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24/04/2025 | LUXEMBOURG | N°49347

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 avril 2025, 49347


Tribunal administratif N° 49347 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49347 2e chambre Inscrit le 23 août 2023 Audience publique du 24 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Classes moyennes, en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49347 du rôle et déposée le 23 août 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel NOEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, t

endant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes mo...

Tribunal administratif N° 49347 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49347 2e chambre Inscrit le 23 août 2023 Audience publique du 24 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Classes moyennes, en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49347 du rôle et déposée le 23 août 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel NOEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes du 18 mai 2023 portant révocation de l’autorisation d’établissement portant le n° … délivrée à Monsieur (A) en date du 29 mars 1996 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 février 2025, Maître Daniel NOEL n’ayant été ni présent, ni représenté.

Par courrier du 10 février 2023, le ministre des Classes moyennes, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) qu’il envisageait de révoquer l’autorisation d’établissement n° … lui délivrée le 29 mars 1996, ledit courrier étant libellé comme suit :

« […] Suite à la faillite de la société (AA), dont vous étiez le dirigeant, le Ministère de l'Économie, Direction des Classes moyennes a sollicité des éléments d'appréciation auprès des créanciers publics, afin de permettre de vérifier si votre honorabilité professionnelle n'est pas compromise.

Il en résulte que votre honorabilité professionnelle est compromise. En effet, cette faillite est caractérisée notamment par des dettes auprès du créancier public (ACD).

A titre d'information je vous communique ci-dessous les montants des dettes auprès des créanciers publics pour ladite faillite :

ACD AED CCSS (…) 1 Néanmoins, je vous signale que si vous me faisiez parvenir une attestation certifiant que toutes les dettes accumulées auprès du créancier public ont été payées et le créancier public ainsi désintéressés ou si vous apportiez la preuve d'un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés, je serais disposé à reconsidérer votre honorabilité professionnelle, conformément aux dispositions des articles 4.4 et 6 (3) et (4) de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011.

Par conséquent, vous voudrez régulariser votre situation auprès du créancier public endéans un mois et me faire parvenir un certificat de l'administration concernée que les dettes ont été payées, voire un plan d'apurement accepté.

A défaut, je serais contraint de procéder à la révocation de l'autorisation sous rubrique.

[…] » Par courrier du 21 mars 2023, le ministre s’adressa de nouveau à Monsieur (A) en les termes suivants :

« […] Par la présente je reviens au dossier référencé sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Dans le cadre de la faillite de la société (AA), vous, en qualité de dirigeant de cette société, avez accumulé des dettes auprès de l’ACD.

Le Ministère de l’Économie, Direction des Classes moyennes vous avait averti que l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics empêche non seulement la délivrance de nouvelles autorisations mais doit également entraîner la révocation des autorisations et certificats existants, conformément aux articles 4 et 6 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Dans ce contexte, vous avez été prié de prendre contact avec les créanciers publics afin de faire parvenir au Ministère, soit une quittance attestant que tous les arriérés ont été réglées, soit un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement desdits arriérés.

Sauf erreur de ma part, vous n’avez pas réagi à ce courrier ministériel.

Par conséquent et conformément aux dispositions du règlement du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente pour présenter d’éventuelles observations ou demander à être entendu(e) en personne.

A défaut, j'ai l'intention de procéder à la révocation de l'autorisation sous rubrique, conformément aux dispositions des articles 4 et 28 (3) de la loi modifiée d'établissement du 2 septembre 2011. […] ».

Par décision du 18 mai 2023, le ministre révoqua l’autorisation d’établissement n° … délivrée à Monsieur (A) en date du 29 mars 1996. La décision du ministre est libellée comme suit :

2« […] Je reviens par la présente à l'autorisation sous rubrique.

Par courriers ministériels des 10 février et 21 mars 2023, le Ministère de l'Économie, Direction des Classes moyennes, vous avait informé que le fait, pour le titulaire d'une autorisation d'établissement, de se soustraire aux charges sociales et fiscales empêche non seulement la délivrance d'une nouvelle autorisation mais entraîne aussi la révocation de ses autorisations existantes. Cette disposition s'applique aussi bien aux dettes personnelles, qu'à celles accumulées dans le cadre de la gestion d'une société (cf. article 4 (4) de la loi modifiée du 2 septembre 2011).

