Tribunal administratif N° 52595 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52595 1re chambre Inscrit le 27 mars 2025 Audience publique du 2 avril 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52595 du rôle et déposée le 27 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), déclarant être née le … et être de nationalités serbe et monténégrine, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 mars 2025 ayant prorogé son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Edévi AMEGANDJI s’étant excusé.
Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », de la police grand-ducale, région Nord, Commissariat …, daté du 14 février 2025, qu’en date de ce même jour, Madame (A) fit l’objet d’un contrôle par les forces de l’ordre et qu’elle ne fut, à cette occasion, pas en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables. Il résulte également dudit rapport de police que Madame (A) fait l’objet d’un signalement par les autorités allemandes dans le système d’information Schengen (SIS) pour « interdiction d’accès/séjour ».
Par arrêté du 14 février 2025, notifié à l’intéressée le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », déclara irrégulier le séjour de Madame (A) sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.
Par un arrêté ministériel séparé du même jour, également notifié à l’intéressée à la même date, le ministre ordonna le placement de Madame (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant basé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 1sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no … du 14 février 2025 établi par la Police grand-ducale ;
Vu ma décision de retour du 14 février 2025, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;
Considérant que l’intéressée est démunie de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressée, alors qu’elle ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressée seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Le recours contentieux introduit par Madame (A) en date du 4 mars 2025 contre la décision ministérielle du 14 février 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 11 mars 2025, inscrit sous le numéro 52464 du rôle.
Par arrêté du 13 mars 2025, notifié à l’intéressée le lendemain, le ministre prorogea le placement en rétention de Madame (A) pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.
Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 14 février 2025, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressée à une mesure de placement ;
Considérant que les démarches en vue de la détermination de l’Etat membre responsable ont été engagées ;
Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été adressée aux autorités belges ;
Considérant que le processus de détermination de l’Etat membre responsable n’est pas encore achevé ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 14 février 2025 subsistent dans le chef de l’intéressée ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure du transfert ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2025, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 13 mars 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.
2Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse reprend les rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, la demanderesse soulève des manquements du ministre dans les démarches en vue de son éloignement. A cet égard, elle insiste sur le fait qu’elle résiderait en Belgique avec ses deux enfants et qu’il ressortirait du dossier administratif que plusieurs éléments la rattacheraient à la Belgique. Elle reproche, dans ce contexte, au ministre d’avoir agi de manière discrétionnaire en saisissant les autorités belges sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », en affirmant erronément qu’elle aurait introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 février 2025, ce qui aurait entraîné une prolongation inutile de son placement au Centre de rétention.
Elle conclut que le ministre n’aurait pas fait preuve de diligence et que la décision de prolongation de son placement ne serait pas justifiée.
Elle reproche encore au ministre de ne pas avoir pris en compte tous les éléments du dossier administratif, notamment la circonstance selon laquelle ses deux enfants mineurs se retrouveraient sans leur mère depuis plusieurs semaines, dont l’un serait gravement malade et nécessiterait un suivi médical constant.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
3Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien, voire à cinq reprises au cas où l’une des conditions de l’alinéa 2 de l’article 120 (3) se trouve remplie.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
Il est constant en cause que la demanderesse est en séjour irrégulier au Luxembourg, alors qu’elle ne possède ni un passeport en cours de validité, ni a fortiori un visa en cours de validité, ni une autorisation de voyage en cours de validité.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c) 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle d’être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité ou d’une autorisation de voyage en cours de validité, telle que prévue au paragraphe (2), point 1. de la disposition légale en question.
4Il aurait, par conséquent, appartenu à Madame (A) de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption de risque de fuite dans son chef, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’elle reste, toutefois, en défaut de faire.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressée en rétention afin d’organiser son éloignement.
Force est ensuite de constater que la demanderesse se limite, dans le cadre du présent recours, à remettre en cause les diligences du ministre dans l’organisation de son éloignement.
A cet égard, le tribunal relève que dans son jugement, précité, du 11 mars 2025, il a constaté que : (i) par courrier électronique du 17 février 2025, l’agent en charge du dossier de la demanderesse avait contacté les agents de la police judiciaire afin de demander les empreintes digitales de celle-ci ; (ii) par courrier électronique d’un agent du Centre de rétention du même jour, l’agent en charge du dossier s’était vu transmettre un courrier électronique de l’avocat belge de la demanderesse, l’informant que la concernée avait déposé une requête en vue d’obtenir le statut d’apatride auprès des autorités belges et qu’elle avait précédemment introduite une demande de protection internationale dont elle avait été déboutée ; (iii) une recherche effectuée le 20 février 2025 dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement Dublin III avait confirmé que la demanderesse avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 20 septembre 2024 ; (iv) par courrier électronique du lendemain, envoyé via la plateforme Dublinet, les autorités luxembourgeoises avaient contacté leurs homologues belges en vue de la reprise en charge de la demanderesse sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III ; et (v) cette demande de reprise en charge avait été refusée par les autorités belges en date du 4 mars 2025. Dans ce même jugement, le tribunal a conclu que le dispositif d’éloignement de la concernée était en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.
Cette décision de justice ayant autorité de chose jugée, l’analyse du tribunal se limitera aux démarches accomplies à la suite du jugement en question, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen de la demanderesse relatif à une erreur dans ses données personnelles dans le cadre de la demande de reprise en charge adressée aux autorités belges via la plateforme Dublinet le 20 février 2025, dans la mesure où ledit moyen concerne les diligences effectuées dans le cadre de l’arrêté ministériel précité du 14 février 2025, lesquelles ont fait l’objet d’une analyse du tribunal dans son jugement du 11 mars 2025.
Concernant ensuite les démarches accomplies à la suite du jugement du 11 mars 2025, il échet de constater qu’il ressort du dossier administratif, que par courrier du 14 mars 2025, les autorités luxembourgeoises ont demandé aux autorités belges de réévaluer la demande de reprise en charge de la demanderesse, sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, laquelle a finalement été acceptée par ces derniers le 19 mars 2025 sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.
Suite à cette acceptation de reprise en charge de Madame (A) par les autorités belges, le ministre a, par arrêté du 26 mars 2025, rapporté la décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans du 14 février 2025 et a décidé de transférer Madame (A) vers la Belgique.
5 Il ressort finalement du dossier administratif qu’en date du 28 mars 2025, la police grand-ducale, Unité de Garde et d’Appui opérationnel, a été chargée par les services du ministre d’effectuer le transfert de Madame (A) vers la Belgique dans les meilleurs délais.
Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise et au regard du transfert a priori imminent de Madame (A) vers la Belgique, le tribunal est amené à conclure que les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Les contestations afférentes de la demanderesse sont, dès lors, à rejeter.
Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 6