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14/05/2025 | LUXEMBOURG | N°49108,49927

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 mai 2025, 49108,49927


Tribunal administratif N° 49108 et 49927 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49108 et 49927 5e chambre Inscrits les 30 juin 2023 et 12 janvier 2024 Audience publique du 14 mai 2025 Recours formés par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de port d’armes

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 49108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2023 par Maître Yves KASEL, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeur...

Tribunal administratif N° 49108 et 49927 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:49108 et 49927 5e chambre Inscrits les 30 juin 2023 et 12 janvier 2024 Audience publique du 14 mai 2025 Recours formés par Monsieur (A), …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de port d’armes

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 49108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2023 par Maître Yves KASEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une « décision implicite de refus du Ministre de la Justice, se matérialisant par son silence adopté pendant une période de plus de trois mois à la suite d’un recours gracieux introduit par le requérant le 8 février 2023 et dirigé contre une décision du Ministre de la Justice du 9 novembre 2022 en vertu de laquelle il avait décidé d’une part de révoquer le permis de port d’armes du requérant délivré le 18 décembre 2017 et d’autre part de refuser la demande du requérant en immatriculation de deux nouvelles armes » ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2023 par le délégué du gouvernement ;

Vu l’ordonnance du vice-président du tribunal administratif et président de la cinquième chambre du tribunal administratif du 24 janvier 2024, autorisant les parties à déposer des mémoires supplémentaires ;

Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réplique », déposé le 26 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves KASEL, préqualifié, pour le compte de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé le 4 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2025 par Maître Pierre BRASSEUR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 49927 du rôle et déposée le 12 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves KASEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision « explicite de refus du 6 novembre 2023 du 1Ministre de la Justice, à la suite d’un recours gracieux introduit par le requérant le 8 février 2023 et dirigé contre une décision du Ministre de la Justice du 9 novembre 2022 en vertu de laquelle il avait décidé d’une part de révoquer le permis de port d’armes du requérant délivré le 18 décembre 2017 et d’autre part de refuser la demande du requérant en immatriculation de deux nouvelles armes » ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 7 février 2024 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 7 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves KASEL, préqualifié, pour le compte de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 4 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2025 par Maître Pierre BRASSEUR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg au nom de Monsieur (A), préqualifié ;

I. et II.

Vu les pièces versées en cause et notamment une des décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc REDING en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 février 2025, Maître Pierre BRASSEUR s’étant excusé.

Le 18 décembre 2017, Monsieur (A), ci-après désigné par « Monsieur (A) », se vit délivrer une autorisation de port d’armes de sport sous le numéro (1), dont la date d’expiration était fixée au 18 décembre 2022.

Il ressort d’un rapport, intitulé « Bericht (Häusliche Gewalt) », référencé sous le numéro (2), ainsi que de deux procès-verbaux - le premier, intitulé « Protokoll », référencé sous le numéro (3) et le second, intitulé « Protokoll Verweisung », référencé sous le numéro (4) – tous établis par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat de … et datés du 27 juillet 2021, que la police fut appelée, le même jour, au domicile de Monsieur (A) et de son épouse Madame (B), ci-après désignée par « Madame (B) », en raison de la survenance de conflits (« Streitigkeiten »). Il appert desdits documents que Madame (B) fut entendue par la police le même jour, audition au cours de laquelle elle reprocha à Monsieur (A) des faits de violences conjugales, plus précisément des faits de coups et blessures volontaires sans incapacité de travail, de menaces de mort et d’injures à son encontre. Il ressort en outre desdits documents qu’une mesure d’expulsion de domicile fut ordonnée à l’encontre de Monsieur (A) en date du même jour par le procureur d’Etat du tribunal d’arrondissement de Luxembourg au motif qu’« […] il résulte que contre (A) préqualifié(e), il existe des indices […] qu’il/qu’elle se prépare à commettre à nouveau contre (B), préqualifié(e), déjà victime, personne à protéger, une infraction contre la vie ou l’intégrité physique […] ».

Il ressort encore des procès-verbaux établis par la police grand-ducale, Région Sud-

Ouest Commissariat de …, référencés sous les numéros (5) et (6), et datés du 27 juillet 2021, 2que, sur instruction du parquet de Luxembourg, les agents de police procédèrent, le même jour, à la vérification des armes détenues par Monsieur (A). Dans ce contexte, ils découvrirent deux armes, à savoir un pistolet de modèle « (…) », portant le numéro de série …, et un pistolet de modèle « … », portant le numéro de série …, ci-après désignées « les armes », lesquelles ne figuraient pas sur le permis de port d’armes précité de l’intéressé, et n’avaient pas non plus fait l’objet d’une demande d’autorisation. Les agents de police procédèrent à la saisie des armes.

En date du 3 août 2021, le ministère de la Justice, Service des armes, désigné ci-après par « le ministère », réceptionna une demande de Monsieur (A), datée du 30 juillet 2021, tendant à l’immatriculation des armes.

Suivant un rapport, intitulé « Nachtragsbericht », référencé sous le numéro (7), établi par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat de … et daté du 1er septembre 2021, Madame (B) déposa une lettre adressée au parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg et au commissariat de police de … datée du 2 août 2021, par laquelle elle sollicita le retrait de sa plainte déposée le 27 juillet 2021 contre son mari.

Suivant un rapport, intitulé « remise armes et munition », référencé sous le numéro (8), établi par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat de … et daté du 2 septembre 2021, les armes furent remises auprès de l’armurerie de la police grand-ducale.

Par transmis du 7 octobre 2021, réceptionné par la police grand-ducale le 11 octobre 2021, le ministre de la justice, ci-après désigné « le ministre », sollicita de la police grand-

ducale la transmission d’une copie de tous les procès-verbaux et rapports établis à l’encontre de Monsieur (A) au cours des douze derniers mois. La police grand-ducale répondit par transmis du 15 octobre 2021, en joignant l’ensemble des procès-verbaux et rapports établis au cours des douze mois précédant la demande du ministre relatifs à Monsieur (A).