Or, vous avez accumulé des dettes auprès l'AC en votre qualité de dirigeant de la société (AA), déclarée en faillite.

Ce non-respect des obligations fiscales constitue une soustraction au sens des article 4.4 et 6 (4) d) de la loi modifiée du 2 septembre 2011 précitée.

A défaut de réponse aux courriers ministériels précités et vu que le respect des articles précités constitue une condition essentielle à la délivrance et au maintien de toute autorisation d'établissement, je révoque par la présente l'autorisation no ….

Je vous prie dans ces conditions de remettre l'autorisation en question dans les meilleurs délais à mes services. […] ».

Par courrier daté du 16 août 2023, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux contre la décision du 18 mai 2023, précitée, à travers lequel il sollicita un réexamen et une révision de la décision de révocation sur base d’« éléments et arguments qu’il [entendrait] soumettre dans les meilleurs délais », tout en expliquant, à cette occasion, qu’il aurait été dans l’impossibilité de répondre dans les délais impartis aux courriers des 10 février et 21 mars 2023 pour des raisons de santé.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2023, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 18 mai 2023 révoquant l’autorisation d’établissement n° … lui délivrée en date du 29 mars 1996.

Etant donné que ni la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignée par « la loi du 2 septembre 2011 », ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de la décision ministérielle déférée, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le tribunal est, en revanche, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et après avoir retracé, en substance, les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, le demandeur explique que la dette mise en avant par le ministre pour révoquer son autorisation d’établissement ne résulterait pas de son exploitation personnelle, mais de celle de la société à responsabilité limitée (AA), en faillite, ci-après désignée « la 3société (AA) ». Comme il s’agirait dès lors d’une dette d’une personne morale, celle-ci ne saurait affecter l’honorabilité d’une personne physique, Monsieur (A) précisant à cet égard que la société (AA) n’aurait plus exercé d’activité commerciale et ne pourrait ainsi être redevable d’un « tel montant ».

En droit, le demandeur sollicite l’annulation de la décision ministérielle du 18 mai 2023 en reprochant au ministre un excès de pouvoir ainsi qu’une violation de la loi.

En premier lieu, le demandeur conteste avec « la dernière énergie être une personne non honorable » ayant accumulé des dettes, que ce soit à titre personnel ou en sa qualité de dirigeant d’une société.

Après avoir cité les articles 4 et 6 de la loi du 2 septembre 2011, le demandeur conclut qu’en mettant son honorabilité en cause en raison de la faillite de la société (AA), le ministre aurait dépassé sa marge d’appréciation et aurait pris une décision « manifestement disproportionnée par rapport à la réalité des faits ».

Il se prévaut, en deuxième lieu, d’une violation du principe de bonne administration dont découleraient également le principe général de la sécurité juridique et celui de la confiance légitime de l’administré en l’administration, et qui imposerait que tout administré serait en droit de s’attendre d’une autorité administrative qu’elle soit « [a] minima fair play » et qu’elle respecte son devoir de diligence et d’administration raisonnable, en arguant qu’il aurait été sanctionné pour un dysfonctionnement au sein du ministère en ce qu’il lui serait reproché, à tort, d’avoir accumulé des dettes et de ne plus être honorable. Pour ces raisons, la décision litigieuse serait à annuler pour excès de pouvoir.

En troisième et dernier lieu, le demandeur conclut à une violation de la loi sans toutefois autrement développer ce moyen.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève à titre liminaire qu’il n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Aux termes de l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011, « L’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies ».

Il s’ensuit que d’après l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011, l’exercice d’une activité réglementée est subordonné au respect des conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification posées aux articles 4 à 27 de ladite loi.

L’article 4 de la même loi, dans sa version applicable au moment où la décision litigieuse a été prise, précise les exigences à remplir par le dirigeant d’une entreprise dans les termes suivants : « L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

41. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles; et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise; et 3. a un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié;

et 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée ».

Aux termes de l’article 28, paragraphe (3) de la loi du 2 septembre 2011 – dans sa mouture applicable en l’espèce – : « Le Ministre peut révoquer l’autorisation d’établissement pour les motifs qui en auraient justifié le refus ».

