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12/05/2025 | LUXEMBOURG | N°50104

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mai 2025, 50104


Tribunal administratif N° 50104 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50104 2e chambre Inscrit le 26 février 2024 Audience publique du 12 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50104 du rôle et déposée le 26 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mon

sieur (A), né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellem...

Tribunal administratif N° 50104 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50104 2e chambre Inscrit le 26 février 2024 Audience publique du 12 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50104 du rôle et déposée le 26 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck GREFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 janvier 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck GREFF et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 décembre 2024.

Le 20 octobre 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

En date des 17 février et 15 mars 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 janvier 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après 1désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 20 novembre 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche des données personnelles du 20 octobre 2022, votre fiche manuscrite du 20 octobre 2022, le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 octobre 2022 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 17 février et 15 mars 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents remis à l'appui de votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né le … à …, de nationalité somalienne, de confession musulmane, affilié au clan Duduble et célibataire. Vous seriez originaire du quartier de … à … où vous auriez vécu avec votre mère, votre frère et vos quatre sœurs. Vous auriez accompli deux mois de scolarité au cours de votre vie et commencé à travailler en tant que conducteur de cyclopousse en octobre 2019.

À l'appui de votre demande de protection internationale, vous avancez avoir quitté la Somalie en raison des menaces de mort émises contre vous par des membres d'Al-Shabaab.

Dans ce contexte, vous indiquez que dans le cadre de votre travail, un jeune somalien vous aurait demandé de vous rendre à … afin d'y récupérer un colis et de le livrer à …. Vous auriez accepté sa demande car il se serait agi d'un habitué, respectivement un client que vous auriez fréquemment conduit sur son lieu de travail au marché de …, alors que vous auriez ordinairement refusé un tel service au motif qu'« It is dangerous to carry packages for the people you do not know » (p.7/17 du rapport d'entretien). Arrivé à …, vous auriez reçu un appel masqué et l'appelant vous aurait informé de sa localisation pour vous remettre le colis. Après avoir réceptionné le colis de cet inconnu, vous auriez repris la route vers … sans connaître l'adresse de livraison et le destinataire : « There was no address or recipient. They told me that I should go and that I would receive a call from someone that would come pick it up » (p.8/17 du rapport d'entretien).

Sur le trajet, vous auriez pris un détour sur une route non asphaltée et bosselée afin de contourner des embouteillages mais vous auriez accidentellement fait tomber le colis. Vous vous seriez arrêté pour le ramasser, auriez constaté que son emballage se serait abimé et auriez réalisé qu'il contenait du matériel explosif, en l'occurrence une douzaine de grenades.

Dès lors, vous auriez sérieusement suspecté que l'ordre de livraison vous aurait été transmis par Al-Shabaab. Ne sachant que faire du colis, vous auriez estimé faire face à un dilemme alors qu'« If I went to the government, I would have Al-Shabaab behind me and if I went to Al-

Shabaab, the government would track me down » (p.9/17 du rapport d'entretien).

2 Après réflexion, vous auriez pris la décision de reposer le colis sur votre cyclopousse et de vous rendre au premier poste de contrôle des forces gouvernementales somaliennes en reprenant votre route vers …. Arrivé au premier poste de contrôle croisé, vous auriez alerté les soldats quant à votre situation, à savoir qu'un individu vous aurait demandé de livrer un colis et que vous auriez constaté qu'il contenait du matériel explosif. Les soldats vous auraient mis sur le côté, vous auraient fouillé puis interrogé. Entre-temps, vous auriez reçu un appel de votre client commettant et les soldats auraient mis le haut-parleur sur votre téléphone portable afin de suivre la conversation. Il vous aurait reproché de ne toujours pas avoir livré le colis et vous aurait menacé de mort pour avoir rejoint les « infidels and unbelievers » (p.11/17 du rapport d'entretien), tout en actant votre manque de foi islamique, de sorte que vous présumez que vous auriez été espionné et que vos confidences auprès des forces gouvernementales somaliennes auraient directement été dénoncées.

Après cet appel téléphonique, d'autres soldats seraient arrivés et ils vous auraient bandé les yeux pour vous emmener dans un endroit inconnu tout en saisissant le colis. Ils auraient inspecté son contenu et vous auraient interrogé brutalement sur son origine et votre éventuelle allégeance à la milice Al-Shabaab. Vous leur auriez rapporté les faits et relaté votre vie mais, peu convaincus, ils ne vous auraient pas fait confiance et vous auraient placé en détention. Vous leur auriez donné le numéro de téléphone de votre mère afin qu'ils puissent la contacter et ils auraient convoqué les soldats du poste de contrôle afin qu'ils puissent confirmer vos déclarations. Après un mois de détention dans des conditions précaires, vous auriez été libéré puisque votre version des faits aurait concordé avec le témoignage de votre mère et des soldats présents au poste de contrôle.

Inquiétée par les menaces émises par Al-Shabaab à votre encontre, votre mère aurait décidé de collecter de l'argent auprès de votre famille et des amis afin de financer votre fuite de Somalie. Vous seriez encore resté une semaine chez votre oncle paternel à … au cours de laquelle vous vous seriez vu remettre votre passeport et des tickets d'avion.

En possession d'un visa pour la Turquie, vous auriez pris un vol de … vers Istanbul durant le mois d'avril 2022 en faisant une escale à Addis-Abeba en Ethiopie. Arrivé à Istanbul, vous y seriez resté pendant 3-4 mois au cours desquels vous auriez décidé de remettre préventivement votre passeport à des connaissances somaliennes alors que vous auriez craint que les autorités grecques ne vous renverraient en Turquie si vous étiez contrôlé. Vous seriez alors parti illégalement en Grèce où un passeur vous aurait remis une fausse carte d'identité vous ayant permis de prendre un vol vers l'Italie un mois et vingt jours plus tard. Vous auriez ensuite pris un bus vers la Belgique et auriez rejoint le Luxembourg en train.

À l'appui de votre demande de protection internationale, vous avez versé le 26 juillet 2023, soit huit mois après l'introduction de votre demande de protection internationale et quatre mois après votre dernier entretien ministériel, un certificat de naissance et un certificat d'identité émis par la municipalité de … en date du 25 avril 2023. En date du 22 novembre 2023, les analyses de l'Unité de la police de l'aéroport (UPA) ont permis de déterminer qu'il s'agissait de documents authentiques.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale 3Il convient de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'appréciation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi de 2015.

Par conséquent, Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, il convient tout d'abord de soulever la confusion qui régnait autour de votre âge lorsque vous vous êtes présenté en date du 20 octobre 2022 à la Direction générale de l'immigration pour y introduire une demande de protection internationale.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que vous avez informé être âgé de … ans sur votre fiche des données personnelles que vous avez complétées vous-même lors de l'introduction de votre demande de protection internationale en date du 20 octobre 2022. Le même jour, vous avez paradoxalement déclaré auprès de l'agent du Service de Police Judiciaire que vous seriez né le …, ce qui implique que vous auriez été âgé de … ans et … jours, tout en revendiquant en même temps que vous auriez « … ans et dans … mois … ans ». Finalement, après que les autorités luxembourgeoises ont soulevé vos multiples incohérences, et faute de documents probants à l'appui de votre demande de protection internationale, il appert que vous avez finalement décidé de changer d'avis en datant votre naissance au 1er janvier 2004.

Ensuite, dès le début de l'entretien ministériel du 17 février 2023, vous indiquez à l'agent ministériel qu'« I am 17 years old » avant de rectifier cette déclaration en disant « I am now 18 and 2 months. When I arrived in Luxembourg, I was 17 and 10 months » (p.2/17 du rapport d'entretien). L'agent ministériel vous rappelle néanmoins que, conformément aux informations disponibles dans le rapport du Service de Police Judiciaire, votre date de naissance a été fixée avec votre consentement au 1er janvier 2004 alors que vous n'aviez pas été convaincant lorsque vous aviez prétendu être né le … tout en soutenant avoir « … ans et dans … mois … ans ». Vous vous contentez simplement de répondre fallacieusement à ce rappel qu'« I did not say this » (p.2/17 du rapport d'entretien). Puis, dans le cadre de la relecture, vous expliquez que vous auriez été forcé de dire que vous seriez âgé de … ans lors de l'introduction de votre demande de protection internationale. Votre victimisation et vos dénonciations ne sauraient néanmoins emporter conviction puisque vous omettez intentionnellement de rappeler à l'agent ministériel que l'âge que vous aviez déclaré ne concordait aucunement avec la date de naissance communiquée de sorte que c'était de manière fondée et légitime que la Direction générale de l'immigration avait estimé que vous n'étiez 4nullement crédible. Le caractère loufoque de cet échange atteint son paroxysme lorsque vous semblez visiblement prendre connaissance de votre date de naissance après que l'agent ministériel porte votre attention sur le fait que si vous êtes désormais âgé de « … and … months » cela impliquerait que vous soyez né en …, ce à quoi vous répondez « You must be right. I am born in … » (p.2/17 du rapport d'entretien).

Quand bien même vous avez finalement remis en date du 26 juillet 2023, soit huit mois après l'introduction de votre demande de protection internationale, un certificat de naissance et un certificat d'identité qui atteste que vous seriez né le …, et donc que vous étiez bel et bien âgé de … ans et … mois lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, force est de constater que la remise tardive de ces documents probants ne saurait vous dédouaner de la confusion qui s'est dégagée de vos déclarations contradictoires avant leur remise.

À cela s'ajoute qu'avant même d'avoir remis des documents probants à la Direction générale de l'immigration en date du 26 juillet 2023, vous avez expliqué à l'agent ministériel que vous n'auriez jamais disposé de documents d'identité, et que vous seriez par extension dans l'incapacité d'en verser à l'appui de votre demande de protection internationale, car « I was not born in a hospital. There is civil war in my country. The administration does not really exist » (p.2/17 du rapport d'entretien). Or, cette explication ne porte aucunement conviction pour deux raisons. Tout d'abord, elle est contredite par vous-même lors de votre entretien puisque, nonobstant le fait d'avoir d'abord prétendu qu'il se serait agi d'un faux passeport avant de revenir sur vos dires, vous rapportez que vous auriez été en possession de votre vrai passeport (p.3/17 du rapport d'entretien) lors de votre départ de Somalie. Néanmoins vous l'auriez volontairement remis à un ami en Turquie, en lui demandant de le renvoyer en Somalie au motif que « The Greek police will send you back to Turkey if they catch you with a passport or money » (p.3/17 du rapport d'entretien). Puis, les autorités turques auraient expulsé votre ami de sorte qu'il aurait laissé le passeport derrière lui et que vous en auriez entièrement perdu la trace. Ensuite, votre explication n'est pas crédible puisque vous avez finalement décidé de remettre votre certificat de naissance et votre certificat d'identité le 26 juillet 2023 à la Direction générale de l'immigration, sans doute afin d'écarter toutes les suspicions rationnelles qui avaient été formulées à votre encontre alors que vous n'avez pas fait état d'un discours crédible compte tenu de vos multiples incohérences.

