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26/03/2025 | LUXEMBOURG | N°52557

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2025, 52557


Tribunal administratif N° 52557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52557 3e chambre Inscrit le 19 mars 2025 Audience publique du 26 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52557 du rôle et déposée le 19 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A)...

Tribunal administratif N° 52557 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52557 3e chambre Inscrit le 19 mars 2025 Audience publique du 26 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52557 du rôle et déposée le 19 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 février 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Céline SCHMITZ, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mars 2025.

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Le 19 octobre 2020, Monsieur (A) se présenta au ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration.

En tant que mineur non accompagné, il se vit attribuer un administrateur ad hoc par ordonnance du 26 octobre 2020 du juge des tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg.

Le 19 novembre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée dans la base 1de données EURODAC, que Monsieur (A) avait franchi illégalement la frontière italienne le 12 août 2020 sans y introduire de demande de protection internationale.

En date des 10 février, 15 mars et 19 mars 2021, Monsieur (A) fut entendu en présence de son administrateur ad hoc par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, région Sud-Ouest, Commissariat …, référencé sous le numéro …, du 27 mai 2021, que le même jour, Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre suite à des faits de vol commis à l’aide de violences ou de menaces ainsi que de coups et blessures volontaires.

Par décision du 6 février 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 9 février 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A), tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Il se dégage encore d’un rapport de la police grand-ducale, région Capitale, Commissariat …, référencé sous le numéro …, du 5 décembre 2023, que le même jour, Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre suite à des faits de coups et blessures volontaires.

Par jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2024, portant le numéro 48638 du rôle, Monsieur (A) fut débouté de son recours contentieux introduit le 3 mars 2023 à l’encontre de la décision ministérielle prémentionnée du 6 février 2023, jugement qui fut confirmé par arrêt de la Cour administrative du 19 décembre 2024, portant le numéro 51623C du rôle.

Par courrier du 27 décembre 2024 de son mandataire, Monsieur (A) fit introduire une demande en obtention d’un sursis à l’éloignement sur base des articles 130 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désignée par « la loi du 29 août 2008 », le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », le priant de compléter sa demande par courrier du 13 janvier 2025.

Il ressort d’une note au dossier du 24 janvier 2025 que, lors d’un entretien de retour volontaire au ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », le 23 janvier 2025, Monsieur (A) affirma ne pas vouloir retourner volontairement dans son pays d’origine.

Par arrêté du 24 janvier 2025, notifié au concerné à la même date, le ministre prononça une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans à l’encontre de Monsieur (A).

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté, ce dernier étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention 2Vu la décision de retour du 6 février 2023 ;

Vu mon interdiction d'entrée sur le territoire de cinq ans du 24 janvier 2025 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé s'est inscrit auprès de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) afin de bénéficier d'un retour volontaire vers son pays d'origine, mais qu'il n'a jamais donné suite ;

Considérant que l'intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 20 février 2025, notifié à l’intéressé le 24 février 2025, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté, ce dernier étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 24 janvier 2025, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 24 janvier 2025 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 février 2025.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Moyens et arguments des parties 3A l’appui de son recours, le demandeur explique, au-delà des faits et rétroactes repris ci-dessus, qu’il vivrait mal son placement au Centre de rétention alors qu’il serait coupé de toute vie sociale dans la mesure où il se retrouverait seul, enfermé dans une cellule.

En droit, le demandeur relève tout d’abord qu’un placement en rétention ne devrait être considéré qu’en tout dernier lieu et ne présenterait qu’une faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique. Le placement en rétention devrait ainsi se baser sur des motifs sérieux et être proportionné alors qu’il constituerait une atteinte à sa liberté de mouvement, laquelle devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

En s’appuyant sur l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, il estime ensuite qu’à l’heure actuelle il n’existerait aucune perspective d’éloignement, que le ministre ne lui aurait fourni aucune information sur les mesures concrètes mises en œuvre afin de l’éloigner dans un délai raisonnable et que, depuis son placement en rétention, aucune mesure appropriée n’aurait été prise afin de garantir son éloignement dans les meilleurs délais et d’écourter au maximum la durée de la rétention.

En se prévalant des dispositions de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, il fait par ailleurs valoir que les mesures moins coercitives y prévues bénéficieraient d’une priorité par rapport à un placement en rétention, tout en donnant à considérer qu’il compterait se présenter aux rendez-vous qui lui seraient communiqués et qu’il se tiendrait à disposition des autorités luxembourgeoises.

Il soutient encore que le délai de quatre mois prévu par la loi en vue de procéder à l’éloignement d’une personne en situation irrégulière serait un délai butoir et ne dispenserait pas le ministre d’accomplir les diligences nécessaires afin de réduire au maximum la durée de la rétention.

Enfin, après avoir donné à considérer que malgré les courriers adressés aux autorités étrangères par le ministre, aucun document de voyage ne lui aurait été fourni à ce jour et la demande de laissez-passer serait toujours sans réponse, il conclut à la réformation de la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève que dans la mesure où aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement, voire de maintien en rétention – l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas 4applicable à une telle décision – le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée.