Il ressort de la lecture combinée des dispositions qui précèdent que si la soustraction par un dirigeant d’entreprise aux charges sociales et fiscales, soit en son nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée, respectivement le manque d’honorabilité professionnelle dans le chef d’un dirigeant d’entreprise constituent un motif légal de refus de délivrance d’une autorisation d’établissement au profit de cette entreprise, une telle soustraction aux charges sociales et fiscales, respectivement le défaut ou la perte d’honorabilité professionnelle dans le chef du dirigeant d’entreprise disposant d’ores et déjà d’une autorisation d’établissement sont de nature à justifier la révocation de l’autorisation en question.

L’article 6 de la loi du 2 septembre 2011 précise le régime de la condition de l’honorabilité professionnelle dans les termes suivants :

« (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.

(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.

(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.

(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant:

a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi;

b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;

5c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;

d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;

e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée;

f) tout manquement à l’obligation de l’article 4bis. ».

Il y a lieu de relever que l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011 prévoit quatre conditions cumulatives que le dirigeant d’une entreprise doit remplir en vue de la délivrance d’une autorisation d’établissement, à savoir (i) satisfaire aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles, (ii) assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise, (iii) avoir un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié de celle-ci, et (iv) ne pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée. Il s’ensuit que, d’une part, le respect des obligations fiscales et sociales prévu par l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011 et, d’autre part, la condition tenant à l’honorabilité professionnelle inscrite à l’article 4, point 1 de la même loi constituent des exigences distinctes que le dirigeant de l’entreprise sollicitant une autorisation d’établissement doit remplir cumulativement1.

En l’espèce, il ressort de la décision ministérielle du 18 mai 2023 que le ministre a révoqué l’autorisation d’établissement n° … délivrée à Monsieur (A) en date du 29 mars 1996, après avoir constaté que celui-ci aurait, en sa qualité de dirigeant de la société (AA), accumulé des dettes auprès de l’administration des Contributions directes (« ACD »), et que ce non-

respect des obligations fiscales serait constitutif d’une « soustraction » au sens des articles 4, point 4 et 6 paragraphe (4), point d) de la loi du 2 septembre 2011.

Il se dégage du commentaire de l’article 3 du projet de loi n° 61582 devenu l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, que « […] Le dirigeant de l’entreprise ne doit pas avoir des arriérés de dettes auprès de l’Administration des contributions directes, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et du Centre commun de la sécurité sociale qui relèvent soit de son activité professionnelle en nom propre, soit d’une activité de dirigeant au sein d’une autre entreprise. Afin de satisfaire à cette exigence, il doit être certifié par l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et des domaines et le Centre commun de la sécurité sociale que le dirigeant de l’entreprise satisfait à [l’] exigence [tenant au défaut de soustraction aux charges fiscales et sociales]. Cette exigence s’inspire de l’article 2 alinéa 5 de la loi modifiée du 28 décembre qui prévoyait déjà à l’époque qu’en cas de violation des obligations professionnelles, fiscales ou sociales, l’autorisation d’établissement pouvait être refusée ou révoquée. Le présent texte maintient le principe déjà fixé sous la loi modifiée du 28 décembre 1988, tout en l’adaptant à la réalité de 2009. Durant les dernières années, il a en effet pu être constaté qu’il devenait de plus en plus habituel d’accumuler des arriérés auprès des créanciers publics. Dans certains cas particulièrement graves, il a même pu être constaté que certains dirigeants, après avoir accumulé des arriérés auprès des créanciers publics, abandonnaient l’entreprise en temps utile avant la faillite, tout 1 Trib. adm., 13 octobre 2015, n° 35080 du rôle, Pas. adm. 2024, Autorisation d’établissement, n° 207 et les autres références y citées 2 Disponible sous www.chd.lu.

