Tribunal administratif N° 52592 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52592 5e chambre Inscrit le 26 mars 2025 Audience publique du 4 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22, L. 18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52592 du rôle et déposée le 26 mars 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrice MBONYUMUTWA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, ayant été retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 27 février 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de ladite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elias JEDIDI, en remplacement de Maître Patrice MBONYUMUTWA et Monsieur le délégué du gouvernement Laurent THYES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2025.
Le 14 janvier 2025, Monsieur (A), introduisit une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », auprès du ministère des Affaires intérieures, Direction générale de l’immigration.
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée, dans un rapport du même jour.
Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC effectuée en date du même jour révéla que Monsieur (A) avait d’ores et déjà introduit des demandes de protection internationale en Italie en date des … février 2020 et … avril 2023, en Suisse en date du … novembre 2022, en Autriche en date du … septembre 2023, en Allemagne en date du … novembre 2023 et aux Pays-Bas en date du … octobre 2024.
Le 6 février 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues allemands une demande de reprise en charge de Monsieur (A). Ladite demande, basée sur l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen etdu Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », fut été acceptée par les autorités allemandes par courrier du 10 février 2025.
Par décision du 21 février 2025, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre assigna Monsieur (A) à résidence à la maison de retour pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.
Il ressort d’un rapport de la Police grand-ducale, …, du 27 février 2025 que Monsieur (A) fut interpellé alors qu’il dormait dans le hall d’un immeuble et qu’il ne put présenter aucune pièce d’identité ou de voyage valable aux agents policiers. Une recherche dans la base de données intitulée « Système d’information Schengen », désignée ci-après par « le SIS », révéla que l’intéressé était signalé par les autorités allemandes comme « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour » jusqu’au 31 janvier 2028, ainsi que par les autorités italiennes pour « Interdiction d’accès/séjour » jusqu’au 24 février 2026.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre ordonna le placement de l’intéressé au Centre de rétention pour la durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté, lequel est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« (…) Vu l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu la demande de protection internationale introduite au Luxembourg par l’intéressé en date du 14 janvier 2025 ;
Vu le rapport n° … du … janvier 2025 établi par le Service de police judiciaire, section Criminalité organisée ;
Vu le rapport n° … du … février 2025, établi par la Police grand-ducale, … ;
Vu que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit deux demandes de protection internationale en Italie, une demande en Suisse, une demande en Autriche, une demande en Allemagne et une demande aux Pays-Bas ;
Vu l’accord de reprise en charge des autorités allemandes du 10 février 2025 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Vu ma décision de transfert du 21 février 2025 ;
Vu mon arrêté du 21 février 2025, notifié le même jour, assignant l’intéressé à résidence à la maison retour sur base de l’article 22, paragraphe (3), point b) ;
Attendu que l’intéressé ne s’est pas présenté à l’entretien en vue de la détermination de l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, qui était prévu en date du 19 février 2025, alors qu’une convocation lui a été remise en mains propres le 14 janvier 2025 ;
2 Considérant que l’intéressé n’a pas respecté l’obligation de répondre personnellement aux convocations du ministre ;
Attendu que l’intéressé a quitté la maison retour en date du 26 février 2025 et n’y était donc pas présent pendant les heures de présence obligatoire ;
Considérant le non-respect des conditions de l’assignation à résidence du 21 février 2025 ;
Considérant que l’intéressé a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;
Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité ou de voyage permettant d’établir son identité ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;
Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement de l’intéressé, il y a lieu de révoquer la mesure moins coercitive sur base de l’article 22, paragraphe (3), alinéa 3 et que le placement en rétention est ordonné ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 27 février 2025.
Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne à considérer que Monsieur (A) aurait été transféré vers l’Allemagne en date du 27 mars 2025, de sorte qu’il ne serait plus placé au Centre de rétention et que la réformation de l’arrêté ministériel déféré ne serait donc plus possible. Dès lors, et dans la mesure où le demandeur ne démontrerait pas qu’il conserverait un intérêt à poursuivre l’annulation de l’arrêté ministériel litigieux, son recours serait à rejeter pour défaut d’objet.
Le tribunal relève que l’arrêté ministériel déféré du 27 février 2025, à travers lequel le ministre a ordonné le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification, le même jour, soit jusqu’au 27 mai 2025, a cessé de produire ses effets au jour où le tribunal statue étant donné qu’il ressort du dossier administratif et tant d’un courrier électronique d’un agent de la Police grand-ducale du 27 mars 2025 adressé aux agents ministérielles que d’un rapport du Centre de Coopération Policière et Douanière du Luxembourg que l’intéressé a bien été transféré vers l’Allemagne et plus particulièrement qu’il a été remis aux autorités allemandes au poste douanier de … en date du 27 mars 2025, à 8 :30 heures.
