Tribunal administratif N° 47329 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47329 5e chambre Inscrit le 19 avril 2022 Audience publique du 14 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47329 du rôle et déposée le 19 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Monsieur (A), demeurant à L-…, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 janvier 2022, référencée sous le numéro (…), ayant rejeté sa demande de remise gracieuse ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 août 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur (A) et Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2024.
Par courrier du 20 décembre 2021, réceptionné par le service gracieux de l’administration des Contributions directes en date du 23 décembre 2021, Monsieur (A) introduisit une demande de remise gracieuse portant sur une « astreinte de (…) euros ».
Par décision du 20 janvier 2022, référencée sous le numéro (…), le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », rejeta ladite demande de remise gracieuse introduite le 23 décembre 2021 par Monsieur (A).
Cette décision est libellée comme suit :
« […] Vu la demande présentée le 23 décembre 2021 par le sieur (A), demeurant à L-
…, ayant pour objet une remise d'astreinte par voie gracieuse de l'année 2019 ;
Vu le § 131 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que cette disposition, qui permet au directeur de l'Administration des contributions directes ou à son délégué d'accorder une remise ou une restitution en équité, suppose un impôt, c'est-à-dire, d'après la définition du § 1 AO, le montant d'une contribution obligatoire aux charges publiques, à l'exclusion de toute autre somme ;
qu'en l'absence d'une disposition spéciale telle l'article 155 L.I.R. pour les intérêts de retard, l'astreinte n'est donc pas susceptible de remise selon le § 131 AO ;
qu'il ne s'agit néanmoins pas d'une lacune de la loi pouvant entraîner une diminution des droits du contribuable, car le § 95 AO donne à l'autorité qui a fixé l'astreinte le pouvoir de la retirer ou de la réduire, lorsque la mesure lui apparaît a posteriori injustifiée en raison ou en équité (§ 93 AO) ;
PAR CES MOTIFS, reçoit la demande en la forme ;
la rejette comme non fondée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2022, inscrite sous le numéro 47329 du rôle, Monsieur (A) a introduit un recours non autrement qualifié à l’encontre de la décision du directeur du 20 janvier 2022.
I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Moyens et arguments des parties A l’appui de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne à considérer que l’astreinte sur laquelle porte la demande de remise gracieuse de Monsieur (A) n’aurait pas été émise à l’encontre de ce dernier, mais seulement à l’égard de son ex-épouse Madame (B).
Il soulève, par conséquent, la question de la qualité et de l’intérêt à agir de Monsieur (A) pour agir contre la décision déférée, et conclut notamment, à l’irrecevabilité du recours.
Analyse du tribunal A titre liminaire, il convient de préciser que, si comme en l’espèce, la requête introductive d’instance omet d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi.1 Il échet ensuite de rappeler que, conformément aux dispositions combinées du § 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-
après désignée par « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts.
Il y a partant lieu d’admettre que Monsieur (A) a entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale précitée du 20 janvier 2022.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître dudit recours en réformation.
1 Trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1348 et les autres références y citées.
S’agissant du moyen d’irrecevabilité tiré du défaut de qualité à agir, respectivement du défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A) soulevé par le délégué du gouvernement, il y a tout d’abord lieu de rappeler qu’en règle générale, la qualité à agir, c’est à dire le pouvoir d’agir, à partir du moment où il n’a pas été réservé par la loi à certaines personnes, appartient à tout intéressé, c’est-à-dire à tous ceux qui peuvent justifier d’un intérêt direct et personnel.
La qualité se confond alors avec l’intérêt. Au contraire, lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certaines personnes qu’elle désigne, seules ces dernières ont qualité pour agir.2 L’intérêt à agir conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif3, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés.4 Un demandeur, pour justifier d’un intérêt à agir, doit justifier d’un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l’annulation de l’acte litigieux doit lui procurer une satisfaction certaine et personnelle.5 L’intérêt invoqué doit encore être distinct de l’intérêt général, le demandeur devant justifier de l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle.6L’intérêt doit ainsi être certain, c’est-à-dire né et actuel. Un intérêt simplement éventuel ou hypothétique n’est pas pris en considération.7 Dès lors, le recours ne sera déclaré recevable que si la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice au demandeur. De surcroît, quant au caractère actuel, l’intérêt à agir ne peut être seulement futur ou simplement virtuel.
C’est au requérant de démontrer son intérêt, de façon concrète, au-delà de simples allégations, le juge administratif devant seulement avoir égard à ce qu’il avance à ce sujet.8 En l’espèce, il ressort du dossier gracieux et des pièces versés en cause qu’en date du 23 décembre 2021, le demandeur a introduit une demande de remise gracieuse contre une astreinte d’un montant de (…) euros liquidée par une décision du 22 mars 2019 du bureau d’imposition Luxembourg 2 en vertu du § 202 AO, visant Madame (B). Force est encore au tribunal de constater que la décision querellée rendue par le directeur en date du 20 janvier 2022 rejette ladite demande de remise gracieuse introduite en date du 23 décembre 2021 par Monsieur (A).
