Tribunal administratif N° 48819 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48819 1re chambre Inscrit le 14 avril 2023 Audience publique du 2 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48819 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2023 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation d’une « décision implicite de refus d’autorisation prise par le MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT DU CLIMAT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, […] » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 juillet 2023 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Marc THEWES déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2023, pour compte de Monsieur (A), préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre DURAND, en remplacement de Maître Marc THEWES, et Madame le délégué du gouvernement Cathy MAQUIL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 février 2025.
Le 27 avril 2022, après avoir été informée en date du 22 avril 2022, par le chef du service autorisations auprès de l’Administration de la nature et des forêts de travaux non autorisés en cours sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Niederanven, section … de Grengewald, sous le numéro cadastral (P1), et après avoir procédé à une visite des lieux le 26 avril 2022, l’entité mobile de l’Administration de la Nature et des Forêts, proposa au ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre », de prononcer la fermeture du chantier en cours sur ladite parcelle.
Par un arrêté du 4 mai 2022, le ministre ordonna la fermeture dudit chantier et interdit toute continuation des travaux.
1Le 26 août 2022, Monsieur (A), fit introduire, par le biais de son litismandataire, auprès du ministre une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », une autorisation visant la susdite parcelle et ayant l’objet suivant : « - Remplacement d’un abri de jardin existant et ajout d’un WC (fondé sur l’article 7 (2) de la loi), sinon construction d’un nouvel abri de jardin (fondée sur l’article 6 (5) de la loi) ;
- Raccordement de l’abri de jardin au réseau d’eau et d’électricité - Installation d’un système d’arrosage automatique - Installation d’un système d’éclairage et de sécurité ».
Le 13 janvier 2023, le préposé de la nature et des forêts du Triage de Senningerberg rendit un avis favorable quant à cette demande, tandis que le chargé d’études stagiaire de l’Arrondissement de la nature et des forêts Est rendit en date du 10 février 2023 un avis défavorable.
Par courrier du 2 mars 2023, le litismandataire de Monsieur (A) rappela la susdite demande d’autorisation au ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministère ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la « décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de trois mois après que la demande introduite par le requérant le 26 août 2022 sur le fondement de la loi du 18 juillet 2018 […] ait été réputée complète […] ».
Par décision du 11 juillet 2023, le ministre fit partiellement droit à la demande d’autorisation de Monsieur (A), cette décision étant libellée comme suit :
« […] Je fais suite à votre courrier électronique du 26 août 2022 par lequel vous formulez un recours gracieux à l’encontre de la décision n°….
Remplacement de l’abri de jardin existant 1. L’abri de jardin sera remplacé sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Niederanven, section … de Grengewald, sous le numéro (P1), au lieu-dit « … », conformément au plan annexé au recours gracieux.
2. La construction ne dépassera pas une emprise au sol de 12 m2. La hauteur ne dépassera pas 3 m respectivement 2,4 m côté long-bas.
3. L’application de couleurs criardes et de matériaux reluisants sont interdits.
4. La construction sera placée à l’emplacement exact de l’ancien abri de jardin.
5. L’abri ne servira qu’à des fins jardinières (dépôt de matériel de jardin).
6. La construction ne sera pas raccordée aux réseaux publics d’eau potable, d’énergie, de canalisation et de communication.
7. Il ne sera point déversé des eaux usées, ni de l’huile ou d’autres matières susceptibles de polluer l’eau ou le sol.
L’autorisation est périmée de plein droit si, dans un délai de deux ans, le bénéficiaire n’a pas entamé la réalisation des travaux de manière significative.
L’autorisation expirera et la construction devra être enlevée dès que l’affectation autorisée aura cessé.
2 L’installation d’un système d’arrosage automatique, d’un système d’éclairage et de sécurité En ce qui concerne votre demande d’installation d’un système d’arrosage automatique, d’un système d’éclairage et de sécurité, je me permets de vous informer que ceux-ci sont à considérer comme des constructions en vertu de l’article 3, point 26 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
Par conséquent, ces installations doivent également répondre aux critères de l’article 6 pour être autorisable en zone verte. Les critères de la loi susmentionnée n’étant pas remplis, je dois réserver une suite défavorable à la mise en place de ces installations.
