Tribunal administratif N° 48010 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48010 5e chambre Inscrit le 5 octobre 2022 Audience publique du 30 avril 2025 Recours introduit par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités, d’impôt commercial communal et d’impôt sur le revenu des capitaux
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48010 du rôle et déposée le 5 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Cédric SCHIRRER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 juillet 2022, référencée sous le numéro …, ayant rejeté sa réclamation introduite le 22 novembre 2021 contre « les bulletins d’impositions pour l’année 2016 », et réformé les impositions in pejus ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2023 par Maître Cédric SCHIRRER préqualifié, pour compte de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 novembre 2024, Maître Cédric SCHIRRER ne s’étant pas présenté.
Par un courrier du 8 octobre 2021, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société à responsabilité limitée (AA) SARL, ci-après désignée par « la société (AA) », sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il envisageait de s’écarter de ses déclarations de l’impôt sur le revenu, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune des collectivités de l’année 2016 sur les point suivants : « […] DISTRIBUTION CACHEE DE BENEFICE : Autres honoraires [:] A défaut d’explications concluantes et preuves de paiement à l’appui, le montant de … 1 Euros n’est pas admis. Déplacement (transport et hébergement) [:] Les frais pour un total de … constituent des dépenses privées ; les pièces fournies ne reflétant pas le lien avec l’activité de la société et à défaut d’éléments prouvant qu’il s’agit de déplacements professionnels, une part privée forfaitaire supplémentaire de … Euros y est rajoutée. Amendes et pénalités : Les amendes et pénalités au sens de l’article 12(4) LIR ne sont pas déductibles. TRAITEMENT FISCAL : Le montant de … Euros est rajouté au bénéfice déclaré et en tant que distribution cachée de bénéfice, soumis à une retenue à la source de 15%. Le montant de … Euros (différence résultats reportés) est soumis à une retenue à la source de 15%. […] », tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite pour le 25 octobre 2021 au plus tard, ce qu’elle fit par courrier du 22 octobre 2021.
Le 4 novembre 2021, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AA) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers de l’année 2016, le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités et celui de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux contenant respectivement les précisions suivantes: « […] Détail concernant l’imposition […] [:] Distribution cachée de bénéfice, voir explications sur le bulletin de la retenue sur les revenus de capitaux […] L’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants […] [:] L’imposition est établie suivant notre courrier du 08/10/2021 mais en tenant compte de vos observations fournies les 22/10/2021 : Les "autres honoraires" ont été admis à hauteur de … Euros vu que vous nous avez fourni des preuves de paiement en faveur de (BB) pour un total de … Euros. » et « Motif et remarques […] [:] Distribution cachée de bénéfice :
… Euros [;] Différence résultats reportés : … Euros […] ».
Par un courrier daté du 18 novembre 2021, réceptionné par l’administration des Contributions directes le 22 novembre 2021, la société (AA) introduisit, par l’intermédiaire de son litismandataire, une réclamation contre les « bulletins d’impositions pour l’année 2016 » auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur ».
Par une lettre du 16 mai 2022, le directeur décida de procéder à une mise en état du dossier de la société (AA) en l’invitant pour le 30 juin 2022 au plus tard :
« […] à fournir pour l’exercice 2016 :
1. le détail des services horaires facturés par la société de droit espagnol (BB) conformément à l’article 2 de la lettre d’engagement (« Engagement letter ») datée du 26 octobre 2015 ;
2. l’identité du ou des bénéficiaire(s) effectif(s) de la société (BB) ;
3. une copie des factures émanant de « parties tierces » et prises en charge d’une part par la réclamante et d’autre part par la dame (A)au nom de la société (BB) ainsi qu’une copie des contrats y afférents ;
4. une copie de l’annexe 2 du contrat de services (« service agreement ») conclu avec la société de droit néerlandais (CC) en date du 12 octobre 2015 ;
2 5. une copie des factures émises par la réclamante au titre du contrat de service visé au point 4, incluant le détail des services rendus et des coûts annexes éventuellement refacturés ;
6. une copie du ou des accords de prolongation conclu(s) conformément à l’article 5 du contrat de service visé au point 4. […] ».
Par courrier daté du 29 juin 2022, la société (AA) fit parvenir des documents au directeur.
Par décision du 20 juillet 2022, référencée sous le numéro …, le directeur rejeta, par reformatio in pejus, comme non fondée ladite réclamation dans les termes suivants :
« […] Vu la requête introduite le 22 novembre 2021 par Me Cédric Schirrer, au nom de la société à responsabilité limitée (AA), avec siège social à L-…, pour réclamer contre « les bulletins d’impositions pour l’année 2016 » ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu la mise en état du directeur des contributions du 16 mai 2022 en vertu des §§ 243, 244 et 171 de la loi générale des impôts (AO) et la réponse de la réclamante, entrée le 1er juillet 2022 ;
Considérant que le déposant de la requête ne désigne pas de façon précise quelle décision il entend attaquer au nom et pour le compte de la réclamante ; que par application du principe de l’effet utile selon lequel la jurisprudence tend, sur le fondement du § 249, alinéas 1er et 2 AO, à interpréter les requêtes des contribuables selon l’intention qu’elles manifestent plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes employés, la requête est à considérer comme réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2016, ainsi que contre le bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2016, tous émis en date du 4 novembre 2021;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 AO ;
Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser en la forme ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir admis des distributions cachées de bénéfices en relation, d’une part, avec des honoraires payés par la 3 réclamante à la société de droit espagnol (BB) et, d’autre part, avec des frais de déplacements (transports et hébergements) ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, la loi d’impôt étant d’ordre public ; qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Considérant, à titre liminaire et en matière de principe, qu’aux termes de l’article 164, alinéa 3 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.), il y a distribution cachée de bénéfices si un associé, sociétaire ou intéressé, reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont, normalement, il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ;
Considérant que « les distributions cachées de bénéfices visées par l’article 164 (3) L.I.R. existent si un associé ou un actionnaire reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé ou actionnaire n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers. » (Cour administrative du 12 février 2009, n° 24642C du rôle) ;
Considérant que « l’administration peut supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise si les circonstances la rendent probable, sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées » (Tribunal administratif du 9 juin 2008, n° 23324 du rôle, Cour administrative du 12 février 2009, n° 24642C du rôle) ;
Considérant qu’aux termes de l’article 45 L.I.R., sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise, par opposition aux dépenses qui ne servent pas à la réalisation des recettes, mais constituent une utilisation du revenu net, étant entendu que la finalité d’une dépense déterminée ne doit pas être dégagée par une analyse conceptuelle mais par l’appréciation des faits ; qu’ainsi, des frais, même d’ampleur, sont en principe déductibles, sous réserve cependant de la présentation d’éléments de preuve établissant leur relation avec les revenus professionnels conformément à l’article 45 L.I.R. ; que partant, des dépenses non corroborées par des pièces à l’appui ne sont en principe pas à prendre en considération ; qu’il faut donc en l’espèce analyser si les montants reconsidérés par le bureau d’imposition comme distributions cachées de bénéfices constituent des dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 L.I.R. ;
Quant aux honoraires Considérant qu’en vertu de ses statuts, la réclamante avait pour objet, au cours de l’exercice litigieux, notamment la prestation de services financiers et comptables ainsi que l’exercice d’activités de conseil économique et de prestations de services relevant de l’organisation, de la gestion et de l’administration d’entreprises ou d’institutions au sens le 4 plus large ; que depuis la constitution de la réclamante le 19 octobre 2015, la réclamante est entièrement détenue par la dame (A), qui en est également la gérante unique ;
Considérant qu’au cours de l’exercice litigieux, la réclamante a fait valoir en tant que dépenses d’exploitation des honoraires pour un montant de … euros entièrement facturés par la société de droit espagnol (BB) ;
Considérant qu’à défaut d’explications concluantes et plus spécifiquement de preuves de paiements, le bureau d’imposition refusa la déductibilité de ces honoraires à hauteur de … euros et requalifia ce montant en distributions cachées de bénéfices ;
Considérant que la réclamante conteste la position du bureau d’imposition ; que, dans le cadre de sa requête, elle explique que les honoraires litigieux se rapportent « au contrat de services financier et comptable, daté du 26 octobre 2015 existant entre la Société et la société (BB) » ; que durant l’année 2016, la société (BB) « a facturé pour des services comptables, financiers et fiscaux un montant de … EUR à la Société et une provision relative au dernier trimestre a été prise en charge pour un montant de … EUR à titre de factures non parvenues.
