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05/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52767

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mai 2025, 52767


Tribunal administratif N° 52767 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52767 2e chambre Inscrit le 28 avril 2025 Audience publique du 5 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52767 du rôle et déposée le 28 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), d

éclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuelle...

Tribunal administratif N° 52767 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52767 2e chambre Inscrit le 28 avril 2025 Audience publique du 5 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52767 du rôle et déposée le 28 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 19 avril 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jenna LIFA, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Suivant le rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », du 20 septembre 2021, référencé sous le numéro (…), lors d’un contrôle d’identité effectué le même jour à Luxembourg-

Ville, Monsieur (A) fut dans l’impossibilité de présenter des documents d’identité.

Suivant le relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg (« CPL ») du même jour, Monsieur (A) fit l’objet d’un mandat d’amener pour avoir commis une infraction à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie.

En date du 1er octobre 2021, l’autorité ministérielle adressa aux autorités italiennes une demande de reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 5 octobre 2021.

Par arrêté du 6 octobre 2021, notifié à Monsieur (A) par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile décida de transférer l’intéressé en Italie.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que l’intéressé fut libéré du CPL en date du 10 novembre 2021.

Suivant le rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », du 11 janvier 2022, référencé sous le numéro (…), Monsieur (A) fut dans l’impossibilité de présenter des documents d’identité lors d’un contrôle d'identité effectué le même jour à Luxembourg-Ville. A cette même occasion, il fut constaté qu’il était en possession de stupéfiants.

Par arrêté ministériel du 11 janvier 2022, lui notifié en mains propres le même jour, Monsieur (A) fit l’objet d’une décision de retour.

Par arrêté ministériel du même jour, lui notifié en mains propres le même jour, l’intéressé fut placé au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, placement qui fut prorogé par arrêté ministériel du 7 février 2022, notifié à l’intéressé le 11 février 2022.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que par décision du 2 mars 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile rapporta, avec effet au 3 mars 2022, la décision de retour du 11 janvier 2022 prononcée à l’égard de Monsieur (A) et que le 3 mars 2022, l’intéressé fut transféré en Italie.

Suivant le dossier administratif, Monsieur (A) fut condamné, par jugement n°1547/2022 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 2 juin 2022, à une peine d’emprisonnement de 24 mois pour avoir contrevenu à la législation en matière de stupéfiants, étant relevé que ledit jugement fut notifié en personne à l’intéressé le 9 avril 2023.

Suivant le relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (« CPU ») du 14 avril 2023, Monsieur (A) fit l’objet d’un mandat d’amener pour une infraction de vol qualifié.

Par décision du 21 juin 2023, le délégué du Procureur général d’Etat à l’exécution des peines demanda à Madame le directeur du CPL d’écrouer Monsieur (A) en vue de l’exécution de la peine d’emprisonnement prémentionnée.

Le 29 juin 2023, Monsieur (A) fit l’objet d’un signalement national en vue de son arrestation.

Il se dégage du relevé journalier du CPU du 13 juillet 2023 qu’à cette même date, l’intéressé fut libéré.

Suivant un procès-verbal de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », Région (…) Bonnevoie, référencé sous le numéro (…), du 18 août 2023, Monsieur (A) fut contrôlé par la police à Luxembourg-Bonnevoie alors qu’il se trouva en présence d’une personne recherchée par la police pour avoir proféré des menaces dans le même quartier. A cette occasion, il s’avéra que Monsieur (A) n’était pas en mesure de présenter un document d’identité ou de voyage valable et qu’il ne disposait pas d’une adresse officielle au Luxembourg. Il expliqua encore êtresorti de prison depuis 20 jours et qu’une décision définitive quant à son sort serait prise à la fin de l’été1.

Par arrêté du 18 août 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour de Monsieur (A) sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, en l’occurrence la Tunisie, ou à destination de tout autre pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou de tout autre pays où il est autorisé à séjourner. Par le même arrêté, ledit ministre lui interdit encore l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 18 août 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Une recherche effectuée par la police grand-ducale révéla que l’intéressé avait été signalé dans le Système d’information Schengen (« SIS ») par l’Italie, la France et la Belgique.

