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02/04/2025 | LUXEMBOURG | N°s46934,47905,48214

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 avril 2025, s46934,47905,48214


Tribunal administratif N°s 46934, 47905 et 48214 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:46934/47905/48214 1re chambre Inscrits les 25 janvier, 7 septembre et 25 novembre 2022 Audience publique du 2 avril 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre des décisions du ministre de la Culture en matière de sites et monuments

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 46934 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2022 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation, ...

Tribunal administratif N°s 46934, 47905 et 48214 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:46934/47905/48214 1re chambre Inscrits les 25 janvier, 7 septembre et 25 novembre 2022 Audience publique du 2 avril 2025 Recours formé par Madame (A), …, contre des décisions du ministre de la Culture en matière de sites et monuments

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 46934 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2022 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Culture du 26 octobre 2021 proposant le classement comme monument national de l’immeuble sis à L-

…, inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1) ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2022 de Maître Anne-Marie SCHMIT, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 1er juin 2022 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2022 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2022 ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Anne-Marie SCHMIT, déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2023, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 47905 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 septembre 2022 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Culture 1du 12 mai 2022 portant notification de son intention de classer comme patrimoine culturel national l’immeuble sis à L-…, inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1) ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2023 par Maître Anne-Marie SCHMIT, préqualifiée, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2023 ;

III.

Vu la requête inscrite sous le numéro 48214 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2022 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Culture du 13 septembre 2022 classant comme monument national l’immeuble sis à L-…, inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1) ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 février 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2023 par Maître Anne-Marie SCHMIT, préqualifiée, pour compte de Madame (A), préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2023 ;

I., II. + III.

Vu les pièces versées au dossier et notamment l’acte déféré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Julie DENOTTE, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT, et Monsieur le délégué du gouvernement Brice CLOOS en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2024 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 28 février 2025 informant les parties de la rupture du délibéré ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en sa plaidoiries à l’audience publique du 12 mars 2025.

___________________________________________________________________________

Par courrier du 15 septembre 2020, une personne privée intervint auprès du ministre de la Culture, ci-après désigné par « le ministre », afin de le rendre attentif de l’intérêt architectural des bâtiments sis à … à …, rue … à Esch-sur-Alzette.

2 Par courrier du 29 octobre 2020, le ministre sollicita l’accord de Madame (A), propriétaire de l’immeuble sis …, rue …, inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1), pour une visite de cet immeuble.

Le 12 mai 2021, la Commission des sites et monuments (COSIMO) rendit un avis libellé comme suit :

« (…) Im Rahmen der Modernisierung der Metzeschmelz um 1912 ließ die (AA) in unmittelbarer Nachbarschaft zum Schloss „…" acht Wohnhäuser (GAT) für ranghohe Mitarbeiter entlang der Rue … errichten. Mit der Planung der Gebäude, von denen vier als Einzelwohnhäuser und zwei als Doppelwohnhäuser (BTY) realisiert werden sollten, wurden die luxemburgischen Architekten (B) (1870-1955) und (C) (1875-1939) beauftragt. Anhand erhaltener Baupläne lassen sich die Häuser Nr. … ((C)) und … ((B)) eindeutig den jeweiligen Architekten zuordnen. Der Rang der jeweiligen Bewohner spiegelt sich dabei sowohl in der jeweiligen Größe der Häuser und Grundstücke als auch in der Architektur und Ausstattung wider (SOK). Zudem markiert die jeweilige Entfernung zum Schloss den Rang der Bewohner (SOK). Das Prestige und der repräsentative Charakter dieses architektonischen Ensembles werden durch eine 1920 von dem französischen Zeichner Georges Peltier angefertigte Zeichnung eindrucksvoll belegt. Die Zeichnung zeigt das Gelände der Escher Hütte, rechts unten im Vordergrund sind die Wohnhäuser abgebildet, in unmittelbarer Nähe zum Schriftzug „Aciéries réunies de Burbach - Eich - Dudelange", wodurch die besondere Stellung der Bewohner im Unternehmen unterstrichen wird. Wenngleich sich Umfang und Zuschnitt der einzelnen Parzellen im Laufe der Zeit etwas verändert haben, hat sich dieses architektonische Ensemble mit seinen einzelnen Bauwerken und den sie umgebenden Gärten mit üppigem Baumbewuchs als Zeugnis für das Selbstverständnis der (AA) und ihrer Darstellung nach außen erhalten.

Nördlich an das Grundstück der Villa des Hüttendirektors Hubert Hoff schließt sich die Parzelle an, auf der 1912 eine Villa (BTY) als Wohnhaus (GAT) für den Hochofendirektor … (1872-1922) errichtet wurde. Wie die übrigen Häuser des Ensembles liegt die Villa von der Straße zurückversetzt in einem mit Bäumen bestandenen, repräsentativen Garten. Das Gebäude setzt sich aus Keller, Erdgeschoss, erster Etage und Mansarde zusammen. Die Hauptfassade bildet die westlich zur Strate gelegene Seite des Hauses.

Nach Isolierungsarbeiten an der Fassade wurden Elemente der ursprünglichen Gliederung wieder aufgegriffen. Die Hauptfassade gliedert sich in drei Achsen über eine Sockelzone, Erdgeschoss (Hochparterre), erste Etage und Mansarde. Auf der linken Achse ist im Erdgeschoss ein Erker mit Altan in der ersten Etage vorgelagert. Zum Mansardwalmdach schließt die Fassade mit einem mehrfach profilierten Kranzgesims ab.