Si, dans une matière où un recours en réformation est prévu, le demandeur peut certes limiter son recours en demandant au tribunal de ne pas épuiser son pouvoir de réformation, mais de restreindre son contrôle aux seules questions de légalité d’une décision litigieuse etd’annuler une décision déterminée, encore faut-il que cette demande soit présentée en bonne et due forme et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande1.
En l’espèce, le litismandataire du demandeur, confronté à travers le mémoire en réponse du délégué du gouvernement au fait que la décision déférée a cessé de produire ses effets et sur question du tribunal à l’audience publique des plaidoiries, a plaidé que le recours n’avait pas pour autant perdu son objet mais que le contrôle du tribunal était maintenant limité aux seules questions de légalité de la décision déférée et que le demandeur maintenait un intérêt à voir contrôler la légalité de la décision déférée afin de pouvoir solliciter, le cas échéant, un dédommagement auprès des juridictions civiles.
Etant donné que le tribunal vient de retenir que la décision de placement en rétention administrative déférée n’est plus en vigueur au jour où le tribunal statue, à savoir en date du 4 avril 2025, le tribunal n’est plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, de faire droit à la demande tendant à la réformation de la décision déférée. Toutefois, au vu des explications du litismandataire du demandeur à l’audience publique des plaidoiries, le tribunal constate que le recours ne devient cependant pas pour autant sans objet et que le demandeur maintient un intérêt à voir vérifier la légalité de la décision déférée. En revanche le contrôle du tribunal ne peut désormais plus que porter sur les moyens de légalité invoqués dans le cadre du recours en réformation.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation est recevable dans la limite des moyens d’annulation invoqués et doit être déclaré irrecevable pour le surplus.
A l’appui de son recours, et en droit, le demandeur avance un seul moyen tiré d’une violation de l’article 28, paragraphe (3) du règlement Dublin III. Il explique à cet égard que, l’Allemagne aurait, en tant qu’Etat membre responsable de connaître de sa demande de protection internationale, accepté de le reprendre en charge en date du 10 février 2025. Le délai de six semaines endéans lequel le transfert vers l’Etat membre responsable devrait intervenir, prévu au troisième alinéa du paragraphe (3) de l’article 28 précité, aurait donc commencé à courir le 10 février 2025 pour s’achever le 24 mars 2025. L’alinéa 4 du paragraphe (3) de l’article 28 précité prévoirait que lorsque le transfert de l’intéressé vers l’Etat responsable pour connaître de la demande de protection internationale n’interviendrait pas dans ce délai, l’intéressé ne pourrait plus être placé en rétention. Or, en l’espèce, au 26 mars 2025, le transfert du demandeur n’aurait toujours pas été effectué et il aurait toujours été placé en rétention pour une durée qui pourrait s’étendre jusqu’au 27 mai 2025.
Selon le demandeur, il découlerait du troisième alinéa du paragraphe (3) de l’article précité qu’une période de six semaines serait en principe suffisante, au regard notamment du caractère simplifié de la procédure de transfert entre les États membres instituée par le règlement Dublin III, pour que les autorités compétentes puissent procéder au transfert de l’intéressé vers l’Etat requis. Ceci devrait a fortiori être le cas lorsque, comme en l’espèce, l’Etat membre requis serait limitrophe à l’Etat membre requérant. A l’appui de ses développements le demandeur se réfère à différentes jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE ».
1 Trib. adm. 5 octobre 2017, n° 40203 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°3, ainsi que les autres références y citées.Le demandeur se réfère encore à l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », pour affirmer que les mesures coercitives et attentatoires au droit à la liberté notamment telles que le placement en rétention et l’assignation à résidence, devraient être d’une durée aussi brève que possible et ne devraient pas s’étendre au-delà d’un délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue.
Dans le cadre de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il fait valoir que le demandeur aurait fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour, et que, conformément aux dispositions de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, il existerait une présomption de risque de fuite non négligeable dans son chef, sans que l’intéressé n’ait présenté des éléments de nature à renverser la présomption pesant sur lui.
Il ne disposerait par ailleurs d’aucun domicile fixe légal au Luxembourg et ne présenterait pas d’éléments permettant de retenir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, si bien qu’une mesure moins coercitive au sens de l’article 22, paragraphe (3) de la loi précitée ne saurait lui être efficacement appliquée.
