Tribunal administratif N° 48243 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48243 2e chambre Inscrit le 6 décembre 2022 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Intérieur, en présence de l’administration communale de Flaxweiler en matière de plan d’aménagement général
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48243 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2022 par Maître Jean-Luc GONNER, avocat à Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation de la « décision rendue le 16 septembre 2022 par Madame la Ministre de l’Intérieur approuvant la délibération du conseil communal du 10 février 2022 portant adoption du projet de la refonte du plan d’aménagement général […] de la commune de Flaxweiler […] » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine KOVELTER, en remplacement de l’huissier de justice Frank SCHAAL, demeurant à Luxembourg, du 14 décembre 2022, portant signification de ce recours à l’administration communale de Flaxweiler, ayant sa maison communale à L-6926 Flaxweiler, 1, rue Berg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2022 par la société à responsabilité limitée ÉTUDE D’AVOCATS PIERRET & ASSOCIÉS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1730 Luxembourg, 8, rue de l’Hippodrome, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B263981, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Flaxweiler, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2023 ;
Vu le mémoire en réponse de la société à responsabilité limitée ÉTUDE D’AVOCATS PIERRET & ASSOCIÉS SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2023, au nom de l’administration communale de Flaxweiler, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Jean-Luc GONNER, déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2023, au nom de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal 1administratif le 19 avril 2023 ;
Vu le mémoire en duplique de la société à responsabilité limitée ÉTUDE D’AVOCATS PIERRET & ASSOCIÉS SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2023, au nom de l’administration communale de Flaxweiler, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause ainsi que la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc BECKER, en remplacement de Maître Jean-Luc GONNER, Maître Sébastien COÏ, en remplacement de Maître Georges PIERRET, et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 novembre 2024.
Lors de sa séance publique du 13 décembre 2019, le conseil communal de Flaxweiler, ci-après désigné par le « conseil communal », émit un vote favorable, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 », sur le projet d’aménagement général, de sorte que le collège des bourgmestre et échevins, ci-après désigné par « le collège échevinal », put procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 2004.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 janvier 2020, adressé au collège échevinal par l’intermédiaire de son litismandataire, Monsieur (A) propriétaire de deux parcelles inscrites au cadastre de la commune de Flaxweiler, section … de …, sous le numéro (P1), ci-après désignée par « la parcelle (P1) », respectivement sous le numéro (P2), ci-après désignée par « la parcelle (P2) », soumit ses observations et objections à l’encontre du projet d’aménagement général et sollicita l’intégration de ses parcelles dans le périmètre d’agglomération.
Conformément aux dispositions de l’article 11 de la loi du 19 juillet 2004, la commission d’aménagement émit, lors de sa séance du 24 juin 2020, son avis quant à la conformité et la compatibilité du projet d’aménagement général avec les dispositions de ladite loi.
Lors de sa séance publique du 10 février 2022, le conseil communal décida, à la lumière des avis ministériels et des objections lui soumis, d’adopter le projet d’aménagement général.
Pour ce qui est des objections de Monsieur (A), le conseil communal décida - suivant ce qui était indiqué dans le document annexé à sa délibération et comprenant un résumé des objections présentées au collège échevinal et du sort à y réserver - « […] à l’unanimité de maintenir le classement car y faire droit reviendrait à cautionner un développement tentaculaire de la localité à cet endroit. Par conséquent, ces deux parcelles demeureront hors du périmètre d’urbanisation et seront classées en zone verte comme cela était le cas sous l’empire de l’ancien PAG.
Le statut juridique de ces deux parcelles se trouve donc inchangé. […] ».
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 16 février 2022, le collège échevinal informa le litismandataire de Monsieur (A) de l’adoption par le conseil communal du projet d’aménagement général.
2 Par courrier recommandé avec accusé de réception du 1er mars 2022, Monsieur (A) introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, une réclamation auprès du ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », à l’encontre de la délibération du conseil communal du 10 février 2022 portant adoption définitive du projet d’aménagement général, en sollicitant l’intégration de ses parcelles dans le périmètre d’agglomération.
Par décision du 16 septembre 2022, le ministre approuva la délibération du conseil communal du 10 février 2022 portant adoption du projet de refonte du plan d’aménagement général (« PAG ») et déclara recevable mais non fondée la réclamation de Monsieur (A). Les passages de la décision ministérielle précitée se rapportant à cette réclamation sont libellés comme suit :
« […] Ad réclamation (A) (rec 14) Le réclamant sollicite le reclassement des parcelles cadastrales n°(P1) et (P2), sises à …, actuellement classées en « zone agricole [AGR] », en zone destinée à être urbanisée.
Une intégration desdites parcelles dans la zone constructible contribuerait à un développement tentaculaire de la localité, ce qui est contraire à un développement rationnel du territoire communal et aux dispositions de l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ce qui est d’ailleurs consacré par une jurisprudence constante des juridictions administratives.