» ; qu’a l’appui de ses affirmations, elle verse la lettre d’engagement (« engagement letter ») conclue entre la réclamante et la société (BB) et à la base des honoraires litigieux ;
Considérant que conformément à la section 2 de la lettre d’engagement, les honoraires pour les services prestés par la société (BB) sont calculés en fonction du nombre d’heures effectivement prestées chaque mois par cette dernière au bénéfice de la réclamante ;
Considérant que les factures de la société (BB) versées par la réclamante ne détaillent pas les services fournis et le nombre d’heures prestées ; que le directeur invita alors la réclamante, par le biais d’une mise en état en date du 16 mai 2022, à fournir le détail des services facturés par la société (BB) à la réclamante au titre de cette lettre d’engagement ;
Considérant que dans sa réponse du 1er juillet 2022, la réclamante déclara ne pas pouvoir accéder à cette demande alors « qu’elle ne dispose pas du détail des horaires facturées (sic) pour les factures de comptabilité sur base de l’« engagement letter » (…), mais les factures y relatives sont émises sur base du temps passé, les règles de calcul étant expliquées dans la lettre d’engagement » ;
Considérant qu’il échet de constater que la réclamante n’est ainsi pas en mesure d’éclaircir le « temps passé » par la société (BB) à son service, information pourtant indispensable à toute facturation au titre de la lettre d’engagement ; qu’il en ressort de sérieux doutes quant à la réalité des prestations effectivement fournies par la société (BB) à la réclamante ; qu’en effet, un dirigeant, même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait certainement pas des frais dont la réalité n’est pas clairement établie ;
Considérant que la dame (A), gérante et associée unique de la réclamante, était également associée et gérante de la société (BB) au cours de l’exercice litigieux ; que la dame (A) est ainsi le bénéficiaire économique des deux parties signataires à la lettre d’engagement et partant des versements effectués par la réclamante à la société (BB) ;
5 Considérant qu’il se dégage de ce qui précède que la réclamante a ainsi engagé des dépenses qui ne s’expliquent que par le seul lien participatif entre la société (BB) et la réclamante ; qu’à défaut du moindre élément justifiant la réalité des services fournis par la société (BB), l’intégralité des honoraires litigieux, soit un montant total de … euros, est à requalifier en distributions cachées de bénéfices au profit de l’associée de la réclamante ;
Quant aux frais de déplacements Considérant qu’au titre de l’exercice litigieux, la réclamante a fait valoir des frais de déplacements et de transports (compte 1) pour un montant de … euros ainsi que des frais de déplacements et d’hébergements (compte 2) pour un montant de … euros, soit un total de frais de déplacements de … euros ;
Considérant que sur ce total, le bureau d’imposition a considéré que des « frais pour un total de … euros constituent des dépenses privées ; les pièces fournies ne reflétant pas le lien avec l’activité de la société et à défaut d’éléments prouvant qu’il s’agit de déplacements professionnels, une part privée forfaitaire supplémentaire de … euros y est rajoutée » ; que le montant total de la reprise, soit … euros, a été considéré par le bureau d’imposition comme distributions cachées de bénéfices envers l’associée de la réclamante ;
Considérant que la réclamante conteste le redressement effectué alors que selon elle, ces frais « sont en lien direct avec les activités de la Société et ont été effectué (sic) dans ce cadre » ; qu’elle explique avoir « conclu un contrat de « service provider » en date du 12 octobre 2015 avec la société (CC), établie et ayant son siège social à … (Pays-Bas) et enregistrée au Registre du commerce et des sociétés néerlandais. Ledit contrat prévoit en son annexe que la Société sera en charge, entre autres, de contrôler et gérer les comptes et finances de (CC) et ses filiales dans la péninsule ibérique plus précisément en Espagne et au Portugal.
Partant, il est évident que la gérante de la Société a dû se rendre dans les Etats mentionnés ci-dessus afin que la Société puisse satisfaire à ses obligations contractuelles ».
Considérant qu’à l’appui de ses affirmations, la réclamante versa un « tableau listant les frais de transport et d’hébergement qui ont été supportés par la Société durant l’année 2016 précisant l’objet de ces déplacements ; que ce tableau se présente sous la forme d’extraits du grand livre « avec annotations énumérant les frais de déplacement professionnels de l’année 2016 » et « précisant leurs objets » ;
Considérant qu’il ressort d’emblée de ce tableau qu’une partie importante des frais y listés, pour un montant de plus de … euros, ne comporte pas la moindre « annotation » ; qu’il s’agit notamment de frais de taxi à Luxembourg ainsi que des frais de voiture tels que péages, parkings, entretiens, carburant, lavages de voiture mais également des frais de voyage en avion ; qu’aucune pièce justificative, telle que par exemple un carnet de bord, n’a été apportée en relation avec ces frais de sorte que le lien avec l’activité de la réclamante fait totalement défaut ;
6 Considérant en outre que des frais de déplacements s’élevant à plus de … euros sont relatifs à un séjour dans un hôtel situé à … du 30 août au 6 septembre 2016 pour les besoins d’un « …» ; que la réclamante n’a su produire aucune facture ou autre pièce en relation avec cet évènement à l’exception d’extraits de compte VISA qui ne renseignent aucunement sur la nature professionnelle de ces frais ; qu’il ressort même des factures émises par la réclamante à son client, la société de droit néerlandais (CC), qu’aucune prestation n’a en réalité été fournie par la réclamante entre le 30 août et le 6 septembre 2016 de sorte que le lien avec l’activité de la réclamante fait également défaut ;
Considérant par ailleurs que des frais de déplacements d’un montant de plus de … euros sont annotés comme frais de « logement Directeur (BB) : revue des taches à reprendre par (BB) » dans des hôtels situés principalement en … et à Luxembourg ; que le directeur de la société de droit espagnol (BB) s’avère être la dame (A), associée et gérante de la réclamante ; que la dame (A) est résidente à Luxembourg et n’a a priori pas besoin d’y être hébergée ;
qu’en tout état de cause, aucun élément de nature à défendre la nécessité de prendre en charge les frais de logement du directeur de la société (BB), cette dernière étant un fournisseur de la réclamante, n’est apporté ;
Considérant qu’un dirigeant même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait pas des frais dont la relation avec l’activité de la société n’est pas clairement établie ;
Considérant que la dame (A) est à la fois gérante et associée unique de la réclamante ; qu’il n’est pas litigieux que les frais de déplacement litigieux ont été générés exclusivement par cette dernière de sorte à être de nature à pouvoir profiter en même temps à l’activité de la réclamante et à la vie privée de la dame (A) ;
Considérant que dans cette configuration, le bureau d’imposition disposait d’un faisceau d’indices concordants permettant de conclure à une distribution cachée de bénéfices ;
que la charge de la preuve étant renversée, il appartenait dès lors à la réclamante de rapporter la preuve que les frais en question sont en lien direct avec son activité commerciale ;
Considérant qu’il résulte de l’analyse qui précède qu’à défaut pour la requérante de soumettre des éléments de nature à déterminer les frais qui ont bénéficié en réalité à l’associée de la réclamante, et ceux qui sont en relation avec les activités professionnelles de la réclamante, aucune critique ne peut être faite au bureau d’imposition dans sa manière d’agir ;
qu’eu égard aux éléments du dossier, il échet de constater que la requalification par le bureau d’imposition de frais de déplacements à hauteur de … euros en distributions cachées de bénéfices a été faite avec mesure et modération de sorte qu’elle est à confirmer ;
Considérant in fine que les distributions cachées de bénéfices de l’année litigieuse se présentent comme suit :
Honoraires … euros Frais de déplacements … euros 7 Total … euros Considérant qu’en vertu de l’article 146 L.I.R., les distributions de bénéfices tant ouvertes que cachées doivent faire l’objet d’une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux ;
Considérant qu’aux termes de l’article 148, alinéa 1er L.I.R., le taux de la retenue d’impôt sur revenus de capitaux applicable pour l’année litigieuse est de 15%, à moins que le débiteur des revenus ne prenne à sa charge l’impôt à retenir, ce qui, même en matière de distribution cachée de bénéfices n’est jamais présumé ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;
Considérant que le redressement des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal ainsi que du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2016 fait partie de l’annexe qui constitue une partie intégrante de la présente décision ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, réformant in pejus, fixe l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, à … euros, établit la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2016 à … euros, fixe l’impôt commercial communal de l’année 2016 à … euros, fixe la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2016 à … euros, renvoie au bureau d’imposition pour exécution. […] ».