Installation d’un WC dans l’abri de jardin La fonction principale d’un abri de jardin est le stockage et le rangement de tout ce qui a un rapport avec le jardinage.
Étant donné qu’un WC ne remplit aucun des critères de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles pour être installé dans la zone verte et qu’aucun besoin réel n’a été démontré, je dois réserver une suite défavorable à l’installation d’un WC dans l’abri de jardin.
Installation d’une sculpture Une sculpture est considérée comme construction du moment qu’elle résulte de l’assemblage de matériaux de manière artificielle. La sculpture étant une structure artificielle est donc considérée comme construction.
De plus, le fait que la sculpture soit ancrée dans le sol ou non n’est pas pertinent au regard de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. Ainsi, dans la définition de construction, il est explicitement indiqué que les constructions sont aussi bien des aménagements, bâtiments, ouvrages et installations « incorporé ou non au sol ».
Étant donné que la sculpture ne répond à aucun des critères définis à l’article 6, je dois réserver une suite défavorable à l’installation d’une sculpture dans la zone verte.
Une autorisation pour placer la sculpture à l’extérieur de la zone verte, dans la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée n’est pas requise. Je vous invite donc à déplacer la sculpture dans la zone mixte villageoise (MIX-v) du plan d’aménagement général de la commune de Niederanven. […] ».
Dans la mesure où la loi du 18 juillet 2018 ne prévoit pas de recours au fond en la présente matière, l’article 68 de ladite loi prévoyant, au contraire, un recours en annulation, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que le recours serait devenu sans objet, étant donné qu’il aurait été introduit contre une décision implicite de refus, résultant 3du silence gardé par le ministère pendant plus de trois mois après l’introduction d’une demande d’autorisation et que la décision ministérielle du 11 juillet 2023, intervenue postérieurement, aurait remplacé la décision implicite initiale.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, à la possibilité d’une extension du recours initial à la nouvelle décision, au motif qu’une décision explicite de refus partiel n’anéantirait pas automatiquement la décision implicite de refus antérieure, d’autant plus alors que le grief invoqué par le demandeur persisterait et que la décision explicite se contenterait à apporter la motivation du refus initial.
Force est au tribunal de constater qu’il ressort des pièces et éléments du dossier administratif lui soumis que le ministre a dans sa décision du 11 juillet 2023, au moins en partie, fait droit à la demande d’autorisation de construire lui adressée par le demandeur en date du 26 août 2022 en autorisant le remplacement de l’abri de jardin existant sous certaines conditions, tout en rejetant les autres volets de la prédite demande.
Aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : « Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif. ».
L’article 4 (1) précité instaure une présomption de décision de refus non datée et non notifiée, afin de permettre à l’administré de recourir à la justice pour contester l’inaction prolongée de l’autorité compétente. Cette présomption naît à l’expiration du délai de trois mois après l’introduction de la demande et elle n’est pas limitée dans le temps, entraînant que l’administré n’est forclos dans aucun délai pour déférer aux juridictions administratives une telle décision implicite de rejet. Cette présomption est toutefois anéantie par l’émission, même après l’expiration du délai de trois mois suite au dépôt de la demande, d’une décision expresse statuant sur la demande en cause par l’autorité compétente, laquelle doit alors être considérée comme traduisant seule la position de l’autorité compétente sur la demande lui soumise.
Partant, un recours dirigé contre le silence de l’administration du fait par celle-ci de ne pas avoir pris de décision expresse dans un délai de trois mois à partir de l’introduction de la demande doit a priori être déclaré irrecevable si, après l’expiration de ce délai, l’autorité à qui la demande a été adressée, a pris une décision expresse en réponse à celle-ci1.
En l’espèce, il échet de constater qu’alors même qu’au jour de l’introduction du recours sous examen, à savoir en date du 14 avril 2023, le ministre n’avait pas encore pris position par rapport à la demande lui soumise par courrier précité du demandeur du 26 août 2022, une décision de sa part est intervenue en cours d’instance contentieuse en date du 11 juillet 2023, donnant d’ailleurs partiellement satisfaction au demandeur.