La réclamation est donc non fondée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2022, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la « décision rendue le 16 septembre 2022 par Madame la Ministre de l’Intérieur approuvant la délibération du conseil communal du 10 février 2022 portant adoption du projet de la refonte du plan d'aménagement général […] de la commune de Flaxweiler […] ».
I. Quant à la compétence du tribunal Le tribunal relève que les décisions sur les projets d’aménagement, lesquels ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à ériger, ont un caractère réglementaire. La décision d’approbation du ministre de l’Intérieur participe au caractère réglementaire de l’acte approuvé1, étant précisé qu’en ce qui concerne la procédure d’adoption du PAG, le caractère réglementaire ainsi retenu s’étend également au volet de la décision ministérielle du 16 septembre 2022 ayant statué sur la réclamation introduite par le demandeur, intervenue dans le processus général de l’élaboration de l’acte approuvé.
Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.
1 Cour adm., 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes réglementaires, n° 59 et les autres références y citées.
3 Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation sous examen.
II. Quant à la recevabilité du recours Dans leurs mémoires en réponse respectifs, les parties communale et étatique se rapportent à prudence de justice quant à la recevabilité du recours. S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions2. Dès lors et dans la mesure où les parties communale et étatique sont restées en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable, leurs contestations afférentes encourent le rejet.
Le tribunal conclut que le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
III. Quant à la loi applicable Le tribunal précise que la procédure d’adoption d’un PAG est prévue par la loi du 19 juillet 2004. Or, celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises et dernièrement (i) par une loi du 28 juillet 2011 entrée en vigueur, en application de son article 45, en date du 1er août 2011, (ii) par la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, publiée au Mémorial A, n° 160 du 6 septembre 2013, (iii) par la loi du 14 juin 2015 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, publiée au Mémorial A, n° 113 du 17 juin 2015, (iv) par la loi du 3 mars 2017 dite « Omnibus », entrée en vigueur, en application de son article 76, le 1er avril 2017, (v) par la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, (vi) par la loi du 18 juillet 2018 portant modification de l’article 108 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, (vii) par la loi du 30 juillet 2021 relative au Pacte logement 2.0, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, en application de l’article 16 de la loi en question, (viii) par la loi du 7 août 2023 relative au logement abordable et (ix) par la loi du 4 novembre 2024, publiée au Mémorial A, n° 449 du 7 novembre 2024.
Etant donné, d’une part, que le tribunal vient de retenir que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de l’acte déféré et, d’autre part, que dans le cadre d’un tel recours, le juge administratif est amené à en apprécier la légalité en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où ils ont été pris3, les modifications apportées à la loi du 19 juillet 2004 par les lois précitées du 7 août 2023 et du 4 novembre 2024, entrées en vigueur postérieurement à la délibération du conseil communal du 10 février 2022 portant adoption du projet d’aménagement général ne sont pas à prendre en considération en l’espèce, étant plus particulièrement précisé, à cet égard, que les actes de tutelle administrative, tels que la décision ministérielle litigieuse, rétroagissent à la date de la décision approuvée et tombent dès lors sous le champ d’application des lois en vigueur à la date de la prise de décision de l’acte initial.
2 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 905 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 22 et les autres références y citées.
4Il s’ensuit que la version de la loi du 19 juillet 2004 applicable au présent litige est celle résultant des modifications opérées par les lois des 28 juillet 2011, 30 juillet 2013, 14 juin 2015, 3 mars 2017, 17 avril 2018, 18 juillet 2018 et 30 juillet 2021.
IV. Quant au fond Moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, après avoir rappelé une partie des rétroactes à la base de la décision déférée, explique être propriétaire de la parcelle (P1) et de la parcelle (P2), sur laquelle serait située une ancienne ferme qui aurait été exploitée par son père.
Il affirme, dans ce contexte, être « de longue date » en discussion avec les autorités communales, alors qu’il essayerait, en vain, de convaincre les responsables communaux de sortir les parcelles litigeuses de la zone agricole [AGR], désignée ci-après par la « zone [AGR] », en vue de leur intégration dans le périmètre d’agglomération. Il fait, à cet égard, valoir qu’une intégration de ses parcelles dans le périmètre d’agglomération serait « compatible avec la réalité », alors que l’immeuble se trouvant sur lesdites parcelles aurait été construit antérieurement aux règles urbanistiques et bénéficierait, dès lors, d’un « droit acquis ». Les parcelles litigieuses seraient, par ailleurs, connectées aux réseaux communaux d’eau et d’électricité et raccordées à la canalisation.