Le 27 juillet 2022, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société (AA) les bulletins rectifiés de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de l’année 2016, en y indiquant : « […] Annulation du bulletin du 04/11/2021 … […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2022, la société (AA) a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement l’annulation de la décision sur réclamation rendue par le directeur en date du 20 juillet 2022.
1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre 8 une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 20 juillet 2022, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
2) Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours, la société demanderesse, après avoir rappelé les faits et rétroactes exposés ci-dessus, conclut tout d’abord à l’absence de toute distribution cachée dans son chef, en citant à cet égard l’article 105 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR ». Elle se réfère à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 23 novembre 2010, inscrit sous le numéro 27478 du rôle, qui aurait retenu que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices reposerait sur le bureau d’imposition qui devrait procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et ce ne serait qu’à défaut par le contribuable d’éclairer les points paraissant douteux ou à défaut d’éléments mis à sa disposition que le bureau pourrait mettre en cause la réalité économique des opérations. La société demanderesse soutient dans ce contexte qu’elle aurait fait tout son possible pour répondre au questionnement du bureau d’imposition, en envoyant notamment le détail de toutes les factures et documents en sa possession, de sorte que la remise en cause de la réalité économique de certaines de ses opérations par le bureau d’impositions demeurerait infondé.
A cet égard, la société demanderesse fait état de deux ordres de frais, à savoir des honoraires payés à la société de droit espagnol (BB), ci-après désignée par « la société (BB) », et des frais de déplacements.
S’agissant des honoraires pour un montant de … euros facturés par la société (BB), la société demanderesse fait valoir que ceux-ci se rapporteraient au contrat de services comptables et financiers qu’elle aurait conclu avec la société (BB) en date du 26 octobre 2015. A cet égard, elle explique plus particulièrement que la société (BB) lui aurait, au cours de l’exercice 2016, facturé des prestations de service concernant le conseil en matière comptable, financière et fiscale pour un montant de … euros, ainsi qu’une provision relative au dernier trimestre pour un montant de … euros à titre de « factures non parvenues ».
La société demanderesse ajoute, en se référant à des extraits de comptes, que la dette envers la société (BB) aurait été partiellement soldée au 31 décembre 2016 « à raison de paiements effectués en sa faveur et au sous contractant ayant opéré pour […] [elle-même] et facturé par [la société] (BB) ». A cet égard, elle explique plus particulièrement (i) qu’elle aurait transféré un montant de … euros par virement bancaire à la société (BB), (ii) qu’elle aurait payé un montant de … euros en lieu et place de la société (BB) à « des parties tierces détenant des créances sur […] [cette dernière] », (iii) que sa gérante, Madame (A), ci-après désignée 9 par « Madame (A) », aurait payé un montant de … euros « (en numéraire) pour [la société] (BB) a des parties tierces détenant une créance sur […] [celle-ci] », tout en précisant que « [l]e même montant a ensuite été viré par […] [elle-même] à la gérante, Madame (A)», et (iv) qu’elle aurait payé « par [s]a carte visa » un montant de … euros pour « des dépenses en relation (BB) ». A la date du 31 décembre 2016, la société (BB) aurait ainsi eu une créance de … euros sur elle, créance qui serait par ailleurs inscrite dans son Grand livre.
La société demanderesse en conclut, d’une part, que les honoraires litigieux seraient dus en contrepartie des services financiers, comptables et fiscaux que la société (BB) lui aurait prestés, de sorte qu’ils ne sauraient être qualifiés de distributions cachées de bénéfice, et, d’autre part, qu’elle aurait « directement ou indirectement » réglé le montant de … euros -
comme le démontrerait sa comptabilité ainsi que les extraits de compte bancaire afférents -, de sorte que celui-ci serait « également déductible ne constituant d’aucune manière une distribution cachée. ».
Elle s’empare ensuite d’un arrêt de la Cour administrative du 1er février 2000, inscrit sous le numéro 11318C du rôle, pour faire valoir que le revenu de … euros aurait été déclaré comme bénéfice imposable par la société (BB) et qu’il aurait été imposé par les autorités fiscales espagnoles, de sorte que si les bulletins d’impôt litigieux n’étaient pas réformés, ce même revenu ferait l’objet d’une double imposition au Luxembourg ainsi qu’en Espagne. Elle donne encore à considérer qu’en 2016, le taux d’imposition légal sur les sociétés en Espagne aurait été similaire à celui au Luxembourg, à savoir 25%.
La société demanderesse conclut à l’absence d’une distribution cachée de bénéfices dans son chef, étant donné qu’il n’existerait aucun avantage économique pour Madame (A), bénéficiaire économique d’elle-même et de la société (BB).
En ce qui concerne les frais de déplacement, d’hébergement et de transport pour l’année 2016, la société demanderesse fait valoir que ceux-ci seraient en lien direct avec son activité économique, de sorte qu’ils ne pourraient constituer des dépenses privées et seraient dès lors déductibles en leur intégralité.
Elle explique qu’outre le contrat de prestation de service conclu avec la société (BB), elle aurait conclu un contrat de « service provider » avec la société de droit néerlandais (CC), ci-après désignée par « la société (CC) », en date du 12 octobre 2015 qui prévoirait en son annexe qu’elle serait en charge, entre autres, de contrôler et de gérer les comptes et finances de la société (CC) et de ses filiales dans la péninsule ibérique plus précisément en Espagne et au Portugal, pays dans lesquels son gérant aurait dû se rendre afin qu’elle aurait été en mesure de satisfaire à ses obligations contractuelles.
