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31/03/2025 | LUXEMBOURG | N°50331

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2025, 50331


Tribunal administratif N° 50331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50331 2e chambre Inscrit le 16 avril 2024 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50331 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2024 par la société à responsabilité

limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de ...

Tribunal administratif N° 50331 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50331 2e chambre Inscrit le 16 avril 2024 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50331 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2024 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Syrie), de nationalités syrienne et vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 15 mars 2024 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Parina MASKEEN, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leur plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2025.

Le 10 octobre 2022, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 25 mai 2023, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 mars 2024, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 10 octobre 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être née le … à … en Syrie, de double nationalité syro-vénézuélienne, d’ethnie Arabe, de confession druze et avoir vécu de 1979 à 1996 sur la route de … à … en Syrie. De 1996 à 2004, vous affirmez avoir vécu à … dans l’État … au Venezuela après vous être mariée avec un homme vénézuélien qui y habitait. En 2002, vous vous seriez divorcée et vous auriez encore vécu pendant deux années avec votre fils, le dénommé (B), au Venezuela.

En 2004, vous seriez retournés tous les deux en Syrie et vous, Madame, auriez vécu sur la route de … à … jusqu’en 2022.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous indiquez avoir quitté le Venezuela, car « la situation n’[y] serait pas sûre du tout » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Ensuite, vous déclarez avoir quitté la Syrie en 2022 car vous auriez été visée et menacée à plusieurs reprises par des « membres d’une milice » (p.7/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)) en Syrie. En cas de retour au Venezuela, vous affirmez craindre la « situation sécuritaire » car elle aurait empiré depuis votre départ du pays (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). En cas de retour en Syrie, vous indiquez que votre « vie serait en danger » (p.9/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

En Syrie, vous avancez que vous auriez été menacée dix jours avant de quitter le pays, à savoir fin septembre 2022, par un « gang » alors que vous auriez été mandatée d’un ordre d’exécution, dans le cadre de votre travail en tant qu’avocate, concernant l’occupation illégale d’une maison par ce soi-disant « gang » (p.7/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

D’après vous, vous vous seriez rendue avec le Mohktar et l’agent d’exécution, « l’ordre d’exécution en main [à cette maison], [les membres de ces gangs auraient] sorti leur arme, [et vous seriez] directement partie » (p.8/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Lors de cette rencontre, un individu de ce « gang » vous aurait dit « si je vous vois par ici et surtout toi, l’avocate, je te tue » (p.8/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Une fois de retour au tribunal, vous auriez fait une demande pour avoir du renfort judiciaire sans pour autant donner plus d’informations concernant cette demande lors de l’entretien avec l’agent ministériel.

Ensuite, vous avancez que des « individus [seraient] venus [chez vous] et [auraient] essayé de casser la porte de [votre] maison » (p.7/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)), en vain car vos voisins se seraient « précipités vers [votre] porte et les individus ont tout laissé et ils sont partis et il y avait des traces d’infraction sur la porte en fer forgé » (p.7/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Vous supposez que ces individus sont les mêmes que ceux qui auraient occupé illégalement la maison de votre mandataire.

A la suite de cet incident, vous dites qu’on vous aurait poursuivie dans la rue. Vous mentionnez également que vous auriez reçu à peu près cinq messages sur votre téléphone mobile à travers lesquels des menaces auraient été proférées à votre encontre. Vous supposez qu’il se serait agi ici des mêmes individus qui auraient essayé de casser la porte de votre maison et qui auraient squatté la maison de votre mandataire.

En outre, vous expliquez que vous feriez partie de la minorité religieuse des druzes et que vous seriez en danger si vous sortiez du gouvernorat d’…. D’après vos dires, du fait d’être une femme druze, non-musulmane et avec des moyens financiers, vous pourriez facilement devenir une cible et subir un enlèvement.

