Tribunal administratif N° 49296 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49296 1re chambre Inscrit le 11 août 2023 Audience publique du 2 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49296 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2023 par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juillet 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aminatou KONÉ, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Brice CLOOS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2025.
Le 20 août 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 12 janvier, 1er février et 21 février 2022, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
1 Par décision du 12 juillet 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 19 juillet 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 20 août 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche de motifs manuscrite du 20 août 2021, votre rapport d’entretien « Dublin III » du 20 août 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 août 2021 et du 29 juin 2023 et votre rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 janvier, 1er et 21 février 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.
Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né … à … au Cameroun, de nationalité camerounaise, de confession chrétienne et d’ethnie Bamiléké. Vous seriez originaire du quartier … à … où vous auriez vécu avec vos parents jusqu’à leur divorce puis avec votre père, sa nouvelle épouse et leurs deux enfants alors que votre mère serait partie s’installer en Suisse dès 2001 jusqu’à votre départ du Cameroun en janvier 2006.
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous indiquez avoir quitté votre pays d’origine car vous auriez été persécuté en raison de votre orientation homosexualité, respectivement de votre bisexualité, que vous auriez découverte en 1996 à l’âge de … ans.
De manière générale, vous rapportez que vous seriez issu d’une famille dont les membres seraient ancrés dans les coutumes traditionnelles et conservatrices de sorte qu’ils n’auraient pas toléré la révélation de votre orientation sexuelle et vous auraient par conséquent « banni, rejeté et humilié » (fiche manuscrite). Vos deux demi-frères vous auraient par ailleurs empêché de toucher à l’héritage de votre père décédé en 2011, vraisemblablement en raison de votre orientation sexuelle.
Vous indiquez également que vous auriez été « violenté », « tapé », « injurié », « battu à mort », « menacé de mort » et « torturé » (p.11/24 du rapport d’entretien) continuellement de 1996 jusqu’à 2005, notamment par des jeunes du quartier …, respectivement la « bande à (B)» (p.13/24 du rapport d’entretien), à savoir un de vos voisins qui aurait eu connaissance de votre orientation sexuelle.
2En l’occurrence, vous retenez particulièrement votre hospitalisation du 31 décembre 1999 découlant d’une agression homophobe dont vous auriez été victime après avoir été battu violemment par ces jeunes de votre quartier, alors que vous vous seriez retrouvé dans une boîte de nuit à … avec votre ami (C). Votre mère, à qui vous auriez dévoilé votre bisexualité en 1996, se serait rendue à un poste de police pour déposer une plainte pour votre compte, mais la police n’aurait pas réagi à ses dénonciations au motif qu’elle « ne gérait pas ce genre de plainte » (p.13/24 du rapport d’entretien). Vous précisez que vous n’auriez pas envisagé d’entreprendre une telle démarche personnellement car vous auriez redouté que la police « aurait su que j’étais homosexuel (…) Un délit de faciès aurait suffi » (p.14/24 du rapport d’entretien) et que, connaissant la mentalité camerounaise « concernant l’homosexualité », vous auriez su d’avance que la « police n’aurait pas pris ma plainte » (p.13/24 du rapport d’entretien).
Vous mentionnez aussi une autre agression homophobe datant de 2004 au cours de laquelle vous auriez été agressé sur le marché d’… probablement par les mêmes jeunes de la « bande à (B)». Ils vous auraient pris à partie, vous auraient insulté avant de s’en prendre à vous physiquement. Alertés par cette rixe, les commerçants auraient contacté la police qui serait intervenue et se serait emparée de vous « au lieu de les prendre eux » (p.14/24 du rapport d’entretien). Accusé d’un « délit d’homosexualité » (p.14/24 du rapport d’entretien) après que les jeunes agresseurs auraient dénoncé votre orientation sexuelle à la police, vous auriez été placé en garde à vue pendant deux semaines. Vous auriez été libéré après le versement de « deux millions de francs » (p.20/24 du rapport d’entretien) à la police par votre mère et vous indiquez que votre dépôt de plainte n’aurait pas été pris en compte « à cause de mon statut d’homosexuel » (p.20/24 du rapport d’entretien).
Monsieur, vous auriez par la suite rencontré sur internet en 2005 une ressortissante française dénommée (D). Elle serait venue vous visiter au Cameroun et, estimant qu’elle représenterait « un tremplin pour moi » et une « opportunité » (p.4/24 du rapport d’entretien) pour vous permettre de quitter votre pays d’origine, vous l’auriez épousée en juin 2005.
Partant, vous seriez devenu éligible pour le regroupement familial et vous auriez obtenu un visa au consulat français de … vous permettant de quitter le Cameroun en janvier 2006 pour rejoindre votre épouse à … en France.
Six mois après votre arrivée en France, vous auriez commencé à fréquenter secrètement des bars gays, comme le « … » à …. Vous précisez qu’au fil des années vous y seriez devenu un client habituel puisque « j’y allais deux, trois fois par mois, les weekends principalement » (p.5/24 du rapport d’entretien). En même temps, et pendant vos quatre années de mariage avec (D), vous lui auriez dissimulé votre attirance pour les hommes. Vous reconnaissez que « si elle l’avait appris, elle aurait refusé de m’épouser » (p.17/24 du rapport d’entretien) et vous auriez redouté l’impact négatif que cela aurait éventuellement pu avoir sur votre situation administrative en France, respectivement que vos « papiers ne soient pas renouvelés » (p.17/24 du rapport d’entretien). Le 3 août 2007, elle aurait donné naissance à votre fils (E) et votre relation aurait progressivement commencé à se dégrader car vous ne vous seriez plus senti « dans ma peau avec elle » (p.16/24 du rapport d’entretien). En 2008, après avoir obtenu un titre de séjour valable pendant dix années, vous vous seriez séparé de votre épouse puis vous auriez officialisé votre divorce en 2010.
Au cours de cette même année 2010, vous vous seriez battu dans le bar … « avec des mecs, des Africains » (p.17/24 du rapport d’entretien) après que ceux-ci vous auraient provoqué en vous blâmant de côtoyer les soirées du bar gay « … ». Une plainte aurait été porté 3contre vous et que les autorités françaises vous auraient interpellé et condamné à six mois de prison avec sursis pour trouble à l’ordre public et des faits de violence.