En droit, le demandeur invoque, en premier lieu, un défaut de motivation de la décision déférée en raison du fait que celle-ci serait stéréotypée, lacunaire et en contradiction flagrante avec la politique communale en matière d’urbanisme. Il fait valoir que ce serait l’administration communale elle-même qui serait à l’origine du développement tentaculaire de la localité de … dans la mesure où elle aurait permis la viabilisation de la rue (R1) et la construction de cinq maisons « à gauche de cette rue » et de six maisons « à droite de cette même rue » et ce, jusqu’à la limite des parcelles litigieuses. Il soutient que le fait de refuser l’inclusion de ses parcelles en zone constructible - parcelles sur lesquelles se trouverait une ferme plus que centenaire - au motif qu’une telle inclusion engendrerait un développement tentaculaire non souhaité, serait en contradiction flagrante avec la politique urbanistique de l’administration communale, tout en mettant en avant qu’il appartiendrait, dans ce contexte, au juge de contrôler l’erreur d’appréciation afin d’empêcher que le pouvoir discrétionnaire de l’administration ne bascule dans l’arbitraire.
Le demandeur fait ensuite valoir que le classement de ses parcelles en zone non constructible le priverait de sa propriété et engendrerait un changement dans les attributs de celle-ci, changement qui serait à tel point substantiel qu’il serait privé de ses aspects essentiels.
Il soutient, à cet égard, qu’étant donné que l’exploitation agricole située sur les parcelles litigieuses aurait été abandonnée, l’immeuble y relatif menacerait de tomber en ruine, alors que celui-ci ne pourrait, en raison du classement desdites parcelles en zone [AGR], pas être rénové, respectivement rebâti.
Le demandeur continue en avançant que la délimitation du périmètre d’agglomération aurait été fixée arbitrairement à la limite de ses parcelles, tout en soulignant que leur intégration dans ledit périmètre ne serait pas de nature à entraîner un développement « irrationnel » du territoire communal, mais permettrait, au contraire, d’exécuter une réalité bien établie découlant de la politique urbanistique menée par l’administration communale durant les dernières années et ayant consisté à étirer le tissu urbain jusqu’à la limite des parcelles litigieuses. Il s’ensuivrait que le refus de classer lesdites parcelles en zone constructible ne 5serait « pas en accord avec le juste équilibre entre les impératifs d’ordre général et la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu », alors que « le prétendu but visé à la base de la privation [serait] en effet une erreur du classement actuel, sinon une mauvaise prise en compte d’une réalité établie de longue date et ne saurait résister à un examen de proportionnalité ».
En s’appuyant sur deux jugements rendus par le tribunal administratif le 1er juin 2006 et inscrits sous le numéro 20501, respectivement 20502 du rôle, Monsieur (A) affirme que le classement de ses parcelles en zone non constructible serait contraire aux principes d’une bonne administration, en donnant encore à considérer que celles-ci ne se trouveraient nullement dans une situation de déconnexion par rapport au restant de la localité à …. Il avance, à cet égard, que dans le cadre d’un recours en annulation, le pouvoir du juge administratif consisterait à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué, tout en faisant valoir qu’aucune justification d’ordre urbanistique ne permettrait de refuser l’extension sollicitée du périmètre d’agglomération, les parcelles litigieuses se trouvant à côté, respectivement en face des dernières maisons construites le long de la rue (R1), de sorte à être adjacentes au tissu urbain existant en ce qu’elles n’en seraient pas séparées par d’autres parcelles.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur reproche aux parties communale et étatique de se référer de façon stéréotypée à la jurisprudence des juridictions administratives relative au développement tentaculaire des localités sans fournir, dans ce contexte, la moindre explication concrète d’ordre urbanistique.
Il soutient qu’étant donné que la localité de … serait composée de maisons situées le long des axes routiers, elle serait de facto constituée d’extensions tentaculaires et ne serait, dès lors, pas dotée d’un noyau villageois. Le demandeur réitère, dans ce contexte, que l’extension tentaculaire de la rue (R1) serait due « à la politique urbanistique des édiles communaux » qui auraient autorisé la construction - entre les anciennes maisons de la rue (R1) et sa ferme isolée - de cinq maisons unifamiliales « du côté droit », ainsi que la construction de six maisons unifamiliales « du côté gauche », de sorte que la délimitation du périmètre d’agglomération se situerait actuellement à la frontière de sa parcelle.
Monsieur (A) s’interroge, à cet égard, quant à la raison pour laquelle la construction d’une maison unifamiliale aurait été autorisée dans la rue (R2), à la limite du cimetière, alors qu’il s’agirait d’une propriété située sur une parcelle décalée du restant du village.
Il donne encore à considérer que l’administration communale aurait, en raison du fait que la rue (R1) serait ramifiée, fait construire une nouvelle voie d’accès afin d’agrandir le périmètre d’agglomération, voie d’accès qui mènerait jusqu’à la limite cadastrale de sa propriété.