Auch an der inneren Struktur des Gebäudes haben Umbauten im 20. und 21.

Jahrhundert zu einschneidenden Veränderungen geführt. In einer erste Phase wurden 1957 Veränderungen im vor allem im Eingangsbereich vorgenommen und zwei Garagen auf dem Grundstück errichtet. Tiefgreifender haben sich Baumaßnahmen, die im Jahr 2012 von der Stadt Esch-sur-Alzette genehmigt und bis 2013 durchgeführt wurden, auf die Struktur des Gebäudes ausgewirkt. Wie die Baupläne des beauftragten Architekturbüros zeigen, wurden in allen Geschossen des Hauses Innenmauern entfernt und Räume zusammengelegt. Des Weiteren wurden an den Nord- und Ostseiten im Erdgeschoss Anbauten vorgenommen.

3Das Haus Nr. …, rue … hat sowohl Außen als auch Innen Veränderungen erfahren, durch die weite Teile der historischen Bausubstanz nicht mehr erhalten sind. Als Teil des architektonischen Ensembles der Kaderwohnungen der (AA) besitzt es jedoch einen gewissen Zeitzeugencharakter.

Erfüllte Kriterien: (GAT) Gattung, (SOK) Sozial- oder Kultusgeschichte, (BTY) Bautypus. (…) ».

Par courrier du 15 juin 2021, le ministre informa Madame (A) qu’il aurait l’intention de proposer au classement comme monument national ledit immeuble en annexant une copie de l’avis de la COSIMO.

Par courrier séparé du même jour, le ministre informa encore le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ci-après désigné par « le bourgmestre », de son intention de proposer au classement entre autres l’immeuble de Madame (A).

Dans sa séance publique du 9 juillet 2021, le conseil communal de la Ville d’Esch-sur-

Alzette émit un avis favorable quant au classement comme monument national de l’immeuble.

Par courrier du 26 juillet 2021, Madame (A), par l’intermédiaire de son litismandataire, fit part au ministre de ses observations à l’encontre de la proposition de procéder au classement de son immeuble.

Par arrêté du 26 octobre 2021, le ministre proposa au classement comme monument national « en raison de son intérêt historique, architectural et esthétique » l’immeuble en citant l’avis de la COSIMO du 12 mai 2021 et en se référant aux observations de Madame (A).

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 janvier 2022, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel du 26 octobre 2021 proposant au classement comme monument national l’immeuble litigieux.

Le 4 mai 2022, la Commission pour le patrimoine culturel (COPAC) créée par la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel, ci-après désignée par « la loi du 25 février 2022 », rendit le même avis que celui rendu en date du 12 mai 2021 par la COSIMO dans le cadre de la législation précédente.

Par courrier du 12 mai 2022, le ministre informa Madame (A) de son intention de classement de son immeuble comme patrimoine culturel national en vertu des articles 130, 131 et 132 de la loi du 25 février 2022.

Par courrier du 25 mai 2022, Madame (A), par l’intermédiaire de son litismandataire, formula ses observations par rapport à cette intention de classement.

Par courrier du 9 juin 2022, le ministre informa une nouvelle fois Madame (A) de son intention de classer son immeuble comme patrimoine culturel national.

Par courrier séparé du même jour, le ministre informa encore le bourgmestre de son intention de classer comme patrimoine culturel national entre autres l’immeuble de Madame (A).

4 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 septembre 2022, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la « décision [du ministre], qui par courrier recommandé du 9 juin 2022 (…) a présenté « son intention de classement comme patrimoine culturel national de l’immeuble (…) » ».

Par arrêté ministériel du 13 septembre 2022, le ministre procéda au classement de l’immeuble litigieux. Cet arrêté a la teneur suivante :

« (…) Vu la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel ;

Considéré l'intérêt public de protection et de conservation de l'immeuble sis …, rue … à Esch-sur-Alzette, notamment aux points de vue historique et architectural ;

Vu l'avis du Conseil communal de la Ville d'Esch-sur-Alzette du 9 juillet 2021, demandé sous l'égide de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux ;

L'avis du Conseil communal de la Ville d'Esch-sur-Alzette demandé, conformément aux dispositions de l'article 131 de la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel ;

Vu l'avis de la Commission pour le patrimoine culturel du 4 mai 2022 ;

Vu les observations du 25 mai 2022 de Maître Anne-Marie Schmit, défendant les intérêts de Madame (A), propriétaire ;

Vu l'intention de classement du 9 juin 2022;

Arrête:

Art. 1er. Est classé comme patrimoine culturel national, l'immeuble sis …, rue …, inscrit au cadastre de la Commune d'Esch-sur-Alzette, section … d'EschNord, sous le numéro (P1), appartenant à Madame (A).

Art. 2. Les effets juridiques liés au statut de classement comme patrimoine culturel national sont ceux énumérés aux articles 30 à 40 de la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel et ce jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement grand-ducal de classement comme patrimoine culturel national des immeubles figurant sur l'inventaire du patrimoine architectural pour la commune sur le territoire de laquelle les biens immeubles se situent. Ce règlement grand-ducal annulera et remplacera le cas échéant la mesure de classement en vertu de l'article 132 de la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel.

Art. 3. Le propriétaire est tenu d'informer le locataire, l'occupant et les usufruitiers de l'arrêté de classement.

Art. 4. Le présent arrêté est notifié au propriétaire concerné, au ministre ayant l'aménagement du territoire dans ses attributions, au ministre ayant l'aménagement communal et le développement urbain dans ses attributions, ainsi qu'aux communes concernées.