Les autorités luxembourgeoises furent encore informées via le Centre de coopération policière et douanière par les autorités allemandes que l’intéressé leur était également connu, tandis que les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur (A) leur était connu pour avoir commis de multiples infractions et qu’il s’était vu notifié un ordre de quitter le territoire en date du 18 janvier 2023.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que le 23 août 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile contacta les autorités consulaires tunisiennes en vue d’une demande d’identification et de délivrance d’un laissez-passer dans le chef de l’intéressé.

Suivant le relevé journalier du CPL du 30 août 2023, Monsieur (A) y fut incarcéré à cette même date, étant relevé qu’il se dégage de l’acte d’écrou du 1er septembre 2023, que l’intéressé y purgea la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné par le Tribunal correctionnel à Luxembourg en date du 2 juin 2022 et que sa libération était provisoirement prévue pour le 31 mars 2025.

Le recours contentieux dirigé le 15 septembre 2023 contre ladite décision de placement en rétention fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 25 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49435 du rôle, sur base de la considération que ledit recours avait perdu son objet compte tenu du fait que l’intéressé avait été incarcéré en date du 1er septembre 2023 au CPL, de sorte à ne plus avoir été placé au Centre de rétention non seulement au moment où le tribunal avait été amené à statuer mais déjà au moment de l’introduction du recours sous analyse.

Il se dégage ensuite du dossier administratif que le 14 novembre 2023, Monsieur (A) fit introduire par l’intermédiaire de son mandataire un recours gracieux contre la décision de retour et d’interdiction d’entrée sur le territoire prise à son encontre en date du 18 août 2023.

Le 13 février 2024, les autorités italiennes informèrent les autorités luxembourgeoises qu’elles avaient pris dans le chef de l’intéressé une décision de retour, de même qu’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans en date du 10 mars 2022.

1 « Herr (A) gab an, dass er seit 20 Tage aus dem Gefängnis raus wäre und am Ende vom Sommer eine Entscheidung getroffen wird. ».

Suivant l’acte d’écrou du 26 octobre 2024, la peine d’emprisonnement de 24 mois relative à la condamnation du 2 juin 2022 fut interrompue pour contrainte par corps du 11 octobre au 26 octobre 2024 et la libération de l’intéressé fut prévue pour le 15 avril 2025.

Il se dégage du relevé journalier du CPL du 15 avril 2025 qu’à cette même date, l’intéressé fut libéré.

Suivant le rapport de police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », du 18 avril 2025, référencé sous le numéro (…), Monsieur (A) fut interpellé par les agents de la police grand-ducale pour avoir agressé une personne dans la rue à Luxembourg-Ville.

Par arrêté du 19 avril 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no (…) du 18 avril 2015 établi par la Police grand-ducale, unité Région (…) Luxembourg ;

Vu la décision de retour du 18 août 2023, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 19 avril 2025 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, après avoir souligné que le placement en rétention, qui constituerait une forme de privation de liberté au sens de l’article 5 (1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », devrait rester une ultima ratio, Monsieur (A) fait plaider que son placement au Centre de rétention ne serait ni nécessaire, ni justifié, ni proportionné et serait, dès lors, illégal, étant donné que conformément aux dispositions de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, il aurait appartenu au ministre de lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, telle qu’une assignation à résidence à la maison retour, alors qu’il présenterait des garanties de représentation suffisantes et qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.

A cet égard, il insiste sur le comportement qu’il aurait affiché, sur le fait qu’il aurait exprimé sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises et qu’il aurait des attaches au Luxembourg où il aspirerait à s’établir de manière régulière.

En conclusion, le demandeur soutient, en substance, qu’au vu du caractère illégal de son placement en rétention, il devrait être immédiatement remis en liberté, conformément aux dispositions de l’article 15 (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 ».

En outre, le demandeur conteste, de l’entendement du tribunal, l’existence de chances raisonnables de croire que son transfert puisse être mené à bien, alors qu’à ce jour, aucun laissez-

passer n’aurait encore été délivré dans son chef par les autorités tunisiennes en vue de son éloignement.

Par ailleurs, il reproche au ministre de ne pas avoir accompli les démarches nécessaires à son transfert avec la diligence requise afin d’écourter au maximum la durée de son placement en rétention. En effet, depuis une première demande d’identification adressée aux autorités tunisiennes en date du 23 août 2023, le ministre ne se serait plus enquis auprès desdites autorités tunisiennes en vue de l’organisation de son éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir 5 de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal relève qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet en date du 18 avril 2023 d’une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, est en séjour irrégulier au Luxembourg.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, (3), c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur (A) de soumettre au tribunal des éléments pertinents permettant de renverser cette présomption, susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il est resté en défaut de faire. Les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef sont dès lors à rejeter.