La société demanderesse déduit de ce qui précède que les honoraires payés à la société (BB) pour ses services comptables et financiers, de même que les frais de déplacement nécessaires auprès de ses clients auraient été réalisés exclusivement dans l’intérêt de son activité, de sorte que « la reprise privée de frais de … » euros ne serait pas justifiée.
En conclusion, elle soutient que le directeur aurait à tort repris un montant de … euros en tant que distributions cachées de bénéfices, de sorte que la décision litigieuse devrait être 10 réformée « dans la mesure où [elle] n’aurait pas procédé à la déduction en tant que frais d’obtention de … EUR et des frais de déplacement de … EUR pour l’année fiscale 2016 ».
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait tout d’abord valoir qu’il résulterait des statuts de la société demanderesse que celle-ci aurait eu pour objet, au cours de l’année 2016, notamment la prestation de services financiers et comptables ainsi que l’exercice d’activités de conseil économique et de prestations de services relevant de l’organisation, de la gestion et de l’administration d’entreprises ou d’institutions au sens le plus large. Il donne ensuite à considérer que depuis sa constitution, le 19 octobre 2015, la société demanderesse aurait été entièrement détenue par Madame (A), qui en serait également la gérante unique.
Quant aux honoraires facturés par la société (BB) et déclarés par la société demanderesse en tant que dépenses d’exploitation à hauteur de … euros, le délégué du gouvernement explique qu’à défaut d’explications concluantes et plus spécifiquement de preuves de paiements, le bureau d’imposition aurait refusé la déductibilité des honoraires à hauteur de … euros et aurait requalifié ce montant en distributions cachées de bénéfices.
En ce qui concerne la lettre d’engagement versée par la société demanderesse à la base des honoraires litigieux, il fait valoir que si conformément à la section … de celle-ci, les honoraires pour les services prestés par la société (BB) seraient calculés en fonction du nombre d’heures effectivement prestées chaque mois par cette dernière au bénéfice de la société demanderesse, les factures de la société (BB) versées par la société demanderesse à l’appui de sa réclamation n’auraient toutefois pas détaillés les services fournis et le nombre d’heures prestées, raison pour laquelle le directeur aurait invité la société demanderesse, par le biais d’une mise en état en date du 16 mai 2022, à fournir le détail des services lui facturés par la société (BB) au titre de cette lettre d’engagement.
Il poursuit que la société demanderesse, par réponse du 1er juillet 2022, aurait déclaré ne pas pouvoir accéder à cette demande au motif « qu’elle ne dispose pas du détail des horaires facturées (sic) pour les factures de comptabilité sur base de « engagement letter » […], mais les factures y relatives sont émises sur base du temps passé, les règles de calcul étant expliquées dans la lettre d’engagement ».
Le délégué du gouvernement en déduit que la société demanderesse ne serait dès lors pas en mesure d’éclaircir le « temps passé » par la société (BB) à son service, information pourtant indispensable à toute facturation au titre de la lettre d’engagement.
Ce serait donc à bon droit que le directeur aurait considéré qu’il demeurerait de sérieux doutes quant à la réalité des prestations effectivement fournies par la société (BB) à la société demanderesse.
Il serait par ailleurs manifeste qu’un dirigeant, même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait certainement pas des frais dont la réalité ne serait pas clairement établie.
Le délégué du gouvernement continue en soutenant que Madame (A), gérante et associée unique de la société demanderesse, aurait également été associée et gérante de la 11 société (BB) au cours de l’exercice litigieux. Elle serait dès lors le bénéficiaire économique des deux parties signataires à la lettre d’engagement et partant des versements effectués par la société demanderesse à la société (BB).
Il déduit de ce qui précède que la société demanderesse aurait engagé des dépenses qui ne s’expliqueraient que par le seul lien participatif entre elle-même et la société (BB).
Or, à défaut du moindre élément justifiant la réalité des services fournis par la société (BB), l’intégralité des honoraires litigieux, soit un montant total de … euros, aurait été requalifié en distributions cachées de bénéfices au profit de l’associée de la société demanderesse.
A l’appui de son recours, la société demanderesse se limiterait à faire valoir qu’elle aurait payé le montant litigieux directement ou indirectement. Or, un paiement intégral ne serait pas relevant pour attester de l’absence de distribution cachée de bénéfice, mais serait, au contraire, de nature à établir le bien-fondé de celle-ci.
En ce qui concerne l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle le revenu de … euros aurait été déclaré comme revenu en Espagne, le délégué du gouvernement rétorque que celle-ci serait sans incidence sur la position de l’administration luxembourgeoise.
En conclusion, le délégué du gouvernement fait valoir que la réalité des prestations effectivement fournies par la société (BB) à la société demanderesse ne serait toujours pas prouvée et que l’avantage économique serait clairement attesté en l’espèce, de sorte que la société demanderesse n’aurait pas réussi à prouver l’absence de distribution cachée de bénéfice dans son chef.
Quant aux frais de déplacements, le délégué du gouvernement donne tout d’abord à considérer que la société demanderesse ferait valoir des frais de déplacements et de transports (compte 1) pour un montant de … euros ainsi que des frais de déplacements et d’hébergements (compte 2) pour un montant de … euros, soit un montant total de frais de déplacements de … euros. Sur ce montant total, le bureau d’imposition aurait considéré que des frais pour un total de … euros constitueraient des dépenses privées et - à défaut d’éléments prouvant qu’il s’agit de déplacements professionnels -, il y aurait rajouté une part privée forfaitaire supplémentaire de … euros. Le montant total de la reprise, soit … euros, aurait été considéré par le bureau d’imposition comme distributions cachées de bénéfices envers l’associée de la société demanderesse.
Il poursuit que la société demanderesse aurait versé, à l’appui de ses développements, un tableau sous la forme d’extraits du grand livre lequel (i) listerait les frais de transport et d’hébergement lesquels elle aurait supportés durant l’année 2016 et (ii) préciserait leur objet.
Il ressortirait de ce tableau qu’une partie importante des frais y listés, en l’occurrence pour un montant de plus de … euros, ne comporterait pas la moindre « annotation ». Il insiste à cet égard sur le fait qu’il s’agirait notamment de frais de taxi à Luxembourg ainsi que des frais de voiture tels que péages, parkings, entretiens, carburant, lavages de voiture, mais également des frais de voyage en avion. A cela s’ajouterait qu’elle n’aurait versé aucune pièce justificative, 12 telle que par exemple un carnet de bord, en relation avec ces frais, de sorte que le lien avec son activité ferait défaut.
Quant aux frais de déplacements relatifs à un séjour dans un hôtel situé à … du 30 août au 6 septembre 2016 pour les besoins d’un « … » à hauteur de … euros, le délégué du gouvernement soutient que la société demanderesse n’aurait versé aucune facture ou autre pièce en relation avec cet événement à l’exception d’extraits de compte VISA qui ne renseigneraient pourtant pas sur la nature professionnelle de ces frais. Il ressortirait en outre des factures émises par la société demanderesse à la société (CC) qu’elle ne lui aurait fournie aucune prestation entre le 30 août et le 6 septembre 2016, de sorte que le lien avec l’activité de la société demanderesse ferait également défaut.