Ampliation en est adressée au conservateur des hypothèques à Luxembourg aux fins de transcription. (…) » 5 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2022, Madame (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de l’arrêté précité du 13 septembre 2022 portant classement comme patrimoine culturel national de son immeuble.

A titre liminaire, il y a lieu de constater, d’une part, que les trois recours inscrits sous les numéros 46934, 47905 et 48214 du rôle ont trait à la question de la conservation et de la préservation du même immeuble et, d’autre part, que les trois affaires ont été plaidées et prises en délibéré à la même audience, de sorte qu’il y a, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, lieu de joindre ces affaires et de statuer à travers un seul jugement.

I.

Quant à la compétence du tribunal, à la recevabilité et à la loi applicable a) Quant au recours inscrit sous le numéro 46934 du rôle A titre liminaire, il échet de constater que le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours inscrit sous le numéro 46934 du rôle en ce qu’il serait dirigé « en ordre de subsidiarité, contre le courrier recommandé de Madame le ministre de la Culture Sam Tanson du 26 octobre 2021 qui ne constitue pas une décision susceptible de recours, mais un simple courrier d’accompagnement de l’arrêté de proposition de classement du 26 octobre 2021 ne comportant aucun élément décisionnel propre ». Force est de constater qu’au dispositif de la requête introductive d’instance, auquel le tribunal est seul tenu, Madame (A) conclut à l’annulation, sinon à la réformation du seul arrêté ministériel du 26 octobre 2021 et que ce n’est que dans le corps de ladite requête qu’elle affirme diriger son recours « pour autant que de besoin » « contre le courrier du 26 octobre 2021, si jamais [le] Tribunal devait considérer que ce dernier était une décision autonome ».

La seule décision utilement attaquée est celle qui figure dans le dispositif de la requête introductive d’instance1.

Il s’ensuit qu’à défaut de contestation et d’explication par Madame (A), il doit être admis que le recours est dirigé contre le seul arrêté ministériel du 26 octobre 2021.

Il échet ensuite de rappeler que quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée. En effet, l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte qu’en présence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision, il n’y a plus lieu de statuer sur un recours en annulation contre la même décision.

Quant à la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce, il échet tout d’abord de constater que la loi modifiée du 18 juillet 1983 concerant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 1983 », 1 Trib. adm., 17 décembre 2001, n° 12830 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 398 et les autres références y citées.

6sur base de laquelle la décision litigieuse du 26 octobre 2021 a été prise, a été abrogée par la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel, ci-après désignée par « la loi du 25 février 2022 », entrée en vigueur le jour de sa publication conformément à l’article 136 de la même loi, partant entrée en vigueur après la prise de la décision du 26 octobre 2021 et après l’introduction du présent recours.

Il convient ensuite de relever que la loi du 25 février 2022 ne prévoit qu’un recours en annulation contre les décisions prises en vertu de cette loi.

A défaut de dispositions transitoires afférentes, il convient de retenir qu’en ce qui concerne les voies de recours à exercer, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été prise la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires2.

Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours contre une décision prise sur le fondement de la loi du 18 juillet 1983 devra être analysée conformément aux dispositions de cette même loi.

La loi du 18 juillet 1983 prévoyait dans ses articles 3 et 4 ce qui suit :

« Art. 3. L'immeuble appartenant à l'Etat, à une commune, à un établissement public ou à un établissement d'utilité publique est classé par le Gouvernement en conseil, les intéressés et le Conseil d'Etat entendus en leurs avis.

Art. 4. L'immeuble appartenant à toute personne autre que celles énumérées à l'article 3 est proposé au classement par arrêté du ministre, la Commission des Sites et Monuments nationaux et le conseil communal de la commune sur le territoire de laquelle l'immeuble est situé entendus en leurs avis, lesquels doivent être produits dans le délai de trois mois à partir de la notification de la proposition de classement Passé ce délai, la proposition est censée être agréée.

L'arrêté détermine les conditions du classement.

La proposition de classement est notifiée au propriétaire, l'acte de notification énumérant les conditions du classement et informant le propriétaire de son droit au paiement éventuel d'une indemnité représentative du préjudice pouvant résulter pour lui des servitudes et obligations du classement.

La réponse du propriétaire, accompagnée le cas échéant de la demande en indemnisation, doit parvenir au Ministre dans les six mois à dater de la notification de l'arrêté proposant le classement.

En cas de consentement du propriétaire sur le principe et les conditions de classement, l'immeuble est classé par arrêté du Gouvernement en conseil.

A défaut de consentement du propriétaire sur le principe du classement, celui-ci peut être prononcé par le Gouvernement en conseil, le propriétaire jouissant d'un droit de recours au Conseil d'Etat, comité du Contentieux, statuant comme juge du fond.

2 Trib. adm., 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 384 et les autres références y citées ; Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7A défaut d'accord du propriétaire sur l'indemnité à payer, la contestation y relative est jugée en premier ressort par le tribunal d'arrondissement dans le ressort duquel se trouve l'immeuble à classer. Le Gouvernement peut ne pas donner suite à la proposition de classement dans les conditions d'indemnisation ainsi fixées. Il doit alors, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, abroger l'arrêté de classement. ».

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond contre un arrêté ministériel de proposition de classement, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en annulation introduit en l’espèce.

Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre la décision déférée du 26 octobre 2021.