6en se relançant aussitôt avec une nouvelle entreprise, en laissant derrière eux des coquilles vides, bourrées de dettes qui végétaient jusqu’à ce qu’elles soient finalement assignées en faillite. Face à de telles constatations, le ministre des Classes moyennes se trouvait souvent dans une situation ambiguë. D’une part, il ne pouvait pas conditionner la délivrance de la nouvelle autorisation d’établissement au paiement des dettes générées par le dirigeant dans le cadre de la société abandonnée. D’autre part, la situation d’espèce ne suffisait souvent pas pour décider que l’honorabilité professionnelle de l’ancien dirigeant était affectée. […] Le non-respect des obligations fiscales ou sociales, surtout lorsqu’il se termine dans une faillite sera traité plus en détail sous le chapitre relatif à l’honorabilité professionnelle. Le présent article tente cependant de résoudre le problème de l’accumulation des dettes auprès des créanciers publics plus en amont. Désormais, une nouvelle autorisation d’établissement ne pourra être délivrée que si les créanciers publics certifient au ministre des Classes moyennes que le dirigeant n’a pas accumulé, ni en nom personnel, ni au nom d’une autre entreprise qu’il dirige, des dettes auprès d’eux. Cette disposition a l’avantage d’apprécier la situation du dirigeant dans son intégralité. Le présent article préserve pour le surplus une grande flexibilité en permettant d’éviter toute immixtion du ministre des Classes moyennes dans la politique de recouvrement des créanciers publics. Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes. Par contre, si les créanciers publics, malgré l’existence de dettes, donnent leur accord en se référant par exemple à un arrangement amiable qui serait en cours, l’autorisation d’établissement pourra néanmoins être délivrée. Il est important de noter que le présent article ne concerne que le refus ou la révocation de l’autorisation d’établissement en raison de l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics. Il ne touche cependant pas à l’aspect de l’honorabilité professionnelle. […] ».

Ainsi, l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011 permet au ministre de révoquer l’autorisation d’établissement reposant sur le nom d’un dirigeant et de subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement dans le chef de celui-ci au règlement préalable de dettes accumulées auprès des créanciers publics par le dirigeant soit en son nom personnel, soit par l’intermédiaire d’une entreprise qu’il dirige ou qu’il a dirigée et cette faculté lui est a priori ouverte au-delà de toutes considérations relatives à l’honorabilité professionnelle proprement dite de l’intéressé3.

Il s’ensuit qu’en principe, sur base de l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, le ministre peut, en dehors de toutes considérations d’honorabilité professionnelle, conditionner la délivrance, respectivement le maintien d’une autorisation d’établissement dans le chef d’une personne physique au règlement préalable des dettes publiques de la société qu’elle dirige ou a dirigée, respectivement à un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement détaillé avec les créanciers publics concernés4. Il se dégage du commentaire d’article susmentionné que pour qu’il y ait soustraction aux charges sociales et fiscales dans le chef du dirigeant au sens de cette disposition, il suffit que les arriérés à l’égard des créanciers publics se rapportent à une période pendant laquelle il avait la qualité de dirigeant5.

Il n’en reste pas moins que si les dettes accumulées par le dirigeant en question à l’égard des créanciers publics sont considérées comme « importantes » et si elles se rapportent à une faillite prononcée, ledit dirigeant ne satisfait non seulement pas à l’exigence inscrite à l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle l’intéressé ne doit pas s’être soustrait 3 Cour adm., 28 novembre 2023, n° 49216C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

4 Idem.

5 Trib. adm., 13 juillet 2015, n° 35022 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

7aux charges sociales et fiscales, de sorte que la délivrance d’une nouvelle autorisation d’établissement peut être subordonnée au règlement préalable des dettes en question, mais encore moins à la condition d’honorabilité professionnelle visée par l’article 4, point 1 de ladite loi, l’honorabilité professionnelle de l’intéressé lui étant, dans pareille hypothèse, automatiquement refusée, en application de l’article 6, paragraphe (4), point d) de la même loi6.

Le tribunal relève qu’il est constant en cause, pour ne pas être contesté par le demandeur et pour ressortir d’ailleurs expressément du dossier administratif, que Monsieur (A) était le gérant de la société (AA) depuis la constitution de celle-ci en date du 27 novembre 2015 jusqu’à sa déclaration en état de faillite par jugement du 3 octobre 2022.

Il se dégage également du dossier administratif, et plus particulièrement d’un courrier de l’ACD du 19 janvier 2023 qu’à cette date, la société (AA) était toujours redevable d’un montant de (…).- euros à ladite administration.