Concernant les dispositions de l’article 28, paragraphe (3) du règlement Dublin III le délégué du gouvernement se réfère à un arrêt de la CJUE du 13 septembre 20172, selon lequel sous certaines conditions et si le placement en rétention d’un demandeur de protection internationale débute après que l’État membre requis a accepté la requête aux fins de prise en charge, l’article 28 du règlement Dublin III ne s’opposerait pas à ce qu’une législation nationale prévoie que le placement en rétention pourrait être maintenu pendant deux mois au maximum.
Le délégué du gouvernement ajoute en dernier lieu que les autorités ministérielles auraient accompli toutes les démarches en vue d’organiser le transfert du demandeur avec toute la diligence voulue et que lesdites démarches auraient été conclues de succès, alors que le transfert du demandeur serait intervenu en date du 27 mars 2025.
Le tribunal précise de prime abord en ce qui concerne la question de la légalité du placement en rétention du demandeur, que l’article 22, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Un demandeur ne peut être placé en rétention que :
(…) d.) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :
2 CJUE, 13 septembre 2017, … contre Migrationsverket, affaire ….i. si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;
ii. si le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour conformément au règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n ° 1987/2006, tel que modifié, ou d’un signalement aux fins de retour conformément au règlement (UE) 2018/1860 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 relatif à l’utilisation du système d’information Schengen aux fins du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, tel que modifié ;
iii. si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ;
iv. si le demandeur est de nouveau présent sur le territoire luxembourgeois après l’exécution effective d’une mesure de transfert ou s’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure de transfert ;
v. si le demandeur a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un document d’identité ou de voyage ou s’il a fait usage d’un tel document ;
vi. si le demandeur a dissimulé des éléments de son identité ou s’il est démontré qu’il a fait usage d’identités multiples soit sur le territoire luxembourgeois, soit sur celui d’un autre État membre ;
vii. si le demandeur qui a refusé le lieu d’hébergement proposé ne peut justifier du lieu de sa résidence effective ou si le demandeur qui a accepté le lieu d’hébergement proposé a abandonné ce dernier sans motif légitime ;
viii. si le demandeur a exprimé l’intention de ne pas se conformer à une décision de transfert vers l’État responsable de sa demande de protection internationale ou si une telle intention découle clairement de son comportement ;
ix. si le demandeur, sans motif légitime et bien que régulièrement convoqué ou informé, ne s’est pas soumis à une mesure préparatoire et nécessaire à l’exécution matérielle de son transfert vers l’État membre responsable ou s’il a antérieurement manifesté son intention de ne pas se conformer à une telle mesure ; (…) ».
En vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».
L’article 22, paragraphe (3) de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixerpar le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et, (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.
L’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la mesure litigieuse a été prise, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel3 et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.
L’article 22, paragraphe (4) de la même loi précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
En ce qui concerne, tout d’abord, la question de l’existence dans le chef du demandeur d’un risque de fuite au sens de l’article 22, paragraphe (2), point d), de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de relever au vu des documents soumis au tribunal que le délégué du gouvernement précise à juste titre que le demandeur fait l’objet d’un signalement dans le SIS aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour, qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe au Luxembourg et qu’il ne présente pas d’autres éléments permettant de retenir l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite dans son chef. Le demandeur ne dispose, par ailleurs, d’aucun document d’identité ou de voyage valable.
Il s’ensuit qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef du demandeur, sans que ne se dégagent du dossier soumis au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption dudit risque de fuite dans son chef, de sorte que c’est a priori à juste titre que le ministre a pris une décision de placement en rétention à son encontre sur base de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 28 du règlement Dublin III.
En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.
3 trib. adm. 9 octobre 2017, n° 40221 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n°911 A cet égard, et en ce qui concerne plus précisément la mesure moins coercitive prévue au point a) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement devant les services ministériels, force est de constater que celle-ci n’est pas concevable en l’espèce dans la mesure où le demandeur ne dispose pas de l’original de son passeport, ni d’aucun autre document d’identité, étant encore rappelé à cet égard que la remise aux services ministériels de l’original du passeport, accompagné, le cas échéant, d’un autre document justificatif de son identité, est, au vu du libellé du point a) de l’article 22, paragraphe (3) une condition sine qua non à l’application éventuelle de cette même mesure coercitive.
Quant à l’assignation à résidence telle que prévue par l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de rappeler que celle-ci n’est envisageable que si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite. Or, en l’espèce, le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément qui serait de nature à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut de fournir un quelconque élément qui établirait l’existence dans son chef d’attaches particulières au Luxembourg, respectivement d’une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement au Luxembourg, éléments qui seraient susceptibles d’établir dans son chef l’existence de garanties de représentation effective propres à prévenir un risque de fuite conformément à la disposition légale prémentionnée, lequel est, tel que relevé ci-avant, non seulement présumé dans son chef, mais également corroboré par son comportement personnel pour avoir présenté de multiples demandes de protection internationale en Europe.