Par courrier du 22 août 2022, réceptionné par l’intéressé le 25 août 2022, le ministre fit suite à la demande de Monsieur (A) datée du 30 juillet 2021, en l’informant qu’à la suite de la réception des procès-verbaux et des rapports de police le concernant, il envisageait de révoquer son permis de port d’armes de sport ainsi que de refuser sa demande en immatriculation des armes du 30 juillet 2021, en application de l’article 24, paragraphe (1), point 2° de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions, ci-après désignée par « la loi du 2 février 2022 ». Ledit courrier est libellé comme suit : « […] Je reviens par la présente à votre demande du 30 juillet 2021, entrée en nos services le 03 août 2021, en vue de l’octroi d’une autorisation de détention pour deux armes à feu.

Dans le cadre de l'enquête administrative menée suite à votre demande, le Service Armes & Gardiennage du Ministère de la Justice a reçu copie des procès-verbaux et rapports de police suivants :

1° le rapport n° (7) dressé par la police du commissariat de … le 27 juillet 2021, 2° le rapport n° (8) concernant la remise des armes et munitions auprès de l’armurerie de la Police Grand-Ducale, 3° quatre procès-verbaux portant respectivement les numéros (3), (4), (5) et (6), dressés par la police du commissariat de … le 27 juillet 2021, et 34° le rapport n° (10) dressé par la police du commissariat de … le 1er septembre 2021.

Il résulte du prédit procès-verbal n° (3) du 27 juillet 2021 que la police de … fût appelée à votre domicile en raison de faits de violences domestiques le 27 juillet 2021 lors duquel vous avez agressé votre conjointe, Madame (B). Arrivée sur les lieux, la Police a dû constater que votre conjointe était assise sur une chaise en tremblant et en pleurant. Lors de son audition par la Police le 27 juillet 2021, Madame (B) déclara ce qui suit :

« Aujourd’hui vers 14:15 heures, j’étais avec mon mari dans la cuisine en train de manger. La télé a été allumée et il regardait un film. A cause du film on a eu une discussion et mon mari s’est levé de la table et il criait « il faut tuer toutes les putes. » J’ai essayé de le calmer et je lui ai dit qu’il n’y a pas de putes ici. Mon mari commençait à m’insulter et me disait «je vais te tuer, c’est toi la pute. » J’ai essayé de la calmer mais il m’a pris à la gorge en me disant : « Je vais te tuer en 1 minute. » Il m’a lâché mais me disait qu’il ne va plus me laisser la 2ième fois.

Depuis 27 ans, mon mari m’agresse. Il m’a tordu plusieurs fois le bras et me sert la gorge. Jusqu’à présent je n’ai pas osé d’appeler la Police car j’avais honte. Il y a environ 6 mois, mon mari m’a menacé avec un pistolet en me le tenant à la tête.

Je crois qu’il y en a 5 armes dans le coffre-fort.

De m’agresser, pour lui, cela est un comportement normal. » Il résulte encore du rapport n° (11) du 27 juillet 2021 précité que le fils de Mme (B) est arrivé sur les lieux après les faits de violence domestique et a dû constater des traces d’étranglement sur le cou et sur le torse de sa mère, ce qui est confirmé par la photo de la victime jointe au procès-verbal n° (3) précité.

Ce témoignage en dit long sur votre comportement agressif envers votre conjointe, et ce non seulement le jour de cette agression. Il résulte d’ailleurs du rapport n° (11) du 27 juillet 2021 que vous étiez également légèrement agressif envers les policiers ce même jour.

Suite à cet épisode de violences domestiques, vous avez fait l’objet d’une décision d’expulsion le 27 juillet 2021 sur base de la loi modifiée du 8 septembre 2003 sur la violence domestique.

Il résulte en outre du prédit procès-verbal n° (3) du 27 juin 2021 que vous déteniez deux armes à feu de manière illégale, c’est-à-dire pour lesquelles vous n’avez ni un permis de port d’armes, ni une autorisation de détention d’armes. Il s’agit en l’occurrence d’un pistolet de la marque …, modèle …, cal. …, n° de série …, et d’un revolver de la marque …, modèle … cal.

7,5mm, n° de série …. Les deux armes en question ont été saisies par la Police.

Force est de constater que votre prédite demande en immatriculation de deux nouvelles armes du 30 juillet 2021 se rapporte précisément à ces deux pistolets. Partant, force est donc également de constater que ce n’est que suite à l’intervention de la police le 27 juillet 2021 dans le cadre de votre expulsion et de la saisie de ces deux armes détenues illégalement que 4vous avez finalement introduit une demande en bonne et due forme en vue de régulariser la situation desdites armes.

L’ensemble des faits qui précèdent m’amène à envisager la révocation de votre permis de port d’armes de sport numéro (1) du 18 décembre 2017, ainsi que le refus de votre demande en immatriculation de deux nouvelles armes du 30 juillet 2021, ceci en application de l’articles 24, paragraphe 1er, point 2°, de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions.

Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, vous avez le droit de présenter vos observations en fait et en droit dans la quinzaine de la réception de la présente. Une entrevue vous est accordée si elle est demandée endéans ce délai. […] ».

Par courrier électronique du 29 août 2022, Monsieur (A) sollicita auprès d’un agent du ministère une entrevue en se référant au courrier précité du 22 août 2022. Ladite entrevue eut lieu le 27 septembre 2022 dans les locaux du ministère.

Par courrier du 9 novembre 2022, réceptionné par l’intéressé le 14 novembre 2022, le ministre prononça la révocation du permis de port d’armes de sport de Monsieur (A) ainsi que le refus de sa demande en immatriculation des armes du 30 juillet 2021, en application de l’article 24, paragraphe (1), point 2° de la loi du 2 février 2022. Ce courrier est libellé comme suit : « […] La présente pour faire suite à l’entrevue ayant eu lieu au Ministère de la Justice, sur votre demande, en date du 27 septembre 2022, lors de laquelle vous avez pu présenter vos observations par rapport à mon courrier vous adressé en date du 22 août 2022 aux termes duquel je vous ai informé de mon intention de révoquer votre permis de port d’armes de sport du 18 décembre 2017 et de refuser votre demande du 30 juillet 2021 en immatriculation de deux nouvelles armes.