Il s’ensuit, en application des considérations qui précèdent, que le recours sous examen a perdu son objet, de sorte qu’il encourt le rejet.
1Trib adm., 10 juillet 2006, nos 20681, 20682 et 20683 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 427 et les autres références y citées.
4Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation de la partie étatique dans son mémoire en duplique, ayant trait à la possibilité d’une extension de l’objet du recours, par simple voie de conclusions, à la nouvelle décision du 11 juillet 2023.
En effet, et au-delà de toutes autres considérations, le tribunal relève que la théorie de l’acte confirmatif, dont le délégué du gouvernement sollicite l’application dans ce contexte, n’a vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’autorité administrative a pris une décision nouvelle qui apporte tout au plus de simples changements « cosmétiques » à la décision initiale, ce qui n’est cependant pas le cas en l’espèce. Il convient, à cet égard, de rappeler qu’en principe, une décision négative fictive, telle que la décision implicite de refus faisant l’objet du recours sous analyse, perd sa consistance par le fait même de la prise d’une décision explicite. Il en est nécessairement ainsi lorsque le contenu de la décision expresse diffère de celui de la décision implicite initiale, par exemple, dans l’hypothèse, vérifiée en l’espèce, d’une décision implicite de rejet de l’intégralité de la demande de l’administré suivie d’une décision expresse faisant partiellement droit à la demande de l’intéressé, laquelle ne saurait être qualifiée d’acte confirmatif de la décision initiale. Il s’ensuit qu’en l’espèce, seule la décision ministérielle expresse du 11 juillet 2023 subsiste, laquelle doit être considérée comme traduisant seule la position du ministre sur la demande lui soumise.
Nonobstant le caractère sans objet du recours, il appartient encore au tribunal de toiser la demande d’indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros formulée par le demandeur, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».
En effet, une demande en obtention d’une indemnité de procédure n’est pas atteinte par les effets de la disparition de l’objet du recours, dès lors que ladite demande, procédant d’une cause juridique particulière et autonome, à savoir l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, a une individualité propre et doit être toisée à la demande du demandeur. Ainsi, la renonciation au recours, respectivement la disparition de l’objet du recours ne rend pas le demandeur non recevable à réclamer une telle indemnité2.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’octroi d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000 euros, au motif que sa demande serait restée sans réponse de la part du ministre et qu’il aurait, dès lors, pour obtenir la décision du 11 juillet 2023, dû introduire le présent recours.
Le délégué du gouvernement conteste, quant à lui, l’indemnité sollicitée tant dans son principe que dans son quantum.
Le tribunal relève que le fait même qu’un administré ait été obligé d’introduire un recours contentieux pour connaître le motif du refus implicite lui opposé ou pour obtenir une décision explicite faisant droit à ses prétentions ou bien les rejetant de manière motivée lui cause un préjudice qui fait naître dans son chef le droit à se faire allouer une indemnité de procédure destinée à compenser les frais engendrés par l’obligation de recourir à un avocat 2Trib. adm., 15 juillet 2015, n° 34244 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1309 et les autres références y citées.
5pour introduire un recours juridictionnel dont il aurait pu, le cas échéant, se dispenser si l’administration avait agi de manière plus diligente3.
Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue, ainsi que du fait, d’une part, que le demandeur a été obligé d’agir en justice, sous l’assistance d’un avocat à la Cour, et, d’autre part, que la décision ministérielle du 11 juillet 2023 est intervenue de manière indéniablement tardive, à savoir plus de dix mois après la demande soumise au ministre par le courrier précité du 26 août 2022 et presque trois mois après l’introduction du recours sous examen, sans que la partie étatique ne fournisse une explication de cette tardivité, le tribunal retient qu’il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il y a lieu d’évaluer ex aequo et bono l’indemnité à allouer au demandeur à un montant de 800 euros.
Pour les mêmes raisons, les frais et dépens de l’instance sont à supporter par l’Etat.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours sans objet, partant le rejette ;
condamne l’Etat à payer au demandeur un montant de 800 euros à titre d’indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 3 Cour adm. 7 octobre 2010, n° 26555C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1311 et l’autre référence y citée.