S’agissant ensuite de frais de déplacements d’un montant de … euros, annotés comme frais de « logement Directeur (BB) : revue des taches à reprendre par (BB) » dans des hôtels situés principalement en … et à Luxembourg, le délégué du gouvernement donne à considérer qu’outre le fait que le directeur de la société (BB) serait Madame (A), qui serait résidente à Luxembourg et n’aurait dès lors a priori pas besoin d’y être hébergée, la société demanderesse n’aurait apporté aucun élément de nature à justifier la nécessité de prendre en charge les frais de logement du directeur de la société (BB), celle-ci étant son propre fournisseur.
Le délégué du gouvernement poursuit qu’un dirigeant même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’assumerait pas des frais dont la relation avec l’activité de la société ne serait pas clairement établie.
Il estime qu’il ne serait pas litigieux que les frais de déplacement litigieux auraient été générés exclusivement par la société demanderesse, de sorte à être de nature à pouvoir profiter en même temps à son activité et à la vie privée de Madame (A).
Ainsi, le bureau d’imposition aurait disposé d’un faisceau d’indices concordants permettant de conclure à une distribution cachée de bénéfices dans le chef de la société demanderesse. Le délégué du gouvernement estime qu’il aurait dès lors appartenu à la société demanderesse de rapporter la preuve que les frais en question seraient en lien direct avec son activité commerciale.
Or, à défaut pour la société demanderesse de soumettre des éléments de nature à déterminer les frais qui auraient bénéficié à l’associée de la société demanderesse, et ceux qui seraient en relation avec les activités professionnelles de celle-ci, aucune critique ne pourrait être faite au bureau d’imposition dans sa manière d’agir.
En conclusion, il soutient que la requalification par le bureau d’imposition de frais de déplacements à hauteur de … euros en distributions cachées de bénéfices aurait été faite avec mesure et modération de sorte qu’elle serait à confirmer.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse reprend en substance, ses moyens tels que formulés dans sa requête introductive d’instance.
13 En ce qui concerne les honoraires litigieux, la société demanderesse relève tout d’abord qu’il ne serait pas contesté que Madame (A) serait son actionnaire unique ni qu’elle serait gérante et coassociée de la société (BB).
Elle conteste en revanche l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle le seul fait qu’elle n’aurait pas donné « d’explications suffisantes » sur les prestations effectuées par la société (BB) à son profit serait de nature à justifier une requalification en distribution cachée de bénéfices. A cet égard, elle fait valoir que les seuls « doutes » quant à la réalité des prestations effectuées par la société (BB) n’aurait aucune incidence en l’espèce, alors que la partie étatique resterait en défaut de démontrer quel avantage elle-même ou ses associés en auraient tirés.
La société demanderesse fait ainsi valoir que, premièrement, les prestations effectuées par la société (BB) seraient bien réelles et documentées par le contrat. Le fait que les factures ne soient pas accompagnées de relevés de prestations ne serait ni légalement ni contractuellement exigé et n’aurait aucune incidence en l’espèce.
En deuxième lieu, elle soutient que les prestations auraient été facturées au prix du marché « et en tous cas pas à un prix inférieur », ce qui aurait pu laisser transparaître une opération déguisée visant à procurer un avantage à l’associé.
D’autre part, la société demanderesse relève que même à supposer que les prestations n’aient pas été réalisées, « l’associé en question » ne tirerait aucun avantage de la transaction, étant donné que les montants facturés par la société (BB) auraient été pleinement imposés en Espagne.
En ce qui concerne ensuite les frais de déplacement litigieux et quant à l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il n’y aurait pas de preuve que les frais soient de nature professionnelle et en lien avec son activité professionnelle, elle donne à considérer qu’elle aurait son siège social à Luxembourg et que Madame (A) aurait son domicile à …, de sorte que « ni [elle-même] […], ni sa gérante n’[auraien]t de besoin de se déplacer à titre personnel en dehors de la … si ce n[e] [serai]t à titre professionnel ». Il y aurait dès lors « une présomption » que les frais litigieux seraient de nature professionnelle.
A cela s’ajouterait que la tenue d’un carnet de bord ne serait, d’une part, pas légalement requise, et d’autre part, inutile lorsque les déplacements seraient, comme en l’espèce, de toute manière, uniquement professionnels. Elle estime qu’un carnet de bord se justifierait uniquement en cas de l’existence d’une différence de trajet de nature professionnelle ou personnelle.
La société demanderesse conclut en soutenant qu’il y aurait une présomption que les frais engagés par une société seraient de nature professionnelle, de sorte que la preuve de leur caractère non professionnel, et donc non déductible, serait à charge de la partie étatique.
Analyse du tribunal a) Remarques préliminaires 14 Le tribunal rappelle que le litige des parties tourne autour de la question de l’admissibilité de dépenses d’exploitation et corolairement de la qualification de certaines dépenses de distributions cachées de bénéfice, l’administration n’ayant accepté la déductibilité de certains frais déclarés par la société demanderesse en tant que dépenses d’exploitation que partiellement et ayant retenu l’existence de distributions cachées de bénéfice pour le surplus.
A cet égard, le tribunal relève, d’un côté, que l’article 45, paragraphe (1) LIR dispose comme suit : « Sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise. ».
Cette disposition admet la qualification de dépense d’exploitation s’il existe un lien de causalité suffisamment étroit entre la dépense et le revenu passé, actuel ou à naître du contribuable et si ce lien présente un caractère d’exclusivité suffisant pour exclure que la dépense a été en réalité engagée pour les besoins personnels d’autres personnes1.
Le contribuable est néanmoins seul juge de l’opportunité d’une dépense d’exploitation et la notion du lien de causalité n’implique aucun contrôle de la question de savoir si la dépense était nécessaire pour l’activité ou si elle était effectivement susceptible de profiter à l’exploitation. Il faut et il suffit que la dépense ait trouvé sa cause exclusive dans l’activité commerciale. En effet, étant donné que le droit fiscal soumet à l’impôt l’activité à but de lucre du contribuable qu’il a effectivement réalisée, mais n’affecte pas sa liberté individuelle de définir lui-même l’envergure de son initiative entrepreneuriale, il incombe au seul contribuable de déterminer l’étendue de son activité commerciale, les moyens y engagés et le niveau de profit qu’il entend en tirer2.
Il s’ensuit que les dépenses d’exploitation ne connaissent pas de limitation quant à leur montant3, dès lors que leur lien exclusif avec l’activité en question est donné.
Toutefois, la circonstance que le contribuable reste juge de l’opportunité et du montant des dépenses à engager par lui ne l’exonère pas de l’obligation de rapporter la preuve du lien causal exclusif4 susvisé.
En effet, la preuve du lien de causalité suffisamment étroit et exclusif incombe en principe au contribuable à la fois au niveau de la procédure d’imposition conformément aux principes posés par les §§ 171, alinéa (1), 204, alinéa (1) et 205, alinéas (1) et (2) AO, et au niveau de la procédure contentieuse eu égard à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 suivant lequel « La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la 1 Cour adm., 4 mai 2021, n° 44776C du rôle ; Cour adm., 27 juillet 2016, n° 36855C du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.
2 Cour adm., 1er décembre 2016, n° 37844C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 232 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 24 février 2000, n° 11061 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 228 et les autres références y citées.
4 Voir en ce sens : Trib. adm., 28 juin 2000, n° 11553 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 232 et les autres références y citées.