Au vu de ce qui précède, et plus particulièrement de l’existence d’une dette dans le chef de la société (AA) à payer à l’ACD, accumulée et non réglée pendant la période durant laquelle Monsieur (A) en était le dirigeant, il y a lieu de retenir qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, ce dernier ne respectait a priori pas l’exigence inscrite à l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle le dirigeant ne doit pas s’être soustrait aux charges sociales et fiscales de la société qu’il a dirigée.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation de Monsieur (A) selon laquelle la société (AA) n’aurait plus eu d’activités et ne pourrait ainsi pas être débitrice de l’ACD, laquelle se rattache ainsi au caractère fondé de la dette en question, dans la mesure où il se dégage du commentaire susmentionné7 de l’article 3 du projet de loi n°6158 ayant mené à la loi du 2 septembre 2011, étant devenu l’actuel article 4, point 4 de cette loi, que le ministre ne s’est pas vu conférer un pouvoir d’appréciation en cas d’existence de dettes auprès d’un créancier public, auquel cas la délivrance de l’autorisation d’établissement doit être tenue en suspens jusqu’au règlement de la dette auprès du créancier public en cause, si bien que le ministre n’est pas non plus compétent pour se prononcer sur le caractère fondé d’une dette envers un créancier public, compétence revenant exclusivement à ce créancier public. Ce moyen est partant à rejeter pour être non fondé.

A cela s’ajoute que même à admettre pour les besoins de la discussion que l’existence d’arriérés à l’égard des créanciers publics au niveau d’une entreprise n’est pas à elle seule la preuve indiscutable d’une soustraction aux charges sociales et fiscales, au sens de l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, dès lors que des éléments de preuve suffisants permettant de l’imputer à autrui sont rapportés, encore faudrait-il qu’il soit démontré que le dirigeant qui entend se disculper se soit comporté de façon normalement prudente et diligente et qu’il n’apparaisse pas avoir manqué aux obligations lui incombant en tant que dirigeant d’entreprise8 ; cette preuve n’étant cependant pas rapportée en l’espèce.

6 op. cit. Trib. adm., 13 juillet 2015, n° 35022 du rôle, Pas. adm. 2024, Autorisation d’établissement, n° 235 et les autres références y citées.

7 « Le présent article préserve pour le surplus une grande flexibilité en permettant d’éviter toute immixtion du ministre des Classes moyennes dans la politique de recouvrement des créanciers publics. Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes. » 8 op. cit. Cour adm., 28 novembre 2023, n° 49216C du rôle.

8En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle le ministre aurait pris une décision « manifestement disproportionnée par rapport à la réalité des faits » en remettant en cause son honorabilité sur base de la faillite d’une personne morale, le tribunal est amené à relever qu’au vu de la finalité des articles 4, point 4 et 28, paragraphe (3) de la loi du 2 septembre 2011, dans leurs moutures applicables en l’espèce, permettant au ministre, en dehors de toutes considérations d’honorabilité professionnelle, de conditionner la délivrance ou le maintien d’une autorisation d’établissement dans le chef d’une personne physique au règlement préalable des dettes publiques de la société qu’elle dirige ou a dirigée, il n’apparaît pas dans quelle mesure la révocation de l’autorisation d’établissement litigieuse ne serait, en l’espèce, pas proportionnée par rapport à l’objectif ainsi recherché par le législateur. Le reproche afférent est dès lors à rejeter.

S’agissant ensuite de la violation alléguée du principe de bonne administration, le tribunal précise que l’expression « principe de bonne administration » est généralement utilisée au pluriel, parce que le « principe de bonne administration » est souvent perçu comme une expression qui regroupe plusieurs principes mieux connus ou plus précis. Ainsi, les principes rattachés aux principes généraux de bonne administration peuvent constituer, d’une part, des principes régissant le contenu des décisions de l’administration et, d’autre part, des principes régissant les modalités de l’action de l’administration dans les procédures. A cet égard, peuvent notamment être cités le principe des droits de la défense, le principe de l’impartialité, le principe de l’indépendance, le principe du fair play et le principe de la bonne foi.9 Peuvent encore être cités l’obligation pour l’administration de statuer dans un délai raisonnable, le devoir de diligence ou d’administration raisonnable, le principe de précaution en matière environnementale, ainsi que le principe de la sécurité juridique et le respect dû à la confiance légitime de l’administré qui s’opposent à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés10. A l’instar du Conseil d’Etat belge, le tribunal constate donc que le principe général de bonne administration en soi n’a pas de contenu précis et ne peut sans indication plus circonstanciée pas fonder l’annulation d’un acte administratif11.