Le demandeur explique ensuite que la ferme, qui aurait été érigée sur ses parcelles en 1809, n’aurait pas été démolie, alors que seule la grange, située sur lesdites parcelles, aurait été, pour des raisons de sécurité liées au fait qu’elle aurait menacé de tomber en ruine, été partiellement détruite.
Monsieur (A) réitère encore son reproche selon lequel ni le ministre, ni l’administration communale n’auraient indiqué les motifs juridiques et factuels sur lesquels seraient basées leurs décisions refusant d’intégrer ses parcelles dans le périmètre d’agglomération. Ceci serait d’autant plus vrai que l’administration communale aurait prévu une « extension tentaculaire 6nouvelle » dans la rue (R3), en y prévoyant la création d’une nouvelle zone soumise à l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier.
Il fait encore valoir que le maintien du classement des parcelles litigieuses en zone [AGR] prohiberait toute construction sur lesdites parcelles en raison du fait qu’il ne serait pas agriculteur. Il réitère, à cet égard, que le maintien du classement opéré serait à assimiler à une expropriation, tout en insistant plus particulièrement sur le fait que la parcelle ne pourrait plus être viabilisée, malgré le fait qu’elle serait raccordée à toutes les infrastructures publiques, à l’instar des parcelles voisines.
Le demandeur pointe encore le fait que l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle « [é]tendre encore davantage le périmètre dans ce sens revient dès lors à amplifier une situation indésirable existante » ne serait que difficilement compréhensible, tout en précisant ne pas être à l’origine de cette extension tentaculaire telle que critiquée par les autorités communales.
Il réfute finalement l’argument selon lequel le classement de ses parcelles en zone constructible engendrerait également un classement des parcelles situées du côté opposé de la rue (R1) dans le périmètre d’agglomération, alors qu’une telle argumentation ne serait pas fondée en raison du fait que la rue (R4) à … ne comporterait « que des constructions du côté droit, à la fin de la rue (R2) se trouve[rait] décalée une construction du seul côté gauche ». Il fait encore valoir que les parcelles litigieuses seraient attenantes « à la zone NATURA 2000 -
…, région de Schuttrange, Canach, Lenningen et Gostingen », de sorte qu’il serait garanti qu’aucune extension du périmètre d’agglomération ne pourrait être envisagée au-delà de ses parcelles.
La commune, de même que la partie étatique, concluent, quant à elles, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal relève qu’il lui appartient de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’inscrivent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties, l’examen des moyens tenant à la légalité externe devant précéder celui des moyens tenant à la légalité interne.
A) Quant à la légalité externe de la décision attaquée Le demandeur conclut à un défaut de motivation de la décision ministérielle du 16 septembre 2022, en raison du fait qu’elle serait lacunaire et stéréotypée.
Le tribunal précise qu’au-delà de l’absence d’exigence légale ou réglementaire spécifique à l’indication formelle des motifs, les actes administratifs à caractère réglementaire doivent reposer sur de justes motifs légaux devant avoir existé au moment où ils ont été respectivement pris, motifs dont le juge administratif est appelé à vérifier tant l’existence que la légalité. Ces motifs doivent être retraçables, à la fois par la juridiction saisie et par les 7administrés intéressés, afin de permettre l’exercice effectif du contrôle juridictionnel de légalité prévu par la loi4.
En l’espèce, force est de constater que la décision sous analyse est en tout état de cause motivée à suffisance de droit.
En effet, il se dégage de la décision ministérielle déférée, reproduite par extraits ci-
dessus, que le ministre a indiqué les raisons à la base de celle-ci, à savoir que le classement des parcelles litigieuses en zone constructible favoriserait un développement tentaculaire de la localité de …, ce qui serait contraire à un développement rationnel du territoire communal, tel que consacré, par ailleurs, par la jurisprudence constante des juridictions administratives, de sorte à ne pas s’inscrire dans les objectifs prévus à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004. Cette motivation, qui a encore été complétée par la partie étatique dans ses mémoires en réponse et en duplique, est, dès lors, suffisamment précise pour permettre au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause.
Au vu des considérations qui précèdent, et indépendamment de la question du bien-fondé de la motivation avancée par le ministre, le tribunal est amené à retenir que la motivation ainsi fournie est suffisante pour permettre au demandeur de défendre ses intérêts en connaissance de cause dans le cadre du présent recours en annulation et, corrélativement, pour permettre au tribunal d’exercer son contrôle de légalité, de sorte que le moyen tiré d’une insuffisance de motivation, voire d’une motivation « lacunaire et stéréotypée » de la décision déférée, encourt le rejet.
B) Quant à la légalité interne de la décision attaquée 1) Quant aux contestations ayant trait à la justification avancée à la base du classement opéré Le tribunal relève que les autorités communales, lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, doivent être mues par des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations et d’ordre politique tirées de l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné, tendant les unes et les autres à une finalité d’intérêt général et dans ce contexte, lesdites autorités doivent veiller tant à la conservation de l’esthétique urbaine qu’au développement rationnel des agglomérations5.