Vous auriez également débuté une nouvelle relation avec une femme de nationalité française dénommée (F) et qui aurait donné naissance à votre second enfant le 13 décembre 2010, la dénommée (G). Vous vous seriez ensuite marié en 2013, mais vous avancez que votre relation n’aurait pas perduré étant donné qu’elle aurait appris au cours de la même année que vous fréquentiez des bars gays, suite à des dénonciations de personnes ayant participé à votre mariage. De plus, elle aurait découvert hasardeusement que vous êtes atteint du sida en consultant vos médicaments alors que vous auriez été conscient de votre séropositivité dès 2012 suite à un contrôle de routine à l’hôpital de …. Votre divorce avec (F) aurait été officialisé en janvier 2019.
En 2013, vous auriez par ailleurs surpris votre épouse chez vous avec un autre homme.
Cela vous aurait mis « hors de moi. J’ai tapé les deux avec les points » (p.18/24 du rapport d’entretien). Partant, (F) aurait déposé une plainte contre vous et le tribunal correctionnel de … vous aurait condamné pour violences conjugales à deux ans de prison, de 2013 à 2015, à la maison d’arrêt de …. En 2017, vous seriez retourné au Cameroun en ayant pour objectif d’aller vous recueillir sur la tombe de votre père décédé en 2011 à …. Toutefois, à votre arrivé à …, lorsque vous vous seriez rendu sur le parking de l’aéroport, vous seriez tombé sur « des personnes qui connaissaient ma famille », respectivement « des amis à mes demi-frères » (p.9/24 du rapport d’entretien) qui vous auraient directement adressé des insultes homophobes. Vous auriez tout de même réussi à prendre un taxi et à vous rendre à votre hôtel à … où vous seriez resté « caché » (p.9/24 du rapport d’entretien) sans avoir l’occasion de vous rendre à … auprès de la tombe de votre père.
Monsieur, en 2019, les autorités françaises auraient décidé de ne pas renouveler votre titre de séjour. Dès le 20 juin 2019, vous avez été sous le coup d’un arrêté portant expulsion du territoire français contre laquelle vous avez interjeté appel devant le Tribunal administratif de … le 7 août 2019, mais en vain, de sorte que vous avez décidé de quitter la France pour le Luxembourg, en faisant un détour d’un mois par la Suisse. Vous n’auriez pas introduit une demande de protection internationale en France au motif que « j’ai demandé une régularisation à cause de ma maladie sachant que celle-ci a été rejetée, je n’ai pas vu comme solution de demander l’asile en France » (p.5/7 du rapport Dublin III).
En cas de retour au Cameroun, vous craindriez d’être tué en raison de votre orientation sexuelle. De plus, vous redouteriez de ne pas pouvoir bénéficier du traitement médical adéquat requis en tant que personne infectée par le VIH.
À l’appui de votre demande, vous présentez les documents suivants :
− une photocopie de votre passeport camerounais émis en date du 10 septembre 2018 à l’ambassade du Cameroun à … et valide jusqu’au 10 septembre 2023 ;
− une photocopie de votre acte de naissance délivré au Cameroun ;
− une photocopie de l’acte de mariage avec (D) émis le 11 janvier 2006 par le consul général de France et attestant dans ses mentions marginales votre divorce en 2010 ;
− une photocopie de l’acte de mariage avec (F) émis le 12 janvier 2013 et attestant dans ses mentions marginales votre divorce en 2019 ;
4− une photocopie de votre appel devant le Tribunal administratif de … en date du 7 août 2019 dans lequel vous vous opposez à l’arrêté portant votre expulsion du territoire français ;
− trois feuilles que vous avez jointes à votre fiche manuscrite le jour de l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 20 août 2021 et sur lesquelles vous racontez votre vécu en répondant à des questions auto-posées relatives à votre sexualité ;
− une ordonnance médicale émise le 13 octobre 2021 attestant que vous êtes séropositif ;
− une ordonnance médicale délivrée le 11 janvier 2022 attestant que le médecin généraliste … vous aurait examiné et relevé des cicatrices au niveau de votre colonne dorsale et à votre cuisse gauche.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement il convient de mentionner que suivant l’article 2 p) de la Loi de 2015, une demande de protection internationale est à analyser par rapport au pays d’origine du demandeur, c’est-à-dire le pays dont vous possédez la nationalité, ce qui dans votre cas est le Cameroun.
Ensuite, il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015.
Par conséquent, Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :
Premièrement, il ressort des informations partagées par le Service de Police Judicaire que vous possédez un large éventail d’antécédents judiciaires en France datant de 2007 à 2020 et que vous avez minimalisé leur révélation dans le cadre de votre entretien ministériel.
En effet, le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 août 2021 indique que vous seriez « très défavorablement connu » par les autorités françaises puisque vous êtes mis en cause dans des procédures telles que « violences, viol, agressions sexuelles, recel de vol, escroquerie, conduite sans assurance, enlèvement, séquestration, … ».
5 Interrogé par l’agent ministériel quant à ces diverses suspicions d’infractions commises, vous cherchez vraisemblablement à minimiser leur ampleur et leur gravité en expliquant qu’« Hormis la violence, de tout ce qui est inscrit, je ne connais pas » (p.18 du rapport d’entretien). Vous reconnaissez commodément que vous auriez été l’auteur d’actes violents, notamment en 2010 et en 2013, respectivement suite à une bagarre qui aurait éclaté après que vous auriez prétendument été ciblé par des insultes homophobes dans le bar … et suite à des violences conjugales après que vous auriez surpris votre épouse (F) avec un autre homme ; actes violents qui auraient débouché sur votre emprisonnement pendant deux années dans la maison d’arrêt de … de 2013 à 2015. Néanmoins, vous déniez implicitement le fait que vous auriez été mis en cause par les autorités françaises d’un viol, d’agressions sexuelles, d’un recel de vol, d’escroqueries, d’une conduite sans assurance, d’un enlèvement ou d’une séquestration.