Il n'en demeure pas moins que vous auriez donc été un citoyen somalien formellement informé sur ses propres données personnelles, que ce soit via votre passeport, votre certificat de naissance ou d'identité, et que vous auriez donc théoriquement dû être en mesure de communiquer facilement votre date de naissance alors qu'elle était inscrite sur ces divers documents. Or, vous n'avez jamais tenu des déclarations cohérentes avant la remise de ces documents probants, déclarations qui pour la plupart ne concordaient d'ailleurs pas avec votre réelle date de naissance.

Deuxièmement, en ce qui concerne la crédibilité des faits que vous invoquez à l'appui de votre demande de protection internationale, il y a lieu de noter que leur authenticité se doit d'être interrogée alors que le motif de fuite que vous avez invoqué lors de l'introduction de votre demande de protection internationale en date du 20 octobre 2022 n'est en rien similaire au motif que vous avez invoqué dans le cadre de vos entretiens ministériels des 17 février et 15 mars 2023.

5En effet, force est de constater qu'en date du 20 octobre 2022, vous déclarez formellement auprès du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté la Somalie « à cause de la guerre civile ». Quant au contenu de votre fiche manuscrite, il convient d'en retenir que le contenu de vos déclarations est relativement ambigu puisque la traduction suggère que vous auriez quitté la Somalie « for the explosions reason that is taking place ». Annexé à vos déclarations du même jour issues du rapport du Service de Police Judiciaire, il convient d'interpréter cette phrase comme étant une description de la situation « explosive » en Somalie découlant de ce que vous décrivez comme une guerre civile. Dès lors, il est aberrant de constater que vous changez radicalement de version dans le cadre de votre entretien ministériel puisque vous expliquez que vous auriez quitté la Somalie après avoir reçu des menaces de la part d'Al-Shabaab après que vous auriez été accusé de trahison.

Surtout, il convient de relever que vous n'avez aucunement évoqué le nom de la milice Al-Shabaab lors de vos déclarations du 20 octobre 2020 alors qu'il s'agirait, selon vos dires dans le cadre de vos entretiens ministériels, des principaux acteurs ayant causé votre fuite de votre pays d'origine. Or, le fait que vous n'avez même pas songé à mentionner leur nom dans votre fiche manuscrite ou dans le cadre de vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire renforce le constat que vous auriez initialement quitté la Somalie en raison d'une généralité telle que la « guerre civile » et non pas à cause de prétendus problèmes personnels que vous auriez eus avec la milice Al-Shabaab.

Partant, puisque le fait invoqué dès l'introduction de votre demande de protection internationale en date du 20 octobre 2022 n'est en rien similaire et comparable à celui que vous invoquez dans le cadre de votre entretien ministériel, il convient de s'interroger sur la crédibilité de vos déclarations, notamment celles émises dans le cadre de vos entretiens ministériels.

Troisièmement, il ressort de la lecture de votre rapport d'entretien que la manière décomplexée avec laquelle vous auriez accepté de prendre en charge la réception et la livraison d'un colis pour l'un de vos clients n'est pas crédible et ne concorde aucunement avec l'état d'esprit vigilant que vous vous targuez d'avoir généralement appliqué.

En effet, vous indiquez que vous auriez rarement transporté des colis dans le cadre de votre profession mais que vous auriez fait une exception « only (…) for the people I knew very well » (p.7/17 du rapport d'entretien). Vous justifiez ce précautionnisme en expliquant qu'il serait dangereux de transporter les colis de personnes inconnues en Somalie étant donné que « There are people who are out to hurt people » (p.7/17 du rapport d'entretien) et que par conséquent « It is common knowledge in my country that you have to be careful » (p.7/17 du rapport d'entretien).

Dans ce contexte, et compte tenu de votre profil de citoyen somalien lucide, conscient des dangers, averti qu'il existe en Somalie des personnes malintentionnées, il est aberrant de constater que vous auriez malgré tout accepté de vous occuper de la réception et de la livraison de ce colis alors qu'il appert que votre client et ses complices ne remplissaient aucunement vos critères de sûreté.

En ce qui concerne votre client, force est de constater que vous êtes uniquement en mesure de le décrire comme étant un habitué qui posséderait un commerce au marché de … et que vous auriez souvent transporté entre son lieu de résidence et son lieu de travail. Vous précisez par ailleurs que vous auriez rarement parlé avec lui puisque « He did not say much 6as he was always glued to his telephone » (p.7/17 du rapport d'entretien). Alors que vous ne partagez pas plus de renseignements à son égard, force est de constater qu'il ne remplit en réalité pas votre propre condition fixée pour accepter la réception et la livraison d'un colis, à savoir qu'il ne se serait visiblement pas agi de quelqu'un qu'« I knew very well » (p.7/17 du rapport d'entretien).

Votre manque de vigilance est encore plus troublant lorsqu'il appert que ce client vous aurait demandé de vous rendre à … afin que vous y rencontriez une personne tierce qui vous aurait transmis le colis, respectivement un inconnu qui vous aurait contacté préalablement avec un numéro masqué pour fixer le point de réception du colis. Dans ces conditions, il est surprenant que malgré vos propres suspicions - alors que vous décrivez que « the people I picked up the package from were quite strange » (p.7/17 du rapport d'entretien), qu'« it was already weird that it was from an unknown number. When I got there, it was even weirder » (p.8/17 du rapport d'entretien), et que « The package he gave me, the unknown number. I was a little suspicious » (p.8/17 du rapport d'entretien) - vous auriez malgré tout accepté d'effectuer la livraison. À cela s'ajoute que votre suspicion aurait également pu être éveillée par le fait que vous ne connaissiez toujours pas, même après la réception du colis à …, son adresse de livraison ou son destinataire : « There was no address or recipient. They told me that 1 should go and that I would receive a call from someone that would came pick it up » (p.8/17 du rapport d'entretien).

Ainsi, il n'est pas crédible que vous auriez accepté de prendre en charge la réception et la livraison de ce colis alors que les critères de vigilances que vous auriez généralement appliqués n'étaient aucunement remplis. Partant, si les conditions mêmes vous ayant amené à prétendument vivre de tels faits - alors qu'il découlerait de la prise en charge de ce colis que vous auriez finalement été menacé de mort par Al-Shabaab suite à votre reddition auprès des autorités somaliennes après que vous auriez accidentellement pris connaissance du contenu explosif du colis à livrer - se doivent d'être questionnées sérieusement, il convient par extension de remettre entièrement en doute la crédibilité de votre récit.

Quatrièmement, le constat du caractère fictif de votre récit se trouve corroboré alors que certaines de vos déclarations ne s'enchevêtrent pas de manière logique et sensée pour délivrer un déroulement chronologique des faits crédible, en l'occurrence lorsque vous auriez supposément été contacté par téléphone par votre client après votre reddition au poste de contrôle des forces gouvernementales somaliennes.

Tout d'abord, et comme susmentionné, il ressort de la lecture de votre entretien qu'après votre réception du colis à …, vous n'auriez pas eu connaissance de son adresse de livraison et de son destinataire puisqu'il aurait été prévu que vous soyez contacté par téléphone plus tardivement pour obtenir les renseignements additionnels : « There was no address or recipient. They told me that 1 should go and that 1 would receive a call from someone that would come pick it up » (p.8/17 du rapport d'entretien).

Partant, il paraît improbable que lorsque vous auriez été au poste de contrôle, votre client vous aurait appelé et vous aurait reproché de ne pas encore avoir exécuté votre livraison : « The person on the phone said that the recipient had not yet received the package » (p.6/17 du rapport d'entretien) alors qu'il ne vous aurait pas préalablement appelé pour vous fournir les renseignements additionnels comme convenu, en l'occurrence le destinataire du colis et son point de réception. En d'autres termes, il est impossible que votre client puisse vous reprocher à cet instant de ne pas avoir délivré le colis au destinataire alors que vous auriez 7supposément encore été contraint d'attendre un appel - dont vous ne faites aucunement référence dans votre récit - visant à vous donner les renseignements nécessaires à la livraison, respectivement de l'adresse où le destinataire vous retrouvera pour récupérer le colis.

Le constat du caractère fictif de votre récit se trouve encore plus confirmer lorsque vous êtes amené à détailler le contenu de cet échange téléphonique avec votre client. Alors que vous admettez initialement qu'il vous aurait uniquement reproché durant cet appel de ne pas encore avoir finalisé la livraison du colis, vous prétendez par la suite qu'il aurait également eu connaissance de votre reddition au poste de contrôle des forces gouvernementales somaliennes, qu'il vous aurait par conséquent accusé d'avoir agi contre la foi islamique en ayant rejoint les infidèles et mécréants, et qu'il vous aurait menacé de la peine capitale pour votre trahison, respectivement que vous seriez tué (p.10 et 11/17 du rapport d'entretien). Or, il va s'en dire Monsieur que vos deux descriptions relatives à la nature et au contenu de ce même appel téléphonique sont relativement divergentes alors que, d'une part, vous prétendez que votre client vous aurait simplement reproché de ne pas encore avoir livré le colis, et d'autre part, vous avancez qu'il vous aurait menacé de mort car il aurait été informé de votre trahison après que vous vous seriez arrêté au poste de contrôle pour avertir les forces gouvernementales somaliennes.

Dans ce contexte, il y a même lieu de douter de l'authenticité de vos déclarations lorsque vous rapportez que votre client aurait été averti de votre reddition auprès du poste de contrôle et qu'il aurait par conséquent été en mesure de vous le reprocher au cours de cet appel téléphonique. En effet, pour justifier qu'il aurait eu connaissance de votre reddition, vous expliquez que vous auriez probablement été espionné en cours de route : « There must have been someone following me that told him or saw what I did with the package. I must have been followed » (p.11/17 du rapport d'entretien). Or, cette explication ne saurait aucunement emporter conviction car il paraît évident que vous vous êtes largement inspiré d'une suggestion antérieure de l'agent en charge de votre entretien lorsqu'il vous a demandé si vous aviez éventuellement été suivi par des personnes - dans le but de comprendre pourquoi vous ne vous seriez pas simplement débarrassé du colis - ce à quoi vous lui avez répondu « It is a good question. It is highly possible » (p.9/17 du rapport d'entretien). Votre réponse sous-entend clairement que vous n'auriez jamais envisagé une telle possibilité auparavant, respectivement que vous n'auriez jamais songé que vous auriez potentiellement été espionné par des complices de votre client pour superviser le bon déroulement de la livraison. Autrement dit, la certitude avec laquelle vous prétendez que vous auriez forcément été suivi par des complices de votre client et que ceux-ci vous auraient dénoncé auprès de votre client pour justifier que ce dernier aurait été informé de votre localisation n'est pas crédible alors qu'il s'agissait pour vous d'une simple possibilité à laquelle vous n'auriez vraisemblablement jamais songé auparavant. Force est de constater que vous avez certainement été influencé par les questions de l'agent ministériel pour improviser vos déclarations postérieures dans le but de garder un semblant de crédibilité à votre récit alors que vous étiez en défaut de fournir une justification pragmatique permettant d'expliquer comment votre client, avant même de vous appeler, aurait été au courant de votre reddition auprès des forces gouvernementales somaliennes.