Dans ce contexte, il y a lieu d’insister sur le fait que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge est dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une 4 Cour adm., 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes réglementaires, n° 36 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 20 octobre 2004, n° 17604 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme, n° 217 et les autres références y citées.
8disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité6.
S’il est certes vrai que le choix d’entériner ou de ne pas entériner la modification d’un plan d’aménagement relève d’une dimension politique et échappe comme tel au contrôle des juridictions de l’ordre administratif saisies d’un recours en annulation, il n’en demeure pas moins que tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir et cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidées dans leur décision7, le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne portant dès lors pas sur l’opportunité, mais sur la réalité et la légalité des motifs avancés.
Quant aux objectifs devant guider les autorités communales lorsqu’elles initient des modifications de leurs plans d’aménagement, ainsi que l’autorité ministérielle, dans le cadre de l’exercice de son contrôle tutélaire, il y a lieu de se référer à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, aux termes duquel : « Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par:
(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux ;
(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire ;
(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables ;
(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités ;
(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ;
(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques. ».
L’article 6 de la loi du 19 juillet 2004 prévoit, quant à lui, que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ».
Il convient encore de noter que la décision d’adopter, respectivement de procéder à la refonte d’un PAG est, dans son essence même, prise dans l’intérêt général, cette caractéristique étant présumée jusqu’à preuve du contraire8.
6 Cour adm., 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 40 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 23 mars 2005, n° 18463 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes réglementaires, n° 35 et les autres références y citées.
8 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 10 et les autres références y citées.
9 Par ailleurs, il échet de rappeler que la mutabilité des PAG relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné9. Il s’ensuit qu’en se fondant sur des considérations d’ordre urbanistique correspondant à une finalité d’intérêt général, les autorités communales peuvent procéder à des modifications de leur règlementation urbanistique, pourvu toutefois que la décision soit proportionnelle à son objectif et qu’elle soit dépourvue d’un dépassement dans le chef des autorités compétentes de leur marge d’appréciation, analyse qui sera effectuée ci-
après.
En l’espèce, il est constant en cause que sous l’empire de l’ancien PAG, les parcelles litigieuses étaient classées en zone [AGR] et que, dans le nouveau PAG, il a été décidé de maintenir le classement desdites parcelles en zone [AGR]. Monsieur (A) conteste, dans le cadre du recours en annulation sous analyse, le maintien de ses parcelles en zone [AGR] et sollicite le classement de celles-ci en zone constructible.
Le tribunal relève, à cet égard, que le ministre a, dans sa décision du 16 septembre 2022, entériné le maintien du classement des parcelles du demandeur en zone [AGR], tel que décidé par les autorités communales, et motivé sa décision par le souci d’éviter un développement tentaculaire de la localité de ….
En ce qui concerne les considérations urbanistiques mises en avant dans la décision ministérielle déférée pour confirmer le choix communal de refuser de faire droit à la demande de classement des parcelles litigieuses en zone constructible formulée par Monsieur (A), le tribunal relève qu’il est de jurisprudence que l’accent mis sur un développement concentrique d’une agglomération par exclusion, dans la mesure du possible, de toute excroissance d’ordre tentaculaire ou désordonnée répond à des considérations légales d’ordre urbanistique ayant trait à l’aménagement des agglomérations de nature à tendre à confluer de manière utile avec l’organisation de la vie en commun sur le territoire donné et est de nature à tendre à une finalité d’intérêt général10.
Il y a, à cet égard, tout d’abord lieu de relever que les parcelles dont le demandeur sollicite l’inclusion en zone constructible sont situées aux confins de la localité de …, et plus précisément à son extrémité sud-est, le long de la rue (R1).
S’il ressort certes de la partie graphique du PAG que les parcelles litigieuses sont, pour partie et de leur côté ouest, attenantes à une zone d’habitation 1 [HAB-1] - étant précisé qu’elles ne sont pas entièrement adjacentes à ladite zone constructible dans la mesure où elles en restent, contrairement à ce que fait plaider le demandeur, pour partie séparées par l’interstice créé par la parcelle avoisinante, portant le numéro cadastral (P3), ci-après désignée par « la parcelle (P3) », classée, de même que les parcelles litigieuses, en zone [AGR] - il n’en reste pas moins qu’elles sont pour le surplus encadrées de champs et de verdure, tel qu’en témoignent les photos versées en cause par les parties communale et étatique, pour être entourées d’une zone [AGR].
Le tribunal se doit ensuite de constater, à l’instar des parties communale et étatique, que la rue (R1), le long de laquelle sont situées les parcelles litigieuses, se caractérise d’ores et déjà 9 Trib. adm., 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm., 20 décembre 2001, n° 13291C du rôle, Pas.
adm. 2023, V° Urbanisme, n° 231 (1er volet) et les autres références y citées.