En ce qui concerne le Venezuela, vous auriez été mariée avec un homme qui habitait au Venezuela et y auriez vécu avec lui. En 2002, vous auriez divorcée votre ex-conjoint et vous seriez restée vivre au Venezuela avec votre fils, le dénommé (B), jusqu’en 2004. Entre 2002 et 2004, vous seriez restée dans la maison que vous auriez partagée auparavant avec votre ex-

conjoint « jusqu’au jour où [vous auriez] pu voyager » (p.2/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

En 2004, vous auriez quitté le pays parce que vous vous seriez divorcée et parce que « la situation n’[y] serait pas sûre du tout » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Vous indiquez que « la situation sécuritaire [aurait] empiré depuis [votre départ], il y a une dictature, pas de libertés et il y a du racisme. Et ce que j’ai appris récemment, c’est quand on tombe malade, il n’y a pas de médicaments. » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

En outre, vous expliquez que vous auriez eu « peur pour [votre] vie » car les Arabes y seraient « exposés » du fait d’avoir « du travail, une situation et de l’argent » et même si vous êtes détentrice de la nationalité vénézuélienne « vous [seriez] une étrangère pour [les Vénézuéliens] » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre ancien passeport syrien, émis le 17 juillet 2013 et ayant expiré le 16 juillet 2019 ;

- votre passeport vénézuélien, émis le 20 juillet 2019 et valable jusqu’au 19 juillet 2024 ;

- une copie d’une preuve d’exercice de la profession d’Avocat à la Cour du 3 août 2022, traduite en langue française ;

- une copie de trois relevés de registres fonciers au nom de (A) attestant votre propriété de terres en Syrie, date non-définie, traduits en langue française.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Tout d’abord, Madame, vous déclarez être de double nationalité syrienne et vénézuélienne. Vous remettez à cet égard un passeport vénézuélien en cours de validité, considéré comme étant un document authentique suivant analyse effectuée par l’Unité de Police de l’aéroport (ci-après dénommé « UPA »). Il y a lieu de souligner qu’il ressort des dispositions de la section A 2°, deuxième alinéa, de l’article 1er de la Convention de Genève, à laquelle se réfère explicitement la Loi de 2015 que « dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression « du pays dont elle a la nationalité » vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité ».

Cette disposition a pour but d’exclure du statut de réfugié toutes les personnes ayant plusieurs nationalités et qui peuvent se réclamer de la protection d’au moins un des pays dont elles ont la nationalité. Il convient encore de relever que chaque fois qu’elle peut être réclamée, la protection nationale l’emporte sur la protection internationale. Partant, vos craintes alléguées seront analysées par rapport au Venezuela, État dont vous avez la nationalité et dont vous avez remis un passeport en cours de validité.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Madame, il ressort de l’évaluation de vos motifs de fuite, que vous auriez quitté le Venezuela avec votre fils, le dénommé (B), en 2004, deux ans après vous être divorcée de votre ex-conjoint. Vous seriez partie du Venezuela en raison de votre prétendue « peur pour (votre) vie » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, d’Madame (A)).

Concernant vos motifs de fuite allégués en lien avec le Venezuela, il ressort de leur évaluation que vos prétendus problèmes rencontrés au Venezuela et vos craintes en découlant ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, texte qui prévoit une protection à toute personne persécutée ou à risque d’être persécutée sur base d’un des cinq motifs de fond précités, à savoir votre appartenance ethnique, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

En effet, en se basant sur votre récit Madame (A), vous affirmez que « la situation au Venezuela n’est pas sûre du tout » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Vous expliquez qu’il est impossible de sortir de chez soi « avec une montre, un collier, des boucles d’oreille, un téléphone portable » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). En outre, vous mentionnez la situation générale du pays en expliquant que « la situation sécuritaire a empiré depuis, il y a une dictature, pas de libertés et il y a du racisme. Et ce que j’ai appris récemment, c’est quand on tombe malade, il n’y a pas de médicaments. » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)).

Concernant vos déclarations quant à la situation sécuritaire du Venezuela, il y a lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et la Loi de 2015.

Or, vous n’invoquez à aucun moment un incident qui vous serait personnellement arrivé au Venezuela, au contraire vous vous tenez à des simples propos par rapport à la situation générale du pays en invoquant le régime politique, le manque de libertés, le racisme et le manque de médicaments sans invoquer un incident qui vous serait personnellement arrivé au Venezuela.

Par conséquent, vos seules craintes liées à la prétendue dégradation de la situation générale au Venezuela ne sauraient pas suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens desdits textes. En effet, votre récit se base sur des déclarations vagues quant à la situation générale du Venezuela.

Partant, il n’est aucunement établi que vos prétendues craintes seraient liées à l’un des cinq motifs de fond prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015. Il y a ainsi lieu de relever que vos prétendues craintes ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Quant aux événements que vous invoquez, force est de constater que vous n’avez pas été agressée et que vous ne faites pas état d’une quelconque atteinte à votre intégrité physique.