1° En relation avec les informations du procès-verbal de police n° (3) du 27 juin 2021, duquel il résulte que vous déteniez deux armes à feu de manière illégale, vous avez expliqué avoir acheté ces armes sur le stand d’une foire en Belgique, il y a environ 3 à 5 ans, mais en tout cas après l’obtention de votre permis de port d’armes de sport. Suivant vos explications, vous avez simplement ignoré que les deux armes en question seraient soumises à immatriculation.

2° En relation avec les informations du même procès-verbal de police n° (3) du 27 juillet 2021, duquel il résulte que la police de … fut appelée à votre domicile en raison de faits de violences domestiques le 27 juillet 2021, force est de constater que vous vous efforcez à minimiser l’épisode en question, de même que d’ailleurs votre conjointe qui vous a accompagné à l’entrevue. Tous les deux, vous avez expliqué que durant les 31 ans de mariage, dont 25 ans au Luxembourg, un divorce fut à plusieurs reprises un sujet et qu’il y a 12 ans environ, la tentative d’une séparation s’est mal passée, et qu’il y a eu réconciliation. Vous avez signalé avoir passé plusieurs thérapies de couple dans le passé. Lors de l’entrevue du 27 septembre 2022, votre épouse a contesté — contrairement à ses déclarations pourtant manuscrites du 27 juillet 2021 — que vous lui avez tenu une arme contre la tête. Votre épouse a insisté encore sur le fait qu’elle a retiré sa plainte déposée à la Police. Lors de l’entrevue au Ministère de la Justice, vous avez contesté avoir été agressif envers la Police le jour de votre expulsion. Force est d’ailleurs aussi de constater qu’il résulte du procès-verbal d’interrogatoire de police du 27 juillet 2021 que vous avez fait usage de votre droit de vous taire et de ne rien dire. Lors de l’entrevue au Ministère de la Justice, vous avez parlé d’une 5« situation tendue » entre vous et votre conjointe et qu’une « faute » est inhérente « à tout être humain ».

En ce qui concerne le point 1° ci-dessus, force est de constater que ce fait seul, pris isolément, ne justifierait pas obligatoirement et nécessairement la révocation de votre permis de port d'armes de sport, respectivement le refus de votre demande en immatriculation de nouvelles armes. Cependant, en combinaison avec le point 2°, et notamment pour ce dernier point le fait que votre foyer familial est caractérisé par une situation conflictuelle généralisée, force est de relever que la présence d’armes à feu dans un tel foyer familial risque d’engendrer un danger dans votre chef ou pour autrui, voire pour l’ordre et la sécurité publics en général.

Cette situation conflictuelle générale est apparente au vu des éléments du dossier et n’est d’ailleurs pas contredite par vos propos, ni ceux de votre conjointe lors de l’entrevue au Ministère.

Il y a lieu de relever qu’il est de jurisprudence administrative constante que, tout comme la gravité de la décision d’accorder une autorisation de porter ou de détenir une arme impose au ministre de faire application de critères très restrictifs pour la reconnaissance de motifs valables y relatifs, celle de refuser ou de révoquer pareille autorisation appelle une démarche également rigoureuse de la part de l’autorité administrative amenée à statuer (cf. en ce sens notamment : Tribunal administratif 25 juin 2008, n° 23663, Pas. adm. 2016, V° Armes prohibées, n° 19).

En l’espèce, force est de constater qu’il existe un risque de mauvais usage d’armes dans votre chef, compte tenu de votre comportement qui est incompatible avec le comportement responsable et serein qu’on est en droit d’exiger d’un détenteur d’armes à feu.

Si le rôle du ministre ne consiste certes pas à sanctionner un fait déterminé, il lui appartient cependant, en application du principe de précaution et compte tenu du comportement de l’individu, de tout mettre en œuvre afin de veiller à ce que le détenteur d’armes prohibées ne puisse pas, dans le futur, faire un mauvais usage de ces armes (cf. le jugement du Tribunal administratif du 30 janvier 2017, numéro 37363 du rôle).

Il est d’ailleurs établi que, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, le ministre peut se baser sur des considérations tirées du comportement du demandeur telles que celles-ci lui ont été soumises à travers des procès-verbaux et rapports des forces de l’ordre, qui constituent des moyens licites et appropriés pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision, et cela indépendamment de toute poursuite pénale (cf. notamment Tribunal administratif, 31 mai 2000, n° 11602, c. 23 novembre 2000, 12102C; 11 novembre 2002, n° 14888, c. 4 février 2003, 15655C; Tribunal administratif, 29 septembre 2003, n° 16127, c. 3 février 2004, 17114C, et autres).

En considération des développements qui précèdent, ensemble les éléments de mon courrier précité du 22 août 2022, je vous informe que, par la présente, votre permis de port d’armes de sport du 18 décembre 2017 est révoqué, et votre demande en immatriculation de deux nouvelles armes du 30 juillet 2021 est refusée, ceci en application de l’article 24, paragraphe 1er, point 2°, de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions. […] ».

Par courrier du 8 février 2023, Monsieur (A) fit introduire, par l’intermédiaire de son litismandataire, un recours gracieux contre la décision du 9 novembre 2022, par laquelle son 6permis de port d’armes de sport avait été révoqué et sa demande en immatriculation des armes refusée.

Par courrier du 22 février 2023, Monsieur (A) fit parvenir, par l’intermédiaire de son litismandataire, douze pièces supplémentaires au ministère à l’appui de son recours gracieux daté du 8 février 2023.

Par requête déposée le 30 juin 2023 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 49108 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de « la décision implicite de refus du Ministre de la Justice, se matérialisant par son silence adopté pendant une période de plus de trois mois à la suite d’un recours gracieux introduit par le requérant le 8 février 2023 et dirigé contre une décision du Ministre de la Justice du 9 novembre 2022 en vertu de laquelle il avait décidé d’une part de révoquer le permis de port d’armes du requérant délivré le 18 décembre 2017 et d’autre part de refuser la demande du requérant en immatriculation de deux nouvelles armes ».