15 preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. […]. La preuve peut être rapportée par tous les moyens, hormis le serment. »5.
Il appartient dès lors au contribuable, conformément à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 et à l’article 45, paragraphe (1) LIR, précités, de rapporter non seulement la preuve de l’existence matérielle de ces dépenses, c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective de son patrimoine, mais encore la preuve de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie6.
Dans ces conditions, il incombe en l’espèce à la société demanderesse de rapporter la preuve que les conditions de l’article 45, paragraphe (1) LIR sont remplies pour porter en déduction les honoraires facturés par la société (BB) et les frais de déplacement, analyse qui sera faite ci-après.
D’un autre côté, le tribunal relève que se pose la question de l’existence de distributions cachées de bénéfices au sens de l’article 164, paragraphe (1) LIR, retenue par le bureau d’imposition, dans la mesure où c’est justement le défaut de lien de causalité exclusif entre les dépenses engagées et l’activité de la société demanderesse qui serait susceptible, le cas échéant, de permettre de conclure que les dépenses litigieuses ont, en réalité, été engagées pour les besoins personnels d’autres personnes, tel que relevé ci-avant, dont notamment l’associée de la société demanderesse, respectivement des personnes intéressées au sens de l’article 164, paragraphe (3) LIR.
De manière plus générale, il convient encore de préciser que si le tribunal est certes investi en la présente matière du pouvoir de statuer en tant que juge du fond et qu’il est ainsi investi du pouvoir de substituer à une décision administrative jugée illégale sa propre décision, il n’en demeure pas moins que s’il est saisi d’un recours contentieux contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer s’effectue en principe dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les points spécifiques de l’acte déféré faisant grief, sans que son contrôle ne consiste à procéder à un réexamen général et global de la situation fiscale du contribuable. Il s’ensuit qu’il incombe au demandeur en réformation de fournir à l’appui de sa requête des éléments suffisamment précis pour permettre, le cas échéant, l’exercice utile de ce pouvoir de réformation7.
C’est sur cette toile de fond et sur base de ces considérations que le tribunal examinera, les contestations de la société demanderesse quant aux différentes dépenses que celle-ci entend déduire.
b) Quant à la déductibilité des honoraires payés à la société (BB) 5 Cour adm., 10 novembre 2015, n° 35818C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 235 et l’autre référence y citée.
6 Cour adm., 11 mars 2021, n° 44078C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 236 (2e volet) et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 17 novembre 2004, n° 18360a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 31 et les autres références y citées.
16 Force est au tribunal de constater que les parties sont en désaccord sur la possibilité pour la partie demanderesse de déduire en tant que dépenses d’exploitation, les honoraires qu’elle aurait payés à la société (BB), respectivement à des tiers pour le compte de la société (BB) au titre de l’année 2016.
A cet égard, le tribunal relève de prime abord qu’en annexe à sa déclaration fiscale pour l’année 2016, la société demanderesse a soumis au bureau d’imposition quatre factures émises par la société (BB), à savoir celles :
- du 1er avril 2016 d’un montant de … euros du chef de l’« … 2015 » et d’un montant de … euros du chef de l’« … 1 2016 », soit d’un montant total de … euros ;
- du 30 juin 2016 du chef de l’« … 2 2016 », celle-ci indiquant respectivement un total de … euros et de … euros ;
- du 30 novembre 2016 d’un montant de … euros, du chef de l’« … 3 2016 » ; et - du 30 décembre 2016 d’un montant de … euros, du chef de l’« …4 2016 ».
Force est ensuite de constater que suite à la mise en état du 16 mai 2022, par laquelle le directeur a sollicité davantage de détails sur les services horaires facturés par la société (BB) conformément à la lettre d’engagement (« engagement letter ») conclue avec celle-ci en date du 26 octobre 2015, la société demanderesse s’est contentée de répondre dans des termes généraux par courrier du 29 juin 2022 « qu’elle ne dispose[rait] pas du détail des horaires facturées pour les factures de comptabilité sur base de l’ « engagement letter », mais les factures y relatives s[eraient] émises sur base du temps passé, les règles de calcul étant expliquées dans la lettre d’engagement ».
Il se dégage de l’analyse, d’une part, de l’engagement letter et plus particulièrement de son article 2, intitulé « Payment »8, que la société (BB) facture ses services en fonction du des heures de travail prestées, soit mensuellement, soit trimestriellement, et, d’autre part, des descriptifs des prestations à la base des honoraires facturés par la société (BB) que ceux-ci se limitent à indiquer la période de facturation, sans toutefois préciser le détail des heures prestées ni celui des services effectivement prestés par la société (BB).
Force est encore de constater qu’à l’appui de son recours et quant à la réalité des prestations effectivement fournies par la société (BB), la société demanderesse se limite, d’une part, à indiquer que celle-ci lui aurait facturé un montant de …. euros pour « ses services comptables, financiers et fiscaux » et qu’elle aurait comptabilisé une provision pour un montant de … euros à titre de « factures non parvenues » relative au dernier trimestre de l’année 2016 et, d’autre part, à expliquer le mode de règlement des prédites factures, à savoir qu’elle aurait payé un montant de … euros directement à la société (BB), des montants de respectivement … euros et … euros à des « parties tierces détenant des créances sur [la société] (BB) » et un montant de … euros par sa carte visa « pour des dépenses en relation [avec la société] (BB) », soit un montant total de …, tout en précisant qu’à la date du 31 décembre 2016, la société (BB) aurait détenu une créance de … euros sur elle. La société demanderesse en conclut qu’elle 8 « Compensation for services shall be invoiced […] on the following basis : EUR …/ hour (excluding VAT) for hours of work [;] EUR ….- for hours of work: …-…/month [;] EUR ….- for hours of work: …-…/month [;] EUR …- for hours of work: …-…month[.] (BB) will bill monthly or quarterly […].».
17 aurait réglé le montant de « … euros », « directement ou indirectement » à la société (BB), de sorte qu’il serait déductible dans son chef à titre de dépense d’exploitation.
Dans ces circonstances, le tribunal retient, à l’instar du directeur et du délégué du gouvernement, que la société demanderesse, sur laquelle incombe la charge de la preuve conformément à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 et à l’article 45, alinéa (1) LIR, n’a soumis ni au directeur, ni au tribunal un quelconque document qui établirait la réalité et le détail des différentes prestations de services effectuées par la société (BB) à son profit au titre de la lettre d’engagement du 26 octobre 2015, tel un relevé des heures de travail effectivement prestées par la société (BB) au bénéfice de la société demanderesse, et ce alors même que les prestations visées par les factures susvisées devraient nécessairement se matérialiser par des documents susceptibles d’étayer la réalité des services fournis. En outre, la société demanderesse déclare dans son courrier du 29 juin 2022 adressé au directeur suite à son courrier de mise en état du 16 mai 2022 qu’elle « ne dispose[rait] pas du détail des horaires facturées pour les factures de comptabilité », et confirme ainsi elle-même l’absence de documents quelle pourrait soumettre en cause à l’appui de sa thèse de l’effectivité des prestations litigieuses.
