Tribunal administratif N° 52569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52569 1re chambre Inscrit le 21 mars 2025 Audience publique du 31 mars 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52569 du rôle et déposée le 21 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie), et d’être de la nationalité algérienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 mars 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marina LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGIRI et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 mars 2025.
Le 9 janvier 2025, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, le 9 juillet 2020, aux Pays Bas en date des 11 et 13 février 2021 et 19 septembre 2023, ainsi qu’en Suisse en date du 21 novembre 2023.
Il s’avéra, par ailleurs, que Monsieur (A) fait l’objet d’une inscription au système d’information Schengen (SIS) de la part des autorités allemandes au motif qu’il ferait l’objet d’une décision de retour.
Encore le 9 janvier 2025, Monsieur (A) fut convoqué à un entretien en date du 13 février 2025 en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », entretien auquel il ne se présenta pas.
Le 6 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers par courrier du 10 février 2025.
Par décision du 25 février 2025, notifiée à l’intéressé par affichage public le lendemain, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par arrêté du 11 mars 2025, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question. Ledit arrêté est motivé comme suit :
« (…) Vu l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu la demande de protection internationale introduite au Luxembourg par l’intéressé en date du 9 janvier 2025 ;
Vu le rapport n° … du 9 janvier 2025 établi par le Service de police judiciaire, section Criminalité organisée ;
Vu que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Allemagne, trois demandes aux Pays-Bas et une demande en Suisse ;
Vu l’accord de reprise en charge des autorités allemandes du 10 février 2025 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Vu ma décision de transfert du 25 février 2025 ;
Attendu que l’intéressé ne s’est pas présenté à l’entretien en vue de la détermination de l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, qui était prévu en date du 13 février 2025, alors qu’une convocation lui a été remise en mains propres le 9 janvier 2025 ;
Considérant que l’intéressé a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’Etat membre responsable ;
Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant que l’intéressé a fait l’usage de différentes identités en Allemagne ;
Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité ou de voyage permettant d’établir son identité ;
2 Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;
Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement de l’intéressé, il y a lieu d’ordonner le placement en rétention ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 11 mars 2025.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur (A) à titre principal.
Ledit recours est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit et après avoir cité l’article 22, paragraphes (2) et (4) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir appliqué l’une des mesures moins coercitives prévues à l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 alors même que « [l]ors de son séjour », il aurait exprimé sa volonté de respecter les obligations lui imposées par le ministre en vue d’organiser son éloignement.
Il expose qu’il aurait exprimé sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises en quittant volontairement le pays et qu’il se serait montré très coopératif lors de son interpellation par la police.
Après avoir relevé qu’en tout état de cause, le placement au Centre de rétention, qui serait constitutif d’une entrave à sa liberté d’aller et venir laquelle serait garantie par l’article 5 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), devrait rester une mesure exceptionnelle à laquelle il existerait des alternatives, il fait valoir qu’il faudrait réexaminer sa situation personnelle et qu’un tel réexamen permettrait de constater que son placement au Centre de rétention serait incompatible avec sa situation. Le placement au Centre de rétention serait susceptible d’impacter son droit à la dignité humaine et un « placement à résidence au sien de la maison de retour » serait mieux adapté. Il conclut en substance dans ce contexte à une violation de l’article 3 de la CEDH.
Il souligne que le placement dans une structure fermée d’un étranger présentant des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.
Il précise ensuite qu’aucun risque de fuite ne serait établi dans son chef alors qu’il aurait fait preuve d’un comportement irréprochable et respectueux au Centre de rétention, de même qu’il aurait manifesté sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises. Il conclut que son maintien en rétention ne serait plus justifié, serait illégal et disproportionné au but recherché en raison de l’existence de mesures moins coercitives.
Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.
A cet égard, le demandeur fait valoir que son placement à la maison retour serait plus adapté à sa situation personnelle.
Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à la maison retour constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d'indiquer qu'il sera présent à une audience sans qu'il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n'a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».
Il demande ensuite au tribunal de vérifier l’existence d’une possibilité d’éloignement et la diligence avec laquelle l’éloignement est poursuivi.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 : « Un demandeur ne peut être placé en rétention que :
(…) d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :
i. si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;
ii. si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et 4 l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;
iii. si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;
iv. si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;
v. si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;
vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;
vii. si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;
viii. si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;
ix. si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ;
(…) (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite ;
l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance 5 électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.
Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. (…) ».
Il y a encore lieu de relever que le paragraphe (4) de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 dispose comme suit : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. (…) ».
L’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la mesure litigieuse a été prise, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition, (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, risque de fuite qui est présumé dans les circonstances précitées, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.
L’article 22, paragraphe (3) de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii)l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.
L’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens tel que présenté par le demandeur mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et de l’effet utile s’en dégageant.
En l’espèce, le demandeur conteste tant la légalité que le bien-fondé de la décision de placement en rétention en arguant notamment qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.
Le tribunal rejoint toutefois la partie étatique dans son constat de l’existence d’un risque de fuite non négligeable dans le chef du demandeur.
En effet, force est de constater qu’il se dégage du dossier administratif que la demande de protection internationale introduite par le demandeur en Allemagne, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, aux termes de la décision ministérielle, précitée, du 25 février 2025, a déjà été examinée et rejetée par les autorités allemandes. Il échet également de relever que Monsieur (A) ne s’est pas présenté à l’entretien Dublin III du 13 février 2025 dans le cadre de la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, qu’il fait l’objet d’un signalement dans le SIS et qu’il a utilisé plusieurs identités.
