Tribunal administratif N° 52720 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52720 2e chambre Inscrit le 18 avril 2025 Audience publique du 24 avril 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous un autre alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52720 du rôle et déposée le 18 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous un autre alias, actuellement retenu au Centre de rétention …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 avril 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet à partir du 12 avril 2025 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2025 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marina LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
Le 21 octobre 2024, Monsieur (A), connu sous un autre alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que Monsieur (A) avait préalablement introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date des 10 octobre 2021 et 28 octobre 2023 et qu’il avait franchi irrégulièrement la frontière espagnole en date du 4 septembre 2024. Il s’avéra encore à cette occasion, à la suite d’une recherche effectuée dans la base de données du système d’information Schengen (« SIS »), que Monsieur (A) faisait l’objet d’un signalement de la part des autorités néerlandaises en raison d’une « Interdiction d’accès/séjour » aux Pays-Bas, valable jusqu’au 3 avril 2026.
Le 21 octobre 2024, Monsieur (A) fut interpellé par les forces de l’ordre à la suite d’un vol à l’étalage.
Le 4 décembre 2024, il fit l’objet d’un contrôle policier dans le quartier …, en raison d’une infraction à la législation sur les stupéfiants.
Par décision du 18 décembre 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 13, paragraphe (1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 28 janvier 2025, Monsieur (A) fit l’objet d’un contrôle d’identité par des agents de la police grand-ducale dans le quartier …, dans le cadre d’une enquête sur des vols commis dans ce quartier.
Le 1er février 2025, il fut interpellé par les forces de l’ordre dans le même quartier pour suspicion de recel.
Le 12 février 2025, il fut transféré vers l’Espagne.
Le 12 mars 2025, Monsieur (A) fut à nouveau interpellé par des agents de la police grand-
ducale dans le quartier …, dans le cadre d’une tentative de vol.
Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.
Par arrêté séparé du 12 mars 2025, également notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les différents rapports établis par la Police Grand-Ducale ;
Considérant que l’intéressé a déjà été transféré en date du 12 février 2025 vers l’Espagne en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Considérant que l’intéressé est revenu au pays malgré la décision de transfert du 19 décembre 2024 ;
Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
2 Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit plusieurs demandes de protection internationale sur le territoire des Etats membres, dont une au Luxembourg en date du 21 octobre 2024 ;
Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé vont être engagées ;
Considérant que l’exécution de la mesure de son transfert est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 26 mars 2025, le ministre rapporta sa décision de retour du 12 mars 2025 et prit une décision de transfert vers l’Espagne à l’égard de Monsieur (A).
Le recours contentieux introduit le 28 mars 2025 par Monsieur (A) à l’encontre de l’arrêté ministériel de placement en rétention, précité, du 12 mars 2025 fut déclaré non fondé par un jugement du tribunal administratif du 2 avril 2025, inscrit sous le numéro 52605 du rôle.
Par arrêté ministériel du 10 avril 2025, notifié à l’intéressé le lendemain, la mesure de placement initiale du demandeur fut prorogée pour une durée d’un mois avec effet au 12 avril 2025. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 100 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 12 mars 2025, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Vu l’accord de prise en charge des autorités espagnoles du 26 mars 2025 sur base de l’article 13, paragraphe (1), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Vu ma décision de transfert du 26 mars 2025, notifiée à l’intéressé en date du 31 mars 2025 ;
Considérant que les démarches en vue du transfert vers l’Espagne ont été engagées ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 12 mars 2025 subsistent dans le chef de l’intéressée ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure du transfert ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 10 avril 2025.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tels que passés en revue ci-avant, fait plaider, en droit, que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que du caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et de l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.
Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement d’un étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu’il n’existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l’existence de garanties de représentation, soumises à l’appréciation souveraine du juge.
Il donne à considérer qu’il aurait exprimé sa volonté de respecter les obligations lui imposées ou qui lui seront imposées par le ministre en vue d’organiser son éloignement.
Après avoir relevé qu’un placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d’aller et de venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5, paragraphe (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH », le demandeur estime qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, Monsieur (A) citant, dans ce contexte, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, dans une affaire Guzzardi c. Italie.
A cet égard, le demandeur fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté » et sollicite, au vu des circonstances de l’espèce et de son comportement, l’application d’une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 et notamment une assignation à résidence à la maison retour.
Il donne à considérer que le placement en structure fermée d’un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.
Sur base de ces éléments, ainsi que du fait qu’il afficherait un comportement exemplaire au Centre de rétention, le demandeur conclut qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef, ce d’autant plus qu’il aurait démontré son intention de quitter volontairement le Luxembourg.
Il soutient que le principe selon lequel le placement d’un étranger devrait être nécessaire au but légitime poursuivi figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.
Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d’un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.
Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à la maison retour serait plus adaptée à sa situation personnelle et constituerait une garantie de représentation suffisante, tout en relevant qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n’a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».
Sur le fondement de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur affirme ensuite que le juge administratif devrait vérifier, d’une part, l’existence d’une possibilité d’éloignement et, d’autre part, la diligence avec laquelle l’éloignement est poursuivi aux fins d’écourter au maximum le placement en rétention, Or, en l’espèce, le demandeur conteste, de l’entendement du tribunal, l’existence de chances raisonnables de croire que son transfert vers l’Espagne puisse être mené à bien, alors que depuis le 26 mars 2025, date à laquelle les autorités espagnoles ont accepté sa prise en charge, aucun plan de vol n’aurait été établi par les autorités luxembourgeoises.
