article 8 de la CEDH, le tribunal relève que celui-ci prévoit ce qui suit : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
A cet égard, et à titre liminaire, le tribunal rappelle le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative, telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH, est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale.1 Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH.2 Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois3.
En matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 de la CEDH ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays. En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition4.
Il convient, dans ce contexte, encore de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Il est, par ailleurs, de jurisprudence que la protection découlant de l’article 8 de la CEDH ne saurait être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective, notion allant au-delà de l’existence d’un simple lien de parenté ou de la simple contribution pécuniaire en vue de la satisfaction de besoins matériels, et qu’elle ait été a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national5.
1 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 97 et les autres références y citées.
2 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 485 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 486 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 16 janvier 2002, n°13859 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 513 et les autres références y citées.
5 Cour adm., 28 février 2013, n° 31852C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (3e tiret) et les autres références y citées.
Il y a dès lors lieu d’examiner si, en l’espèce, la demanderesse peut faire valoir l’existence d’une vie familiale avec Monsieur (B) au sens de l’article 8 de la CEDH susceptible d’être protégée par cette disposition.
A cet égard, la demanderesse fait simplement état dans sa requête introductive d’instance du fait qu’elle se serait mariée avec Monsieur (B) en date du 14 avril 2022. Or, le simple fait de s’être marié, d’autant plus si ce mariage est très récent, n’est pas à lui seul de nature à satisfaire aux conditions posées par l’article 8 de la CEDH pour pouvoir bénéficier d’une protection de la vie privée et familiale6. Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante7 que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis et qu’un demandeur d’asile, lorsqu’il est venu au Luxembourg pour y solliciter le statut de réfugié, n’est pas sans ignorer la relative précarité de sa situation. Or, si un candidat réfugié débouté demeurant sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie familiale peut certes alléguer qu’une décision de refus de lui accorder un autre titre de séjour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n’en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n’est pas sans pertinence dans l’analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l’article 8 de la CEDH. La Cour européenne des droits de l’Homme n’accorde en effet qu’une faible importance aux événements de la vie d’immigrants qui se produisent durant une période où leur présence sur le territoire est contraire à la loi nationale, voire couverte par un statut de séjour précaire.
Il est constant en cause, que Monsieur (B) a introduit une demande de protection internationale en date du 23 février 2022, de laquelle il fut débouté par décision ministérielle du 4 mars 2022, décision qui a été confirmée par un jugement premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la troisième chambre du tribunal administratif, du 6 avril 2022, tel qu’indiqué ci-dessus. La décision de refus du 4 mars 2022, précitée, a en outre été assortie d’un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Force est de constater que le mariage entre la demanderesse et Monsieur (B) contracté en date du 14 avril 2022 est intervenu après la décision ministérielle de refus de protection internationale et après le susdit jugement du 6 avril 2022, de sorte qu’au moment de ce mariage, ce dernier n’était pas sans ignorer la relative précarité de sa situation.
Ainsi, la demanderesse n’a pas établi l’existence d’une vie privée et familiale effective avec Monsieur (B). La simple affirmation non autrement étayée qu’ils cohabiteraient et qu’il considérerait les enfants de Madame (A) comme les siens est insuffisante à cet égard et il en est de même en ce qui concerne les photographies versées à l’appui de son recours gracieux du 13 septembre 2022. Le tribunal en déduit que Madame (A) ne saurait bénéficier de la protection prévue à l’article 8 de la CEDH.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH est à rejeter pour ne pas être fondé.
6 Trib. adm., 19 janvier 2004, n° 16969 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 521 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 10 octobre 2005, n° 19821 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 511 et les autres références y citées.S’agissant ensuite du refus de la demande subsidiaire d’autorisation de séjour pour raisons privées, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 78 de la loi du 29 août 2008, « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées:
a) au ressortissant de pays tiers qui rapporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources ;
b) aux membres de la famille visés à l’article 76 ;
c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;
(2) Les personnes visées au paragraphe (1) qui précède doivent justifier disposer de ressources suffisantes telles que définies par règlement grand-ducal. […] ».
Il ressort de l’article précité qu’afin de pouvoir prétendre à l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées, un demandeur doit tout d’abord remplir les conditions énumérées de manière générale au premier et deuxième paragraphes de l’article 78 précité de la loi du 29 août 2008, c’est-à-dire ne pas constituer de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, disposer de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, ainsi que de ressources suffisantes, ces ressources étant définies par règlement grand-ducal. Ensuite, il faut qu’au moins une des conditions énumérées aux points a), b) et c) de l’article 78 (1) de ladite loi soit remplie.
En l’espèce, la demanderesse se prévaut des dispositions du point b) de l’article 78 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel une autorisation de séjour pour raisons privées pour être accordée aux membres de la famille visés à l’article 76 de la même loi.
L’article 76 de la loi du 29 août 2008, auquel il est ainsi renvoyé, prévoit ce qui suit :
« (1) Dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant, peut être délivré dans les conditions de l’article 79, au conjoint, au partenaire non marié et à l’enfant devenu majeur, et le cas échéant aux personnes visées à l’article 70, paragraphe (5), points a) et b), au plus tard après cinq ans de résidence ou lorsqu’une rupture de la vie commune survient et résulte :
a) du décès du regroupant ou du divorce, de l’annulation du mariage ou de la rupture du partenariat intervenus au moins trois ans suivant l’accord de l’autorisation de séjour sur le territoire au titre du regroupement familial, ou b) lorsque des situations particulièrement difficiles l’exigent, notamment lorsque la communauté de vie a été rompue en raison d’actes de violence domestique subis. […] ».
Force est au tribunal de constater que cette disposition légale permet, dans les hypothèses y énumérées, aux membres de la famille, tels que le conjoint, qui n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, d’obtenir un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant.
Ainsi, la situation visée est celle d’un membre de la famille ayant reçu un titre de séjour dans le cadre d’un regroupement familial, sans s’être vu accorder un quelconque autre titre de séjour, et qui souhaite obtenir un titre de séjour autonome, qui, à la différence de celui qui lui a été préalablement accordé, est indépendant de celui du regroupant.
Or, en l’espèce, dans la mesure où il est constant qu’au jour de la prise de la décision déférée, Monsieur (B) ne s’était pas vu accorder un titre de séjour dans le cadre d’un regroupement familial – la demande afférente de Madame (A) ayant été valablement rejetée par le ministre, tel que retenu ci-avant –, l’intéressé ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 76 de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’il ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées, sur base de l’article 78 (1) b) de la même loi.
Etant donné, d’une part, qu’il n’est pas établi que Monsieur (B) pourrait vivre de ses seules ressources – aucune pièce probante relative à sa situation financière n’étant versée en cause – et, d’autre part, que le tribunal vient ci-avant de retenir que l’existence, dans le chef des époux (B), d’une vie privée et familiale effective, au sens de l’article 8 de la CEDH, n’est pas établie, les conditions des points a) et c) de l’article 78 (1) de la loi du 29 août 2008, non expressément invoqués par la demanderesse, ne sont pas non plus remplies en l’espèce.
Le ministre a, dès lors, valablement put refuser d’accorder à Monsieur (B) une autorisation de séjour pour raisons privées.
Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
La demanderesse sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».
Cette demande est cependant à rejeter, au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par la demanderesse ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 10