Or, il ressort des informations complémentaires demandées par le Service de Police Judiciaire aux autorités françaises en date du 29 juin 2023 que les diverses infractions précitées ne sont pas infondées de sorte qu’il est irraisonnable que vous puissiez prétendre ne pas en avoir connaissance. En effet, les autorités françaises ont partagé une liste énumérant les multiples infractions pour lesquelles vous avez été mis en cause en l’espace d’une quinzaine d’années : en 2007 vous avez été mis en cause dans la destruction ou détérioration importante du bien d’autrui et de violence sur dépositaire de l’ordre public, en 2009 vous avez été mis en cause à deux reprises de viol, à deux reprises de violence ayant entrainé une incapacité de travail ainsi qu’à une reprise de violence sur conjoint/ex-conjoint, en 2012 vous avez été mis en cause d’un enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, en 2013 vous avez été accusé d’une violence sur conjoint/ex-conjoint, en 2016 vous avez été mis en cause d’un recel de bien provenant d’un vol et en 2020 d’une circulation sans assurance et d’une non justification de votre adresse alors que vous êtes enregistré dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles.
Des renseignements additionnels révèlent par ailleurs que les victimes des deux viols répertoriés en 2009 étaient de sexe féminin.
Ainsi, nul doute ne peut subsister quant au fait que vous avez délibérément cherché à minimiser l’envergure des accusations émises contre vous en France dans le cadre de votre entretien en ne faisant référence qu’à l’irréfutable, en l’occurrence votre peine d’emprisonnement de deux années entre 2013 et 2015 dont vous vous seriez certainement douté que les autorités luxembourgeoises en seraient informées. Par conséquent, prenant en compte la nature virulente de ses multiples infractions ainsi que votre attitude sournoise et perfide dans le cadre de votre entretien, il appert que vous êtes visiblement capable d’inventer des récits de toutes afin d’arriver à vos fins. Partant, il est évident que la crédibilité de votre prétendue bisexualité, unique motif invoqué dans le cadre de votre demande de protection internationale, doit être irrémédiablement remise en doute.
Deuxièmement, il est évident que votre prétendue bisexualité n’est qu’un subterfuge fallacieux que vous avez utilisé afin d’augmenter la probabilité de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg, respectivement de trouver une alternative administrative vous permettant de régulariser votre situation dans l’espace Schengen, alors que le renouvellement de votre titre de séjour en France a été refusé et que vous avez été sous le coup d’une procédure d’expulsion vraisemblablement en raison de vos antécédents judiciaires.
6Ce constat du caractère mensonger de votre récit, respectivement de votre attirance pour les hommes, se base tout d’abord sur les informations issues de votre appel devant le Tribunal administratif de Rennes en date du 7 août 2019 contre l’arrêté du 20 juin 2019 par lequel le Préfet du Finistère ordonne votre expulsion du territoire français.
Il convient avant tout de relever que vous avez, et ce probablement de manière intentionnelle, versé à la Direction de l’immigration uniquement votre appel contre l’arrêté portant votre expulsion du territoire français et non pas le jugement du Tribunal administratif de … qui en aurait suivi. Ainsi, en simulant un semblant de transparence en remettant un tel document, vous dissimulez en réalité une partie de cette procédure judiciaire en ne présentant que la ligne de défense de votre avocat qui vous présente, en tant que client, sous un angle élogieux. En effet, si l’on s’en tient à sa partialité, vous auriez certes « un passé pénal », mais « depuis les 6 dernières années, plus aucun acte délictueux ne lui est reproché ! En effet, depuis novembre 2013, aucun acte contraire à l’ordre public n’a été commis par ce dernier ». Or, il est évident que cet argument fallacieux a très certainement été rejeté dans le jugement du Tribunal administratif de Rennes sachant que vous auriez encore été mis en cause pour le recel de biens provenant d’un vol en 2016.
Il y a surtout lieu de relever qu’il ne ressort nullement de votre appel du 7 août 2019 que vous seriez bisexuel, au contraire. Premièrement, il convient de soulever que votre avocat explique que « Depuis 2016, il vit avec une compagne » (p.8/12 de l’appel). Sans fournir des détails quant à l’identité de cette « compagne », il est néanmoins certain que votre avocat ne s’est pas référé aux deux mères de vos enfants car non seulement il l’aurait sans doute mentionné puisque cela aurait été un argument en votre faveur, mais de plus, vous déclarez dans votre entretien que vous n’auriez plus été en relation avec (D) dès 2010 et avec (F) dès 2013. Partant, il convient de constater que vous auriez donc eu en France une troisième relation avec une femme et que vous avez ostensiblement cherché à cacher cette relation au Ministère de l’immigration pour minimiser l’étendue du nombre de vos relations hétérosexuelles, respectivement limité à deux irréfutables, pour ainsi laisser planer un doute quant à la possibilité que vous auriez des penchants homosexuels. Or, Monsieur, ce comportement ne fait que confirmer le fait que vous ne jouez pas franc jeux et que vous cherchez à manipuler la décision relative à votre demande de protection internationale dans un sens qui vous est favorable. Deuxièmement, sachant que l’objectif principal de cet appel consistait à annuler votre expulsion du territoire français et, par extension, d’éviter le fait que vous seriez « reconduit au Cameroun dans un délai très bref » (p.3/12 de l’appel), il est aberrant de constater que votre avocat n’a pas utilisé l’argumentaire de votre orientation sexuelle alors que celui-ci aurait largement été en votre faveur. En d’autres termes, le fait qu’il n’existe aucune mention de votre bisexualité dans cet appel, et donc des supposés risques que vous pourriez encourir en cas de retour au Cameroun, alors qu’il se serait agi pour vous d’un argument solide, contribue à fortement remettre en doute les déclarations que vous émettez à la Direction de l’immigration luxembourgeoise.
Troisièmement, il appert à la lecture de votre rapport d’entretien que vous avez vraisemblablement cru que les autorités luxembourgeoises allaient prendre pour argent comptant votre orientation bisexuelle et que vous ne vous êtes par conséquent aucunement efforcé de fournir des détails et exemples cruciaux pour étayer vos déclarations ou de verser une quelconque preuve pour les appuyer. Ainsi, votre prétendue homosexualité ne repose que sur vos propres allégations tandis que votre hétérosexualité se trouve corroborer par une série de preuves tangibles telles que les photocopies de votre acte de mariage avec la dénommée (D) et (F), la mention d’une « compagne » dans votre appel contre l’arrêté portant votre 7expulsion ou encore les informations partagées par les autorités françaises indiquant que vous auriez été mis en cause de viols sur des femmes. Or, justement, le volet de votre récit ayant trait à votre homosexualité n’est manifestement pas crédible alors que vos allégations y afférentes sont très générales, vagues et impersonnelles, voire incohérentes, ce qui ne sauraient refléter l’état d’une personne qui est réellement homosexuelle.