Par conséquent, ces faits ne peuvent être qualifiés, au vu de leur manque de gravité, d’actes de persécution, tel que prévu par la Convention de Genève et la Loi 2015.

Alors que vous mentionnez à plusieurs reprises la situation générale du Venezuela vous n’êtes pas en mesure de relater ne serait-ce qu’un incident qui aurait fait que vous vous sentiez en danger au sein de la société vénézuélienne. En effet, non seulement vous auriez vécu de façon paisible pendant huit années au Venezuela, mais en plus vous ne rapportez aucun incident pendant ces années qui vous aurait permis de conclure que votre vie serait en danger au Venezuela.

D’ailleurs, vos affirmations quant à la situation sécuritaire reposent sur des informations de la part d’autrui puisque « plus de 60% des habitants de Soueïda ont un lien avec le Venezuela, soit ils sont nés là-bas, soit ils y ont vécu une partie de leur vie » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Par conséquent, vos craintes se basent tout simplement sur des observations impersonnelles qui ne sont en aucun cas liées à votre propre personne.

À la question si vous avez d’autres raisons pour ne pas pouvoir retourner au Venezuela, vous répondez que vous auriez peur pour votre vie car même si vous portez la « nationalité [vénézuélienne] […] [vous seriez] une étrangère pour [les Vénézuéliens] » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). D’après vos dires, les personnes d’origine arabe seraient « exposés » du fait d’avoir « du travail, une situation et de l’argent » (p.12/16 de votre rapport d’entretien, Madame (A)). Alors que vous mentionnez le danger qu’encourent les personnes d’origine arabe au Venezuela, vous restez assez vague dans vos déclarations et vous n’êtes pas en mesure de rapporter avoir subi un quelconque mauvais traitement de la part de quiconque.

Renseignement pris, le Venezuela abrite historiquement une importante diaspora syrienne. En effet, le Venezuela est l’un des pays d’Amérique latine le plus accueillant des étrangers aux origines arabes. « [Syrians] arrived in small Venezuelan towns because they felt at home there. They sought rural areas and settled in places that didn’t have much business, as it allowed them to get on economic foothold. And it worked, they become a powerful community, economically and in terms of population. » Avec une population d’environ 1,6 million d’habitants, les personnes d’origine arabe et les Vénézuéliens d’origine arabe ont gagné du terrain dans de nombreux aspects de la société vénézuélienne. De Tarek El Aissami, ancien vice-président de la République bolivarienne du Venezuela, ancien député et ancien ministre de plusieurs portefeuilles, à Mariam Habach, Miss Venezuela 2015, de nombreux vénézuéliens d’origine Arabe se sont fait connaître en tant que personnalités publiques. Tarek William Saab Halabi, actuel procureur général du Venezuela, qui a également dirigé le parti du Mouvement de la Cinquième République (MVR) fondé par l’ancien président Hugo Chávez, est même d’origine arabe druze.

Sachant que vous n’invoquez à aucun moment avoir eu un réel problème au Venezuela vos craintes par rapport à ce pays sont purement hypothétiques. Si jamais vous deviez être inquiétée d’une manière ou d’une autre au Venezuela par une situation particulière qui vous mettrait en danger, il vous appartiendrait, en cas de nécessité, de vous adresser aux autorités compétentes vénézuéliennes pour solliciter leur aide notamment en portant plainte en bonne et due forme.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous auriez bel et bien pu vous établir de nouveau au Venezuela au lieu d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg. Il doit ainsi être conclu qu’il appert à la lecture de vos déclarations que des motifs de convenance personnelle sous-tendent votre refus de retourner au Venezuela et votre décision d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Madame, au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour au Venezuela, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.