Au vu de ce qui précède et à défaut de tout autre élément, c’est dès lors à bon droit que le directeur a refusé la déductibilité des honoraires que la société demanderesse a, de façon non contestée par la partie étatique, payés à la société (BB), respectivement à des tiers pour le compte de celle-ci pour un montant de … euros, alors qu’elle est restée en défaut d’établir que ceux-ci correspondent effectivement à des services prestés à son profit et dès lors à des dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise au sens de l’article 45, paragraphe (1) LIR.
c) Quant à la déductibilité des frais de déplacement En l’espèce, la société demanderesse entend déduire l’intégralité de ces frais dont elle a fait état dans sa déclaration d’impôt au titre de l’année 2016, soit … euros au titre de frais de « Déplacement_Transport » et … euros au titre de frais de « Déplacement_Hébergement », alors que le directeur a uniquement accepté un montant de … euros sur le montant total de … euros déclarés à titre de frais de déplacement au motif, tout d’abord, que la preuve de l’existence matérielle d’une partie de ces dépenses ainsi que la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu visée ne seraient pas établies.
A cet égard, il échet de prime abord au tribunal de constater que dans le cadre de sa réclamation auprès du directeur, la société demanderesse s’est basée sur une panoplie de billets, notes et tickets de caisse dont la plupart n’étaient ni annotés ni mis en rapport avec un déplacement particulier sinon le but dudit déplacement et que ces pièces n’ont permis de prouver la réalité et le but professionnel de certains des déplacements uniquement.
Force est ensuite de constater que dans le cadre du présent recours, la société demanderesse se limite à affirmer, d’une part, qu’elle aurait conclu en date du 12 octobre 2015 un contrat de « service provider » avec la société (CC) aux termes duquel elle serait en charge, entre autres, de contrôler et de gérer les comptes et les finances de celle-ci et de ses filiales en Espagne et au Portugal, raison pour laquelle sa gérante aurait dû se rendre dans lesdits pays et, d’autre part, que ni elle-même ni sa gérante « n’ont de besoin de se déplacer à titre personnel en dehors de la … si ce n’est à titre professionnel », étant donné qu’elle aurait son siège social 18 à … et que sa gérante aurait également son domicile à Luxembourg, tout en renvoyant au tableau, intitulé « Grand-livre des comptes », versé à l’appui de son recours. Il devrait dès lors être présumé que les frais litigieux sont de nature professionnelle, de sorte que la charge de la preuve du caractère non professionnel et partant non déductible des frais litigieux incomberait à l’administration des Contributions directes.
Le tribunal rejoint, à cet égard, le directeur dans son constat selon lequel il ressort du tableau, intitulé « Grand-livre des comptes », versé par la société demanderesse, portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, que des inscriptions relatives à un montant supérieur à … euros sont annotées comme frais de « [l]ogement Directeur (BB) : Revue des taches à reprendre par (BB) » et correspondent à des séjours passés principalement dans un hôtel situé à …. Or, il est constant en cause pour ne pas être contesté que le directeur de la société (BB) est Madame (A), gérante et associée de la société demanderesse, laquelle habite, selon les propres affirmations de la société demanderesse, à …, de sorte à ne pas avoir besoin de loger dans un hôtel à …. Il s’ensuit que la société demanderesse est restée en défaut d’apporter des éléments de nature à justifier le lien exclusivement professionnel entre ces dépenses et son activité.
La société demanderesse est, par ailleurs, restée en défaut de contredire le délégué du gouvernement dans son affirmation selon laquelle, elle n’aurait versé – à l’exception d’extraits de compte VISA - aucune facture ou autre pièce en relation avec un séjour à … du 30 août au 6 septembre 2016, intitulé « … », qui serait de nature à démontrer la cause exclusivement professionnelle des frais afférents. Elle n’a pas non plus pris position par rapport aux explications du délégué du gouvernement selon lesquelles il ressortirait des factures émises à l’encontre de la société (CC) qu’elle ne lui aurait fourni aucune prestation entre le 30 août et le 6 septembre 2016.
La société demanderesse est, par ailleurs, restée en défaut de contester le constat du directeur et du délégué du gouvernement selon lequel les annotations sur le relevé litigieux, versé par la société demanderesse, ne couvriraient pas l’intégralité des frais y listés. A cela s’ajoute que s’il ressort du tableau versé par la demanderesse à l’appui de son recours que celle-
ci a complété les commentaires relatifs au compte « Déplacement_Transport » par rapport au tableau versé dans la phase précontentieuse, force est toutefois au tribunal de constater, d’une part, que la société demanderesse est restée en défaut d’annoter l’intégralité des dépenses litigieuses et, d’autre part, que les commentaires y afférents, tels que « Meeting State Street », « … Portugal », « Déplacement Uden », « Taxi aéroport » ou encore « Déplacement variés :
Aéroport et Client Lux », ne sont, à eux seuls, à défaut de toute explication de la société demanderesse à cet égard, pas de nature à prouver leur lien exclusif avec l’activité de la société demanderesse.
Il échet encore de rejeter l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle la tenue d’un carnet de bord afin de justifier du lien exclusif des frais de voiture engagés, tels que péages, parkings, entretiens, carburant, lavages de voiture, en lien avec son activité serait inutile en l’espèce, alors que « tous les déplacements seraient de nature professionnelle », alors qu’il appartient, en tout état de cause, au contribuable de rapporter la preuve de la cause professionnelle («die berufliche Veranlassung») relativement à l’utilisation du véhicule dont il 19 réclame la déduction des frais afférents, ainsi que le pourcentage de l’utilisation professionnelle effective dudit véhicule9.
C’est encore à tort que la société demanderesse soutient qu’« il y a une présomption que les frais [engagés par une société] sont de nature professionnel[le] », respectivement que « le caractère non professionnel, et donc non déductible, [des frais engagés par une société] doit être à charge de la partie étatique ». Une telle présomption n’existe pas, bien au contraire aux termes des articles 59 de la loi du 21 juin 1999 et 45 LIR, la charge de la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable, étant relevé qu’en l’espèce, la société réclame justement la déduction des frais litigieux.
Dans ces conditions et au regard des contestations tout à fait générales et non circonstanciées de la société demanderesse, le tribunal retient que les éléments soumis à son appréciation sont, contrairement à l’affirmation de la société demanderesse, en l’état actuel insuffisants pour démontrer que l’ensemble des frais de déplacement dont elle réclame la déduction intégrale au titre de l’année d’imposition 2016 aurait été engagé dans l’intérêt exclusif de son activité conformément à l’article 45, alinéa (1) LIR.
A défaut d’explications circonstanciées de la société demanderesse, aucun reproche ne saurait, dès lors, être fait au directeur d’avoir confirmé la reconnaissance d’une quote-part d’utilisation privée des frais de déplacement litigieux à hauteur de … euros pour l’année d’imposition 2016.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer non fondé en ce qu’il vise la décision du directeur en relation avec le refus partiel de déduction des frais de déplacement.
d) Quant à la question de l’existence de distributions cachées de bénéfices L’article 164, paragraphe (3) LIR dispose comme suit : « Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».
Une distribution cachée de bénéfices existe si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.
Une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de sa substance permet de dégager sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou 9 Trib. adm., 21 février 2001, n° 12028 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 244 et les autres références y citées.
20 intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (“Vermögensminderung”) soit un défaut d’accroissement de l’actif (“verhinderte Vermögensmehrung”) .