Par décision du 6 novembre 2023, le ministre rejeta le recours gracieux introduit par Monsieur (A) en date du 8 février 2023 contre la décision ministérielle du 9 novembre 2022.

Cette décision est libellée comme suit : « […] La présente pour faire suite à votre courrier du 08 février 2023 par lequel vous avez, au nom et pour compte de votre mandant, Monsieur (A), formé un recours gracieux contre la décision ministérielle du 09 novembre 2022 ayant porté révocation du permis de port d’armes de sport du 18 décembre 2017 et refus de la demande du 30 juillet 2021 en immatriculation de deux nouvelles armes, ensemble votre courrier du 22 février 2023 auquel étaient joints 12 pièces.

Les arguments avancés dans le cadre de votre recours gracieux appellent les observations suivantes :

Quant à l’argument de la présomption d'innocence :

Il s’agit en l'occurrence d’un principe du droit pénal qui n’est pas de nature à entrer en conflit avec les principes du droit administratif dont relève la matière des armes prohibées, alors que les deux matières relèvent de deux sphères de compétences différentes, à savoir, d’une part, du pouvoir judiciaire pour ce qui est du droit pénal et du principe de la présomption d’innocence, et, d’autre part, du pouvoir exécutif pour ce qui est du droit administratif et la matière des armes prohibées (Cf. en ce sens la jurisprudence citée in « Bulletin de jurisprudence administrative », Pasicrisie luxembourgeoise, édition 2022, verbo « armes prohibées », n° 8 et 9).

Il en résulte que le ministre n’est pas obligé de ne prendre en compte que des faits ayant fait l’objet d’une condamnation par une juridiction pénale, mais il peut prendre en compte tous les faits qui sont établis à suffisance de droit, et, pour ce faire, il peut se baser sur des considérations tirées du comportement du demandeur telles que celles-ci lui ont été soumises à travers des procès-verbaux et rapports des forces de l’ordre, qui constituent des moyens licites et appropriés pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision, et cela indépendamment de toute poursuite pénale (Cf. en ce sens la jurisprudence citée in « Bulletin de jurisprudence administrative », Pasicrisie luxembourgeoise, édition 2022, verbo « armes prohibées », n° 22).

7Il en résulte également que le retrait de sa plainte du 27 juillet 2021 par Madame (B) ép. (A) n’a pas de conséquences péremptoires sur la prise en compte des faits en cause dans le cadre des décisions du 09 novembre 2022, alors que, en ce qui concerne, la matière des armes prohibées, les faits de violences domestiques du 27 juillet 2021 continuent d’exister, même si le Parquet ne déclenche aucune poursuite judiciaire pénale en relation avec ces faits.

Quant à l’argument du « fait unique » :

Force est de constater que, dans le chef de votre mandant, les décisions du 09 novembre 2022 ne reposent pas sur un fait unique mais sur plusieurs faits, à savoir relatifs à des violences domestiques et à la possession illégale de deux armes.

Concernant votre argument tendant à alléguer que, dans le cadre des violences domestiques, les faits du 27 juillet 2021 constitueraient « un fait unique », force est de constater qu’il résulte du courrier de Madame (B) ép. (A) du 02 août 2021 (joint à votre 1ère pièce), 1ère page, in fine, ce qui suit : « Mon but ce n’est pas un litige judiciaire avec mon mari, mais une séparation et/ou un divorce voir que la vie ensemble est devenue totalement insupportable. » Or, il n’est guère crédible qu’une vie commune de 30 ans puisse devenir insupportable par un seul fait de violences domestiques.

Quant à l’expulsion du 21 juillet 2021 :

A ce sujet, vous avancez qu’il s’agirait d’une conséquence légale « nécessaire », suite au dépôt de la plainte par Madame (B).

Or, il n’est est rien, alors que le Parquet est libre de décider ou de ne pas décider une expulsion de l’agresseur suite à la dénonciation de faits de violences domestiques.

Force est partant de constater que, si le Parquet a décidé une expulsion de votre mandant suite à ces faits, ces derniers étaient d’une gravité suffisante, ce qui contredit votre thèse du « fait unique et anodin ».

Quant à la jurisprudence invoquée :

Force est de constater que vous avez soigneusement choisi un exemple dont les faits ne correspondent effectivement pas à la situation de votre mandant.

Cependant, ni la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions, ni la jurisprudence des juridictions administratives ne requièrent que la situation factuelle en matière d’armes doit toujours correspondre à celle de la jurisprudence que vous avez choisie.

Quant au refus d’immatriculation des deux armes acquises illégalement en Belgique :

Tel qu’il a déjà été relevé au courrier du 22 août 2022 relatif à la procédure administrative non contentieuse, ce n’est que suite à l’intervention de la Police en date du 27 juillet 2021 dans le cadre des faits de violences domestiques que votre mandant a introduit précipitamment une demande en immatriculation des deux armes, datée au 30 juillet 2021 et entrée au Service Armes & Gardiennage en date du … 2021.

8Dans votre recours gracieux, vous affirmez que cette demande a été introduite « dès que cette illégalité a été portée à la connaissance de votre mandant ».

Or, il appartient au titulaire d’une autorisation en matière d’armes de faire preuve d’un comportement prudent et respectueux de la loi et de s’informer de sa propre initiative et sans délai si des armes dont il prend possession sont soumises à une autorisation. Lors de l’entrevue de votre mandant avec cinq agents du Service Armes & Gardiennage, ayant eu lieu sur sa demande en date du 27 septembre 2022 à 16.00 heures, votre mandant a déclaré être entré en possession de ces deux armes il y a environ 3 à 5 ans, mais en tout état de cause après avoir introduit sa première demande en obtention d’une autorisation en matière d’armes, qui, elle, date du 30 septembre 2017. Votre mandant était donc déjà en contact avec le Service Armes & Gardiennage, et un simple courriel de demande d’information au service aurait suffi.