S’agissant ensuite de la mesure moins coercitive prévue par le point c) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une telle garantie financière.
Il s’ensuit que toute mesure moins coercitive qu’un placement en rétention du demandeur est exclue dans son chef.
S’agissant ensuite de la question du caractère proportionné de la durée de la mesure de placement en rétention, il échet de rappeler que l’article 22, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que : « La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquelles elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.
Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. ».
Dans ce contexte, le demandeur argumente qu’il aurait été placé en rétention au-delà du délai de six semaines à compter de l’acceptation par les autorités allemandes de le reprendre en charge en violation de l’article 28, paragraphe (3) du règlement Dublin III.
Ledit paragraphe dispose que : « (…) 3. Le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.
Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, le délai de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ne dépasse pas un mois à compter de l’introduction de la demande. L’État membre qui mène la procédure conformément au présent règlement demande dans ce cas une réponse urgente. Cette réponse est donnée dans un délai de deux semaines à partir de la réception de la requête. L’absence de réponse à l’expiration de ce délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre ou de reprendre en charge la personne, y compris l’obligation d’assurer la bonne organisation de son arrivée.
Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, son transfert de l’État membre requérant vers l’État membre responsable est effectué dès qu’il est matériellement possible et au plus tard dans un délai de six semaines à compter de l’acceptation implicite ou explicite par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou à compter du moment où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif conformément à l’article 27, paragraphe 3.
Lorsque l’État membre requérant ne respecte pas les délais de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ou lorsque le transfert n’intervient pas dans le délai de six semaines visé au troisième alinéa, la personne n’est plus placée en rétention. Les articles 21, 23, 24 et 29 continuent de s’appliquer en conséquence. (…) ».
Il échet de constater que l’article 28, paragraphe (3), alinéa 2 du règlement Dublin III dispose que lorsqu’un demandeur de protection internationale est placé en rétention en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande, l’Etat membre requérant dispose d’un délai d’un mois pour introduire sa requête de prise ou reprise en charge et l’Etat membre requis dispose d’un délai de deux semaines pour y répondre. Le troisième alinéa du même article prévoit que la durée de la mesure de rétention ne peut excéder, dans ce cadre, un délai de six semaines à compter de l’acceptation implicite ou explicite de l’Etat membre responsable ou à compter du moment où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif conformément à l’article 27, paragraphe (3). Le non-respect de ces délais par l’Etat membre requérant entraîne, conformément à son quatrième alinéa, la libération du demandeur, le législateur européen considérant, ainsi, qu’un délai dépassant les délais impartis ne constitue plus un « délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue ».
Dans ce contexte, le délégué du gouvernement se réfère à juste titre à l’arrêt précité de la CJUE du 13 septembre 2017. Dans le cadre de ladite affaire la CJUE a été saisie des questions préjudicielles suivantes : « 1) Lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas placé en rétention au moment où l’État membre responsable accepte de le prendre en charge, mais est placé en rétention par la suite – parce que c’est seulement alors qu’il est jugé qu’il existe un risque non négligeable de fuite de l’intéressé –, convient-il de calculer le délai de six semaines prévu à l’article 28, paragraphe 3, du règlement [Dublin III] à compter de la date à laquelle la personne a été placée en rétention ou à compter d’une autre date et, si oui, laquelle ? 9 2) Lorsque le demandeur d’asile ne se trouve pas en rétention au moment où l’État membre responsable accepte de le prendre en charge, l’article 28 du règlement [Dublin III] fait-il obstacle à l’application de règles de droit interne, telles que celles du droit suédois, en vertu desquelles un étranger ne peut pas être placé en rétention aux fins d’exécution pendant plus de deux mois en l’absence de raisons sérieuses justifiant une rétention plus longue, pendant plus de trois mois si de telles raisons existent et pendant plus de douze mois s’il est probable que l’exécution prendra plus de temps du fait d’un manque de coopération de l’étranger ou si l’obtention des documents nécessaires prend du temps ? (…) ».