Le constat du caractère fictif de votre facette homosexuelle s’impose alors qu’il ne ressort à aucun moment de la lecture de votre entretien ministériel que vous auriez eu une relation amoureuse ou sexuelle avec un homme au cours de votre vie, tout comme vous n’avez pas décrit une quelconque anecdote ou histoire personnelle que vous auriez vécu et partagé avec un amant, que ce soit au Cameroun de 1996 à 2006 ou en France de 2006 à 2020. Or, compte tenu que votre orientation sexuelle, respectivement votre attirance pour les hommes, constitue votre unique motif à l’appui de votre demande de protection internationale et que vous étiez libre de développer à votre guise votre témoignage dans le cadre de votre entretien, l’absence complète de la mention d’une telle relation, anecdote ou histoire personnelle représente un élément préjudiciable pour votre crédibilité. À noter que les déclarations générales et sans valeur ajoutée, issues des trois feuilles que vous avez rédigées au préalable de l’introduction de votre demande de protection internationale et versées avec votre fiche manuscrite, sur lesquelles vous prétendez brièvement que vous auriez atteint l’orgasme pour la première fois en ayant un rapport sexuel avec un homme ne sauraient chambouler ce constat.
Puis, il ressort des trois feuilles rédigées par vous-même, que vous avez versées avec votre fiche manuscrite lors de l’introduction de votre demande de protection internationale le 20 août 2021, que vous n’auriez jamais eu l’occasion de procéder à un coming-out au Cameroun puisque votre famille en aurait été informée par des rumeurs qui auraient circulé :
« Je n’ai jamais fait de coming-out, car ma famille ayant été au courant de ma sexualité par les rumeurs, m’ont (sic) banni, rejeté et humilié ». Vous rompez néanmoins avec cette version dans le cadre de votre entretien puisque vous vous contredisez en expliquant que votre mère aurait eu connaissance de votre orientation sexuelle après que vous la lui auriez dévoilée en 1996 à l’âge de … ans : « Je le lui ai dit. J’avais un peu près … ans. C’était en 1996» et «Je lui ai dit que j’étais attiré par les deux sexes. Que j’aimais les femmes, mais que ça ne me dérangeait pas d’aller avec les hommes » (p.13/24 du rapport d’entretien). Or, il existe indéniablement une différence entre ces deux cas de figure de sorte que leur incompatibilité effrite sérieusement la crédibilité accordée à votre récit : l’expérience du « outing », respectivement le fait que votre orientation sexuelle aurait été révélée à votre famille sans votre consentement par le biais de rumeurs n’est pas une expérience similaire à celle du « coming out », respectivement le fait que vous auriez dévoilé volontairement votre orientation sexuelle à votre famille. De plus, en prenant en compte le fait que la révélation de sa bisexualité à des membres de famille, qu’elle soit volontaire ou involontaire, représente une étape émotionnellement marquante dans la vie d’un individu, il est d’autant plus compromettant pour votre crédibilité que vous n’êtes pas en mesure d’en garder une version inchangée, respectivement que vos deux versions précitées soient incompatibles.
Ensuite, en ce qui concerne les supposés actes de persécutions dont vous auriez prétendument été victime au Cameroun de 1996 à 2005, en l’occurrence par des jeunes de la « bande à (B)» (p.13/24 du rapport d’entretien), force est de constater que vous êtes dans l’incapacité de fournir des explications rationnelles, voire cohérentes et crédibles, sur la manière dont ceux-ci auraient été renseignés sur votre orientation sexuelle. En effet, après avoir déclaré formellement que « Ces jeunes-là savaient que j’étais homosexuel » (p.12/24 du 8rapport d’entretien), l’agent ministériel vous demande comment vous êtes en mesure de pouvoir admettre une telle possibilité, et vous répondez qu’ils l’auraient appris par le biais d’(B). Interrogé sur la manière dont ce dernier aurait été au courant de votre orientation sexuelle, vous êtes dans l’incapacité de donner une réponse sensée et détaillée puisque vous avancez qu’« (B) me voyait passait tout le temps dans le quartier », puis « On était tous des voisins » (p.12/24 du rapport d’entretien). Or, Monsieur, il va de soi que le simple fait d’être le voisin d’un individu ne permet en rien de connaître des informations personnelles à son égard, telles que son orientation sexuelle, de sorte que votre explication n’est pas à percevoir comme étant suffisamment plausible pour vous accorder de la crédibilité.
Finalement, alors que vous tentez de faire croire que vous auriez été persécuté dès le dévoilement de votre bisexualité en 1996, et que vous auriez notamment été violenté en 1999 et en 2004, force est de constater que vous seriez encore resté pendant une dizaine d’année dans votre pays d’origine, respectivement jusqu’à l’obtention d’un visa pour la France en 2006, année durant laquelle vous auriez été éligible pour un regroupement familial demandé par votre épouse française (D). Or, il est suspicieux de noter que vous seriez resté encore autant d’années dans votre pays d’origine au vu des prétendues persécutions dont vous auriez été victime dès 1996 et que vous n’auriez pris l’initiative de quitter votre pays qu’après l’obtention d’un visa français, et ce vraisemblablement pour des motifs de convenance personnelle et non pas en raison de prétendues persécutions. Le fait que vous prétendez que vous n’auriez pris la décision de quitter votre pays d’origine qu’en 2004, respectivement après l’agression homophobe dont vous auriez supposément été sujet au marché d’…, ne saurait chambouler ce constat puisque vous auriez encore pris plus de deux années pour quitter votre pays d’origine.
Quatrièmement, le constat du caractère fictif de votre prétendue homosexualité, respectivement de votre bisexualité, et des craintes qui en découleraient se trouve corroboré par le fait que vous seriez retourné volontairement dans votre pays d’origine vers « fin 2017» et ce pendant « deux semaines » (p.8/24 du rapport d’entretien).