Il s’agit donc en l’occurrence d’un comportement pour le moins désinvolte de votre mandant qui est manifestement incompatible avec la lettre et l’esprit de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions.

Quant aux armes actuellement encore en possession de votre mandant :

En l’attente de l’issue définitive de la procédure concernant la révocation du permis de port d’armes de sport de votre mandant, ce dernier est invité à remettre temporairement ses huit armes au commissariat de police le plus proche, de signer une convention de dépôt temporaire, et d’en faire parvenir une copie au Service Armes & Gardiennage dans les meilleurs délais.

Pour le transport des armes concernées vers le commissariat de police la présente vaut autorisation de transport au sens de l’article 37, paragraphe 1er, de la loi précitée du 2 février 2022.

Au vu de l’ensemble de ce qui précède, ensemble les éléments repris aux courriers du 22 août 2022 et du 09 novembre 2022, et en l’absence de tout élément pertinent nouveau, votre recours gracieux du 08 février 2023 est rejeté et les décisions de révocation et de refus du 09 novembre 2022, sont confirmées, le tout en application de l’article 14, paragraphe 1er, et de l’article 24, paragraphe 1er, point 2°, de la loi du 2 février 2022 sur les armes et munitions.

[…] ».

Il ressort de la convention de dépôt temporaire d’armes, établie le 28 novembre 2023 par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat …, référencée sous le numéro (12), que Monsieur (A) remit à la police grand-ducale six armes aux fins de dépôt temporaire.

Par requête déposée le 12 janvier 2024, inscrite sous le numéro 49927 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la « décision explicite de refus du 6 novembre 2023 du Ministre de la Justice, à la suite d’un recours gracieux introduit par le requérant le 8 février 2023 et dirigé contre une décision du Ministre de la Justice du 9 novembre 2022 en vertu de laquelle il avait décidé d’une part de révoquer le permis de port d’armes du requérant délivré le 18 décembre 2017 et d’autre part de refuser la demande du requérant en immatriculation de deux nouvelles armes ».

9I.

Quant à la question de la jonction des deux rôles Moyens et arguments des parties Dans sa requête introductive d’instance relative au recours inscrit sous le numéro 49927 du rôle, ainsi que dans le dispositif de son mémoire intitulé « mémoire en réplique », dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 49108 du rôle, Monsieur (A) sollicite la jonction des deux recours sous examen.

Il fait valoir que les deux affaires, inscrites respectivement sous les numéros 49108 et 49927 du rôle, opposeraient les mêmes parties et reposeraient sur une même cause ainsi qu’un objet identique, de sorte que leur jonction en vue d’un jugement unique s’imposerait afin d’éviter une contrariété de jugements.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse déposé dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 49927 du rôle, ne s’oppose pas à la demande de jonction.

Appréciation du tribunal Force est au tribunal de constater que les deux recours sous examen sont étroitement liés, tant par l’identité des parties en cause que par l’objet du litige.

Dès lors, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre les deux affaires inscrites sous les numéros 49108 et 49927 du rôle et de statuer sur ces deux recours par un seul et même jugement.

II.

Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours inscrit sous le numéro 49108 du rôle Moyens et arguments des parties Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient, dans un premier temps, que ni la loi du 2 février 2022, ni aucune autre disposition légale ne prévoit un recours en pleine juridiction contre une décision de révocation ou de refus en matière de port d’armes, de sorte que le recours principal en réformation devrait, selon lui, être déclaré irrecevable.

Dans un deuxième temps, en ce qui concerne le recours subsidiaire en annulation, il conclut à son irrecevabilité, au motif qu’il serait dirigé contre la seule décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre sur le recours gracieux du 8 février 2023, alors même que cette décision implicite aurait été suivie d’une décision explicite de rejet en date du 6 novembre 2023. Dès lors, le délégué du gouvernement soutient que le recours sous analyse serait dirigé contre une décision administrative implicite qui n’« existe[rait] » plus.

Dans le « mémoire en réplique », Monsieur (A) conteste l’irrecevabilité soulevée par le délégué du gouvernement.

A l’appui de sa position, il soutient, en premier lieu, que la décision implicite serait antérieure à la décision explicite et constituerait, au sens de la « loi », une décision susceptible de recours au même titre qu’une décision explicite.

10Il ajoute que la loi ne prévoirait pas la possibilité pour l’administration de substituer une décision explicite à une décision implicite une fois qu’un recours aurait été introduit.

Il fait valoir, en second lieu, qu’il lui était « chronologiquement impossible » de diriger son recours contre la décision explicite à un moment où celle-ci n’existait pas encore, insistant sur le fait que la recevabilité du recours devrait s’apprécier « sur base de la situation de fait et de droit existant au moment de l’introduction du recours ».

Monsieur (A) en conclut que la décision explicite du 6 novembre 2023, laquelle serait intervenue postérieurement à la décision implicite et alors que cette dernière faisait déjà l’objet d’un recours contentieux, ne saurait produire d’effet dans le cadre du recours sous analyse pour être intervenue tardivement.

Appréciation du tribunal En ce qui concerne, de prime abord, la question de la compétence du tribunal administratif pour statuer comme juge du fond en la présente matière, il sied de relever qu’étant donné que ni la loi du 2 février 2022, ni aucune autre disposition légale ne prévoit de recours de pleine juridiction contre une décision de révocation ou de refus de port d’armes, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation.

S’agissant, ensuite, de la question de l’objet du recours inscrit sous le numéro 49108 du rôle, en ce qu’il porte sur une décision implicite de refus sur recours gracieux du 8 février 2023, le tribunal relève qu’en disposant que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif », l’article 4, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », instaure une présomption de décision de refus, non datée et non notifiée1, afin de permettre à l’administré de saisir la justice en cas d’inaction prolongée de l’autorité administrative compétente. Il y a lieu de relever que cette présomption naît tant dans le cadre d’une demande initiale que dans celui d’un recours gracieux2.