La reconnaissance de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices suppose, outre que l’avantage, ait entraîné soit une diminution de l’actif, soit un défaut d’accroissement de l’actif dans le chef de la société en question, que ledit avantage soit resté pour cette dernière sans contrepartie effective en sa faveur. La notion de contrepartie effective implique que la société ait bénéficié de l’allocation d’un bien ou avantage appréciable en argent qui présente un lien économique direct avec l’avantage alloué par elle et qui constitue une compensation adéquate de la valeur de l’avantage accordé. La question de la reconnaissance d’un avantage accordé unilatéralement par la société se situe au niveau des effets économiques qui peuvent découler d’une opération unique ou de plusieurs opérations lorsque le lien économique les unissant implique l’analyse de leurs effets dans leur globalité.
L’avantage accordé par la société doit, par ailleurs, tout comme les distributions de revenus dans les formes prévues par le droit des sociétés, encore avoir la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers dans le chef du bénéficiaire.
Force est encore au tribunal de retenir qu’une dépense qui ne présente pas un lien de causalité exclusif suffisant avec l’activité de l’entreprise à défaut de lui procurer une contrepartie adéquate ne peut certes pas rentrer parmi les dépenses d’exploitation déductibles du bénéfice imposable, mais elle constitue une distribution cachée de bénéfices uniquement si en outre l’avantage découlant de la prise en charge de la dépense peut être considéré comme ayant été alloué directement ou indirectement à un associé, actionnaire ou intéressé sous une forme pouvant donner lieu à une recette imposable.
En ce qui concerne la charge de la preuve, il résulte d’une lecture combinée des articles 164, paragraphe (3) LIR et 59 de la loi du 21 juin 1999, précités, que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit, en effet, procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfice. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d’imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable que le bureau peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées10.
En ce qui concerne, en premier lieu, les honoraires litigieux et relativement à la première condition de l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente, il convient en premier lieu de relever que le tribunal vient de retenir que les mesures d’instruction du directeur ont permis de dégager des éléments suffisants pour justifier un doute circonstancié 10 Cour adm. 12 février 2009, n° 24642C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 709 (2e volet) et les autres décisions y visées.
21 quant à la réalité des prestations prétendument réalisées par la société (BB) en contrepartie de ses paiements d’honoraires, et par voie de conséquence, quant à l’existence éventuelle d’un avantage indu accordé indirectement à Madame (A), étant donné que celle-ci est associée de la société (BB), société sœur de la société demanderesse.
Conformément aux principes ci-avant énoncés, la charge de la preuve se trouve renversée par ces éléments et il incombe dès lors à la société demanderesse de prouver l’absence de diminution de bénéfice indue par la réalité et l’équivalence des contreparties par elle reçues.
Or, tel que le tribunal vient de le retenir, la société demanderesse est restée en défaut d’établir la réalité des prestations effectuées par la société (BB) au titre de l’année 2016.
Il découle de ces éléments qu’en présence du faisceau d’indices dégagé en cause et du défaut par la société demanderesse d’avoir utilement prouvé le contraire, il y a lieu d’admettre que la première condition d’une distribution cachée de bénéfices, à savoir l’existence d’avantages indus fournis par la société demanderesse à la société (BB) ou à son bénéficiaire économique, doit être considérée comme vérifiée en l’espèce.
Quant à la seconde condition de l’existence d’une relation particulière entre la société demanderesse et la société (BB), le tribunal rappelle qu’il est constant en cause que Madame (A), associée unique de la société demanderesse, est également l’associée de la société (BB).
Par voie de conséquence, en présence d’indices dans le sens de l’allocation d’un avantage particulier par la société demanderesse et de l’existence de liens particuliers entre la société demanderesse et la société (BB), la qualification des honoraires litigieux de … euros comme distributions cachées de bénéfices n’a pas été utilement combattue par la société demanderesse, de sorte que c’est à bon droit que le directeur a estimé en l’espèce qu’une diminution indue du bénéfice était probable et a dès lors requalifié les montants payés par la société demanderesse à la société (BB) en distribution cachée de bénéfice à l’actionnaire commun, Madame (A).
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle le revenu de … euros aurait été déclaré comme bénéfice imposable par la société (BB) en Espagne, respectivement par celle que ledit revenu ferait désormais l’objet d’une double imposition au Luxembourg et en Espagne, alors qu’une imposition dudit revenu en Espagne ne remet pas en cause la conclusion qui précède, à savoir l’existence d’un avantage indu, fourni par la société demanderesse à Madame (A), bénéficiaire économique de la société demanderesse et de la société (BB).
En ce qui concerne, en second lieu, les frais de déplacement, il échet de relever que dans la mesure où c’est à bon droit que le directeur a pu conclure que les frais de déplacement n’avaient pas été exclusivement engagés dans l’intérêt de l’activité de la société demanderesses conformément à l’article 45, alinéa (1) LIR, mais qu’une quote-part d’utilisation privée devait être retenue, il a valablement pu en déduire que les frais relatifs à cette quote-part avaient été, dans cette mesure, engagés par la société demanderesse au bénéfice d’autres personnes, en l’occurrence de Madame (A), dont il n’est pas contesté qu’il s’agit de son associé unique, et en 22 tirer l’existence d’un faisceau de circonstances rendant probable l’existence de distributions cachées de bénéfices en sa faveur.
Il appartient, dès lors, en application des principes dégagés ci-avant sur base des articles 164, alinéa (3) LIR et 59 de la loi du 21 juin 1999, à la société demanderesse de démontrer qu’il n’y a pas eu de diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre elle et Madame (A).
En l’espèce, il y a lieu de rejeter les explications de la société demanderesse selon lesquelles « tous les déplacements » de Madame (A) auraient été de nature professionnelle, alors que c’est précisément l’absence de preuve que l’intégralité des dépenses engagées par la société demanderesse l’ont été dans l’intérêt exclusif de la société demanderesse qui est remise en question en l’espèce, étant relevé que les affirmations de la société demanderesse selon lesquelles « [elle] a son siège social à Luxembourg [et] [s]a gérante, Madame (A) a également son domicile à … », de sorte que « ni elle[-même], ni sa gérante, n’ont de besoin de se déplacer à titre personnel en dehors de la … si ce n’est à titre professionnel », ne sont pas suffisantes à cet égard.
Quant à la seconde condition de l’existence d’une relation particulière entre la société demanderesse et Madame (A), le tribunal rejoint le délégué du gouvernement dans son affirmation selon laquelle celle-ci est remplie en l’espèce, alors que la société demanderesse ne conteste pas l’existence d’un lien sociétaire avec Madame (A).
A défaut d’autres éléments de nature à remettre en cause le faisceau d’indices mis en avant par la partie étatique rendant probable l’existence de distributions cachées de bénéfices en faveur de son associé, le tribunal se doit de retenir que le montant de … euros retenu par le directeur est à confirmer en ce sens que les avantages octroyés par la société demanderesse à son associé ont entraîné une diminution de son actif et que ces avantages sont restés pour la société demanderesse sans contrepartie effective en sa faveur, mais s’expliquent par les relations particulières existant entre elle et Madame (A) en application de l’article 164, alinéa (3) LIR.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant fondé dans aucun de ses moyens.
S’agissant de la demande de suspension de l’exécution du bulletin d’imposition sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. […] », celle-ci est rejetée au vu de l’issue du présent litige, étant donné que pareille demande ne saurait être admise en cas de jugement portant rejet du recours11.
11 Trib. adm., 8 décembre 2010, n° 26787 du rôle ; Trib. adm., 10 mai 2017, n° 37428 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.
23 Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 euros formulée par la société demanderesse est également à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande fondée sur l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse au paiement des frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et lu à l’audience publique du 30 avril 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 avril 2025 Le greffier du tribunal administratif 24