10 Trib. adm., 4 décembre 2002, n° 14923 du rôle, confirmé par Cour adm., 1er juillet 2003, n° 15879C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme, n° 186 et les autres références y citées.
10par un développement tentaculaire manifeste par rapport au noyau de la localité de …, développement découlant, selon les affirmations de la partie étatique, de « dérives du passé », de sorte à constituer une situation regrettable résultant d’un régime urbanistique antérieur.
Il s’ensuit qu’un classement en zone constructible des parcelles litigieuses, situées, tel que relevé ci-avant, le long de la rue (R1) à l’extrémité de la localité de … et presque entièrement entourées d’une zone [AGR], aboutirait incontestablement à une aggravation du développement tentaculaire d’ores et déjà existant sur le site litigieux. Quand bien même le demandeur soutient que l’administration communale aurait elle-même procédé, à travers la viabilisation de la rue (R1) le long de laquelle sont implantées, de manière non contestée, onze maisons unifamiliales, à l’extension tentaculaire telle que décrite ci-avant, il y a lieu de relever qu’il est admis que des incohérences éventuellement commises par le passé, à différents niveaux, notamment à travers des autorisations conférées au niveau communal, en matière de bâtisses et de fixations de domicile, ne sont pas de nature à pouvoir infléchir utilement le choix urbanistique conforme à la législation pertinente applicable en la matière au moment de la prise de la décision ministérielle attaquée par le demandeur11.
Concernant ensuite l’argumentation du demandeur selon laquelle le classement de ses parcelles en zone constructible n’aurait aucune incidence sur le développement du tentacule d’ores et déjà existant le long de la rue (R1) en raison du fait que, de l’entendement du tribunal, lesdites parcelles « touchent à la zone …, région de Schuttrange, Canach, Lenningen et Gostingen » ce qui rendrait impossible l’extension du périmètre d’agglomération au-delà des parcelles en question et de facto également toute demande tendant à voir intégrer les parcelles avoisinantes aux siennes dans ledit périmètre, le tribunal se doit de constater que cette affirmation est erronée dans la mesure où il ressort de la partie graphique du PAG que les parcelles situées à côté des parcelles litigieuses, de même que celles situées derrière et en face de celles-ci, ne sont pas, du moins pas dans leur entièreté, incluses dans la zone protégée d’intérêt communautaire - zones de protection oiseaux Natura 2000, ci-après désignée par « la zone Natura 2000 », zone à laquelle fait, toujours de l’entendement du tribunal, référence le demandeur, de sorte que les parcelles de ce dernier ne « touchent » manifestement pas à la prédite zone. Il s’ensuit que c’est à juste titre que la partie étatique fait remarquer que le classement des parcelles litigieuses en zone constructible pourrait avoir pour effet de susciter des demandes tendant à voir intégrer les parcelles avoisinantes aux parcelles litigieuses non incluses dans la prédite zone Natura 2000 - et notamment la parcelle (P3), prémentionnée et adjacente auxdites parcelles de leur côté ouest, de même que les parcelles situées en face de celles-ci, actuellement toutes classées en zone [AGR] - dans le périmètre d’agglomération et ce, notamment, afin de fermer la lacune (« Baulücke ») qui serait, à travers l’intégration des parcelles litigieuses en zone constructible, créée entre celles-ci et le tissu urbain existant.
Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le tribunal se doit de conclure que l’inclusion des parcelles litigieuses dans le périmètre d’agglomération ne serait, contrairement à ce que fait plaider le demandeur, pas conforme à une urbanisation cohérente de la localité de … dans la mesure où ladite inclusion favoriserait, tel que constaté ci-avant, nécessairement le développement d’une extension d’ores et déjà tentaculaire et désordonnée aux abords de ladite localité, de sorte que le choix opéré par l’autorité communale et entériné par l’autorité de tutelle de maintenir lesdites parcelles en zone [AGR] se justifie par des arguments vérifiés quant à leur matérialité et tirés d’une saine urbanisation, tendant à une finalité d’intérêt général, à savoir une utilisation rationnelle du sol et de l’espace urbain ainsi qu’un développement harmonieux du territoire de la commune de Flaxweiler, conformément aux objectifs inscrits aux points a) et b) de l’article 2, précité, de la loi du 19 juillet 2004.