Tout d’abord, il est important de souligner qu’un tel comportement ne reflète aucunement celui d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves. En effet, une personne réellement en danger aurait comme seul but de rester en sécurité dans un pays où elle aurait trouvé refuge et certainement pas de retourner dans son pays d’origine où elle aurait prétendument été persécutée. Partant, il n’est pas crédible que vous redouteriez qu’en cas de retour au Cameroun : « Avec mon statut d’homosexuel, on va me tuer dans un coin de la rue » (p.20/24 du rapport d’entretien) ou que des membres de votre famille vous aurait « promis la mort s’y j’osais remettre les pieds au Cameroun » conformément à vos explications issues des trois feuilles annexées à votre fiche de motifs manuscrite.
Nonobstant le fait que vous déclarez initialement que vous auriez effectué ce voyage dans un contexte de « vacances » (p.4/8 du rapport d’entretien Dublin III), vous expliquez dans le cadre de votre entretien ministériel que vous auriez eu pour ambition d’aller vous recueillir sur la tombe de votre père décédé en 2011. Questionné sur la raison pour laquelle vous auriez attendu plus de six ans pour le faire, vous répondez que vous auriez espéré que la situation s’améliore au Cameroun, respectivement de « Voir si les lois au Cameroun allaient changer par rapport à l’homosexualité » (p.8/24 du rapport d’entretien). Néanmoins, cette justification insensée ne saurait emporter conviction puisque le Cameroun n’a aucunement modifié sa législation à cet égard durant cette période de six années de sorte que vous auriez en réalité 9encouru les mêmes prétendus risques que si vous étiez retourné à une date antérieure à 2017.
Or, le fait que vous n’avez toutefois pas hésité à y retourner en 2017, en dépit d’une situation inchangée, démontre implicitement que vous n’auriez en réalité pas craint pour votre sécurité en raison de votre supposé bisexualité.
Invité à décrire votre séjour de deux semaines au Cameroun, vous expliquez que vous auriez atterri à …, que vous seriez passé par la douane et que vous vous seriez rendu sur le parking de l’aéroport sur lequel des personnes vous auraient reconnu puis directement insulté : « Ils se sont mis à crier, c’est un pédé, rentre en France » (p.9/24 du rapport d’entretien).
Vous auriez réussi à prendre un taxi pour vous rendre à votre hôtel à … dans lequel vous auriez décidé de rester « caché » (p.9/24 du rapport d’entretien) dans votre chambre jusqu’à la fin de votre séjour de sorte que vous ne seriez pas allé vous recueillir sur la tombe de votre père à ….
Or, il convient de percevoir ces faits comme n’étant pas crédibles et de les interpréter comme étant une tentative malhonnête de votre part pour démontrer qu’un retour au Cameroun représenterait un danger pour votre intégrité physique. En effet, il paraît improbable que des personnes, qui « devait être des gens qui vivaient à …, donc des voisins » (p.9/24 du rapport d’entretien) ou « forcément des amis à mes demi-frères » dont vous en auriez éventuellement « reconnu certains » (p.9/24 du rapport d’entretien), se seraient par pure coïncidence trouvés à …, donc à plus de 250 kilomètre de …, sur le parking de l’aéroport au moment de votre arrivée et vous auraient directement reconnu et insulté, et ce plus de dix ans après votre départ du Cameroun. En d’autres termes, il appert que vous êtes dans l’incapacité de décrire de manière inchangée et cohérente l’identité de ces personnes puisque vous émettez d’abord des suspicions puis des certitudes alors que vous auriez été en exil depuis une dizaine d’années -
et que cette altercation se serait déroulée dans un concours de circonstances dont la probabilité est en réalité très faible, voire nulle, de sorte qu’il convient de contester son authenticité.
Cinquièmement, il n’est aucunement crédible que votre famille vous aurait rejeté après avoir appris votre orientation sexuelle, respectivement votre attirance pour les hommes, et vous aurait menacé de mort en cas de retour dans votre pays d’origine.
En effet, il ressort de la lecture des trois feuilles annexées à votre fiche de motifs manuscrite que vos membres de famille, tant du côté maternel que paternel, vous auraient rejeté après la révélation de votre orientation sexuelle. En effet, vous indiquez qu’ils vous auraient « banni, rejeté et humilié » à tel point qu’ils vous auraient « promis la mort s’y j’osais remettre les pieds au Cameroun ». Néanmoins, il convient de sérieusement relativiser votre supposé rejet par votre famille et leurs menaces de mort alors que vous n’en faites aucunement allusion dans le cadre de votre entretien ministériel. Au contraire, il appert plutôt que vous auriez continué à être accepté et soutenu par votre famille après la révélation de votre orientation sexuelle en 1996. En effet, ce constat se base par exemple sur le fait que votre mère se serait rendue à une poste de police afin d’y déposer une plainte pour votre compte suite à votre hospitalisation qui aurait découlé des faits violents dont vous auriez été victime en date du 31 décembre 1999 ou sur le fait que vous l’auriez vraisemblablement visitée pendant votre séjour d’un mois à … en Suisse en 2021, à savoir son lieu de résidence, avant de rejoindre le Luxembourg. Le même constat s’impose pour votre père puisque vous seriez resté vivre avec lui dans votre domicile familial jusqu’à votre départ du Cameroun en janvier 2006, domicile qu’il aurait par ailleurs personnellement souhaité vous léguer après son décès en 2011 :
10« c’était voulu de mon père que je récupère la maison, et que je m’occupe de mes frères » (p.8/24 du rapport d’entretien).
Monsieur, vous évoquez certes, de manière fébrile et vague, des difficultés relationnelles avec vos deux demi-frères, mais rien ne permet de retenir de vos déclarations que celles-ci seraient liées à votre orientation sexuelle. Il ressort plutôt de vos dires que ces difficultés seraient issues d’un différend familial relatif à un conflit d’héritage.