La CJUE a répondu auxdites questions que : « (…) Il résulte de ce qui précède que l’article 28 du règlement Dublin III, lu à la lumière de l’article 6 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens que :
– il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, dans une situation dans laquelle le placement en rétention d’un demandeur de protection internationale débute après que l’État membre requis a accepté la requête aux fins de prise en charge, ce placement en rétention peut être maintenu pendant deux mois au maximum, pour autant, d’une part, que la durée du placement en rétention ne dépasse pas le temps nécessaire aux fins de la procédure de transfert, apprécié en tenant compte des exigences concrètes de cette procédure dans chaque cas particulier, et, d’autre part, que, le cas échéant, cette durée ne se prolonge pas plus de six semaines à compter de la date où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif et - il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet, dans une telle situation, de maintenir ledit placement en rétention pendant trois ou douze mois durant lesquels le transfert pouvait valablement être effectué. (…) ».
Dans l’arrêt précité, la CJUE a, au préalable, jugé que « le délai maximum de six semaines dans lequel le transfert d’une personne placée en rétention doit être effectué, prévu par cette disposition [l’article 28, paragraphe 3, troisième alinéa du règlement Dublin III], ne s’applique que dans le cas où la personne concernée est déjà placée en rétention lorsque se réalise l’un des deux événements visés à cette disposition. »4, autrement dit lorsqu’intervient une acceptation de l’Etat membre requis ou lorsque le « le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif conformément à l’article 27, paragraphe 3 » Force est cependant en l’espèce au tribunal de constater que, tel que précisé ci-avant, les autorités allemandes ont accepté la reprise en charge du demandeur par courrier du 10 février 2025, tandis que le placement au Centre de rétention du demandeur n’a été ordonné que par décision ministérielle du 27 février 2025, c’est-à-dire par décision postérieure à l’acceptation de la reprise en charge de l’Etat requis.
Cela étant, le tribunal relève, en conformité avec les réponses fournies par la CJUE reprises ci-avant que dans le cadre d’une hypothèse telle que celle de l’espèce, à savoir celle où le placement en rétention d’un demandeur de protection internationale débute après que l’État membre requis a accepté la requête aux fins de prise en charge, la possibilité de maintenir la personne concernée en rétention pour une durée maximale de deux mois existe sous différentes conditions, lesquelles ont été respectées en l’espèce.
4 CJUE, 13 septembre 2017, point 39.Ainsi, en premier lieu, force est de constater que la durée du placement au Centre de rétention du demandeur n’a pas dépassé « le temps nécessaire aux fins de la procédure de transfert », dans la mesure où (i) la décision ministérielle du 27 février 2025 ayant retenu que le demandeur serait transféré vers l’Etat membre requis, à savoir l’Allemagne, a été prise le 21 février 2025, (ii) le demandeur n’a été placé en rétention qu’en date du 27 février 2025 et que suite aux démarches en vue de l’organisation du transfert vers l’Allemagne accomplies par les autorités luxembourgeoises, le demandeur a pu être transmis aux autorités allemandes à … en date du 27 mars 2025 à 8 :30 heures. L’organisation de l’éloignement du territoire du demandeur s’est donc étalée sur une durée de cinq semaines à compter de l’acceptation du transfert par les autorités allemandes, tandis que le placement au Centre de rétention du demandeur ne s’est prolongé que sur une durée de quatre semaines. Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, le tribunal retient que les démarches entreprises par les autorités luxembourgeoises en vue d’organiser le transfert du demandeur ont été exécutées avec toute la diligence voulue, conformément à l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, et que, par ailleurs, lesdites démarches ont abouti, alors que le demandeur a pu être transféré vers l’Allemagne.
En second lieu, force est de constater que la durée du placement au Centre de rétention ne s’est pas prolongée au-delà d’une durée de six semaines à compter de la date où « le recours [contre la décision ordonnant le transfert] ou la révision n’a plus d’effet suspensif ».
A cet égard, il échet de préciser qu’aux termes de l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur dispose d’un délai de quinze jours à partir de la notification d’une décision de transfert prise en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la même loi pour introduire un recours en réformation à l’encontre de ladite décision. En vertu de l’article 36 de la loi du 18 décembre 2015, le recours prévu à l’article 35, paragraphe (4) de la même loi a un effet suspensif. Dans la mesure où, il est constant en cause que la décision ordonnant le transfert du demandeur vers l’Allemagne a été prise en date du 21 février 2025, le délai de six semaines de la date à compter de laquelle le recours n’a plus d’effet suspensif n’a donc pas été dépassé.
Il suit des considérations qui précèdent que contrairement à l’argumentation du demandeur aucune violation de l’article 28 du règlement Dublin III, tel que lu sur la toile de fond de l’arrêt précité de la CJUE du 13 septembre 2017 ne peut être constatée. Ledit moyen est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare irrecevable pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 avril 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 12