Tant Madame (A) que le délégué du gouvernement soutiennent que le recours introduit à l’encontre de l’arrêté du 26 octobre 2021 proposant au classement comme monument national au sens de la loi du 18 juillet 1983 serait devenu sans objet, voire que Madame (A) aurait perdu un intérêt à agir à l’encontre dudit arrêté ministériel, en raison de l’engagement de la procédure de classement comme patrimoine culturel national au sens de la loi du 25 février 2022. Le délégué du gouvernement précise encore que l’arrêté litigieux aurait en tout état de cause cesser de produire ses effets à défaut d’un arrêté du Gouvernement en conseil classant l’immeuble litigieux.

Il convient de rappeler qu’en matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif3.

Si au moment de l’introduction du recours inscrit sous le numéro 46934 du rôle en date du 25 janvier 2022, celui-ci avait certes un objet, à savoir l’annulation de la décision du 26 octobre 2021 en ce qu’elle proposait l’immeuble appartenant à Madame (A) au classement comme monument national au sens de la loi du 18 juillet 1983, il n’en reste pas moins qu’en vertu de l’article 5 de la loi du 18 juillet 1983 aux termes duquel « (…) En cas de contestation, les effets du classement restent applicables jusqu’au moment où le Gouvernement en conseil aura pris une décision, qui doit intervenir dans un délai ne pouvant dépasser douze mois.

(…) », ledit arrêté ne produit actuellement plus d’effets.

Il s’ensuit que l’arrêté ministériel du 26 octobre 2021 n’est plus de nature à faire grief à Madame (A) et elle ne justifie plus d’un intérêt à agir à son encontre, de sorte que le recours sous examen est à rejeter.

b) Quant aux recours inscrit sous les numéros 47905 et 48214 du rôle Dans la mesure où l’article 107 de la loi du 25 février 2022, sous l’égide de laquelle ont été prises les arrêtés ministériels des 9 juin et 13 septembre 2022, prévoit que les décisions administratives prévues par ladite loi sont susceptibles d’un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre desdites décisions.

3 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n°2 et les autres références y citées.

8 Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre les décisions déférées des 9 juin et 13 septembre 2022.

Il échet de constater que le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité des recours inscrits sous les numéros 47905 et 48214 du rôle en ce qu’ils seraient dirigés « en ordre de subsidiarité, contre le courrier recommandé de Madame le ministre de la Culture Sam Tanson du 12 mai 2022 [respectivement du 13 septembre 2022] qui ne constitue[nt] pas une décision susceptible de recours, mais un simple courrier ne comportant aucun élément décisionnel propre ».

Le tribunal constate qu’au dispositif de la requête introductive d’instance inscrite sous le numéro 47905 du rôle, auquel le tribunal est seul tenu, Madame (A) conclut à l’annulation, sinon à la réformation du seul arrêté ministériel du 9 juin 2022 et ce n’est que dans le corps de ladite requête qu’elle affirme diriger son recours « pour autant que de besoin » « contre le courrier du 12 mai 2022 », « si jamais [le] Tribunal devait considérer que [ce dernier] était une décision autonome », de sorte qu’à l’instar du recours inscrit sous le numéro 46934, il est admis que Madame (A) a dirigé son recours contre le seul arrêté ministériel du 9 juin 2022.

Au dispositif de la requête introductive d’instance inscrite sous le numéro 48214 du rôle, Madame (A) conclut à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel portant classement comme patrimoine culturel de son immeuble « et pour autant que de besoin, [du] courrier recommandé du 13 septembre 2022 ».

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. Pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief4.

Il échet de constater que le courrier du 13 septembre 2022 est un courrier d’accompagnement invitant Madame (A) à trouver en annexe l’arrêté ministériel portant la même date. Ledit courrier d’accompagnement n’est pas susceptible de faire grief à Madame (A), qui est, par ailleurs, restée en défaut de préciser concrètement en quoi ledit courrier lui ferait grief.

Il s’ensuit que le recours, inscrit sous le numéro 48214 du rôle, est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le courrier du ministre de la Culture du 13 septembre 2022.

Les recours en annulation, inscrits sous les numéros 47905 et 48214 du rôle, sont recevables pour le surplus pour avoir été introduits selon les formes et délai prévus par la loi.

II.

Quant au fond Arguments des parties 4 Trib. adm., 18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Actes administratifs, n° 56 et les autres références y citées.

9 A l’appui de ses recours, après avoir rappelé les faits et rétroactes tels que relatés ci-

avant, la demanderesse soutient tout d’abord que l’immeuble litigieux aurait subi des travaux d'envergure au cours des années 2012 et 2013, qui auraient entraîné des conséquences structurelles sur l’immeuble, ce qui ressortirait, par ailleurs, de l’avis de la COPAC évoquant encore des travaux de réaménagement conséquents au courant des XXe et XXIe siècles.

Madame (A) insiste encore sur le fait qu’il ressortirait de l’avis de la COPAC que l’immeuble aurait subi des modifications tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ayant conduit à la disparition d’une partie de la substance bâtie historique.

Elle se réfère à un rapport d’expertise qualifiant le classement litigieux d’incohérent, alors que, notamment, l’immeuble ne se trouverait plus à l’état d’origine, de sorte qu’il ne remplirait pas les conditions de classement.

Madame (A) conclut ensuite à une violation de la loi, étant donné que le ministre aurait mal interprété les dispositions législatives en cause.