A titre superfétatoire, il convient de relever qu’en tout état de cause l’arrêté litigieux est motivé à suffisance tant en fait qu’en droit par le renvoi aux articles 111 et 120 à 123 de la loi du 29 août 2008, ainsi que par les considérations que (i) les motifs à la base de la mesure de placement du 24 janvier 2025 subsistent dans le chef de l’intéressé, que (ii) toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités étrangères compétentes, que (iii) ces démarches n’ont pas encore abouti et que (iv) il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une insuffisance de motivation de la décision litigieuse est à rejeter.

S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision litigieuse, il échet de rappeler que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

5 En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour a été prise à son encontre le 6 février 2023, le demandeur ayant été définitivement débouté de son recours introduit à l’encontre de cette dernière par arrêt du 19 décembre 2024 de la Cour administrative, portant le numéro 51623C du rôle, et qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans a été prise à son encontre le 24 janvier 2025, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse. De surcroît, le concerné ne dispose ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figurent justement celles d’être en possession d’un passeport et d’un visa en cours de validité ou d’une autorisation de voyage en cours de validité et de ne pas faire, tel que c’est le cas pour le demandeur, l’objet d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire, telles que prévues au paragraphe (2), points 1. et 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire. Au contraire, il ressort d’une note au dossier du 24 janvier 2025 figurant au dossier administratif que lors de son entretien de retour volontaire le 23 janvier 2025, l’intéressé a demandé à plusieurs reprises à l’agent du ministère de lui restituer ses documents remis au ministre en vue de se rendre dans un autre pays, étant précisé que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement, soit en l’occurrence à la mainmise des autorités luxembourgeoises. Les développements du demandeur selon lesquels il compterait se présenter aux rendez-vous qui lui seraient communiqués et qu’il se tiendrait à disposition des autorités luxembourgeoises sont, à défaut d’autres éléments, insuffisants à cet égard, étant encore relevé qu’il ressort de la même note au dossier que lors dudit entretien, l’intéressé « refusa de coopérer » et « commença à insulter l’interprète et l’agent [du ministère] ».

6 Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant de l’argumentation de l’intéressé selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le tribunal relève que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

7Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

Indépendamment du constat que le demandeur ne peut pas se prévaloir d’un domicile fixe déclaré au Luxembourg, ni d’une quelconque autre attache, le tribunal est amené à constater, tel que relevé ci-avant, que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite dans son chef, cette présomption étant au contraire renforcée par le comportement de l’intéressé. En effet, l’intéressé a notamment demandé à plusieurs reprises la restitution de ses documents remis au ministre en vue de se rendre dans un autre pays.

Par ailleurs, le demandeur n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose. Les développements du demandeur, par ailleurs démuni de passeport, selon lesquels il compterait se présenter aux rendez-vous qui lui seraient communiqués et qu’il se tiendrait à disposition des autorités luxembourgeoises sont, en effet, et à défaut d’autres éléments, insuffisants à cet égard.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement celles visées aux points a) et b) dudit paragraphe, ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Il s’ensuit que le moyen tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure litigieuse de prorogation du placement en rétention, respectivement d’une application erronée des dispositions légales applicables est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ailleurs, faute pour l’intéressé d’établir dans quelle mesure le fait qu’il vivrait mal son placement au Centre de rétention alors qu’il serait coupé de toute vie sociale, s’opposerait à son placement, respectivement à son maintien en rétention, ses développements y relatifs sont à rejeter pour manquer de fondement, étant encore rappelé que le demandeur a droit, en application de l’article 9, paragraphe (2) de la loi modifiée du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention, « [t]out au long de [son] séjour au Centre, […] aux soins médicaux requis dans l’intérêt de [sa] santé et au traitement indispensable de [ses] maladies ».

En ce qui concerne enfin les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de permettre l’éloignement du demandeur dans les meilleurs délais et l’argumentation du concerné ayant trait à une prétendue absence de perspective d’éloignement, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que par courrier 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.

8électronique du 18 février 2025, le ministre s’est adressé au Consulat Général de Tunisie en se référant à un courrier électronique leur adressé le 29 janvier 2025 dans le cadre d’une demande d’identification du demandeur en vue de la délivrance d’un laissez-passer et s’enquit de l’état d’avancement du dossier.

Il en ressort encore que par courrier électronique du 4 mars 2025, le ministre a adressé un nouveau rappel aux autorités consulaires tunisiennes.

Les 6 et 19 mars 2025, les autorités luxembourgeoises relancèrent de nouveau les autorités consulaires tunisiennes et s’enquirent de l’état d’avancement du dossier du demandeur.

Force est ainsi de constater, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes -, que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de préparer son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. Les démarches concrètement entreprises en l’espèce par l’autorité ministérielle doivent, au contraire, être considérées comme étant à ce stade suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Il y a également lieu de relever qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Le moyen sous analyse est par conséquent à rejeter.

A titre superfétatoire, pour autant que le demandeur, à travers son affirmation non autrement circonstanciée que son placement en rétention constituerait une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, ait entendu invoquer une violation de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », aux termes duquel : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] », il y a lieu de rappeler que ledit article 5, paragraphe (1), prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Dans un arrêt du 15 décembre 20163, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », a retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple 2 Trib. adm., 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826 (1er volet) et les autres références y citées.

3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

9pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 6 février 2023, de sorte à se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, et, d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement dont il fait l’objet en exécution de ladite décision de retour est menée avec la diligence requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5, paragraphe (1) de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2025 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Felix Hennico, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 52557
Date de la décision : 26/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-26;52557 ?

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