Par ailleurs, il n’est pas crédible que des membres de votre famille vous auraient menacé de mort « s’y j’osais remettre les pieds au Cameroun » en raison de votre attirance pour les hommes puisque vous auriez quitté le Cameroun quelques mois après votre mariage avec Madame (D), donc en tant qu’homme pouvant être perçu comme hétérosexuel et qui aurait été ramené « dans le droit chemin » conformément à vos dires issus des trois feuilles annexées à votre fiche de motifs manuscrite. À cet égard, il y a lieu de soulever que vous auriez célébré ce mariage, financé par votre mère alors qu’elle se trouvait en Suisse, en compagnie de membres de votre famille, comme par exemple votre père, votre oncle et votre tante, de sorte qu’il n’est pas crédible que vous auriez été complètement rejeté par votre famille et que ses membres vous auraient menacé de mort en cas de retour dans votre pays d’origine.
Sixièmement, il ressort des informations obtenues par les autorités françaises et des recherches ministérielles que la partie de votre récit faisant allusion à votre bagarre dans le bar … en 2010 n’est aucunement crédible.
Pour rappel, Monsieur, vous avez avancé dans le cadre de votre entretien que vous auriez été jugé en 2010 après avoir été accusé de coups et blessures à la suite d’une bagarre qui auraient éclaté au bar … au cours de la même année. Vous précisez que l’origine de cette bagarre aurait découlé d’une provocation homophobe : « l’un des Africains m’a dit qu’il m’avait vu dans le bar des gays « … ». De là est parti l’engueulade, car j’ai commencé à nier » (p.17/24 du rapport d’entretien).
Avant tout autre développement, les informations reçues en date du 29 juin 2023 par les autorités françaises mentionnent que vous auriez, entre autres, été mis en cause d’actes de violence ayant entrainé une incapacité de travail en 2009, mais d’aucune infraction au cours de l’année 2010. Or, étant donné que vous admettez que votre rival du bar … se serait présenté après cette bagarre aux autorités françaises et qu’il aurait « dit que je l’avais agressé. Coups et blessures, il avait eu des jours d’incapacité de travail (ITT) » (p.17/24 du rapport d’entretien), il appert que vous avez vraisemblablement daté erronément cette prétendue bagarre en 2010 au lieu de 2009.
Partant, il convient de soulever que ce changement d’année à son importance puisque la création du bar … remonte au 25 décembre 2010 de sorte qu’il n’est aucunement crédible que les actes de violence qui vous sont reprochés par les autorités françaises en 2009 soient liés à une dispute qui aurait éclaté dans ce bar après que vous auriez prétendument été la cible d’une provocation homophobe.
En dehors de cette information compromettante pour votre crédibilité, il y a lieu de noter que même vos déclarations relatives à cet évènement ne sauraient emporter conviction compte tenu de vos incohérences multiples soulevées dans votre rapport d’entretien. En effet, vous êtes dans l’incapacité de maintenir une version inchangée sur le nombre de personnes avec lesquelles vous vous seriez battu puisque vous prétendez d’abord qu’il se serait agi de 11plusieurs individus : « Comme ils savaient que j’étais bisexuel, ils m’ont pris à parti, et on s’est battu » (p.5/24 du rapport d’entretien) ou « Je me suis bagarré avec des mecs, des Africains » (p.17/24 du rapport d’entretien) pour ensuite faire référence seulement à une seule et unique personne : « Un des Africains », « Il a porté plainte. Je ne le connais pas, mais je sais qu’il fréquentait ce bar » ou encore « il a dit que je l’avais agressé » (p.17/24 du rapport d’entretien). Par ailleurs, les prémices de cette dispute sont également interrogeables puisqu’il paraît incohérent qu’un individu puisse vous blâmer d’avoir fréquenté le bar gay « … » après qu’il vous y aurait vu puisque cela impliquerait qu’il y aurait également été présent.
Par conséquent, il convient de sérieusement remettre en doute la crédibilité de cet évènement par lequel vous cherchez malhonnêtement à vous faire passer pour une victime qui aurait été ciblé par des actes homophobes et qui aurait simplement cherché à se défendre. Par extension, il y a lieu de s’interroger sur les réelles raisons ayant mené les autorités françaises à vous mettre en cause en 2009 de faits de violence ayant entrainé une incapacité de travail, d’autant plus qu’il s’agit de la même année au cours de laquelle vous auriez été mis en cause pour des viols, alors que vous faites preuve d’un défaut de transparence évident à cet égard.
Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 août 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 12 juillet 2023 portant refus d’octroi d’une protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 12 juillet 2023 portant refus d’une protection internationale Il convient de prime abord de souligner que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, alors qu’en vertu de l’article 2 (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 juillet 2023, telle que déférée, ledit recours étant encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
12Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère.
En droit, il soutient tout d’abord que l’analyse ministérielle de la crédibilité de son récit se baserait, entre autres, sur « des informations complémentaires demandées par le Service de Police Judiciaire aux autorités françaises en date du 29 juin 2023 », sans l’avoir informé de ces éléments en possession du ministère pendant la procédure administrative non contentieuse, ce qui serait contraire à l’article 15 (1) de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur fait valoir à cet égard, que l’obligation de coopération – qui serait ancrée dans la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2002 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts et qui serait reprise dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ci-après désignée par « la CJUE », et plus particulièrement dans un arrêt du 22 novembre 2012 M.M. c/ Minister for Justice, Equality and Law Reform, e.a., C-277/11 –, de même que le principe de bonne administration prévu à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, auraient dû amener les autorités ministérielles à le confronter avec ces informations, soit pendant son entretien avec un agent ministériel, soit lors d’un entretien complémentaire, pour lui permettre d’y prendre position.
Le demandeur conclut à une violation de ses droits de la défense en se référant à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 6 juin 2014, inscrit sous le numéro 34417 du rôle, ainsi qu’à la jurisprudence de la CJUE.
Concernant ensuite le refus du statut de réfugié, après avoir rappelé les conditions d’octroi de ce statut au sens de l’article 1er de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que des articles 2 f) et 39 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur conclut à la satisfaction des prédites conditions dans son chef, étant donné qu’il aurait subi des actes de violence dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle et qu’il se trouverait dans l’impossibilité de prétendre à une quelconque protection de la part des autorités camerounaises.
En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur insiste sur le fait que les raisons développées dans le cadre de son entretien auprès d’un agent ministériel seraient à qualifier d’atteintes graves.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité externe de la décision déférée, s’agissant du moyen tiré d’une violation de l’obligation de collaboration de toute administration et des droits de la défense du demandeur, au motif que le ministre n’aurait pas permis à ce dernier de prendre position par rapport aux « informations complémentaires demandées par le Service de Police Judiciaire aux autorités françaises en date du 29 juin 2023 », le tribunal relève qu’aux termes de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi 13complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur.