Elle se réfère à cet égard à des contradictions dans l’avis de la COPAC considérant que les critères de « genre », d’« histoire sociale ou culturelle » et de « type de bâtiment » seraient remplis, alors qu’il y serait retenu que des travaux d'isolation auraient été réalisés à l'extérieur sur la façade et que d’importants travaux de rénovation et de transformation auraient été réalisés à l'intérieur, notamment par la suppression et le déplacement de murs, l'installation d'un ascenseur et le rajout d'une grande véranda avec terrasse et un garage.

Elle en conclut que dans la mesure où son immeuble aurait connu des changements radicaux, il ne présenterait plus suffisamment de critères et d'éléments historiques, architecturaux et esthétiques justifiant un classement comme patrimoine culturel.

La demanderesse reproche ensuite un excès de pouvoir au ministre en précisant qu’à la suite de la refonte du plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, toutes les maisons du côté pair de la rue … auraient été proposées au classement comme patrimoine culturel national, sans faire la moindre distinction ou différenciation et que le ministre resterait en défaut de prouver de manière circonstanciée les motifs l’ayant amené à proposer au classement l’immeuble litigieux.

Elle insiste sur le fait que l'intérêt public à conserver le bien ne saurait être recherché dans le fait que l’immeuble aurait un certain « Zeitzeugencharakter ». Elle conteste encore que l’immeuble aurait un style urbanistique particulier ou aurait un intérêt public justifiant un classement comme patrimoine culturel national.

Elle en conclut qu’un tel classement consisterait, à défaut de motivation et de justification réelle quant à l’intérêt public, une atteinte démesurée et excessive à son droit de propriété. Elle invoque à cet égard une violation non seulement de son droit de propriété constitutionnellement garanti par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentale, ci-après désignée par « la CEDH », mais également de son droit de jouir et de disposer librement de son bien immobilier.

10Dans son mémoire en réplique, Madame (A) précise encore les conséquences directes et néfastes que le classement litigieux aurait sur sa propriété en s’emparant des articles 30 et suivants de la loi du 25 février 2022.

Elle précise dans ce contexte que l’exercice de sa fonction de notaire s’opposerait au classement litigieux, étant donné qu’elle ne pourrait plus aménager et modifier sa maison afin d’y exercer ladite activité, de sorte à l’entraver dans l’exercice de sa profession, alors qu’elle serait obligée « d'élire domicile dans la commune qui a été fixé par arrêté de nomination et qu'il ne lui est pas permis d'avoir une autre résidence, même familiale ».

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet des recours.

Analyse du tribunal En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il est constant que l’immeuble litigieux a été classé au motif qu’il présenterait un intérêt historique, architectural et esthétique digne de protection.

Aux termes de l’article 23 de la loi du 25 février 2022 « (2) Pour pouvoir être inventorié comme bien immeuble susceptible de faire l’objet d’un classement comme patrimoine culturel national, un bien immeuble doit être authentique pour avoir connu peu de modifications et avoir gardé des éléments de son époque. Outre ce critère d’authenticité, un bien immeuble doit être représentatif et significatif au vu d’au moins un des critères suivants :

1° Histoire de l’architecture, de l’art ou de l’ingénierie : biens représentant de façon exemplaire une certaine époque, un certain courant ou en illustrent l’apogée ;

2° Genre : biens à fonction et destination initiales reconnaissables ;

3° Typologie : biens se caractérisant par leur composition et constitution spécifiques ;

4° Rareté : biens ayant été réalisés en nombre restreint ou qui sont devenus peu nombreux au fil du temps ;

5° Période de réalisation : biens ayant repris et transposé le style artistique ou l’esprit de l’époque de leur réalisation ;

6° Histoire industrielle, artisanale, économique ou scientifique : biens témoignant du développement technique de leur époque de réalisation ou qui sont représentatifs du développement d’un lieu ou d’une région ;

7° Lieu de mémoire : biens rappelant une personnalité ou un évènement important pour l’histoire du pays ;

8° Histoire politique et institutionnelle, nationale ou européenne : biens témoignant de l’organisation et de l’exercice du pouvoir et des institutions politiques tant au niveau national qu’international ;

9° Histoire militaire : biens rappelant des actions de défense, des faits de guerre ou représentant l’évolution des techniques militaires ;

10° Histoire sociale ou des cultes : biens illustrant la vie, le travail ou la vie spirituelle et religieuse ainsi que les traditions et les coutumes de différentes époques ;

11° Œuvre architecturale, artistique ou technique : biens ayant été conçus par un ou plusieurs créateurs reconnus pour la qualité de leur œuvre ;

12° Typicité du lieu ou du paysage : biens typiques pour une partie du territoire national, en fonction des spécificités géographique et géologique des lieux ;

1113° Histoire locale, de l’habitat ou de l’urbanisation : biens témoignant des caractéristiques spécifiques d’un lieu ou d’une région et qui sont significatifs du point de vue de la composition urbaine ou rurale ;

14° Évolution et développement des objets et sites : biens ayant connu des transformations au cours du temps et qui témoignent de l’évolution du bâti en affichant des unités stratigraphiques, caractéristiques pour différentes époques.

Les critères énumérés aux points de l’alinéa 2 peuvent s’appliquer de manière cumulative et le poids de chaque critère peut varier selon l’objet inventorié. ».