En effet, vous omettez d’établir qu’en cas de retour au Venezuela, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2024, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 15 mars 2024 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 15 mars 2024, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, la demanderesse indique être née le … à …, en Syrie, être d’ethnie arabe et de confession druze. Elle aurait vécu dans le prédit pays jusqu’en 1996. Après avoir épousé un Vénézuélien, elle serait allée vivre à …, au Venezuela, jusqu’en 2004, année lors de laquelle elle serait retournée vivre en Syrie. Elle y serait devenue avocate en 2012 et y aurait ouvert son étude en 2014. Elle explique qu’en septembre 2022, dans le cadre de son activité professionnelle, elle aurait été mandatée par des propriétaires afin d’introduire une procédure en déguerpissement contre des occupants sans droit ni titre dans les lieux appartenant à ses clients. Afin de faire exécuter la décision de justice devenue définitive, elle se serait rendue au bureau de l’exécution, lequel aurait contacté le « Mokhtar » pour se rendre sur les lieux. Accompagnée du maire et d’un agent d’exécution, elle serait allée sur place afin de faire procéder au déguerpissement des occupants illégaux. Ils auraient alors été accueillis par un homme muni d’un fusil, qui se serait présenté comme membre d’un gang qui s’auto-nommerait « Défense nationale ». Ledit individu l’aurait directement et personnellement menacée de mort.

Elle aurait alors alerté les juridictions dans le but de bénéficier d’une protection renforcée.

Malgré les mesures judiciaires prises, des individus appartenant au gang auraient tenté de casser la porte de sa maison et auraient pris la fuite grâce à ses voisins. Elle aurait également été suivie à plusieurs reprises dans la rue et aurait reçu plusieurs messages contenant des menaces de mort sur son téléphone mobile. En raison de ces menaces, elle se serait sentie obligée de quitter la Syrie, ce qu’elle aurait fait le 5 octobre 2022 pour se rendre au Luxembourg.

En droit, la demanderesse reproche d’abord au ministre de ne pas avoir analysé les craintes sérieuses et avérées relatives à la Syrie qu’elle aurait évoquées. Elle explique qu’il serait nécessaire de faire une distinction entre la possession d’une nationalité d’un point de vue juridique et le bénéfice de la protection du pays correspondant, alors qu’il serait possible « qu’un demandeur dispose de la nationalité d’un pays à l’égard duquel il n’éprouve aucune crainte mais que cette nationalité puisse être considérée comme étant inefficace dans la mesure où elle n’emporte pas la protection qu’implique normalement la possession de la nationalité ».

En l’espèce, la nationalité vénézuélienne serait inefficace alors qu’elle ne lui offrirait pas « la protection suffisante ». En s’appuyant sur l’article 43 de la loi du 18 décembre 2015, elle soutient que la seule possession d’un passeport vénézuélien ne pourrait pas établir qu’elle disposerait effectivement de l’ensemble des droits et obligations attachés à ladite nationalité, étant donné qu’elle aurait passé l’intégralité de sa vie en Syrie et n’aurait vécu que huit années au Venezuela. Ainsi, son identité culturelle, ses origines géographiques, sa vie professionnelle, patrimoniale, personnelle, ou encore sa relation avec la population la relieraient à la Syrie. Elle aurait d’ailleurs pris le temps de développer longuement, lors de son entretien avec un agent du ministère, les raisons pour lesquelles elle aurait quitté la Syrie et l’agent aurait, de ce fait, posé quelques « timides questions » sur le Venezuela.

En ce qui concerne le refus du statut de réfugié, après avoir cité l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », ainsi que les articles 2 f), 39 et 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la demanderesse fait valoir que son activité professionnelle l’aurait exposée à des menaces en Syrie. Elle se base sur une « Analyse commune et note d’orientation » de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), publiée en février 2023, dans laquelle il serait indiqué que son métier la placerait dans un « groupe à risque les plus importants et particulièrement vulnérables face à la menace de subir des atteintes graves ». Elle craindrait ainsi d’être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social. Ses craintes seraient d’ailleurs justifiées, au vu des menaces dont elle aurait fait l’objet. La demanderesse précise à cet égard qu’elle n’aurait pas pu bénéficier d’une protection de la part des autorités syriennes, étant donné que les unités de « Forces de défense nationale », dont des membres l’auraient menacée, disposeraient d’un pouvoir non négligeable et seraient présents partout en Syrie, ce qui serait confirmé par un rapport de l’Organisation Suisse d’Aides aux Réfugiés (OSAR) du 28 mars 2015, intitulé « Syrie : Les Forces de défense nationale ».

Concernant le Venezuela, la demanderesse indique qu’elle ne pourrait y retourner en raison de la situation sécuritaire qui s’y serait aggravée à tel point que l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, ci-après désignée par « le HCR », aurait considéré que la majorité des personnes fuyant le pays seraient éligibles au statut de réfugié. La demanderesse ajoute qu’elle saurait que son activité professionnelle l’exposerait à une « agression permanente » au Venezuela. Ses craintes de subir des actes de persécution se justifieraient également en raison de son appartenance à la minorité druze. Dans ce contexte, elle renvoie à l’analyse de l’AUEA, précitée, de février 2023.