Cinquièmement, en dehors de cette divergence compromettante et des improbabilités susmentionnées, il convient également de souligner que les réactions de votre client et des inconséquences qui en auraient découlées ne sont pas crédibles.

En effet, il parait tout d'abord improbable que votre client, dont vous auriez donc appris inopinément qu'il aurait agi pour le compte d'Al-Shabaab, vous aurait appelé et menacé de 8mort au motif que vous l'auriez trahi alors que vous auriez été entouré par les forces gouvernementales somaliennes, fait dont il aurait eu connaissance. En d'autres termes, il parait insensé que celui-ci aurait pris le risque de s'incriminer en dévoilant son identité, alors que son numéro se serait affiché sur votre téléphone portable et qu'il aurait très bien su que vous connaitriez son adresse de résidence et son lieu de travail, et en proférant ouvertement des menaces de mort contre vous alors que vous vous seriez trouvé à un poste de contrôle des forces gouvernementales somaliennes, respectivement donc entouré de témoins. Cette réaction complètement irrationnelle et autodestructrice aurait donc théoriquement permis aux autorités somaliennes de récolter une série d'éléments nécessaires pour procéder à son accusation, voire arrestation.

Par ailleurs, il est dès lors consternant de réaliser que les autorités somaliennes n'auraient entrepris aucune démarche pour procéder à son arrestation alors que vous auriez été en mesure de leur fournir des informations cruciales à cet égard, respectivement son identité, son numéro de téléphone, son adresse de résidence ou encore son lieu de travail. Ce constat se trouve encore plus corroboré par le fait que vous-même auriez été innocenté après votre détention d'un mois grâce aux témoignages des membres des forces gouvernementales somaliennes qui se seraient trouvés au poste de contrôle lors de votre reddition et qui auraient confirmé vos dires puisqu'ils auraient été des témoins des menaces proférées par votre client contre vous.

Sixièmement, votre dossier administratif est parsemé d'autres contradictions et incohérences, moins flagrantes mais tout de même étonnantes, qui prises dans leur globalité ne font que réduire la crédibilité qui vous est accordée.

Il ressort par exemple du rapport du Service de Police Judiciaire que lorsque vous auriez été en Belgique, vous auriez rencontré des Somaliens à qui vous auriez demandé « comment arriver au Luxembourg », de sorte qu'il est indéniable que le Luxembourg représentait votre destination privilégiée et que vous n'aviez aucunement envisagé d'introduire une demande de protection internationale dans un des autres pays de l'Union européenne que vous auriez traversés, à savoir la Grèce, l'Italie ou la Belgique. Inversement, dans le cadre de vos entretiens ministériels, vous rapportez que les Somaliens rencontrés en Belgique vous auraient recommandé de vous rendre au Luxembourg : « They told me that I should come here and ask for asylum » (p.5/17 du rapport d'entretien) et « they told me that it would be better for me to come here » (p.6/17 du rapport d'entretien). Or, il s'agit là de deux cas de figure incompatibles puisque d'une part vous reconnaissez que vous auriez rejoint le Luxembourg de manière préméditée, par votre volonté pleine et entière, alors que, d'autre part, vous prétendez qu'il se serait agi d'un choix hasardeux qui découlerait des recommandations de compatriotes somaliens rencontrés en Belgique.

Il n'en demeure pas moins que, peu importe la version retenue, votre comportement depuis votre arrivée dans l'Union européenne n'est aucunement compatible avec celui d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée ou de devenir victime d'atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d'une protection internationale. En effet, alors qu'on peut attendre d'une telle personne qu'elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays en passant notamment par la Turquie pendant trois à quatre mois, la Grèce pendant un mois et demi, puis l'Italie et la Belgique pendant plusieurs jours. Force est de constater que vous n'avez pas recherché une forme quelconque de protection dans ces pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue de manière calculée qu'après votre arrivée au Luxembourg.

9 Il est aussi illogique que vous prétendez d'abord ne pas savoir dans quelle prison vous auriez été détenu pendant un mois : « No (…) I was picked up outside the prison by my mom and aunt. They drove me home by rickshaw. I do not know where it was » (p.11/17 du rapport d'entretien), pour ensuite directement répondre à la question suivante que la prison se serait située au « … » (p.11/17 du rapport d'entretien), une localité qui serait « not far » (p.13/17 du rapport d'entretien) du domicile de votre oncle.

Il n'est également pas crédible que vous vous puissiez d'abord rapporter qu'après votre libération vous auriez passé les sept jours précédents votre départ de Somalie chez « my uncle's place » (p.13/17 du rapport d'entretien), sous-entendant que vous auriez pris la précaution de ne pas rentrer chez vous alors qu'Al-Shabaab connaîtrait supposément votre identité et votre adresse de résidence pour ensuite prétendre qu'un individu « came to my home » (p.13/17 du rapport d'entretien) avec le matériel nécessaire pour procéder à la délivrance de votre passeport.

Finalement, alors que vous prétendez qu'Al-Shabaab saurait, comme susmentionné, « who I am and where I lived » (p.9/17 du rapport d'entretien) et que par conséquent « They would have come looking for me » (p.9/17 du rapport d'entretien), il est troublant de constater que vous auriez malgré tout, et selon la version retenue, encore vécu une semaine entière à votre domicile sans visiblement être inquiété, de sorte que votre comportement ne reflète pas le degré de crainte que vous prétendez avoir ressenti pour votre sécurité au cours de cette période.

Dans la même mesure, il paraît suspicieux que votre famille serait restée vivre depuis votre départ de Somalie à la même adresse et qu'elle n'ait jamais été inquiétée par les potentielles répercussions néfastes de votre supposé acte de traitrise. En d'autres termes, si les membres d'Al-Shabaab avaient réellement eu connaissance de votre adresse de résidence et s'ils avaient réellement l'intention d'en découdre avec vous en raison de votre trahison, il est improbable que vous auriez encore résidé sans inquiétude pendant une semaine à votre domicile et que depuis votre départ de Somalie, aucun de leurs membres ne se seraient présentés à celui-ci pour récolter des informations à votre égard auprès de votre famille, voire les auraient menacés en guise de représailles.

Finalement, il convient brièvement de soulever que les conditions et les délais dans lesquels vous auriez obtenu votre passeport avant de fuir votre pays d'origine sont douteux. En ce qui concerne les conditions, nonobstant le fait qu'il paraît rocambolesque qu'un individu se serait spécifiquement déplacé à votre domicile pour vous photographier et prendre vos empreintes digitales avec « his laptot and a fingerprint scanner » (p.13/17 du rapport d'entretien), il ressort des recherches ministérielles que la délivrance d'un passeport en Somalie nécessite la remise d'un certificat de naissance et d'une carte d'identité de sorte que votre déclaration précitée, relative au fait que vous ne posséderiez aucun document pouvant attester de votre date de naissance, se trouve infirmée. Il appert également que l'émission d'un passeport somalien dépasse généralement la temporalité de sept jours que vous avez avancée et qu'il est par conséquent improbable que vous auriez non seulement eu le temps de vous voir délivrer au cours de cette période un passeport mais également un visa pour la Turquie alors que la possession d'un passeport représente une étape préliminaire indispensable pour l'obtention d'un visa.

10Ainsi, Monsieur, au vu de vos déclarations diamétralement opposées faites lors de vos entretiens auprès des autorités luxembourgeoises, et au vu des contradictions et incohérences qui gangrènent vos déclarations, force est de constater que la sincérité de l'ensemble de votre récit doit être réfutée et que vous avez inventé de toutes pièces une série d'éléments afin d'augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale, tout en dissimulant la réalité des motifs vous ayant poussé à venir vous installer au Luxembourg.

Votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

À toutes fins utiles, il convient de souligner que la situation sécuritaire dans votre pays d'origine, en l'occurrence dans votre ville d'origine …, n'est pas comparable à celle d'un conflit armé caractérisé par une violence aveugle d'une telle gravité que chaque civil risquerait d'être victime d'une atteinte grave. En effet, le rapport publié conjointement par le Haut-

Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (UNHCR) et la Mission d'assistance des Nations Unies en Somalie (UNSOM) du 2 octobre 2020, intitulé « Protection of civilians report; building the foundation for peace, security, and human rights in Somalia » indique que les attaques d'Al-Shabaab à … ont principalement ciblé des « government officials, including from federal ministries, and the Parliament and members of the international community, including the United Nations and foreign embassies ». Ces informations confirment également celles tirées du rapport du ministère néerlandais des affaires étrangères intitulé « Country of Origin Information Report on South and Central Somalia » qui indiquent que … représente une cible privilégiée pour Al-Shabaab en raison de la présence des organes de pouvoir et des organisations internationales, mais relèvent aussi que la population civil n'y est généralement pas visée : « Due to the presence of government agencies and international organisations, Mogadishu is an attractive target for Al-Shabaab. Its attacks do not specifically target civilians: Sources indicate that if there are civilian casualties, this is because they were ‘in the wrong place at the wrong time’ ». De plus, vous ne mentionnez aucun élément personnel et crédible Monsieur permettant d'établir un risque plus élevé d'être victime d'une atteinte grave dans votre chef. Au contraire, force est de constater que vous êtes un jeune homme en bonne santé et que d'autres membres de votre famille, notamment vos parents et votre frère ainsi que vos trois sœurs résident toujours dans le quartier de … à …. Par ailleurs, vous n'exercez pas une fonction à risque faisant de vous une potentielle cible privilégiée par les combattants d'Al-

Shabaab, respectivement vous ne travaillez pas au sein d'une institution politique, et vous appartenez au clan Duduble, clan majoritaire en Somalie.