La jurisprudence développée sous l’égide de la loi du 18 juillet 1983 a retenu qu’à côté du critère d’authenticité, un bien immeuble doit être représentatif et significatif au regard d’au moins un des critères cités ci-avant et que pour pouvoir faire l’objet d’un classement, les immeubles concernés doivent mériter d’être protégés, mérite qui se mesure par rapport à l’intérêt public que présente leur conservation5, et reste, au regard des termes de l’article 23, précité, d’actualité.

Le constat selon lequel le critère d’authenticité doit être vérifié en plus de l’un des 14 critères énumérés ci-avant se trouve par ailleurs confirmé par les auteurs du projet de loi relatif au patrimoine culturel6 à la suite d’une question afférente posée par le Conseil d’Etat7.

En l’espèce, il se dégage tant de l’avis de la COPAC que de l’intention de classement comme patrimoine culturel national que l’intérêt à préserver le bâtiment en cause est justifié par des considérations tenant plus particulièrement au fait (i) qu’il s’agirait d’une maison faisant partie d’un ensemble de 8 maisons construites vers 1912 pour des employés de haut rang de l’(AA) et (ii) que même si l’immeuble avait subi des modifications tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ayant entraîné la perte de nombreuses parties de la substance historique, il n’en resterait pas moins qu’en tant que partie de l’ensemble architecturel des logements de cadres de l’(AA), elle posséderait un certain caractère de témoin du temps.

Lors de la procédure contentieuse, la partie gouvernementale a encore insisté sur le fait que l’immeuble litigieux en tant qu’élément d’un ensemble architectural mériterait une 5 Trib. adm. 6 mai 2013, n°28589a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Sites et monuments, n°37 et les autres références y citées.

6 « Le paragraphe 1er précise les différents critères qui peuvent s’appliquer de manière cumulative, à côté du critère d’authenticité lequel est toujours requis. – L’amendement clarifie que la pondération entre les différents critères ne peut se faire que pour ceux énumérés aux tirets de l’alinéa 2 de sorte qu’un bien immeuble doit toujours remplir le critère de l’authenticité. Avec cette modification, les auteurs du projet de loi suivent l’avis du Conseil d’Etat », Doc. parl. n° 747310, Amendements gouvernementaux, p. 21.

7 « Au paragraphe 1er, alinéa 3, il est prévu que les critères peuvent s’appliquer de manière cumulative et que le poids de chaque critère peut varier selon7 l’objet inventorié. Le Conseil d’État s’interroge sur le sens de cette disposition. En effet, pour pouvoir être inventorié comme bien immeuble susceptible de faire l’objet d’un classement comme patrimoine culturel national, un bien immeuble doit être représentatif et significatif au vu d’au moins un des points énumérés à l’alinéa 2 du même paragraphe. Quels critères sont visés ? S’agit-il des points précités ? Ou sont visés également les critères d’authenticité et de représentativité ou le fait de devoir être significatif ? Est-ce qu’un manque d’authenticité pourrait être compensé par un excès de représentativité ou par la rareté du bien ? Le Conseil d’État estime que tel ne peut pas être le cas. Si sont visés par la notion de « critère » au troisième alinéa, uniquement les points énumérés à l’alinéa 2, pour quelles raisons faudrait-il procéder à une pondération de ces points, sachant qu’il est suffisant de satisfaire à un seul de ces points ? Le Conseil d’État estime que ledit alinéa 3 doit être revu et rendu autrement plus clair afin de préciser que la seule pondération peut avoir lieu entre les points repris aux tirets de l’alinéa 2 », Doc. parl. n° 74736, Avis du Conseil d’Etat, p. 11.

12protection au sens de la loi du 25 février 2022 et a précisé la justification du classement au regard des critères de l’authenticité, du genre, de la typologie ainsi que de l’histoire sociale.

Force est tout d’abord au tribunal de retenir que si, certes, l’immeuble a connu plusieurs transformations au fil du temps, notamment par la construction d’une annexe, il n’en reste pas moins que l’immeuble a été construit en 1912, cette information ne faisant, par ailleurs, l’objet d’aucune contestation de la part de la demanderesse.

Le tribunal relève ensuite que c’est à bon droit que la partie gouvernementale précise que l’immeuble litigieux fait partie d’un ensemble architectural défini par l’article 1er, point 20° de la loi du 25 février 2022 comme étant « des groupements homogènes de biens immeubles suffisamment cohérents, d’un point de vue historique, fonctionnel ou social, pour faire l’objet d’une délimitation topographique ». En effet, l’immeuble litigieux fait partie d’un ensemble constitué par les immeubles situés aux numéros … à … de la rue … à Esch-sur-Alzette faisant tous l’objet d’un classement comme patrimoine culturel national et qui ont, de manière non contestée, tous été érigés à la même époque à proximité du château « … » pour des cadres de l’(AA), de sorte à présenter, du fait de son rôle de témoin de l’histoire sidérurgique de la Ville d’Esch-sur-Alzette, des caractéristiques particulières illustrant l’histoire sociale de ladite localité.

Si Madame (A) donne à considérer que l’immeuble aurait fait l’objet d’importantes transformations au fil du temps, le tribunal rappelle qu’il n’est pas exigé qu’un immeuble doive, dans son entièreté, se retrouver, au moment de son classement, dans son état d’origine premier.

Les immeubles vivent et subissent tout normalement des transformations. C’est compte tenu des différentes étapes de leur construction et de leur transformation qu’il échet de considérer les immeubles tels qu’ils se présentent au moment de la décision de classement8. Ainsi, même si l’immeuble a fait l’objet de diverses rénovations et transformations, cela fait partie de l’évolution normale de la vie de pareil immeuble à travers plus d’un siècle.