Cependant, cette présomption se trouve anéantie par l’émission, même postérieure à l’expiration du délai de trois mois suivant l’introduction de la demande ou du recours gracieux, d’une décision expresse émanant de l’autorité compétente et statuant sur ladite demande ou ledit recours. Cette décision expresse doit alors être considérée comme traduisant seule la position de l’autorité compétente sur la demande lui soumise3.

Force est au tribunal de relever que, si à la date de l’introduction du recours inscrit sous le numéro 49108 du rôle, le 30 juin 2023, Monsieur (A) pouvait effectivement considérer être confronté à un silence du ministre sur son recours gracieux du 8 février 2023, et avait ainsi pu diriger ledit recours contre une décision implicite de refus, il est constant en cause – et non 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, édit. 1996, n° 164.

2 Cour adm. 28 avril 2016, n° 37158C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

3 Trib. adm. 21 avril 2023, nos 44167 et 44262 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

11contesté par les parties – que la décision expresse confirmative sur recours gracieux n’a été prise que le 6 novembre 2023 et notifiée à l’intéressé à une date ultérieure. Le recours introduit le 30 juin 2023 a dès lors perdu son objet, en ce qu’il visait la décision implicite, par l’intervention de la décision expresse du 6 novembre 2023, laquelle fait l’objet du recours introduit le 12 janvier 2024 et inscrit sous le numéro 49927 du rôle.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours subsidiaire en annulation, introduit le 30 juin 2023, est à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre une décision implicite de refus sur recours gracieux introduit le 8 février 2023, le ministre ayant répondu audit recours par une décision expresse du 6 novembre 2023 confirmant sa décision de refus initiale du 9 novembre 2022.

III.

Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours inscrit sous le numéro 49927 du rôle Moyens et arguments des parties Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient que ni la loi du 2 février 2022, ni aucune autre disposition légale ne prévoit un recours en pleine juridiction contre une décision de révocation ou de refus en matière de port d’armes, de sorte que le recours principal en réformation devrait être déclaré irrecevable.

Appréciation du tribunal S’agissant de la question de la compétence du tribunal administratif pour statuer comme juge du fond en la présente matière – comme retenu précédemment par le tribunal –, il sied de relever qu’étant donné que ni la loi du 2 février 2022, ni aucune autre disposition légale ne prévoit de recours de pleine juridiction contre une décision de révocation ou de refus de port d’armes, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 6 novembre 2023.

Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 6 novembre 2023, lequel est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délais prévus par la loi.

IV.

Quant au fond Moyens et arguments des parties Dans sa requête introductive d’instance, en fait et concernant le contexte familial, le demandeur expose qu’il serait marié avec son épouse depuis … 1993, qu’ils exploiteraient en collaboration une entreprise … depuis 18 ans et qu’ils seraient parents de deux enfants, l’un né le … et l’autre le ….

S’il ne conteste pas qu’en 30 ans de mariage, il y ait pu avoir « des hauts et des bas », il précise que la plainte de son épouse du 27 juillet 2021, à laquelle la décision ministérielle du 9 novembre 2022 ferait référence, s’inscrirait dans un contexte de tensions familiales qui aurait abouti à une « dispute orale »4, dans le cadre d’une mesure d’isolement à domicile ordonnée 4 Souligné par le demandeur 12en raison du COVID. Le demandeur fait par ailleurs valoir que son épouse aurait personnellement retiré sa plainte auprès de la police, ainsi que par courrier du 27 août 2021.

Il donne à considérer que la plainte n’aurait pas connu de suite et affirme qu’il s’agirait de la seule plainte à son encontre « en 30 ans de mariage ».

Le demandeur conclut qu’il ne serait pas établi par un « tribunal compétent » qu’il aurait commis des actes de violence envers son épouse ni qu’il l’aurait menacée avec une arme, faits qu’il conteste formellement.

Il précise qu’il n’aurait aucun passé criminel, qu’il ne serait pas connu des services de police et qu’il disposerait d’un casier judiciaire vierge. Il souligne en outre qu’aucune plainte n’aurait été déposée après le 27 juillet 2021.

Le demandeur reproche au ministre de se fonder sur la seule affirmation de son épouse, formulée dans un courrier du 2 août 2021, selon laquelle « […] la vie ensemble est devenue insupportable », sans s’appuyer sur aucun élément de fait concret pour en tirer, selon lui, la conclusion « purement spéculative » qu’il ne serait guère crédible qu’une vie commune de trente ans puisse devenir insupportable en raison d’un unique fait de violence domestique, alors qu’une telle situation pourrait, selon lui, résulter de nombreuses causes étrangères à des faits de violence domestique.

Concernant ses motivations, le demandeur insiste sur le fait qu’il solliciterait un permis de port d’armes dans le seul but de collectionner et d’employer les armes à titre d’activité sportive et de loisir, en stricte conformité avec la loi, et non en vue de commettre un quelconque acte de violence, ni à l’égard de tierces personnes, ni à l’égard d’animaux dans un contexte de chasse.

En droit, le demandeur invoque en premier lieu le principe de présomption d’innocence et soutient que seul un juge compétent pour statuer au fond en matière pénale serait habilité à se prononcer sur la culpabilité d’une personne, et qu’en l’absence d’une condamnation ayant acquis force de chose jugée, toute personnes devrait être présumée innocente.

A cet égard, le demandeur donne à considérer que les faits lui reprochés dans la plainte déposée par son épouse « [auraient] entretemps été rétractés » et ne seraient nullement établis, que son casier judiciaire serait vierge et qu’il bénéficierait dès lors d’être « légalement présumé innocent » quant aux faits ayant fait l’objet de ladite plainte.

Il en conclut que les affirmations figurant dans le courrier ministériel du 9 novembre 2022, selon lesquelles les déclarations, entretemps rétractées, de son épouse constitueraient un « témoignage » de son comportement agressif, ainsi que l’évocation d’un prétendu « épisode de violences domestiques », contreviendraient au principe de présomption d’innocence.