Au vu de ces seules considérations, et indépendamment de la question de savoir si le demandeur a coopéré avec les services ministériels et a fait preuve d’un comportement prétendument irréprochable, question non pertinente en l’espèce, il y a lieu d’admettre qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef de celui-ci sur base des dispositions des points ii, iii, vi et ix de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est a priori à juste titre que le ministre a pris une décision de placement en rétention à son encontre.
En ce qui concerne ensuite l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.
A cet égard, et en ce qui concerne plus précisément la mesure moins coercitive prévue au point a) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement devant les services ministériels, force est de constater que celle-ci n’est pas concevable en l’espèce dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que le demandeur ne dispose pas d’un passeport en cours de validité, étant rappelé à cet égard que la remise aux services ministériels de l’original du passeport, accompagné, le cas échéant, d’un autre document justificatif de son identité, est, au vu du libellé du point a) de l’article 22, paragraphe (3) une condition sine qua non à l’application éventuelle de cette même mesure coercitive.
Quant à l’assignation à résidence telle que prévue par l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de rappeler que celle-ci n’est envisageable que si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite. Or, en l’espèce, le demandeur n’a pas fourni le moindre élément au tribunal qui serait de nature à renverser la présomption de risque de fuite non négligeable pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut de fournir le moindre élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg, respectivement quant à une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement au Luxembourg, éléments qui seraient susceptibles d’établir dans son chef l’existence de garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite non négligeable conformément à la disposition légale prémentionnée, risque de fuite, qui, tel que relevé ci-avant, est présumé dans son chef, étant encore précisé, dans ce contexte, que la maison retour ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante.
S’agissant finalement de la mesure moins coercitive prévue par le point c) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une garantie financière.
Au vu des considérations qui précèdent aucun reproche ne saurait être adressé au ministre pour ne pas avoir appliqué au demandeur l’une des mesures moins coercitives prévues par la loi.
S’agissant ensuite des contestations du demandeur que son éloignement ne serait pas exécuté avec toute la diligence requise, il échet de constater que certes aucune mesure n’a jusqu’à présent été entamée par le ministre dans l’organisation du transfert du demandeur, il n’en reste pas moins que la décision de transfert n’a été notifiée au demandeur qu’en date du 11 mars 2025, de sorte que le délai de recours n’a expiré que le 26 mars 2025.
Or, dans la mesure où en vertu de l’article 36 de la loi du 18 décembre 2015, le ministre autorise le demandeur à rester sur le territoire jusqu’à l’expiration des délais fixés pour l’exercice des recours, le ministre était légalement dans l’impossibilité de procéder au transfert du demandeur, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir mené la procédure de transfert avec la diligence requise.
Par ailleurs, et à défaut d’autres éléments, il ne saurait, à ce stade de la procédure, être valablement soutenu qu’il n’existerait pas de chances raisonnables de croire que le transfert du demandeur puisse être mené à bien.
Si le demandeur soutient encore qu’au vu de l’incompatibilité de sa situation avec un placement en rétention, son maintien au Centre de rétention serait contraire à l’article 3 de la CEDH pour être constitutif d’un traitement inhumain et dégradant, respectivement que la mesure de placement litigieuse serait disproportionnée, cette argumentation est cependant à rejeter.
En effet, le tribunal vient de retenir (i) qu’il existe dans le chef de Monsieur (A) un risque de fuite non négligeable, (ii) qu’aucune mesure moins coercitive n’est envisageable, (iii) qu’à ce stade de la procédure, aucun défaut de diligence dans l’exécution du transfert vers l’Allemagne de Monsieur (A) ne saurait être reproché au ministre et (iv) qu’il n’est pas établi qu’il n’y aurait pas de perspectives de transfert.
Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation de l’article 3 de la CEDH résultant d’une incompatibilité entre la situation du demandeur et son maintien au Centre de rétention est à rejeter.
Pour les mêmes raisons les reproches du demandeur tenant au caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse encourent également le rejet.
Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: (…) f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. (…) ».
Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-
ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acception la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays1.
Dans un arrêt du 15 décembre 20162, la Cour européenne des droits de l’Homme a encore retenu que : « (…) L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (…) ».
En l’espèce, étant donné, d’une part, que le demandeur a fait l’objet d’une décision de transfert en date du 25 février 2025 et, d’autre part, qu’il vient d’être retenu ci-avant qu’à ce stade de la procédure, aucun défaut de diligence dans l’exécution du transfert vers l’Allemagne de Monsieur (A) ne saurait être reproché au ministre, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Enfin, quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115, le tribunal précise qu’outre le fait qu’il vient d’être retenu ci-avant que la mesure de placement en rétention actuellement litigieuse est légale, de sorte qu’une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115 ne se conçoit de toute façon pas, indépendamment, par ailleurs, de la question de l’effet direct de ces 1 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826 (1er volet), et les autres références y citées.
2 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.dispositions, il y a encore lieu de relever que dans la mesure où, en l’espèce, Monsieur (A) a été placé en rétention sur le fondement de la loi du 18 décembre 2015 en sa qualité de demandeur de protection internationale faisant l’objet d’une procédure de transfert s’inscrivant dans le cadre du règlement Dublin III et non pas en qualité de ressortissant de pays tiers se trouvant en séjour illégal sur le territoire luxembourgeois et faisant l’objet d’une décision de retour vers un pays tiers sur le fondement de la loi du 29 août 2008, la directive en question n’a de toute façon pas vocation à s’appliquer. Le moyen afférent est dès lors à rejeter.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Compte tenu de l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000.- euros fondée sur l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 mars 2025 Le greffier du tribunal administratif 10