11 Cour adm. 17 janvier 2017, n° 38220C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
11 Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur suivant lesquelles les parcelles litigieuses abriteraient d’ores et déjà une construction et seraient reliées aux réseaux d’électricité et d’eau potable et raccordées à la canalisation. En effet, indépendamment des autorisations de construire ayant éventuellement été délivrées antérieurement concernant les parcelles litigieuses situées en zone non constructible, d’une part, et de l’existence d’une construction ayant été érigée sur celles-ci en 1809, d’autre part, les autorités communales, confirmées par le ministre, ont marqué leur intention de ne pas continuer l’extension de la zone constructible dans la rue (R1) en classant, respectivement en maintenant les parcelles litigieuses en zone [AGR]. Par ailleurs, la seule circonstance qu’une parcelle, classée en zone non constructible, accueille une construction, même centenaire, raccordée à tous les réseaux ne saurait justifier ipso facto son classement en zone constructible12, étant souligné que les parcelles en cause étaient, sous l’empire de l’ancien PAG, classées en zone non constructible et que ce classement a été maintenu dans le PAG sous analyse, la situation desdites parcelles étant, dès lors, restée inchangée. Ce même constat s’impose également concernant l’affirmation du demandeur selon laquelle « l’administration communale a[ur]ait […], au vu du fait que la rue (R1) […] se ramifie[rait], fait construire une nouvelle voie d’accès derrière la ferme menant jusqu’à la limite cadastrale de [sa] propriété […] pour agrandir le périmètre d’agglomération », alors que, outre le fait que ladite affirmation n’est pas autrement circonstanciée ni, par ailleurs, étayée par un quelconque élément probant, l’existence d’une voie d’accès n’est, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, pas non plus à elle seule de nature à justifier ipso facto un classement des parcelles litigieuses en zone constructible.
L’argumentation du demandeur selon laquelle la construction existante sur les parcelles en question serait, à défaut d’être classée en zone constructible, vouée à tomber en ruine au motif qu’elle ne pourrait pas être « rénové[e], respectivement rebâti[e] » parce que sa destination ne serait plus compatible avec l’une des affectations prévues par la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », n’est - outre le fait qu’il ressort des explications, ainsi que des photos versées en l’espèce par les parties communale et étatique que la construction en question semble avoir été démolie, ou se trouve, tout au moins, déjà en état de ruine - pas non plus de nature à ébranler le constat suivant lequel le choix opéré par les autorités communales et entériné par le ministre, consistant à maintenir en zone non constructible les parcelles litigieuses afin d’éviter le développement d’une extension d’ores et déjà tentaculaire et désordonnée aux abords de la localité de …, rencontre de manière éminente les exigences d’un urbanisme rationnel et d’un développement harmonieux du territoire de ladite localité, sans qu’il n’y ait aucun dépassement de la marge d’appréciation de l’autorité ayant statué13.
Concernant finalement l’affirmation du demandeur selon laquelle la construction d’une maison unifamiliale aurait été autorisée « dans la rue (R2), à la limite du cimetière » alors même qu’il s’agirait d’une propriété « située sur une parcelle décalée du restant du village » il convient de retenir qu’outre le fait que le demander reste en défaut de préciser à quelle construction il se réfère exactement, il ne tire pas non plus une quelconque conclusion en droit de cette affirmation. Or, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de ce dernier en recherchant lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses affirmations.
Au vu de toutes les considérations qui précèdent, les développements de Monsieur (A) tendant à critiquer le choix communal, tel qu’entériné par le ministre à travers la décision 12 Voir en ce sens : Trib. adm. 27 mai 2020, n° 42108 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
13 En ce sens : Cour adm., 17 janvier 2017, n° 38220C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme n° 233.
12litigieuse, de maintenir ses parcelles en zone [AGR], laissent dès lors d’être fondés et le moyen afférant est à rejeter.
2) Quant au moyen relatif à une prétendue « privation de propriété » A travers l’affirmation du demandeur selon laquelle « la manière dont les autorités traitent les parcelles en question s’analyse[rait] en une privation de propriété opérant un changement dans les attributs de la propriété qui [serait] substantiel à ce point [qu’il serait] privé de ses aspects essentiels », celui-ci invoque, de l’entendement du tribunal, une violation de son droit de propriété, tel que consacré par l’article 16 de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023.
Ledit article 16 de la Constitution, qui concerne l’expropriation, dispose que : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de manière établis par la loi. ».
Force est en premier lieu de constater qu’aucun transfert de propriété des parcelles du demandeur n’a été décidé ou ne s’est opéré en l’espèce, de sorte qu’en principe, aucune expropriation au sens de l’article 16 de la Constitution ne peut être constaté.
Le tribunal constate ensuite qu’il est vrai que l’article 11 de la partie écrite du PAG relatif à la zone [AGR] limite l’usage de la propriété du demandeur en ce que ne sont permises en zone [AGR] que des « […] constructions servant à l’exploitation agricole, jardinière, viticole, maraîchère, sylvicole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique […] » et que les constructions légalement existantes ne peuvent être rénovées ou transformées que sous réserve d’une autorisation afférente du ministre ayant l’Environnement dans ses attributions et dans le respect des dispositions de la loi du 18 juillet 2018.