Il suit des considérations qui précèdent que votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Somalie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 25 janvier 2024, précitée, portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

11Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 25 janvier 2024 prise dans son double volet, telle que déférée, ledit recours, étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, après avoir repris les faits et rétroactes tels que développés ci-avant, explique être originaire de … et qu’avant de quitter son pays d’origine, il aurait notamment été livreur de colis.

Il expose ensuite qu’un jour, une personne lui aurait demandé d’assurer la livraison d’un colis, livraison qu’il aurait accepté d’effecteur en raison du fait qu’il aurait rencontré à plusieurs reprises son « commanditaire » et ce, malgré le fait qu’il serait d’un naturel plutôt méfiant en raison de la situation sécuritaire en Somalie. Après que le colis en question serait, durant le trajet de livraison, tombé sur la route, il aurait constaté que celui-ci aurait contenu des armes, de sorte qu’il se serait rendu à un check-point pour remettre ledit colis aux autorités somaliennes. Le demandeur affirme, dans ce contexte, qu’en raison du fait qu’il aurait été aperçu en compagnie de la police et qu’il aurait manifestement été suivi pour vérifier que le colis en question serait bien livré à son destinataire, il aurait reçu un appel téléphonique durant lequel il aurait été menacé de mort, avant d’être, par la suite, arrêté et placé en prison pendant un mois.

Le demandeur continue en expliquant que le prédit commanditaire aurait appartenu à l’organisation Al-Shabab et que ce dernier aurait tout simplement « abusé » de lui. Face aux menaces de mort qui auraient été proférées à son encontre, il n’aurait pas eu d’autre solution que de quitter la Somalie avec l’aide de ses proches.

En droit, le demandeur reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en ayant, dans sa décision du 25 janvier 2024, soulevé « six moyens d’incohérences » dans son récit.

Concernant, en premier lieu, sa date de naissance, le demandeur donne à considérer que le ministre, à travers une présentation des faits dont l’objectif aurait uniquement été de semer le doute, lui opposerait plusieurs dates. Il ajoute, à cet égard, que quel que soit l’âge finalement retenu, il ne ferait aucun doute qu’il serait un individu jeune, tout en précisant que la jurisprudence retiendrait qu’un état de détresse, la vulnérabilité ou le jeune âge d’un demandeur de protection internationale pourrait affecter la chronologique et la cohérence de son récit, eu égard au vécu personnel et aux évènements traumatiques qu’il a pu subir. Le demandeur est, dès lors, d’avis qu’il conviendrait d’adopter une certaine flexibilité quant aux déclarations formulées par un jeune demandeur de protection internationale, à l’instar d’une personne vulnérable. Il fait encore valoir qu’il aurait produit un acte de naissance, tout en précisant qu’alors même qu’il aurait estimé avoir … ans et … mois lors de l’introduction de sa demande de protection internationale, la date qui figurerait sur l’acte de naissance en question serait le ….

Quant au reproche du ministre selon lequel il aurait d’abord déclaré ne pas être en possession de documents d’identité pour ensuite faire état de l’existence d’un passeport émis 12dans son chef, le demandeur explique avoir voulu, au moment de son entretien ministériel, simplement indiquer qu’à ce moment précis, il n’était pas en possession de papiers d’identité, étant donné qu’il aurait laissé son passeport en Turquie.

En deuxième lieu, le demandeur reproche au ministre d’essayer de chercher des contradictions dans ses déclarations concernant la guerre civile en Somalie, la situation sécuritaire dans ledit pays, ainsi que la menace proférée à son encontre par l’organisation Al-

Shabab pour des motifs de trahison. Le demandeur, explique, dans ce contexte, ne pas se souvenir avoir évoqué la guerre civile et même à supposer que tel aurait été le cas, il fait valoir que les déclarations qu’il aurait faites ne seraient que la traduction d’un seul et même fait, à savoir la menace que constituerait le groupe terroriste Al-Shabab non seulement pour lui, mais également pour la Somalie.

Concernant, en troisième lieu, l’étonnement du ministre quant au fait qu’il ait accepté d’effectuer la livraison du colis en question et ce malgré sa prudence habituelle, le demandeur rappelle que son occupation principale aurait justement été la livraison de colis, de sorte qu’il ne saurait être assimilé au « quidam croisé dans la rue qui accepterait de transporter un colis sans savoir ce qu’il en est ». Tout en réitérant qu’il aurait rencontré à plusieurs reprises la personne lui ayant confié la livraison dudit colis et qu’il aurait, auparavant, déjà effectué plusieurs livraisons pour cette même personne, le demandeur donne à considérer qu’Al-Shabab « ne sa[urait] que trop la vigilance des somaliens » au vu des attentats régulièrement perpétrés sur tout le territoire somalien et notamment dans la capitale.

Concernant, en quatrième lieu, la remise en doute par le ministre des faits qu’il aurait décrits, le demandeur fait valoir, outre le fait que le ministre n’aurait manifestement jamais assisté à un entretien pour évaluer la demande de protection internationale telle que formulée, qu’il aurait un niveau d’éducation relativement faible, de sorte que sa position « ne tien[drait] que de la seule logique (et non de la « manipulation », comme le présente[rait] le Ministre) ».

Il affirme, dans ce contexte, que lorsque son « commanditaire » l’aurait appelé alors qu’il se serait trouvé au poste de contrôle, il se serait demandé s’il avait été suivi par des membres de l’organisation Al-Shabab pour vérifier qu’il ait bien effectué la livraison lui confiée. Il est d’avis que les mesures ainsi prises par le « commanditaire » seraient liées non seulement à l’aspect strictement « logistique » de la livraison du colis, mais également à une question d’ordre économique au vu du contenu dudit colis.

Quant aux incohérences décelées par le ministre dans le fait qu’il ait d’abord déclaré que l’organisation Al Shabab lui ait reproché de ne pas avoir assuré la livraison du colis lui confié, pour ensuite faire état de menaces de la part de ladite organisation, le demandeur estime qu’aucune contradiction n’existerait à cet égard, alors qu’il aurait simplement fourni des explications relatives à cet appel.

Concernant, en cinquième lieu, l’étonnement du ministre quant au fait que le « commanditaire » ait risqué de s’exprimer lors de leur entretien téléphonique alors que celui-

ci aurait parfaitement su qu’il se trouvait à un poste de contrôle, le demandeur donne à considérer que le ministre aurait omis de prendre en compte qu’il se serait agi en l’espèce d’un membre de l’organisation Al-Shabab qui « n’a[urait] que faire de ce que les autorités aient son numéro de téléphone, qu’il aura[it] changé le jour même… ».

En dernier lieu, après avoir relevé que le ministre chercherait à soulever des prétendues incohérences dans son récit, le demandeur explique qu’après avoir été abandonné par le passeur 13dans un café, d’autres Somaliens auraient « cotisés » pour lui acheter un billet de train afin qu’il puisse se rendre au Luxembourg, tel qu’il l’aurait, par ailleurs, raconté lors de son audition.

Quant à l’incohérence de son récit lui opposée en relation avec le fait qu’il n’aurait pas su où il avait été détenu pour ensuite citer le nom de la prison dans laquelle il aurait été enfermée, le demandeur donne à considérer qu’il aurait présenté les éléments de son récit de façon chronologique. Il explique, dans ce contexte, que lorsqu’il aurait été emmené en prison, il aurait eu les yeux bandés, de sorte à ne pas avoir pu savoir où il avait été emmené. Il indique ensuite qu’à sa sortie de prison, il aurait reconnu l’endroit où il se serait trouvé tout en ajoutant qu’il ne serait, par la suite, pas retourné chez lui, alors que sa mère et sa tante l’auraient emmené chez son oncle maternel.

Il reproche, dans ce contexte, au ministre « préférant l’histoire qu’il a choisie au lieu de se tenir [à ses] déclarations » d’avoir retenu qu’il aurait « encore vécu une semaine entière à son domicile » tout en réitérant qu’il ne serait, depuis sa sortie de prison, plus retourné chez lui et en précisant que l’organisation Al-Shabab aurait bien fouillé son domicile en vue de le capturer.

Quant à la délivrance de son passeport, le demandeur fait valoir qu’il existerait manifestement un malentendu à cet égard, tout en expliquant que lorsqu’il aurait été chez son oncle, une procédure de délivrance d’un passeport aurait été introduite dans son chef, ce qui, bien évidemment, n’aurait pas pu se faire dans la maison de son oncle.

Il conclut qu’il aurait lieu de retenir que son récit ne comporterait ni incohérence, ni contradiction, respectivement que les incohérences relevées en l’espèce seraient, le cas échéant, extrêmement mineures sans être de nature à remettre pas en cause la crédibilité de son récit dans son ensemble.

Concernant ensuite les développements du ministre quant à la situation sécuritaire en Somalie, le demandeur pointe le fait que le ministre évaluerait ladite situation sécuritaire à travers deux rapports ayant été publiés il y a 3 ans et demi, respectivement il y a 5 ans, de sorte que lesdits rapports seraient, à l’heure actuelle, dépourvus d’une quelconque valeur probante.

Il en conclut qu’étant donné la « lacune » du ministre dans le cadre de l’examen de la situation sécuritaire désastreuse que connaîtrait la Somalie, il y aurait lieu de considérer soit que le ministre a failli à sa mission en n’examinant pas la prédite situation sécuritaire, soit qu’il n’a pas procédé à un examen suffisant de la situation sécuritaire en question, le demandeur précisant que dans les deux cas, la décision déférée devrait encourir l’annulation de ce point de vue.

Le demandeur fait encore valoir qu’en mettant en cause la crédibilité de son récit, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, alors qu’il aurait dû lui accorder le statut de réfugié sinon au moins celui conféré par la protection subsidiaire.

Quant au statut de réfugié, le demandeur estime que ce serait à tort que le ministre a conclu que les craintes qu’il aurait exposées ne pourraient pas constituer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de la loi du 18 décembre 2015.

14Après avoir cité l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur expose avoir été contraint de fuir son pays d’origine après avoir reçu des menaces de mort de la part du groupe terroriste Al-Shabab pour les faits décrits dans son rapport d’audition, groupe terroriste qui le considérerait comme « un traitre à leur cause », pour s’être opposé à eux.

Il fait, dans ce contexte, valoir que l’Etat somalien serait totalement incapable de le protéger et qu’eu égard à ses déclarations, il y aurait lieu de constater que sa crainte d’être persécuté serait fondée.