(2) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport détaillé et factuel contenant tous les éléments essentiels de la demande. A la fin de l’entretien, le demandeur a la possibilité de faire des commentaires ou d’apporter des précisions soit oralement soit par écrit concernant toute erreur de traduction ou tout malentendu dans le rapport. […] ».
L’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 consacre ainsi le droit fondamental du demandeur de protection internationale d’être entendu personnellement lors d’un entretien afin de pouvoir exposer les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale et de pouvoir corriger ou préciser les éléments repris dans le rapport lors de la relecture.
Or, si l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 prévoit certes la possibilité pour le demandeur de protection internationale de fournir des explications sur des éléments manquants ou sur des incohérences ou contradictions dans ses déclarations, cette possibilité est à entrevoir dans le contexte de l’entretien lui-même et s’applique au demandeur qui a ainsi la faculté de compléter voire préciser ses déclarations1. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le demandeur, cette disposition ne prévoit pas d’obligation, dans le chef du ministre, de lui demander des clarifications suite à l’entretien.
Par ailleurs, les faits du jugement du tribunal administratif, précité, du 6 juin 2014 invoqué par le demandeur à l’appui de son argumentation, diffèrent de ceux de l’espèce, de sorte que ledit jugement n’est pas transposable au présent recours. En effet, et en l’espèce, la demande de protection internationale du demandeur n’a pas été examinée dans le cadre d’une procédure accélérée et le ministre ne s’est pas exclusivement basé sur les informations recueillies auprès des autorités françaises pour rejeter sa demande de protection internationale.
En effet, il échet de noter que la décision ministérielle litigieuse remettant en cause la crédibilité du récit du demandeur repose sur six points, dont seulement un concerne les antécédents judiciaires de ce dernier, et que même les développements ministériels faits à cet égard ne se basent qu’en partie sur « les informations complémentaires » litigieuses, alors qu’ils se réfèrent également au rapport du Service de Police Judiciaire du 20 août 2021, qui indique que le demandeur serait « très défavorablement connu » par les autorités françaises puisqu’il aurait été mis en cause dans des procédures telles que « violences, viol, agressions sexuelles, recel de vol, escroquerie, conduite sans assurance, enlèvement, séquestration… », et avec lequel ce dernier a été confronté lors de son entretien2.
Dès lors, et dans la mesure où le demandeur a pu exposer en détail les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale lors de son entretien, de sorte à avoir été en mesure de faire connaître de manière utile et effective son point de vue tel que préconisé par l’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2012, précité, le moyen tendant à une annulation de la décision déférée en raison d’une violation de l’obligation de collaboration du ministre et de ses droits de la défense est à rejeter.
1 Voir notamment Cour adm., 18 janvier 2022, n° 46644C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 2 Page 18 du rapport d’entretien.
14Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
15Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 16s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’octroi du statut de réfugié qu’à celle visant d’obtenir la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves3.
En ce qui concerne tout d’abord l’homosexualité, respectivement la bisexualité du demandeur, il n’est certes pas évident pour un demandeur de protection internationale de prouver objectivement son orientation sexuelle. Cependant, le ministre est en droit d’attendre d’un demandeur qui se dit homosexuel et prétend avoir subi des actes de persécution de ce fait, respectivement craindre de subir de tels actes en cas de retour dans son pays d’origine, qu’il soit convaincant et cohérent sur son vécu et son parcours relatifs à son orientation sexuelle.
En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement concernant la crédibilité du récit du demandeur ayant notamment trait à sa prétendue homosexualité.
3 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.
17 Le tribunal constate, en premier lieu, que la prétendue homosexualité du concerné ne repose que sur ses propres allégations, tandis que son hétérosexualité se trouve corroborée par une série de preuves tangibles telles que les photocopies de son acte de mariage avec les dénommées (D) et (F), les deux enfants issus de ces deux relations, la mention d’une « compagne » dans son recours devant le tribunal administratif de … du 7 août 2019 contre l’arrêté d’expulsion du 20 juin 2019 pris à son encontre par l’autorité française compétente, ainsi que les informations partagées par les autorités françaises avec le service de police judiciaire luxembourgeois indiquant que le demandeur aurait été mis en cause dans de multiples affaires de viols sur des femmes.
Au-delà de ces éléments de preuve tangibles de ses relations hétérosexuelles, le demandeur a également, dans le cadre de son entretien relatif à sa demande de protection internationale, décrit ses relations, tant avec Madame (D) qu’avec Madame (F), en détail, tandis qu’il ne ressort aucunement de son rapport d’entretien qu’il aurait eu une relation amoureuse avec un homme au cours de sa vie, tout comme il n’a pas décrit une quelconque anecdote ou histoire personnelle qu’il aurait vécue et partagée avec un amant, que ce soit au Cameroun ou en France.
En effet, il échet de noter que lors de son entretien, il a expliqué qu’il aurait rencontré Madame (D) « sur Internet sur un site de rencontre »4 et qu’elle « est venue au Cameroun un peu après 6 mois après nos premiers échanges sur Internet. On s’est marié vers juin 2005. Elle est venue me voir au Cameroun, et pour qu’on se marie pour la même occasion. C’était un mariage légal. On s’est marié à … à la mairie. Après notre mariage, elle est restée trois semaines au Cameroun. Après, elle est rentrée France »5. Quant aux raisons de leur divorce, il a indiqué : « Il n’y avait plus d’harmonie. On ne s’entendait plus. Ça ne se passait plus bien entre elle et moi. Je ne me sentais plus dans ma peau avec elle. »6, en précisant que cette mésentente serait apparue « A partir du 2007, au moment où elle est tombée enceinte de notre fils »7. Par rapport à sa relation avec Madame (F), le demandeur a affirmé que le mariage aurait eu lieu en 2013 « en milieu d’année. Je me rappelle qu’il ne faisait pas froid. On s’est marié à …. Notre mariage a duré 7 mois. »8 et qu’ils se seraient rencontrés « en été 2009 sur un site de rencontre. A l’époque, nous vivions à … tous les deux. »9. Il a ajouté qu’ils auraient vécu ensemble « six mois plus tard »10, tout en expliquant : « en 2013, c’était des violences conjugales. Madame (F), ma deuxième femme, je l’avais surpris avec un autre homme. Je rentre chez moi un soir, et je la retrouve avec un autre mec. Ça m’a mis hors de moi. J’ai tapé les deux avec les points. Madame (F) a porté plainte »11. Le demandeur a encore indiqué que Madame (F) aurait découvert qu’il serait séropositif au VIH dans les circonstances suivantes :
« parce que je prenais déjà des médicaments. J’ai dû le lui dire en 2013 vers le mois de septembre. Je lui ai dit la vérité, que j’étais malade. Elle avec vu ces médicaments, et elle m’a demandé ce que c’était, depuis quand je les prenais »12.