Il échet, par ailleurs, de relever que les pièces soumises à l’appréciation du tribunal et plus particulièrement le rapport d’expertise du 31 mars 2022, ne contredisent pas les conclusions du ministre, respectivement du délégué du gouvernement, étant encore précisé que l’expert n’avait pas été chargé avec la mission de se prononcer sur la justification d’un classement comme patrimoine culturel national mais avec celle de déterminer la valeur vénale de l’immeuble litigieux avant la modification du classement urbanistique dans le cadre de la refonte du plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, respectivement de déterminer le préjudice subi du fait du classement de la maison en zone d’habitation [HAB-1].

Si ce dernier affirme certes que « la maison ne présente pas d’élément architectural permettant d’expliquer une telle décision (…) [alors que] la maison a subi une extension sur le côté gauche avec un nouveau garage et une extension postérieure » tout en concluant qu’il n’y aurait « plus un style architectural d’époque à conserver puisque la maison n’est déjà plus à l’état d’origine », il n’en reste pas moins que cette affirmation n’est pas de nature à contredire les développements de la COPAC, respectivement du délégué du gouvernement ayant trait au fait que l’immeuble litigieux fait partie d’un ensemble architectural méritant protection.

Au vu de ce qui précède, s’agissant de l’extérieur de l’immeuble principal, le tribunal ne peut que constater sur base des éléments du dossier et plus particulièrement des 8 Cour adm. 24 décembre 2020, n° 44927C du rôle, Pas. adm., 2024, V° Sites et monuments, n° 43 et l’autre référence y citée.

13développements de la partie gouvernementale et des photographies versées en cause, que l’immeuble présente un intérêt public, dans la mesure où il est un témoin authentique de l’histoire sociale de la Ville d’Esch-sur-Alzette. L’intérêt de protection de l’extérieur de l’immeuble principal se trouve documenté à suffisance par les photographies versées en cause, ensemble les précisions fournies à travers les mémoires en réponse et en duplique, de sorte qu’une visite des lieux, telle que sollicitée par la partie demanderesse, ne présente en l’espèce pas de valeur ajoutée. En effet, la partie étatique met clairement en avant que pour un certain nombre de considérations architecturales et historiques tenant plus particulièrement aux éléments de construction de la maison litigieuse, à son aspect extérieur, à sa période de construction ou encore son affectation en tant que logement pour des cadres de l’(AA), l’immeuble mérite d’être protégé, appréciation que le tribunal partage.

Cette conclusion n’est pas infirmée par les développements de la demanderesse quant à l’article 16, devenu l’article 36 de la Constitution révisée, ainsi qu’à l’article 1er du premier Protocole additionnel à la CEDH. Si aux termes de l’article 16 de la Constitution « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité, dans les cas et de la manière établis par la loi », et aux termes de l’article 1er du Protocole additionnel à la CEDH « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes » et s’il est certes exact que le classement d’un immeuble comme patrimoine culturel national affecte nécessairement le droit de propriété, il n’en reste pas moins qu’il ne le prive toutefois pas d’un des aspects essentiels de la propriété et n’entrave pas les attributs du droit de propriété de manière telle que la limitation opérée puisse être qualifiée d’équivalente à une expropriation, d’autant plus qu’au niveau des dispositions de la loi, un équilibre a priori équitablement balancé a été institué par la loi entre l’ingérence d’un côté, et notamment l’indemnisation ensemble les aides et subsides étatiques prévus en la matière, de l’autre9.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme retient encore que la réglementation de l’usage des biens, certes admise du moment qu’elle est conforme à la réglementation de droit interne, doit non seulement poursuivre un objectif légitime d’utilité publique, mais qu’il convient encore de rechercher « si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu »10 et s’il existe « un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »11.

En l’espèce, il échet de constater que Madame (A) verse certes un rapport de l’expert … qu’elle avait chargé avec la mission de déterminer la valeur vénale de l’immeuble « avant modification du classement urbanistique » ainsi que le préjudice subi à la suite dudit classement, préjudice que ledit expert avait évalué à … euros. Il n’en reste pas moins que, d’un côté, ledit rapport n’a pas été établi dans le but de l’évaluation d’une éventuelle moins-value dans le cadre d’un classement comme patrimoine culturel national, mais dans le seul contexte de la modification du classement de la parcelle abritant l’immeuble dans le cadre de la refonte 9 Cour adm., 3 septembre 2014, n° 34327C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Sites et Monuments, n° 20 et les autres références y citées.

10 Arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, requête n° 7152/75 ; paragraphe 69.

11 Arrêt James et autres c. Royaume-Uni du 21 février 1986, requête n° 8793/79, paragraphe 50.

14du plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, de sorte à ne pas prendre en compte les subventions prévues à l’article 34 de la loi du 25 février 2022 auxquelles peuvent prétendre les propriétaires pour la restauration et la mise en valeur de leur immeuble faisant l’objet d’un classement comme patrimoine culturel national, et, d’un autre côté, la demanderesse reste en défaut de préciser concrètement dans quelle mesure les décisions déférées ne seraient pas proportionnées à leur but, respectivement dans quelle mesure elle serait limitée dans l’usage de son bien.