2 Trib. adm., 4 mai 2009, n° 23190 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 203 (2e volet) et les autres références y citées.
3 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.
4 Trib. adm. Prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 3 (2e volet) et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 13 et les autres références y citées.
6 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 janvier 2002, n° 13800C du rôle, Pas.
adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.
7 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Rusen ERGEC, Pas. adm. 2024, n° 114.
8 Idem., n°111.
Il s’ensuit que, d’une part, la décision déférée prend position quant au fond par rapport à une demande introduite par Monsieur (A) et, d’autre part, que Monsieur (A) est le destinataire directe de la décision directoriale critiquée, de sorte qu’il dispose d’un intérêt manifeste à faire contrôler la légalité et la régularité de ladite décision par le juge administratif. Le recours en réformation ne saurait partant être déclaré irrecevable pour défaut de qualité, respectivement pour défaut d’intérêt à agir dans le chef du demandeur, sous peine de le priver de tout recours contre une décision susceptible de lui causer grief.
Dès lors, le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, le recours en réformation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.
II) Quant au fond du recours Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, le demandeur réitère ses conclusions à la base de sa demande de remise gracieuse en soutenant qu’il y aurait lieu d’annuler l’astreinte litigieuse, au motif que celle-ci aurait été émise en raison du fait que Madame (B) n’aurait pas remis sa déclaration d’impôt sur le revenu de l’année 2017.
Il poursuit en expliquant que Madame (B) serait partie en Italie fin décembre 2016 avec ses enfants pour les vacances de Noël, puis y serait restée illicitement, ce qui impliquerait l’ouverture d’une procédure d'enlèvement d'enfant en janvier 2017. Il précise que Madame (B) aurait démissionnée de son emploi à Luxembourg et n’aurait eu aucun revenu à Luxembourg durant l’année 2017. Par ailleurs, il lui aurait envoyé plusieurs courriers électroniques lui demandant d'envoyer sa déclaration d'impôt « blanche (vide de tout revenu) », en vain, puisqu’elle aurait coupé tout contact avec lui. Durant l’année 2017, Madame (B) aurait vécu parfois chez sa tante, parfois chez sa mère à … et n’aurait quasiment pas eu de revenu, comme cela ressortirait de sa déclaration d’impôt italienne qu’elle lui aurait fait parvenir peu avant Pâques 2022. Il ajoute que l'administration fiscale italienne n’aurait pas encore envoyé à Madame (B) son bulletin d'impôt. A cet égard, il explique que celle-ci aurait affirmé qu'en Italie, à défaut d’envoi dudit bulletin par l’administration fiscale après cinq années, la déclaration fiscale serait réputée acceptée.
De son côté, le délégué du gouvernement conclut au rejet du présent recours.
Analyse du tribunal A titre liminaire, il convient de préciser qu’il est constant en cause que la demande de remise gracieuse introduite par le demandeur en date du 23 décembre 2021 porte uniquement sur une astreinte d’un montant de (…) euros infligée par le bureau d’imposition Luxembourg 2 de l’administration des Contributions directes en vertu du § 202 AO en date du 22 mars 2019 à l’encontre de Madame (B) en raison du défaut de dépôt de la « Déclaration pour l'impôt sur le revenu (modèle 100) de l'année 2017 ».
Il est encore constant en cause que ladite demande de remise gracieuse a été rejetée par le directeur dans sa décision du 20 janvier 2022 pour ne pas être fondée au motif qu’une astreinte n’est pas susceptible de remise gracieuse.
Le litige, en l’espèce, porte dès lors sur la question de savoir si une demande de remise gracieuse peut valablement être dirigée contre une astreinte fixée par l’administration des Contributions directes.
Le § 131 AO dispose que : « Sur demande dûment justifiée du contribuable endéans les délais du §153 AO, le directeur de l'Administration des contributions directes ou son délégué accordera une remise d'impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception d'un impôt dont la légalité n'est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l'équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. Sa décision est susceptible d'un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond. ».
C’est dès lors à bon droit que le directeur a relevé que le § 131 AO précité ne prévoit pas de possibilité de remise gracieuse contre une astreinte, mais uniquement à l’égard d’impôts, étant encore précisé à cet égard, que le § 95 AO est applicable aux astreintes et que cette disposition permet au bureau, à l’instar du § 94 AO, de retirer ou de modifier l’astreinte lorsqu’il l’estime postérieurement comme injustifiée, de même que le contribuable peut toujours en cette matière, introduire un recours hiérarchique par-devant le directeur9 contre un refus du bureau de ce faire.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 20 janvier 2022 ((…)) en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Géraldine ANELLI, vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
9 Trib. adm. 26 avril 2010, n°25987 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 933 et l’autre référence y citée.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 6