4 Page 4 du rapport d’entretien.
5 Ibid.
6 Page 16 du rapport d’entretien.
7 Ibid.
8 Page 2 du rapport d’entretien.
9 Page 3 du rapport d’entretien.
10 Ibid.
11 Page 18 du rapport d’entretien.
12 Page 19 du rapport d’entretien.
18L’exhaustivité des prédits renseignements se heurte avec les déclarations générales, vagues et stéréotypées que le demandeur a fourni par rapport à son homosexualité. En effet, à cet égard, il s’est contenté d’énoncer dans son entretien relatif à sa demande de protection internationale qu’il aurait régulièrement fréquenté le bar gay « … »13 à …, qu’approximativement à l’âge de … ans, il aurait raconté à sa mère que « j’étais attiré par les deux sexes. Que j’aimais les femmes, mais que ça ne me dérangeait pas d’aller avec les hommes »14 et que son attirance pour les hommes se serait manifestée de la manière suivante :
« j’étais habillé de façon très serrée. Je fréquentais aussi des endroits cachés, où il y avait beaucoup plus d’hommes »15.
Il ressort encore du dossier administratif que le demandeur a fait abstraction de son homosexualité dans son recours introduit en date du 7 août 2019 devant le tribunal administratif de … contre le susdit arrêté d’expulsion du 20 juin 2019, tout en y indiquant que « depuis 2016, il vit avec une compagne ».
Force est au tribunal de constater, au vu des développements qui précèdent, que le demandeur reste en défaut de fournir des explications convaincantes quant à la nature des sentiments qu’il aurait envers les hommes et a fortiori quant à son homosexualité.
Etant donné que l’orientation sexuelle du demandeur constitue néanmoins l’un des éléments clefs de son récit, les incohérences et lacunes y contenues, telles que soulevées ci-
avant, sont de nature à jeter le discrédit sur ledit récit et plus particulièrement sur l’orientation qu’il prétend avoir, constat qui n’est pas énervé faute d’une quelconque prise de position à cet égard dans la requête introductive d’instance.
Par ailleurs, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que le récit du demandeur présente encore d’autres contradictions et incohérences, dont le fait que le demandeur est volontairement retourné au Cameroun en 2017 pour faire des vacances de deux semaines à …16 et qu’après s’être vu expulsé de la France, il a séjourné pendant un mois en Suisse17, sans y introduire une demande de protection internationale, alors qu’un tel comportement ne reflète pas celui d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves. En effet, on peut à la fois attendre d’une personne réellement persécutée et à la recherche d’une protection qu’elle ne songe pas à retourner volontairement dans le pays où elle craindrait justement être victime de persécutions et qu’elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré.
Le doute concernant la crédibilité du récit est encore renforcé par le fait que le demandeur a, lors de son entretien sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, omis de mentionner l’intégralité de ses antécédents judiciaires en France et qu’il a avoué à cette même occasion qu’il aurait au préalable recherché les questions types posées aux demandeurs de protection internationale sur Internet, et qu’il aurait consulté des vidéos sur Youtube expliquant « comment préparer une demande d’asile en tant qu’homosexuel »18.
13 Page 4 du rapport d’entretien.
14 Page 13 du rapport d’entretien.
15 Ibid.
16 Page 4 du rapport d’entretien Dublin III.
17 Page 6 du rapport d’entretien.
18 Page 21 du rapport d’entretien.
19Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et plus particulièrement des multiples incohérences et contradictions relevées ci-avant, le tribunal retient que le récit de Monsieur (A), considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, de sorte qu’il ne saurait valablement prétendre à l’octroi d’un statut de protection internationale sur base de ce même récit.
Il convient d’ajouter que, malgré le fait pour le ministre d’avoir mis en cause la crédibilité du récit du demandeur dans son ensemble, la requête introductive d’instance ne fournit aucune explication de nature à pouvoir lever les différentes contradictions et incohérences décrites ci-avant et valablement relevées par le ministre dans la décision déférée, étant encore relevé que face aux doutes émis par le ministre, le demandeur est resté en défaut de rapporter le moindre début de preuve en lien avec son prétendu vécu au Cameroun et des persécutions qu’il aurait prétendument subies en raison de son orientation sexuelle.
Eu égard à tout ce qui précède, le tribunal conclut que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la crédibilité du récit du demandeur en ce qui concerne son vécu en tant que personne bisexuelle au Cameroun est ébranlée dans son ensemble.
Concernant le seul aspect non impacté par un récit non crédible, en l’occurrence le constat d’une situation de conflit interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal n’a pas été saisi d’éléments suffisants permettant de conclure à l’existence d’une situation où l’ampleur de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé est telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil, du seul fait de sa présence sur place, court un risque réel d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.
Il suit des considérations qui précèdent que, le recours dirigé contre le refus ministériel d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, encourt le rejet pour être non fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de prime abord de souligner que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, alors qu’en vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation dirigé contre la décision du ministre du 12 juillet 2023, telle que déférée, ledit recours étant encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.
Le demandeur estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du volet de la décision portant refus 20d’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, il conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours, au motif que l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il convient ensuite de rappeler que si l’article 129 de la loi du 29 août 2008 - qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 - renvoie à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », qui proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
Or, étant donné que le tribunal a conclu ci-avant qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution, ni à des atteintes graves, il ne saurait se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH19, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est, lui aussi, à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
19 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
21reçoit en la forme le recours subsidiaire en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 juillet 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 12 juillet 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 22