Le demandeur avance, après avoir cité les deux premiers paragraphes de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, qu’en cas de retour en Somalie, il serait soumis à des actes de persécution constituant une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme, alors qu’il y serait capturé par l’organisation Al-Shabab pour être torturé et tué au motif qu’il aurait violé leurs normes morales, sociales et religieuses en « rejoignant les infidèles et partant en blasphémant ». Il serait, plus précisément, poursuivi pour des crimes dits « hadd », crimes pouvant inclure, suivant un rapport de juillet 2023 émis par l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (« AUEA »), des cas d’espionnage, de relations sexuelles illégales, de vol, de banditisme punis par la peine de mort, par des amputations et par d’autres châtiments corporels.

Le demandeur ajoute, dans ce contexte, que le groupe Al-Shabab procèderait, par ailleurs, à des arrestations totalement arbitraires. L’AUEA qualifierait lesdits actes de persécutions, de sorte qu’ils seraient, selon le demandeur, à qualifier de contraires aux articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi qu’aux articles 2 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée la « Charte ».

Le demandeur explique ensuite qu’au cours des dernières années, l’organisation Al-

Shabab aurait pris un pouvoir extrêmement important en Somalie, alors qu’elle contrôlerait certaines parties du territoire somalien. Il ne ferait, dès lors, aucun doute que ladite organisation pourrait être qualifiée d’acteur de persécutions et/ou d’atteintes graves suivant l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute que l’AUEA qualifierait, par ailleurs, dans son rapport d’août 2023, l’organisation en question d’acteur.

Le demandeur conclut de ce qui précède que les trois conditions relatives au statut de réfugié seraient cumulativement remplies en l’espèce, de sorte que la décision ministérielle déférée serait à réformer.

Concernant encore l’octroi, dans son chef, du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur réitère à nouveau que ce serait à tort que le ministre n’aurait pas procédé à l’examen de la situation sécuritaire actuelle en Somalie, respectivement n’aurait pas procédé un examen suffisant de la situation sécuritaire en Somalie. Il donne à considérer qu’il serait évident que le ministre connaîtrait la situation sécuritaire en Somalie, mais au lieu de détailler celle-ci - quitte à conclure, sur base d’informations pertinentes à jour que la violence aveugle en Somalie n’ait pas atteint un niveau d’intensité tel que toute personne qui se trouve sur le sol somalien risque d’être victime d'une atteinte grave – celui-ci se contenterait de citer des rapports obsolètes. Le demandeur fait, à cet égard, valoir que le rapport du 2 octobre 2020, publié conjointement par le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (« UNHCR ») et par la « Mission d’assistance des Etats-Unies en Somalie », intitulé « Protection of civilians report ; building the foundation for peace, security, and human rights in Somalia » n’aurait, suivant analyse de la jurisprudence de la Cour administrative et du tribunal administratif, été cité que deux fois dans des décisions ministérielles.

15 Il reproche encore au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des critères légaux prévus aux articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il rappelle, dans ce contexte, i) être de nationalité somalienne, originaire de la ville de …, située dans la région …, tel qu’en attesterait l’acte de naissance versé en cause, acte de naissance qui aurait été reconnu comme étant authentique par le ministre et (ii) que le groupe terroriste Al-Shabab sèmerait la terreur dans toute la Somalie.

En se basant sur une série de rapports et articles de presse, le demandeur affirme que des attaques et attentats extrêmement meurtriers auraient été commis et revendiqués à … et dans la région …, dont il serait originaire. Il ajoute que l’AUEA aurait présenté un rapport extrêmement inquiétant à propos de la situation sécuritaire actuelle en Somalie, tout en faisant valoir que la prédite situation sécuritaire se serait assurément encore dégradée à la suite de ce rapport. Le constat ainsi dressé par l’AUEA aurait conduit la Cour Nationale du Droit d’Asile française à accorder, par une décision du 20 septembre 2023, la protection subsidiaire à un Somalien en raison de la violence aveugle qui sévirait au Bas-Shabelle et au Benadir.

Le demandeur estime que le fait d’évoquer une dégradation de la situation sécuritaire en Somalie ne tiendrait pas du catastrophisme et n’aurait pas pour finalité d’essayer de faire « augmenter [s]es chances », mais se baserait sur plusieurs éléments dont chacun témoignerait, à lui seul, de l’existence de la prédite dégradation. Il ajoute qu’il se serait limité à évoquer la situation sécuritaire de la zone géographique dont il proviendrait, tout en précisant qu’il ne faudrait pas perdre de vue que (i) toute la Somalie serait impactée par des attentats, (ii) le retrait des troupes de l’Union africaine ferait craindre un réel vide sécuritaire et (iii) la reconnaissance par l’Ethiopie du Somaliland serait de nature à entraîner une escalade entre les acteurs concernés. Il fait, à cet égard, encore valoir qu’il aurait, lui-même, été victime d’un attentat en Somalie.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le demandeur conclut, à titre principal, à l’octroi du statut de réfugié et, à titre subsidiaire, à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire dans son chef.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle déférée pour conclure au rejet de la demande de protection internationale de Monsieur (A) prise en son double volet.

Concernant les explications fournies par le litismandataire du demandeur quant à l’âge que celui-ci prétend avoir, le délégué du gouvernement avance que l’affirmation suivant laquelle il aurait tout d’abord invoqué ne pas avoir de documents d’identité, alors qu’il aurait « simplement voulu indiquer qu’à ce moment il n’avait pas de papiers d’identité (ayant laissé son passeport en Turquie) » ne serait pas convaincante dans la mesure où le demandeur aurait clairement tenté de faire croire aux autorités étatiques qu’il n’aurait jamais obtenu de documents de la part des autorités somaliennes. Le délégué du gouvernement ajoute que d’après les déclarations du demandeur, ce dernier aurait été un citoyen somalien formellement informé sur ses propres données personnelles, que ce soit via son passeport, son certificat de naissance ou son certificat d’identité, et qu’il aurait donc théoriquement dû être en mesure de communiquer facilement sa date de naissance, alors qu’elle aurait été inscrite sur ces divers documents, tout en précisant que le demandeur n’aurait jamais tenu des déclarations cohérentes avant la remise de documents probants, déclarations qui pour la plupart n’auraient d’ailleurs pas concordé avec sa réelle date de naissance. Le délégué du gouvernement met, plus 16particulièrement, en exergue le fait que si le litismandataire du demandeur tentait d’excuser son comportement en faisant valoir que « quelque soit l’âge retenu, il est certain que la partie requérante est un individu jeune » et que le jeune âge de celui-ci pourrait « affecter la chronologie et la cohérence de son récit », ce raisonnement ne saurait aucunement être convaincant, dans la mesure où il pourrait tout de même être attendu d’un jeune homme, majeur au moment de son entretien avec l’agent ministériel, qu’il soit apte à faire part d’un récit réel et crédible et d’avancer une date de naissance exacte, sans se perdre dans des contradictions évidentes qui démontreraient clairement qu’il tenterait d’induire en erreur les autorités étatiques.

Concernant, en deuxième lieu, les motifs de fuite que le demandeur a invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, le délégué du gouvernement donne à considérer que bien que le litismandataire du demandeur invoquerait que « la partie requérante ne se souvient pas avoir évoqué la guerre civile », il résulterait pourtant clairement du rapport émis par la police judiciaire que le demandeur aurait répondu à la question de savoir « [p]our quelle raison souhaitez-vous introduire une demande de protection internationale ? » par « [j]’ai fui la Somalie à cause de la guerre civile ». Il ajoute, dans ce contexte, qu’il conviendrait encore de relever que le demandeur n’aurait aucunement évoqué le nom de la milice Al-Shabaab lors de l’introduction de sa demande de protection internationale et ce malgré le fait qu’il ait affirmé par la suite qu’il s’agirait du principal acteur ayant été à l’origine de sa fuite de son pays d’origine. Le fait que le demandeur n’aurait pas songé à mentionner le nom de la prédite milice dans sa fiche manuscrite ou dans le cadre de ses déclarations auprès de la police judiciaire renforcerait, selon le délégué du gouvernement, le constat qu’il aurait initialement quitté la Somalie en raison « d’une généralité telle que la « guerre civile » » et non pas à cause de prétendus problèmes personnels qu’il aurait eus avec la milice Al-Shabaab. Le délégué du gouvernement ajoute, tout en s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif rendu le 8 novembre 2021 et inscrit sous le numéro 44709 du rôle, que l’affirmation du litismandataire de Monsieur (A) suivant laquelle « les déclarations faites [par le demandeur] ne sont que la traduction d’un même fait : la menace que fait peser le groupe terroriste Al-Shabab sur la partie requérante et sur la Somalie » ne serait pas de nature à infirmer l’analyse effectuée par le ministre, tout en relevant que le demandeur n’aurait fait aucune allusion à la milice Al-

Shabab ni dans sa fiche de motifs ni lors de son audition auprès de la police judiciaire.

En troisième lieu, le délégué du gouvernement donne à considérer que la « manière décomplexée » avec laquelle le demandeur aurait accepté de prendre en charge la réception et la livraison d’un colis de l’un de ses clients serait de nature à remettre en question la crédibilité de son récit, tout en précisant que ce constat ne serait pas ébranlé par les développements du litismandataire du demandeur à cet égard, à travers lesquels celui-ci semblerait, d’une part, vouloir faire valoir que Monsieur (A) aurait pu faire confiance au prédit client alors qu’il aurait fait plusieurs livraisons pour celui-ci et qu’il l’aurait donc vu à plusieurs reprises et, d’autre part, que la milice Al-Shabab serait au courant de la vigilance des somaliens, de sorte à sembler vouloir insinuer que le client en question n’aurait pas donné l’ordre au demandeur de récupérer le colis s’il n’avait pas été certain que ce dernier lui ferait confiance. Le délégué du gouvernement ajoute, dans ce contexte, que contrairement aux affirmations du litismandataire du demandeur, il ressortirait des déclarations de Monsieur (A) qu’il ne serait non seulement pas en mesure de décrire son client, ce qui serait de nature à démontrer qu’il ne le connaissait pas ou, au moins, qu’il ne le connaissait pas suffisamment pour prétendre qu’il se serait agi d’une personne de confiance, mais qu’il n’aurait pas non plus connu la personne auprès de laquelle il aurait dû récupérer le colis en question. Le délégué du gouvernement conclut de ce 17qui précède qu’il ne ferait, dès lors, pas de sens que le demandeur ait aveuglement fait confiance à son client en acceptant de récupérer un colis d’une personne inconnue à un endroit inconnu.