Dans le contexte de telles servitudes d’urbanisme imposées par les plans d’aménagement, la Cour constitutionnelle a consacré dans le cadre de l’arrêt rendu en date du 4 octobre 201314 le principe de la mutabilité des PAG, tout en soulignant que le juge administratif n’était pas autorisé à sanctionner un reclassement d’un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible, mais que les propriétaires concernés pouvaient se pourvoir, le cas échéant, devant le juge judiciaire en vue de l’allocation d’une indemnité éventuelle. Ceci étant dit, la Cour a déclaré contraires à l’article 16 de la Constitution les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 posant en principe que les servitudes résultant d’un PAG n’ouvrent droit à aucune indemnité et prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l’utilité publique. Dans le même arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la considération qu’elle avait retenue dans son arrêt du 26 septembre 200815, selon laquelle un changement dans les attributs de la propriété, qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.
Deux conclusions s’imposent donc. D’une part, l’article 16 de la Constitution n’érige pas de manière générale le droit de propriété en matière réservée à la loi, mais se limite à interdire l’expropriation autrement que pour cause d’utilité publique, moyennant juste indemnité et dans les cas et de la manière établis par la loi, de sorte que seule l’expropriation constitue une matière réservée à la loi, étant rappelé, dans ce contexte, qu’il ressort de la 14 Cour const., 4 octobre 2013, n° 00101 du registre.
15 Cour const., 26 septembre 2008, n° 00046 du registre.
13jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point essentiel qu’il prive le propriétaire de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation16. Cependant, étant donné que les dispositions de la loi du 19 juillet 2004 n’autorisent pas les autorités communales à prendre des règlements en matière d’expropriation, mais seulement à réglementer l’usage des biens, notamment, par le biais de mesures destinées à protéger les sites et monuments, respectivement le caractère harmonieux d’un quartier ou d’une partie de quartier, et que la réglementation de l’usage des biens n’est pas une matière réservée à la loi par la Constitution, ces dispositions légales ne se heurtent manifestement pas à l’article 16 de la Constitution, ni d’ailleurs à l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution en vigueur jusqu’au 1er juillet 2023.
D’autre part, la Cour constitutionnelle n’a pas retenu que de manière générale, toute servitude d’urbanisme constituait une expropriation, mais elle a en revanche retenu de manière nuancée que seul un changement dans les attributs de la propriété à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels peut constituer une expropriation. Cette nuance a, d’ailleurs, bien été relevée par le Conseil d’Etat dans son avis du 18 novembre 2014 par rapport au projet de loi relatif à la modification de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire17.
En l’espèce, il peut être constaté que si le classement en zone [AGR] des parcelles du demandeur limite certes l’usage du droit de propriété de ce dernier d’une certaine manière, en ce que, tel que retenu ci-avant, les nouvelles constructions respectivement les travaux en relation avec les constructions légalement existantes n’y sont autorisées que de manière limitative, ce dernier reste toutefois en défaut de démontrer que ledit classement entrave dans son cas les attributs de son droit de propriété d’une manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation, ce d’autant plus que, d’une part, les parcelles litigieuses étaient, sous l’empire de l’ancien PAG, déjà classées en zone [AGR] donc en zone par principe non constructible, et que, d’autre part, les droits réels acquis de Monsieur (A) sur le terrain construit se trouvent maintenus en l’état au titre de constructions existantes en zone verte avec toutes les conséquences de droit18 et que le chapitre 2 de la partie écrite du PAG, intitulé « La zone verte », prévoit expressément que « [l]es constructions légalement existantes situées dans la zone verte […] peuvent être rénovées ou transformées matériellement […] » sous réserve d’une autorisation du ministre ayant l’Environnement dans ses attributions. Le seul fait que le demandeur affirme péremptoirement que l’exploitation agricole située sur les parcelles en cause aurait été abandonnée, de sorte que la destination de la construction s’y trouvant ne serait plus compatible avec l’une des affectations permises en zone verte n’est pas de nature à ébranler ce constat.
Le classement des parcelles du demandeur en zone [AGR] n’est, dès lors, pas à considérer comme équivalent à une expropriation et ne tombe, par conséquent, pas dans le champ d’application de l’article 16 de la Constitution.
Au vu de ce qui précède, le moyen tiré d’une violation du droit de propriété est à rejeter pour ne pas être fondé.
A défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est, dès, lors à rejeter.
16 Cour const., 26 septembre 2008, n° 00046 du registre et Cour const., 4 octobre 2013, n° 00101 du registre.
17 Conseil d’Etat, avis n° 50.683, disponible sur http://www.conseil-etat.public.lu/fr.
18 En ce sens : Cour adm., 17 janvier 2017, n° 38220C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Urbanisme n° 233.
14En ce qui concerne encore la demande de Monsieur (A) tendant à voir condamner l’Etat à lui payer une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, celle-ci est à rejeter au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros, telle que formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 31 mars 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castgenaro 15