Elle conclut qu’elle devrait bénéficier du statut de réfugié pour les prédites raisons.

Quant à la protection subsidiaire, la demanderesse donne à considérer, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, que le HCR aurait publié en février 2024 un rapport intitulé « “We did not fear death but the life there”: The Dire Human Rights Situation Facing Syrians Returnees », dans lequel il aurait révélé les mauvais traitements que les personnes retournant en Syrie auraient subis, de sorte qu’elle ne pourrait pas s’y rendre.

Elle indique également qu’elle ne pourrait pas non plus aller au Venezuela par crainte de subir des actes de torture ou des traitements inhumains et dégradants « infligés au Venezuela alors qu’elle [n’aurait] pas d’autre choix que de vivre il y a 20 années avec une triple porte ». Elle s’appuie encore sur un rapport publié en 2022 par l’organisation Amnesty International qui mentionnerait l’impunité des exécutions extrajudiciaires commises dans diverses régions du pays. Elle en conclut qu’elle ne pourrait s’établir durablement dans un endroit de son « pays d’origine » et qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’elle devrait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande tendant à l’octroi du statut de réfugié qu’à celle de protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il échet, dans ce cadre, de préciser que l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 fait expressément référence au « pays dont [le demandeur] a la nationalité », et que le pays d’origine est défini à l’article 2 p) de ladite loi comme étant « […] le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ».

Dans l’hypothèse d’un demandeur ayant plusieurs nationalités, le tribunal relève que la Convention de Genève prévoit dans son article 1 A (2), alinéa 2 que « Dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression “du pays dont elle a la nationalité” vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité. ».

Ainsi, cette disposition exclut de la protection internationale les personnes ayant plusieurs nationalités qui peuvent se réclamer de la protection d’au moins un des pays dont elles ont la nationalité.

En l’espèce, il est établi que Madame (A) possède les nationalités syrienne et vénézuélienne, de sorte qu’elle doit démontrer qu’elle a des raisons valables, fondées sur une crainte justifiée, de ne pas se réclamer de la protection des autorités syriennes et vénézuéliennes. A défaut de la preuve qu’elle ne peut pas se prévaloir de la protection des autorités de l’un de ces pays ou si elle se trouve dans une situation ne nécessitant pas une protection en Syrie ou au Venezuela, tant le statut de réfugié que celui conféré par la protection subsidiaire lui seront refusés.

De ce fait, et au vu du libellé de l’article 1 A (2), alinéa 2 de la Convention de Genève, l’argumentation de la demanderesse tendant à soutenir qu’elle aurait quitté le Venezuela depuis plus de vingt ans et qu’elle n’aurait en tout état de cause pas de véritables liens avec ledit pays, malgré la possession de la nationalité vénézuélienne, manque de pertinence, d’autant plus qu’elle a nécessairement dû requérir ladite nationalité auprès des autorités vénézuéliennes, ce qui démontre qu’elle a entrepris une démarche personnelle volontaire pour avoir une attache avec le prédit pays. A cela s’ajoute que l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’aurait plus aucune connexion avec le Venezuela depuis une vingtaine d’années est contredite par le passeport vénézuélien qu’elle a fait établir en date du 20 juillet 2019 et qui était valable jusqu’au 19 juillet 2024.

Par ailleurs, le moyen avancé par la demanderesse dans ce contexte selon lequel la définition de la nationalité à l’article 43 (1) de la loi du 18 décembre 2015 obligerait le ministre à considérer qu’elle ne possède pas la nationalité vénézuélienne et à analyser sa demande de protection internationale uniquement par rapport à la Syrie est à écarter pour manquer de fondement.

En effet, ledit article 43 (1), qui dispose que « Lorsqu’il évalue les motifs de la persécution, le ministre tient compte des éléments suivants : […] la notion de nationalité ne se limite pas à la citoyenneté ou à l’inexistence de celle-ci, mais recouvre, en particulier, l’appartenance à un groupe soudé par son identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou politiques communes, ou sa relation avec la population d’un autre Etat ; […] », vise l’élargissement de la notion de nationalité dans le cadre de l’analyse des motifs de persécution avancés par le demandeur de protection internationale et n’entend pas définir les critères de la possession d’une nationalité, contrairement à ce que soutient la demanderesse, dont la nationalité vénézuélienne est démontrée à suffisance par la détention d’un passeport vénézuélien.