En quatrième lieu, le délégué du gouvernement fait valoir que les incohérences relatives à l’appel téléphonique reçu par le demandeur ne seraient pas élucidées par les développements du litismandataire de ce dernier, dans la mesure où celui-ci ne ferait qu’avancer des allégations hypothétiques telles qu’« alors qu’il est au poste de contrôle, son commanditaire l’appelle, la partie requérante s’est alors dit qu’elle avait été suivie par des membres d’Al-Shabaab pour vérifier que la livraison était effectuée » ou encore que « se pose aussi la question économique au vu de ce que le colis contenait, cela explique que les commanditaires aient pris quelques mesures ». Le délégué du gouvernement précise que mis à part le fait que le demandeur présenterait deux versions différentes concernant le contenu de l’appel téléphonique en question, fait qui serait à lui seul de nature à de remettre en cause ses propos dans ce contexte, il conviendrait surtout de souligner que Monsieur (A) n’aurait invoqué l’hypothèse relative au fait d’avoir été suivi qu’après que l’agent ministériel en charge de son entretien lui ait mis cette idée en tête. Il précise, à cet égard, que si le demandeur avait réellement eu l’impression d’avoir été suivi, il aurait certainement invoqué ce fait dès le début de l’exposition de son récit, tout en ajoutant qu’il conviendrait, dans ce contexte, de se poser la question de savoir si dans une telle hypothèse, les prétendus poursuiveurs du demandeur n’avaient pas décidé d’intervenir, d’une manière ou d’une autre, avant que ce dernier ne se présente à un poste de contrôle, de sorte qu’il ne serait aucunement établi que les membres de l’organisation Al-Shabaab aient observé le demandeur et que ce dernier, ait, en conséquence, été menacé lors de l’appel téléphonique en question.

Concernant en cinquième lieu, le fait qu’il serait improbable que l’organisation Al-

Shabaab ait téléphoné au demandeur alors qu’il se trouvait en présence des autorités somaliennes, le délégué du gouvernement fait valoir que l’affirmation avancée dans ce contexte par le litismandataire du demandeur selon laquelle « le Ministre aura oublié que nous sommes en présence d’un membre d’Al-Shabaab qui n’a que faire de ce que les autorités aient son numéro de téléphone, qu’il aura changé le jour même … » ne serait pas de nature à énerver la position adoptée dans ce contexte par le ministre, en donnant plus particulièrement à considérer qu’il ne serait pas crédible que le client du demandeur ait pris le risque que ce dernier divulgue son identité aux forces gouvernementales en l’appelant et en le menaçant au moment où il aurait été entouré par celles-ci, alors que le client aurait pu le menacer plus tard et qu’il n’aurait de toute façon plus rien pu faire pour récupérer le colis litigieux, alors que celui-ci aurait déjà été saisi par les prédites forces gouvernementales. Même si le client avait par la suite pu changer son numéro de portable, le délégué du gouvernement estime que son identité aurait tout de même été connue par les autorités somaliennes.

Concernant, en sixième lieu, les diverses autres incohérences pointées par le ministre dans la décision litigieuse, le délégué du gouvernement fait valoir que celles-ci ne seraient pas utilement remises en cause par le litismandataire du demandeur. Il explique, plus particulièrement, que le litismandataire du demandeur se serait limité à affirmer que « lorsque la partie requérante a été abandonnée par le passeur dans un café, d'autres Somaliens se sont cotisés pour acheter un billet de train à la partie requérante pour venir au Luxembourg », affirmation que ne serait qu’une « simple reprise de déclarations » du demandeur qui ne serait pas de nature à expliquer le fait qu’il ait présenté, lors de son entretien devant un agent de la police judiciaire, une première version des faits selon laquelle il aurait « dès le départ » eu l’intention de venir au Luxembourg, alors qu’il aurait, par après, affirmé que « d’autres personnes » lui auraient conseillé de se rendre dans ledit pays.

18 Quant au fait que le demandeur n’ait pas su expliquer dans quelle prison il aurait été détenu pendant un mois, pour ensuite expliquer qu’il aurait été emprisonné au « … », le délégué du gouvernement pointe le fait que son litismandataire aurait tenté d’expliquer cette incohérence par le fait que le demandeur aurait « présenté les éléments chronologiquement », alors que, lorsqu’il aurait été emmené en prison, il aurait eu « les yeux bandés, de sorte qu’[il] ne savait pas où [il] était emmené » et que ce n’aurait été qu’« à la sortie de prison » qu’il aurait reconnu l’endroit en question, tout en donnant à considérer que cette explication ne serait pas convaincante dans la mesure où le demandeur aurait répondu à la question de savoir « Did you later found out where you were detained ? » par « No, when they released me, I was picked up outside the prison by my mom and aunt. They drove me home by rickshaw. I do not know where it was », de sorte à avoir déclaré ne pas savoir où la prison en question aurait été située.

Le délégué du gouvernement avance ensuite que l’affirmation du litismandataire du demandeur suivant laquelle celui-ci ne serait jamais retourné chez lui et n’aurait pas vécu à son domicile après sa sortie de prison ne saurait infirmer les incohérences soulevées par le ministre - selon lesquelles le demandeur aurait expliqué avoir pris la précaution de ne pas rentrer chez lui alors que l’organisation Al-Shabaab aurait connu son identité et son adresse de résidence, pour ensuite prétendre qu’un individu « came to my home » avec le matériel nécessaire pour procéder à la délivrance de son passeport, dans la mesure où il se dégagerait du rapport relatif à l’entretien ministériel du demandeur que celui-ci aurait clairement répondu à la question de savoir « How did you family get you a passeport? » par « A young man came to my home with his laptop and a fingerprint scanner », de sorte qu’il aurait clairement fait référence à son propre domicile et non pas à la maison de son oncle.

Quant fait que les déclarations relatives aux conditions et aux délais dans lesquels le demandeur aurait obtenu son passeport avant de fuir son pays d’origine seraient douteuses et de nature à remettre en cause la crédibilité de son récit, le délégué du gouvernement donne à considérer que l’argumentaire du litismandataire de celui-ci, suivant lequel il y aurait manifestement eu un malentendu en ce qui concernerait les conditions d’obtention du passeport en question et que la procédure de délivrance relative audit passeport n’aurait évidemment « pas pu se faire dans la maison de l’oncle » ne ferait que confirmer l’analyse du ministre selon laquelle le demandeur aurait tenté d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en indiquant, plus particulièrement, qu’« A young man came to my home with his laptop and a fingerprint scanner. He took my prints and a picture and left » et qu’il ne saurait s’agir, en l’espèce, d’un malentendu.

En dernier lieu, le délégué du gouvernement fait valoir que, contrairement aux développements du litismandataire du demandeur, il n’existerait actuellement en Somalie aucun conflit armé interne ou international caractérisé par un degré de violence aveugle d’une gravité telle que chaque civil y risquerait sa vie de par sa seule présence sur le territoire dudit pays. Il avance, à cet égard, qu’il ressortirait de la « Country Guidance : Somalia », publiée en août 2023 par l’AUEA, que le seul fait d’être originaire de Somalie ne serait pas suffisant pour se voir octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il avance que le demandeur aurait indiqué avoir toujours vécu et travaillé à …, dans la région de …, tout en donnant à considérer qu’il se dégagerait du « Country Guidance », prémentionné, que « Looking at the indicators, it can be concluded that 'mere présence' in the are would not be sufficient to establish a real risk of serious harm under article 15 (c) QD in 19the region of Benadir/Mogadishu. However indiscriminate violence reaches a high level, and, accordingly, a lower level of individual elements is required in order to show substantial grounds for believing that a civilian, returned to the territory, would face a real risk of serious harm within the meaning of Article 15 (c) QD ».

Le délégué du gouvernement ajoute qu’il existerait certes une violence aveugle dans la région de … mais que la simple présence du demandeur sur le territoire de ladite région n’entraînerait pas automatiquement « un risque réel suffisant pour appliquer l’article 48 c) de la Loi de 2015 », tout en donnant à considérer qu’il appartiendrait au demandeur de fournir des éléments personnels de nature à établir « qu’il serait à risque élevé dans la région de Benadir/… ». Etant donné que le récit du demandeur ne serait pas crédible en l’espèce, le délégué du gouvernement conclut qu’il resterait manifestement en défaut d’apporter « le moindre élément individuel dans son chef », tout en ajoutant que le demandeur (i) serait un jeune homme en bonne santé et que d’autres membres de sa famille, notamment ses parents et son frère ainsi que ses trois sœurs résideraient toujours dans le quartier de … à …, (ii) n’exercerait pas une fonction à risque faisant de lui une potentielle cible privilégiée pour les combattants de l’organisation Al-Shabaab, (iii) ne travaillerait pas au sein d’une institution politique et (iv) appartiendrait au clan Duduble, clan majoritaire en Somalie, de sorte qu’aucun risque d’atteintes graves telles que prévues au point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait être retenu dans son chef en cas de retour en Somalie.

Le délégué du gouvernement fait encore valoir que ce constat ne serait pas ébranlé par l’allégation hypothétique émise par le litismandaitaure du demandeur selon laquelle le demandeur aurait déjà été « victime d’un attentat en Somalie » et à l’appui de laquelle il verse des photos montrant des cicatrices que ce dernier aurait gardées de cet attentat, alors que les prédites photos ne seraient pas de nature à établir que le demandeur aurait été victime d’un attentat en Somalie, ce dernier ayant très bien pu se voir infliger de telles blessures dans d’autres circonstances, dans un autre pays, à une autre date et pour d’autres motifs, voire même accidentellement.

Il avance que le prédit constat selon lequel aucun risque d’atteintes graves ne saurait être retenu dans le chef du demandeur en cas de retour en Somalie, ne serait pas non plus énervé par « l’arrêt de la CNDA » voire par les divers articles de presse versés par le litismandataire de celui-ci, alors qu’il s’en dégagerait que les attaques y listées auraient surtout visé des institutions officielles comme des bureaux de ministères, la mairie ou un poste militaire, tout en réitérant que le demandeur n’aurait, dans son pays d’origine, pas occupé de poste dans la fonction publique.

En dernier lieu, le délégué du gouvernement souligne qu’il se dégagerait d’un tableau d'analyse du projet « Armed Conflict Location & Event Data Project – ACLED » que pour la période du 1er janvier 2020 au 29 février 2024, le nombre d’attaques visant des civils à …, serait manifestement en baisse.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de 20son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de loi du 18 décembre 2015 les énumère sous ses points a), b) et c), comme étant respectivement « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 21Aux termes de l’article 40 de la même loi « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la même loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Le tribunal relève qu’il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur (A) ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations 22sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

Le tribunal ne partage cependant pas les conclusions étatiques selon lesquelles l’intégralité de la crédibilité du récit du demandeur serait remise en cause.