La conclusion dégagée ci-avant, selon laquelle l’extérieur de l’immeuble mérite protection, n’est pas non plus contredite par les développements de la demanderesse selon lesquels elle serait limitée dans l’exercice de son activité d’officier public en invoquant l’article 4 de la loi modifiée du 9 décembre 1976 relative à l’organisation du notariat, ci-après désignée par « la loi du 9 décembre 1976 », aux termes duquel « Chaque notaire doit résider effectivement dans la commune du lieu qui a été fixé par l’arrêté de nomination. Il ne lui est pas permis d’avoir une autre résidence même familiale, ni de la changer sans autorisation préalable. Il peut toutefois être autorisé par le Ministre de la Justice et aux conditions à fixer par ce dernier, à établir sa demeure familiale privée dans une autre localité, le tout sur avis de la Chambre des Notaires. (…) ». En effet, il échet de constater, d’un côté, que cette disposition ne concerne que la résidence privée du notaire et est sans incidence sur l’étude de ce dernier, qui, en l’espèce, selon le délégué du gouvernement, sans que cela aurait fait l’objet de contestations de la part de la demanderesse, n’est pas exploitée à l’adresse de l’immeuble litigieux, mais à une autre adresse à Esch-sur-Alzette, et, d’un autre côté, que la demanderesse reste en tout état de cause en défaut d’alléguer et a fortiori de prouver dans quelle mesure le classement comme patrimoine culturel national aurait une quelconque incidence concrète sur le fonctionnement de son étude de notaire.

Il s’ensuit que le classement comme patrimoine culturel national est justifié pour l’extérieur de l’immeuble litigieux.

La même conclusion ne saurait toutefois être tirée en ce qui concerne l’intérieur de l’immeuble litigieux, la demanderesse relevant à bon escient que l’avis de la COPAC se réfère explicitement aux travaux de rénovation ayant eu lieu entre 2012 et 2013 ayant notamment consisté en l’enlèvement de murs et la réunion de pièces sur tous les étages de la maison, de sorte que l’intérieur de la villa a subi d’importantes modifications ayant entraîné la perte de grandes parties de la substance historique du bâtiment. Le tribunal constate par ailleurs que tant le ministre que le délégué du gouvernement attribuent des caractéristiques d’intérêt public uniquement à l’aspect extérieur de l’immeuble en faisant abstraction d’éléments de l’intérieur méritant le cas échéant protection.

Or, comme l’article 41 de la loi du 25 février 2022 permet le classement partiel d’un immeuble, il faut en cas de classement d’un immeuble dans son intégralité que les caractéristiques sur lesquelles est basée cette décision soient rattachables non seulement à l’aspect extérieur du bâtiment principal, mais également à ses éléments d’intérieur, ce qui n’est manifestement pas justifié à suffisance en l’espèce par la partie étatique.

En effet, aussi bien l’avis de la COPAC que les décisions déférées restent muets quant à d’éventuels éléments intérieurs méritant protection, étant encore relevé qu’au cours de la procédure contentieuse et malgré les contestations afférentes de la demanderesse, la partie gouvernementale n’a pas fourni le moindre élément complémentaire de motivation en vue de 15justifier un intérêt public à classer l’intégralité de l’immeuble comme patrimoine culturel national, y inclus l’intérieur.

Ainsi à défaut d’avoir justifié l’intérêt public à conserver également l’intérieur de l’immeuble litigieux, le recours sous analyse est à déclarer partiellement fondé en ce sens que c’est à tort que le ministre a classé comme patrimoine culturel national l’intégralité de l’immeuble appartenant à Madame (A), seul l’extérieur de l’immeuble présentant un intérêt public suffisant à être conservé par les effets d’un classement.

Il suit de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler les décisions déférées des 9 juin et 13 septembre 2022 dans la seule mesure où a été classé comme patrimoine culturel national l’intérieur de l’immeuble inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1), appartenant à Madame (A), les recours étant à rejeter pour le surplus.

Madame (A) ne justifiant pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais exposés par lui et non compris dans les dépens, il n’y a pas lieu de faire droit à ses demandes tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros, présentées dans les trois recours inscrits sous les rôles 46934, 47905 et 48214 du rôle, en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Eu égard à l’issue des litiges, la partie demanderesse ayant obtenu partiellement gain de cause, il y a lieu de faire masse des frais et dépens et de les imposer à moitié à l’Etat et à moitié à Madame (A).

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

joint les affaires inscrites sous les numéros 46934, 47905 et 48214 du rôle ;

se déclare incompétent pour analyser les recours en réformation introduits à titre subsidiaire, inscrits sous les numéros 46934, 47905 et 48214 du rôle ;

déclare irrecevable le recours principal en annulation, inscrit sous le numéro 46934 ;

déclare irrecevable le recours principal en annulation, inscrit sous le numéro 48214 en ce qu’il est dirigé contre le courrier du ministre de la Culture du 13 septembre 2022 ;

reçoit le recours principal en annulation, inscrit sous le numéro 48214, pour le surplus ;

reçoit en la forme le recours principal en annulation, inscrit sous le numéro 47905 du rôle ;

au fond, les dits partiellement justifiés ;

partant, annule les décisions du ministre de la Culture des 9 juin et 13 septembre 2022 dans la seule mesure où a été classé comme patrimoine culturel national l’intérieur de 16l’immeuble inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, section … d’Esch-Nord, sous le numéro (P1) ;

pour le surplus, déclare le recours non fondé et en déboute ;

rejette les demandes en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulées par la demanderesse dans les trois rôles ;

fait masse des frais et dépens et les impose à moitié à l’Etat et à moitié à la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 avril 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : s46934,47905,48214
Date de la décision : 02/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-02;s46934.47905.48214 ?

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