Partant, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait s’arrêter à l’examen de la demande de protection internationale de Madame (A) par rapport au Venezuela, pays dont elle possède la nationalité.

Le tribunal est ensuite amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger pour sa personne.

En l’espèce, le tribunal relève que la demanderesse déclare avoir quitté le Venezuela au motif qu’elle ne s’y serait plus sentie en sécurité après son divorce et ne pas vouloir y retourner car la situation sécuritaire y aurait empiré, qu’il n’y aurait pas de liberté et qu’il y aurait une dictature, ainsi que du racisme envers les Arabes. Par ailleurs, il y aurait également une pénurie de médicaments.

Or, force est au tribunal de constater que la demanderesse n’invoque aucun fait concret qui pourrait être considéré comme étant une persécution au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des actes suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme, ni un incident correspondant à une atteinte grave au sens de l’article 48 de la même loi, c’est-à-dire qui pourrait entraîner l’application de la peine de mort, l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou même des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au Venezuela.

En effet, il ne ressort nullement des déclarations de la demanderesse qu’elle aurait personnellement fait l’objet d’une quelconque menace ou d’un acte malveillant, celle-ci se bornant à indiquer que la situation sécuritaire au Venezuela lui aurait fait craindre de mettre sa vie en danger et qu’en raison de ses origines, elle risquerait de ne pas être intégrée dans la société vénézuélienne. D’ailleurs, son affirmation, dans ce contexte, suivant laquelle la seule possession d’un passeport vénézuélien n’impliquerait pas qu’elle dispose de tous les droits et obligations rattachés à la nationalité vénézuélienne, faute d’être plus amplement développée ni étayée par un quelconque élément, reste à l’état d’allégation. Il ne ressort pas non plus des documents versés à l’appui de son recours que toutes les personnes d’origine syrienne et en particulier les avocats syriens, qui seraient selon la demanderesse un groupe social auquel elle appartiendrait, se trouvant au Venezuela risqueraient systématiquement de subir des persécutions ou des atteintes graves.

Le tribunal est dès lors amené à constater que les faits présentés à la base de la demande de protection internationale de Madame (A) tournent principalement autour d’un sentiment général d’insécurité et qu’elle reste en défaut de démontrer une crainte actuelle et fondée de subir personnellement des persécutions ou des atteintes graves.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse ne sont de nature à établir l’existence ni d’une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015 ni d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi en cas de retour au Venezuela, de sorte à ne pas justifier l’octroi à Madame (A) de l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Pour autant qu’à travers l’invocation de la situation sécuritaire du Venezuela, la demanderesse ait entendu se prévaloir d’un risque de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle lié à un conflit armé régnant dans le prédit pays, il convient de relever que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c.

Pays-Bas », numéro C-465/07, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un État membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces. ».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

Le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un État affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné. ».

Quant aux violences aveugles, elles ont été définies par la CJUE dans le prédit arrêt « Elgafaji c. Belgique », notamment dans les considérants 34 et 35, comme étant des violences qui s’étendent à des civils sans considération de leur situation personnelle ou de leur identité.

Or, il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela correspondrait actuellement à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que la demanderesse ne peut pas non plus prétendre à l’obtention d’une protection subsidiaire sur ce point.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Madame (A), de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire La demanderesse sollicite, à titre principal, la réformation de l’ordre de quitter le territoire en conséquence de la réformation de la décision lui refusant une protection internationale. A titre subsidiaire, elle conclut à la violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-

après par « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où le retour dans un des pays dont elle possède la nationalité impliquerait une menace certaine pour sa vie.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Madame (A) au Venezuela, pays dont elle dispose de la nationalité, ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire vers ce pays.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 qui dispose que : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d'un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

En effet, dans la mesure où le tribunal vient de confirmer l’absence de fondement des craintes alléguées par la demanderesse par rapport au Venezuela, son renvoi vers ce pays ne saurait être incompatible avec ledit article 129, précité.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire encourt également le rejet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 15 mars 2024 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 15 mars 2024 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 31 mars 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50331
Date de la décision : 31/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-03-31;50331 ?

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