Concernant, à cet égard, le premier point mis en avant dans la décision ministérielle concernant l’âge de Monsieur (A) et les propos qu’il aurait, dans ce contexte, tenus dans le cadre de l’introduction de sa demande de protection internationale, force est tout d’abord au tribunal de constater qu’il ressort du rapport émis par la police grand-ducale le 20 octobre 2022 (i) que ce dernier y a indiqué être né le …, de sorte à avoir été, à cette date, âgé de … ans et … mois et (ii) qu’il a affirmé, lorsqu’il s’est présenté au ministère, qu’il serait âgé de … ans et que dans … mois il aurait … ans2.

Le tribunal constate ensuite que lors de ses entretiens ministériels des 17 février et 15 mars 2023, le demandeur a répondu à la question de savoir quand il était né, que « I am now … ans … months. When I arrived in Luxembourg, I was … ans … months » 3 et que confronté par l’agent en charge de l’entretien au fait que la date de naissance qu’il aurait indiquée ne correspondrait pas à l’âge qu’il prétendrait avoir, alors que s’il était âgé de … ans et … mois, il ne pourrait être né qu’en …, celui-ci a répondu « You must be right. I am born in … »4. Il convient, dès lors, de conclure que Monsieur (A) a, tel que pointé dans la décision ministérielle, tenu des propos contradictoires et incohérents par rapport à sa date de naissance.

Or, bien que le ministre se prévale, entre autres, des prédites incohérences pour remettre en cause la crédibilité du récit du demandeur, il y a toutefois lieu de relever qu’il ressort encore de la décision ministérielle que celui-ci a versé, en date du 26 juillet 2023, soit quelques mois après l’introduction de sa demande de protection internationale, un certificat de naissance ainsi qu’un certificat d’identité attestant que sa date de naissance est le …, de sorte qu’il ne peut qu’en être déduit que les déclarations de ce dernier - selon lesquelles il aurait été âgé de … ans et de … mois lors de son arrivée au Luxembourg, déclarations faites tant devant l’agent de la police grand-ducale le 20 octobre 2022 que lors de ses entretiens ministériels - étaient véridiques pour correspondre aux informations contenues dans les prédits documents versés au ministre en date du 26 juillet 2023. Etant donné qu’il découle de ce qui précède qu’il est, dès lors, avéré que le demandeur était mineur au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale, le tribunal est amené à conclure que son jeune âge et le fait qu’il « only attended school for two months » 5 sont de nature à expliquer, du moins pour partie, les incohérences prémentionnées quant aux chiffres relatifs à l’année, le mois et le jour exacts de sa naissance.

Ce constat n’est pas ébranlé par le reproche contenu dans la décision ministérielle selon lequel le demandeur a, dans le cadre de ses entretiens ministériels, répondu à la question de savoir « Do you have the possibility of getting any documents sent to you that could prove your 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.

2 Pages 1 et 2 du rapport établi par la police judiciaire.

3 Page 2 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

4 Ibid.

5 Ibid.

23age ? » 6 par « I was not born in a hospital. There is a civil war in my country. The administration does not really exist. »7, pour ensuite verser, quelques mois après lesdits entretiens, un acte de naissance authentique, le tribunal étant amené à relever que le demandeur a également précisé lors desdits entretiens, et après avoir été confronté à la question de savoir « Do you have the possibility of getting any documents sent to you ? » 8 que « I can try to contact my family » 9, de sorte qu’aucune contradiction ne saurait être décelée dans le fait que le demandeur ait versé, après les entretiens ministériels, un acte de naissance authentique. Il en va de même concernant le reproche du ministre selon lequel le demandeur aurait tenu des propos incohérents en ce qu’il aurait « expliqué à l’agent ministériel qu[’il] n’aur[ait] jamais disposé de documents d’identité, et qu[’il serait] par extension dans l’incapacité d’en verser à l’appui de [sa] demande de protection internationale », force étant au tribunal de constater qu’il ne ressort pas des rapports relatifs aux entretiens ministériels de Monsieur (A) que celui-

ci ait fait de telles déclarations, celui-ci ayant, au contraire, affirmé « I used to have a passport.

I have left it in Turkey. I have never had an identity card »10.

Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à conclure que les incohérences soulevées dans la décision litigieuse quant aux déclarations du demandeur relatives à son âge ne sont pas de nature à remettre en cause la crédibilité de l’intégralité du récit de celui-ci.

Concernant, en deuxième lieu, les reproches du ministre quant aux motifs divergents de fuite que le demandeur aurait invoqués à la base de sa demande de protection internationale, force est au tribunal de constater que lesdits reproches ne mettent pas en évidence de véritables contradictions ou incohérences qui seraient susceptibles de mettre valablement en doute la réalité des faits invoqués par Monsieur (A).

En effet, il y a lieu de constater qu’il ressort du rapport émis par la police grand-ducale le 20 octobre 2022 que le demandeur a indiqué avoir fui la Somalie « à cause de la guerre civile 11» et de la fiche relative aux motifs remplie lors de l’introduction de sa demande de protection internationale que « [f]or the Explossions reason that is taking place is the reason that I left Somalia ».

Il y a, à cet égard, lieu de relever que le ministre déduit qu’à travers la prédite indication concernant la « Explossions reason that is taking place », le demandeur aurait fait référence, dans sa fiche relative aux motifs à la base de sa demande de protection internationale, à la « situation « explosive » » en Somalie et donc, de facto, à la guerre civile qui sévirait dans le prédit pays, de sorte à ce que ce motif rejoigne le motif de fuite indiqué dans le prédit rapport établi par la police grand-ducale. C’est sur cette toile de fond que le ministre reproche au demandeur d’avoir changé « radicalement de version dans le cadre de son entretien avec l’agent ministériel » et d’y avoir, pour la première fois, exposé un nouveau motif de fuite lié aux « menaces de la part d’Al-Shabaab après qu’il aurait été accusé de trahison ».

Or, le tribunal ne saurait partager l’appréciation ministérielle à cet égard. En effet, force est de constater que le demandeur explique, dans le cadre de son entretien ministériel, avoir bel et bien été menacé et accusé de trahison par l’organisation Al-Shabaab, étant cependant précisé 6 Page 2 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

7 Ibid.

8 Page 3 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

9 Ibid.

10 Page 2 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

11 Page 2 du rapport établi par la police judiciaire.

24qu’il y a encore exposé que ladite trahison trouve son origine dans la découverte d’explosifs contenus dans un colis lui confié par la prédite organisation, alors qu’il a remis ledit colis aux autorités de son pays d’origine. Il suit de ce qui précède qu’il ne peut être exclu avec certitude que Monsieur (A) n’a, à travers sa déclaration relative à la « Explossions reason that is taking place », pas tenté de faire référence aux explosifs qu’il a transportés à son insu et pour le compte de l’organisation Al-Shabaab et qu’il a par la suite remis aux autorités somaliennes. Ce constat s’impose d’autant plus alors qu’il ressort explicitement du rapport relatif à son entretien ministériel qu’il a réitéré lors dudit entretien que « [t]he reason I left my country is that there were explosions in my city » 12, avant d’exposer plus particulièrement son vécu relatif à la prédite livraison du colis contenant des explosifs, de sorte qu’il ne saurait, en tout état de cause, être déduit de ce qui précède qu’après avoir déclaré, dans sa fiche relative aux motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, que « [f]or the Explossions reason that is taking place is the reason that I left Somalia » le demandeur ait changé « radicalement » de version dans le cadre de son entretien avec l’agent ministériel, étant précisé que l’interprétation donnée en ce sens par le ministre relève de la pure spéculation.

Au vu de ces considérations, la crédibilité du récit du demandeur ne saurait être valablement remise en cause sur base des motifs, pré-exposés, qu’il a indiqués à l’appui de sa demande de protection internationale.

Le tribunal se doit, en troisième lieu, de constater que c’est en vain que le ministre s’empare du fait que le demandeur a accepté de prendre en charge et de livrer un colis lui confié par un client et ce, d’une manière que celui-ci qualifie, dans sa décision, de « décomplexée » en avançant que cette manière de se comporter serait contraire au comportement généralement adopté par Monsieur (A) qui se serait décrit comme étant une personne ayant un « état d’esprit vigilant qu’il se targuerait d’avoir généralement appliqué », pour denier toute crédibilité à son récit.

Force est, à cet égard, de relever que le demandeur a expliqué, dans le cadre de son entretien ministériel, que dans son pays d’origine il aurait travaillé « as a rickshaw driver »13 et qu’il aurait, la plupart du temps, transporté des passagers mais qu’il aurait également, à des occasions plus rares, été amené à livrer des colis. Etant donné qu’il aurait été dangereux de se voir confier des colis par des personnes inconnues, le demandeur ajoute qu’il aurait « only helped people I know from the local market and so on »14 et que la livraison du colis dont question en l’espèce lui aurait été confiée par un client « whom I used to drive around »15 et « who used to own a shop at the local market »16 tout en précisant que « there was nothing really out of the ordinary concerning [the client] »17. Au vu des prédites déclarations, le tribunal est, dans un premier temps, amené à constater que les déclarations du demandeur relatives au fait qu’il ait accepté, sur demande du prédit client, d’effectuer la livraison d’un colis sont plausibles et crédibles, dans la mesure où il ne ressort pas des explications de ce dernier qu’il se serait agi d’un client qu’il n’aurait pas connu, qui lui aurait semblé douteux, voire qu’il aurait suspecté d’appartenir à l’organisation Al-Shabab.

12 Page 6 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

13 Page 7 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

14 Ibid.

15 Page 6 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

16 Page 7 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

17 Ibid.

25Concernant ensuite plus particulièrement l’affirmation du ministre selon laquelle le demandeur serait doté d’un « état d’esprit vigilant », de sorte qu’il ne serait pas crédible qu’il ait accepté de procéder à la livraison d’un colis lui ayant été remis en mains propres par une personne inconnue lui ayant indiqué qu’il allait recevoir un appel d’un numéro inconnu en vue de la réception dudit colis, il y a lieu de constater que le demandeur a, en effet, à plusieurs reprises exposé, dans le cadre de son entretien ministériel, que la situation dans laquelle il se serait retrouvée après s’être vu confier le prédit colis lui aurait paru étrange en affirmant que « the package he gave me, the unknown number. It was a little suspicious »18. Force est cependant au tribunal de relever, tel que pointé par le litismandataire du demandeur, que Monsieur (A) a expliqué que la livraison de colis constituait une partie de son activité professionnelle, et que, tel que constaté ci-avant, le client lui ayant proposé d’effectuer la livraison en question était une personne qu’il avait l’habitude de côtoyer et qui ne lui avait pas semblé suspecte, de sorte que les déclarations du demandeur à cet égard sont plausibles et cohérentes. Au-delà de ce constat, le tribunal est encore amené à préciser que le manque de vigilance que le ministre reproche en l’espèce au demandeur ne saurait, en tout état de cause, pas être suffisant pour remettre en question la crédibilité de son récit.