Sur base de ces considérations, il y a lieu de retenir que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève qu’à cet égard, l’article 125 (1) de la loi du 29 août2008 prévoit ce qui suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvanten situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant.

En effet, ses développements ayant trait à son comportement et à sa volonté de collaborer avec les autorités luxembourgeoises, de même que son affirmation péremptoire suivant laquelle il aurait prétendument des attaches au Luxembourg sont, à défaut d’autres éléments, insuffisants à cet égard.

Par ailleurs, le tribunal constate, au contraire, que le fait que le demandeur insiste sur sa volonté de s’établir de manière régulière au Luxembourg est de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef, la notion de risque de fuite visant, en effet, un risque de soustraction à la mesure d’éloignement projetée.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le demandeur, qui ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, n’a pas présenté d’éléments permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à la maison retour, alors que celle-ci ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal se doit tout d’abord de rejeter pour ne pas être fondés les reproches du demandeur suivant lesquels depuis le 23 août 2023, les services ministériels ne se seraient plus enquis auprès des autorités tunisiennes en vue de l’organisation de son éloignement puisque, tel que relevé ci-avant, le demandeur a été incarcéré au CPL du 30 avril 2023 jusqu’au 15 avril 2025. Or, dans la mesure où c’est justement afin de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement qu’un étranger peut, sous réserve qu’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement, être placé en rétention, le fait qu’aucune démarche en vue de l’exécution de l’éloignement du demandeur n’ait été entreprise au cours de l’incarcération de l’intéressé et donc préalablement à son placement au Centre de rétention n’encourt aucune critique.

Le tribunal constate ensuite qu’à la suite de son placement en rétention ordonné par le biais de l’arrêté ministériel litigieux du 19 avril 2025, les autorités luxembourgeoises ont contacté le 22 avril 2025 les autorités consulaires tunisiennes en vue de réitérer leur demande d’identification de l’intéressé et de délivrance d’un laissez-passer dans son chef telle que 2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.formulée initialement le 23 août 2023, respectivement de s’enquérir au sujet de l’état d’avancement de ce dossier. Le lendemain, les services du ministre ont encore demandé à la police grand-ducale de procéder à la prise des empreintes de l’intéressé.

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal est amené à conclure qu’à l’heure actuelle, les démarches ainsi entreprises en l’espèce doivent être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. Les contestations afférentes du demandeur sont, dès lors, à rejeter.

Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de chances raisonnables de croire que son transfert puisse être mené à bien, dans la mesure où, à ce stade, le tribunal ne décèle aucun élément permettant d’aboutir à une telle conclusion.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacrée notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5 (1) f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Dans un arrêt du 15 décembre 20164, la Cour européenne des droits de l’Homme a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce, étant donné (i) que le demandeur est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, (ii) qu’il a fait l’objet d’une décision de retour le 18 août 2023 et (iii) qu’il vient d’être retenu ci-avant que la procédure d’éloignement est toujours en cours et poursuivie avec la diligence légalement requise, la décision déférée n’est pas contraire à l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Au vu des développements faits ci-avant, le tribunal conclut que les contestations du demandeur quant à la légalité, à la nécessité, au caractère justifié et à la proportionnalité de la mesure de placement en rétention litigieuse sont à rejeter dans leur ensemble.

S’agissant finalement de la référence faite par le demandeur à l’article 15 (2) et (4) de la directive 2008/115, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il vient d’être retenu ci-avant que la 3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 826 et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.mesure de placement en rétention litigieuse est légale - le tribunal ayant plus précisément retenu qu’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention n’est pas envisageable, que le demandeur n’a pas renversé la présomption d’un risque de fuite dans son chef et que, par ailleurs, la procédure d’éloignement est toujours en cours et poursuivie avec la diligence légalement requise - et, d’autre part, que le demandeur n’a pas prouvé qu’il n’existerait en l’espèce pas de perspective raisonnable de transfert. Dans ces circonstances, une remise en liberté, telle que prévue aux paragraphes (2) et (4) de l’article 15 de la directive 2008/115, ne se conçoit en tout état de cause pas, indépendamment de la question de l’effet direct de ces derniers.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur (A) de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

déboute le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 5 mai 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52767
Date de la décision : 05/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-05;52767 ?

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