Le demandeur soutient en deuxième lieu que la mesure d’expulsion du 21 juillet 2021 serait la procédure normale et systématique en cas de plainte pour violences domestiques, puisqu’elle découlerait ipso facto de la loi du 8 septembre 2003, prise sur-le-champ suite à cette plainte, et ne constituerait pas une mesure additionnelle ultérieure, de sorte qu’une telle mesure ne pourrait en aucun cas laisser supposer qu’il aurait l’habitude de commettre des violences domestiques.

13En troisième lieu, le demandeur affirme qu’il n’existerait aucun risque de mauvais usage d’une arme à feu dans son chef. A l’appui de son argumentation, il cite des extraits de jurisprudence des juridictions administratives concernant des personnes qui auraient fait l’objet, « à juste titre », d’une révocation de port d’armes, en concluant qu’il s’agirait de personnes déjà connues des services de police pour des antécédents sérieux, voire pour des faits graves et répétés, ce qui, selon lui, ne correspondrait pas à sa situation. Il précise que, si le ministre serait habilité à prendre en considération l’existence d’un risque de mauvais usage d’une arme en application de la jurisprudence des juridictions administratives, cette appréciation devrait cependant s’appuyer sur des faits sérieux se dégageant du dossier, sous peine de donner lieu à des décisions arbitraires ou injustifiées.

En quatrième lieu, le demandeur donne à considérer qu’au moment du passage de la police grand-ducale sur les lieux, consécutivement à la plainte, celle-ci se serait limitée à ne saisir que les deux armes non enregistrées, qu’il n’aurait été informé que le ministre envisageait de lui retirer son permis de port d’armes que par le courrier du 22 août 2022, que la décision du retrait de permis n’aurait été rendue par le ministre que le 9 novembre 2022, sans préciser les suites réservées aux armes dont il disposait, qu’il n’aurait été invité à remettre ses armes qu’à la suite de la décision du 6 novembre 2023 et qu’il aurait obtempéré le 28 novembre 2023 conformément aux termes d’une convention de dépôt de la même date. Le demandeur insiste à cet égard sur le fait que le ministre n’aurait agi que suite à l’initiative du demandeur lors de son recours gracieuse du 8 février 2023, de s’enquérir lui-même du sort desdites armes. Le demandeur en conclut que, compte tenu de la « passivité » du ministre, l’allégation d’un prétendu risque de mauvais usage dans son chef serait manifestement injustifiée.

Le demandeur fait valoir en cinquième lieu qu’il aurait proposé, par recours gracieux du 8 février 2023, de se soumettre à une enquête sociale ou à une expertise psychologique afin de démontrer qu’il ne serait pas dangereux et que l’incident mentionné dans la plainte du 27 juillet 2021 ne constituerait qu’un fait isolé, alors que le ministre n’aurait donné aucune suite à cette proposition. Il demande « pour autant que de besoin » au tribunal d’ordonner une telle enquête ou expertise.

En dernier lieu, et au sujet du refus d’immatriculation de deux armes, le demandeur fait tout d’abord valoir qu’il aurait acquis ces armes en Belgique lors d’une foire d’armes et qu’il aurait, compte tenu de leur mise en vente libre sur ladite foire, ignoré qu’une immatriculation était requise. Il donne à considérer qu’il n’aurait pas dissimulé ces armes à la police grand-

ducale lors de la descente sur les lieux en date du « 21 juillet 2021 ». Il précise qu’il ne détenait aucune munition pour ces armes et qu’il aurait formulé une demande d’immatriculation des deux armes dès qu’il aurait été informé par la police grand-ducale qu’elles devaient être immatriculées. Le demandeur soutient que rien de s’opposerait à la régularisation de la situation et à l’inscription de ces armes sur son permis. Il en conclut que la décision de confirmation de refus du 6 novembre 2023 serait injustifiée.

Dans son mémoire en réplique et en fait, le demandeur reprend l’argumentation développée dans sa requête introductive d’instance, en ajoutant que son couple ne se serait pas séparé, qu’il n’aurait pas fait l’objet d’un divorce et qu’il n’aurait plus eu d’incident ayant nécessité l’intervention de la police.

En droit, le demandeur reprend en substance l’argumentation développée dans sa requête introductive d’instance en y apportant certaines précisions.

14S’agissant de son moyen relatif au principe de la présomption d’innocence, le demandeur précise que le ministre aurait méconnu la portée dudit principe en estimant qu’il ne s’appliquerait pas au droit administratif voire à la mise en œuvre du pouvoir exécutif, tel que consacré à l’article 6, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme « et la Cour européenne des droits de l’homme », ainsi qu’à l’article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Concernant son moyen relatif à l’inexistence d’un risque de mauvais usage d’une arme à feu dans son chef, le demandeur ajoute que la partie étatique aurait appliqué de manière « non pondérée et disproportionnée » les dispositions applicables en la matière, en agissant avec lenteur et en contradiction « flagrante » avec l’existence d’un risque réel de mauvais usage dans son chef. Il en conclut que l’allégation de la partie étatique quant à un prétendu risque ne serait pas crédible, et qu’elle aurait partant commis une erreur manifeste d’appréciation.

En ce qui concerne la demande d’enquête sociale et d’expertise psychologique, le demandeur précise, d’une part, que ladite demande ne serait pas tardive dans la mesure où elle aurait déjà été formulée dans le cadre du recours gracieux, et, d’autre part, qu’en tout état de cause, une mesure d’instruction pourrait être ordonnée à tout moment par le juge administratif.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours comme étant non fondé.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas lié par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par les parties, mais qu’il dispose de la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Toujours à titre liminaire, le tribunal relève que, par ses développements, le demandeur critique tant l’enquête administrative diligentée par le ministre que les pièces prises en compte par ce dernier dans le cadre de ladite enquête, ainsi que l’analyse des pièces opérée par l’autorité ministérielle. Partant, il y a lieu d’examiner successivement chacun de ces éléments.