En l’espèce, le demandeur invoque une violation du principe de bonne administration de concert avec une violation du principe général de la sécurité juridique et celui de la confiance légitime, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’à travers l’invocation du principe plus général de la bonne administration, il a concrètement voulu invoquer une violation des principes de la sécurité juridique, voire de la confiance légitime.

A cet égard, il convient de préciser que le principe de confiance légitime, lequel s’apparente au principe de la sécurité juridique s’oppose à ce que l’administration opère brusquement des revirements de comportement revenant sur les promesses faites aux administrés, autrement dit, ledit principe implique que l’administré est en droit d’exiger de l’autorité administrative qu’elle ne se départisse pas brusquement d’une attitude qu’elle a suivie dans le passé12.

9 Ivan Verougstraete, Amaryllis Bossuyt, Le principe (général) (de droit) de bonne administration, Journal des tribunaux 2020/28, p. 567 – 573.

10 R. Ergec et F. Delaporte, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2024, pt. 79, p. 58.

11 Conseil d’Etat belge, 27 novembre 2008, n°188.251, cité in : Ivan Verougstraete, Amaryllis Bossuyt, Le principe (général) (de droit) de bonne administration, Journal des tribunaux 2020/28, p. 569.

12 Trib. adm., 22 juin 2016, n° 36604 du rôle, Pas. adm. 2024, Lois et Règlements, n° 77 et les autres références y citées.

9Force est au tribunal de relever (i) que dans la mesure où l’article 28, paragraphe (3) de la loi du 2 septembre 2011 permet expressément au ministre de révoquer l’autorisation d’établissement pour les motifs qui en auraient justifié le refus et (ii) que le demandeur n’allègue plus particulièrement pas qu’en prenant la décision litigieuse, le ministre se serait départi, en ce qui le concerne, brusquement d’une attitude qu’il avait suivie par le passé, respectivement qu’il aurait contrevenu au principe de fair play, le moyen afférent est à rejeter.

Ce constat s’impose d’autant plus qu’il ressort encore du dossier administratif que le ministre a averti le demandeur à plusieurs reprises qu’il risquerait une révocation de l’autorisation d’établissement n° … en raison des dettes accumulées auprès de l’ACD par la société (AA) dont il était le dirigeant, tel que cela ressort plus particulièrement des courriers des 10 février et 21 mars 2023, précités.

Enfin, en ce qui concerne le moyen simplement effleuré, tiré d’une prétendue violation de la loi, il convient de rappeler que les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, sauf à constituer des moyens que le tribunal aurait pu invoquer d’office, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant encore relevé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens de droit.

Au vu de toutes ces considérations, le tribunal conclut que c’est à bon droit que le ministre a retenu qu’en sa qualité de dirigeant de la société (AA), Monsieur (A) s’est soustrait par l’intermédiaire de ladite société aux charges fiscales, de sorte que c’est également à bon droit qu’en application de l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, il a révoqué l’autorisation d’établissement n° … délivrée à Monsieur (A) en date du 29 mars 1996.

Dans la mesure où le tribunal vient de conclure que c’est à bon droit que le ministre a retenu que Monsieur (A) ne satisfait pas à l’exigence inscrite à l’article 4, point 4 de la loi du 2 septembre 2011, selon laquelle le dirigeant ne doit pas s’être soustrait aux charges fiscales et sociales, il devient surabondant d’analyser la question de savoir s’il ne satisfait, par ailleurs, pas à l’exigence d’honorabilité professionnelle telle que prévue à l’article 4, point 1 de ladite loi pour avoir adopté un comportement constituant un manquement le privant automatiquement, conformément à l’article 6, paragraphe (4), point d) de la loi du 2 septembre 2011 de son honorabilité professionnelle, ni, par conséquent, de trancher les contestations afférentes du demandeur, le tribunal ayant, en effet, retenu ci-avant que les exigences énumérées par l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011 sont cumulatives, de sorte que la décision de révocation d’une autorisation d’établissement est légalement justifiée dès que le dirigeant ne remplit pas l’une seule de ces exigences, ce qui est le cas en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

10 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 24 avril 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49347
Date de la décision : 24/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-04-24;49347 ?

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