En ce qui concerne, en quatrième lieu, les reproches du ministre selon lesquels certaines déclarations émises par le demandeur ne s’enchevêtreraient pas de manière logique et sensée, force est au tribunal de constater que celui-ci ne met pas en évidence de véritables contradictions ou incohérences sur des points fondamentaux du récit de celui-ci, qui seraient susceptibles de mettre valablement en doute la réalité des faits invoqués.

Concernant, dans ce contexte, tout d’abord le reproche du ministre suivant lequel le demandeur aurait adapté ses déclarations suite à la question lui posée par l’agent ministériel de savoir s’il avait été suivi par des personnes appartenant au groupe Al-Shabab après que la livraison du colis litigieux lui ait été confiée, le tribunal est amené à relever qu’il ne partage pas l’analyse du ministre à cet égard, alors qu’il n’entrevoit pas dans quelle mesure les réponses données par Monsieur (A) auraient été influencées par les questions lui posées antérieurement par le prédit agent ministériel. En effet, il convient de noter qu’à la question de savoir s’il était d’avis que les personnes lui ayant confié le colis litigieux l’auraient suivi, le demandeur a répondu « It is a good question. It is highly possible »19. Confronté, un peu plus tard lors de l’entretien ministériel, à la question de savoir comment l’organisation Al-Shabab aurait été au courant qu’il s’était rendu au poste de police avec le prédit colis, le demandeur a réitéré que « [t]here must have been someone following me that told him or saw what I did with the package. I must have been followed »20, de sorte que le tribunal est amené à relever qu’il ne peut qu’être constaté des prédites déclarations que Monsieur (A) a maintenu le même récit tout au long de l’entretien ministériel, sans qu’il ne puisse en être déduit qu’il se serait « largement inspiré d’une suggestion antérieure de l’agent ministériel ».

Quant au reproche du ministre selon lequel le demandeur aurait fourni « deux versions différentes » concernant le contenu de l’appel téléphonique auquel ont assisté les officiers de police somaliens au poste de contrôle, il convient de constater que le demandeur a, dans un premier temps, expliqué que la personne au bout du fil l’aurait informé que le destinataire du colis litigieux n’aurait pas encore réceptionné ce dernier, tout en le menaçant « that they would not leave [him] alone »21 pour ensuite exposer plus amplement que lors dudit appel 18 Page 8 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

19 Page 9 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

20 Page 11 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

21 Page 6 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

26téléphonique la personne en question lui aurait reproché « [t]hat I had acted against the Islamic beliefs. He said that I had to accept and take responsibilty for the wrong that I had committed, that I would be judged by God. […] He meant capital punishment. He told me that I had gone to the side of the infidels and unbelivers and that I would be punished by death »22. Le tribunal ne saurait, à cet égard, partager l’appréciation ministérielle selon laquelle les déclarations du demandeur concernant les deux descriptions « relatives à la nature et au contenu [du prédit] appel téléphonique sont relativement divergentes », dans la mesure où aucune contradiction, respectivement aucune divergence ne sauraient être décelées entre les prédites déclarations, celles-ci étant plutôt à qualifier de complémentaires.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à conclure, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés dans ce contexte par le ministre, que les déclarations du demandeur relatives au contenu de l’appel téléphonique qu’il a reçu en présence des forces de l’ordre somaliennes s’enchevêtrent de manière cohérente sans qu’il ne soit établi qu’il ait été « influencé par les questions de l’agent ministériel ».

Le tribunal relève, en cinquième lieu, que c’est encore en vain que le ministre remet en cause la crédibilité du récit du demandeur en raison du fait qu’il serait improbable que le client de ce dernier l’aurait appelé et menacé tout en sachant pertinemment qu’il aurait été entouré par les forces gouvernementales somaliennes, dans la mesure où ledit client aurait pris le risque de s’incriminer en dévoilant non seulement son numéro de téléphone, mais aussi son identité et son adresse de résidence qui seraient connues par le demandeur. En effet, le tribunal n’entrevoit pas un manque de crédibilité dans le récit du demandeur à cet égard, alors que, tel que relevé à juste titre par le litismandataire de ce dernier, il ressort des explications de Monsieur (A) que l’appel téléphonique en question a été émis par un membre de l’organisation Al-Shabab, de sorte qu’il peut être admis que celle-ci soit susceptible de procéder au changement du numéro de téléphone en question, voire à sa suppression, afin d’effacer toute trace liant ledit numéro à la prédite organisation, étant encore ajouté qu’il n’est pas établi en l’espèce que l’identité, respectivement l’adresse de résidence de la personne ayant émis l’appel téléphonique en question soient authentiques et n’aient pas été fabriquées pour les besoins de la cause et à des fins de manipulation.

En ce qui concerne le reproche du ministre quant à l’absence de dépôt d’une demande de protection internationale dans les autres pays européens traversés, force est de relever de prime abord qu’un tel comportement ne saurait automatiquement entraîner le refus d’une protection internationale, ni ne saurait-il entraîner le manque de crédibilité du récit d’un demandeur dans son intégralité. En effet, dans l’hypothèse contraire, et même s’il est raisonnable d’attendre d’une personne qui se sent réellement persécutée dans son pays d’origine, respectivement y ressent une crainte fondée de subir des atteintes graves, qu’elle dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr dans lequel elle arrive, tous les demandeurs de protection internationale ayant accédé par voie terrestre au territoire luxembourgeois et déposé une telle demande au Luxembourg pourraient se voir adresser un tel reproche, le pays étant enclavé parmi d’autres pays européens qui doivent nécessairement être traversés et qui peuvent être considérés comme pays sûrs.

Ensuite, s’il est vrai que les déclarations du demandeur relatives à l’obtention de son passeport sont douteuses en ce qu’il explique qu’un individu se serait déplacé à son domicile pour le photographier et prendre ses empreintes digitales pour l’émission d’un passeport dans 22 Page 10 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

27son chef et que la délivrance dudit passeport n’aurait pris que quelques jours, il y a lieu de relever que le caractère douteux des prédites déclarations ainsi soulevées par le ministre portent sur des points qui, s’ils peuvent apporter un éclairage supplémentaire sur l’analyse de la crédibilité d’un récit, sont néanmoins d’une importance mineure ne justifiant pas la remise en cause de l’intégralité de la crédibilité des motifs ayant poussé le demandeur à quitter son pays d’origine et à réclamer une protection internationale.

Ce constat vaut également concernant le reproche du ministre selon lequel Monsieur (A) aurait présenté, lors de son entretien devant un agent de la police grand-ducale, un autre motif quant à la raison l’ayant amené à déposer une demande de protection internationale au Luxembourg plutôt que dans un autre pays, que durant ses entretiens ministériels relatifs à sa demande de protection internationale. Il convient, dans ce contexte, de relever qu’il ressort du rapport de police émis en date du 20 octobre 2022 que le demandeur a « demandé à des personnes […] somaliennes dans la rue comment arriver au Luxembourg »23, tandis qu’il se dégage des rapports d’entretien ministériels relatifs à sa demande de protection internationale que « I went to a place where Somali’s meet up in Belgium. […] I asked the Somali there for help. […] They told me that I should come [to Luxembourg] and ask for asylum »24. Or, force est à cet égard de constater - outre le fait qu’il n’est pas établi en l’espèce que les prédites déclarations constituent, tel que l’affirme le ministre, « deux cas de figure incompatibles », alors qu’il ne peut être écarté avec certitude que le demandeur ne se soit pas renseigné auprès du prédit somalien croisé dans la rue sur les moyens de transport lui permettant de se rendre au Luxembourg suite à la suggestion de se rendre dans ledit pays reçue par les somaliens rencontrés dans un café - que les prétendues incohérences préexposées, même si elles étaient avérées, portent sur des points mineurs du récit du demandeur et ne sont, en tout état de cause, pas de nature à ébranler la crédibilité de l’intégralité de celui-ci.

Le tribunal relève finalement (i) que Monsieur (A) a fourni un récit détaillé sur plus de quinze pages quant à son vécu tout en répondant à toutes les questions lui posées lors de son entretien ministériel, et ce de manière cohérente, sans se contredire quant au déroulement des différents faits, (ii) qu’il a pris amplement position dans son recours sur les points remis en cause par le ministre et (iii) qu’il a présenté un certificat de naissance pour appuyer la véracité de ses dires quant à son âge, de sorte que le tribunal est amené à retenir que les doutes soulevés par le ministre ne sont pas de nature à établir de manière non équivoque un manque de crédibilité du récit du demandeur dans son intégralité.

Force est dès lors au tribunal de conclure que, dans la mesure où le récit de Monsieur (A) paraît globalement cohérent et plausible, il est à considérer comme crédible dans son ensemble, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre.

Ainsi, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision ministérielle sous analyse, dans la mesure où le ministre a, à tort, retenu un défaut de crédibilité du récit de Monsieur (A) et a, en conséquence, rejeté la demande en obtention d’une protection internationale dans son chef. Etant donné que, dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale de ce dernier, le ministre s’est arrêté à l’étape préalable de l’évaluation de la crédibilité de son récit, sans se prononcer sur le caractère fondé de la crainte du demandeur de subir des persécutions ou des atteintes graves dans son pays d’origine, il y a lieu de renvoyer 23 Page 2 du rapport établi par la police judiciaire.

24 Page 5 du rapport relatif aux entretiens ministériels du demandeur.

28l’affaire devant le ministre actuellement compétent en vue d’un examen au fond de la demande de protection internationale de Monsieur (A), sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens du demandeur.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Principalement, le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale. A titre subsidiaire, il estime que cet ordre encourrait la réformation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit contre l’ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2, point q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient d’annuler la décision ministérielle du 25 janvier 2024 au motif que le ministre avait, à tort, retenu un défaut de crédibilité dans le chef de Monsieur (A) et, en conséquence, rejeté sa demande de protection internationale, et de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le ministre compétent, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 25 janvier 2024 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Monsieur (A) ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, déclare le récit de Monsieur (A) crédible et, en conséquence, annule la décision ministérielle du 25 janvier 2024 et renvoie le dossier devant le ministre en vue de se prononcer sur le caractère fondé de la crainte de subir des persécutions ou des atteintes graves dans son pays d’origine invoquée par le demandeur ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

29au fond, le déclare justifié, partant, annule, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 mai 2025 par le vice-président Alexandra Castegnaro, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 30


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50104
Date de la décision : 12/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-12;50104 ?

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