En s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 21 novembre 2024, inscrit sous le numéro 51824 du rôle, il insiste sur le fait que l’autorité ministérielle devrait poursuivre activement et de manière continue ses efforts en vue de l’exécution de l’opération d’éloignement, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Au vu des considérations qui précèdent, le demandeur sollicite sa libération immédiate du Centre de rétention.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus 5 longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est dès lors en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-
ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg et qu’il est démuni d’un passeport et d’un visa valables. Il se dégage encore du dossier administratif qu’il fait l’objet d’une inscription dans le SIS par les Pays-Bas.
Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figurent justement celle d’être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité ou d’une autorisation de voyage en cours de validité, ainsi que celle de ne pas faire l’objet, tel que c’est le cas du demandeur, d’un signalement dans le SIS, telles que prévues au paragraphe (2), points 1. et 2.
de la disposition légale en question.
Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’êtrequalifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire. Ses développements ayant trait à son comportement exemplaire et à sa volonté de collaborer avec les autorités luxembourgeoises sont, à défaut d’autres éléments, insuffisants à cet égard, d’autant plus que la volonté affichée du demandeur de quitter volontairement le Luxembourg est de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef. Les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef sont dès lors à rejeter.
Ainsi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.
S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues 7 peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant.
Par ailleurs, le tribunal constate, au contraire, que le fait que le demandeur ait été interpellé par les forces de l’ordre dans le quartier … le 12 mars 2025, alors qu’il n’avait été transféré vers l’Espagne qu’en date du 12 février 2025, soit un mois plus tôt, est de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef, la notion de risque de fuite visant, en effet, un risque de soustraction à la mesure d’éloignement projetée.
Dans ces circonstances, le tribunal retient que le demandeur, qui ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, n’a pas présenté d’éléments permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à la maison retour, alors que celle-ci ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.
C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.
En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son transfert, le tribunal constate que dans son jugement du 28 mars 2025, prémentionné, il a été retenu que jusqu’à cette date, le dispositif d’éloignement était toujours en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise. Il y a lieu de relever que le tribunal est venu à cette conclusion après avoir constaté qu’en date du 17 mars 2025 - après qu’une recherche effectuée le 14 mars 2025 dans la base de données EURODAC avait révélé que le demandeur avait introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas, les 10 octobre 2021 et 28 octobre 2023, au Luxembourg, le 21 octobre 2024 et en Suisse, le 6 janvier 2025 -, les autorités luxembourgeoises avaient adressé aux autorités espagnoles une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.Dublin III, en invoquant, à l’appui de leur demande, les considérations selon lesquelles (i) lesdites autorités espagnoles auraient accepté, en date du 11 décembre 2024, une précédente demande de prise en charge de l’intéressé leur adressée par leurs homologues luxembourgeois le 22 novembre 2024, (ii) Monsieur (A) aurait été transféré vers l’Espagne en date du 12 février 2025 et (iii) il n’y aurait ni d’indice ni de preuve indiquant qu’il aurait quitté le territoire des Etats membres depuis ce transfert. Le tribunal a encore constaté que le 26 mars 2025, les autorités espagnoles avaient accepté cette demande sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III à la suite de quoi, le ministre avait, par arrêté du même jour, rapporté sa décision de retour du 12 mars 2025, tout en prenant une décision de transfert vers l’Espagne à l’égard de Monsieur (A), tel que relevé ci-avant.
Pour ce qui est des diligences accomplies depuis lors et plus particulièrement depuis la notification de l’arrêté de prorogation du placement en rétention actuellement litigieux, il se dégage du dossier administratif et plus particulièrement du plan de vol établi en date du 15 avril 2025 par l’Unité de garde et d’appui opérationnel de la police grand-ducale que le transfert du demandeur vers l’Espagne est actuellement prévu pour le 28 avril 2025, étant relevé que le 16 avril 2025 les autorités luxembourgeoises ont informé leurs homologues espagnols de la date et des modalités dudit transfert.
Eu égard à ces éléments et plus particulièrement au fait que la date pour le vol de retour du demandeur est connue, le tribunal est amené à retenir qu’au moment où il statue, le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire pour procéder dans les meilleurs délais au transfert de l’intéressé et les contestations afférentes sont à rejeter pour ne pas être fondées. Le tribunal relève encore qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que le transfert ne pourra pas être mené à bien à la date prévue.
En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».
Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-
ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acception la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays.2 Dans un arrêt du 15 décembre 20163, la Cour européenne des droits de l’Homme a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».
2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826 et les autres références y citées.
3 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.En l’espèce, étant donné (i) que le demandeur est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, (ii) qu’il a fait l’objet d’une décision de transfert vers l’Espagne en date du 26 mars 2025 et (iii) qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure de transfert est toujours en cours et poursuivie avec la diligence légalement requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.
Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de placement en rétention litigieuse sont à rejeter dans leur ensemble.
S’agissant finalement de la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la mesure de placement en rétention litigieuse est légale – le tribunal ayant plus précisément retenu qu’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention n’est pas envisageable, que le demandeur n’a pas renversé la présomption d’un risque de fuite dans son chef et que, par ailleurs, la procédure de transfert est toujours en cours et poursuivie avec la diligence légalement requise – et, d’autre part, que le demandeur n’a pas prouvé qu’il n’existerait en l’espèce pas de perspective raisonnable de transfert. Dans ces circonstances, une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115, ne se conçoit en tout état de cause pas, indépendamment de la question de l’effet direct de ces derniers.
Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 24 avril 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 11