Aux termes de l’article 24, paragraphe (1), point 2°, de la loi du 2 février 2022 sur le fondement duquel le ministre fonde la décision déférée du 6 novembre 2023 : « (1) Sans préjudice des conditions spéciales applicables aux autorisations et permis visés aux articles 25 à 37 et 40 à 48, nul ne peut acquérir, acheter, importer, exporter, transférer, transporter, détenir, porter, vendre et céder des armes et munitions relevant du champ d’application de la présente loi si les conditions suivantes ne sont pas remplies cumulativement dans le chef du demandeur : […] 2° le requérant ne fait pas craindre qu’il est susceptible de présenter un danger au sens de l’article 14, paragraphe 1er ; […] ».

L’article 14 de la même loi, sur le fondement duquel le ministre fonde également la décision déférée, dispose comme suit : « (1) [l]es autorisations, permis et agréments prévus par la présente loi sont délivrés par le ministre aux seules personnes qui, compte tenu de leur comportement et de leurs antécédents judiciaires ou policiers, ne font pas craindre qu’elles sont susceptibles de présenter un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, pour l’ordre public 15ou pour la sécurité publique. Une condamnation pour une infraction intentionnelle violente est considérée comme une indication d’un tel danger.

(2) [a]ux fins de la détermination de la dangerosité visée au paragraphe 1er, une enquête administrative est diligentée par le ministre qui consiste à vérifier auprès du procureur d’État du tribunal d’arrondissement dans le ressort duquel le requérant réside et de la Police grand-

ducale si le requérant a commis un ou plusieurs des faits visés au paragraphe 3 qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale ou qui ont donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal ou d’un rapport de police. Les faits auxquels se rapportent les informations fournies par le procureur d’État et la Police grand-ducale ne peuvent avoir été commis plus de cinq ans avant l’introduction de la demande en obtention d’une autorisation, d’un permis ou d’un agrément prévus par la présente loi ou font l’objet d’une poursuite pénale en cours.

Les informations concernant les faits visés à l’alinéa 1er sont communiquées au ministre sous forme de l’intégralité ou d’extraits de procès-verbaux ou rapports de police, jugements, arrêts, ordonnances, ou tout autre document ou acte de procédure contenant les informations concernées. […] (3) Le procureur d’Etat et la Police grand-ducale ne communiquent des informations au ministre, conformément au présent article, que pour des faits :

1° incriminés en tant que crime ou délit par la loi ;

2° visés à l’article 563, point 3°, du Code pénal relatif aux voies de fait et violences légères ;

3° ayant motivé une procédure d’expulsion sur base de l’article 1er de la loi modifiée du 8 septembre 2003 sur la violence domestique. […] ».

Quant à l’article 25, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022, il prévoit que :

« [l]’autorisation est retirée et son renouvellement est refusé lorsque les conditions prévues par la présente loi et ses règlements d’exécution ne sont pas ou ne sont plus remplies. » Il résulte des dispositions légales précitées que, tant dans le cadre d’une demande d’autorisation ou de renouvellement de port ou de détention d’armes et de munitions que pendant la période de validité d’une telle autorisation ou d’un tel renouvellement, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, selon les critères énoncés par l’article 14 de la loi du 2 février 2022, l’existence d’un danger dans le chef de l’intéressé, notamment lorsque son comportement ou ses antécédents judiciaires ou policiers laissent craindre qu’il est susceptible de représenter un danger pour lui-même, autrui ou pour l’ordre public ou la sécurité publique. Toutefois, dès lors que l’existence d’un tel danger est constatée, la compétence du ministre est liée et il est tenu, en vertu de l’article 24, paragraphe (1) de la loi du 2 février 2022, de refuser la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation de port d’armes ou, en vertu de l’article 25, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022, de retirer l’autorisation de port d’armes ou son renouvellement.

A cette fin, le ministre diligente une enquête administrative portant sur la dangerosité du requérant qui consiste notamment à vérifier si ce dernier a commis, moins de cinq ans avant l’introduction de la demande en obtention ou en renouvellement d’une autorisation, un ou plusieurs des faits qualifiés de crime ou de délit par la loi, visés à l’article 563, point 3° du Code pénal ou ayant motivé une procédure d’expulsion et qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale ou qui ont donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal ou d’un rapport de police. Les informations relatives à ces faits sont communiquées au ministre sous 16forme de l’intégralité ou des extraits de procès-verbaux ou rapports de police, jugements, arrêts, ordonnances, ou tout autre document ou acte de procédure contenant les informations concernées.

Le tribunal relève, ensuite, que dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est, quant à lui, appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité5 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but6.

Ce contrôle ne saurait toutefois avoir pour but de priver le ministre, qui doit assumer la responsabilité politique de la décision, de son pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale, alors qu’il appartient au seul ministre de peser en définitive la valeur des intérêts publics et privés en discussion et de prendre sa décision en conséquence, en assumant tant à l’égard des intéressés qu’à l’égard de l’opinion publique la responsabilité de cette décision, de sa sévérité ou de sa clémence7.

En premier lieu, s’agissant de la demande formulée par le demandeur tendant à ordonner une enquête sociale portant sur le foyer, sinon une expertise psychologique ou psychiatrique en vue de déterminer s’il existe des causes psychologiques, psychiatriques, mentales ou autres susceptibles de constituer un facteur de risque en lien avec la détention d’un permis de port d’armes, il est de l’entendement du tribunal que, par cette demande, le demandeur conteste la diligence dont le ministre a fait preuve dans la conduite de l’enquête administrative visant à apprécier sa dangerosité, telle que prévue à l’article 14, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022.

En l’espèce, le tribunal relève qu’il est constant que le demandeur a sollicité auprès du ministère une autorisation de détention de deux armes à feu le 30 juillet 2021, demande réceptionnée par le ministère le 3 août 2021.

Il est également constant que, suite à ladite demande d’autorisation, le ministre a sollicité de la police grand-ducale, par transmis du 7 octobre 2021, la communication de tous les procès-verbaux et rapports établis à l’encontre du demandeur au cours des douze derniers mois, et que, par transmis du 11 octobre 2021, la police grand-ducale y a répondu en joignant l’ensemble des procès-verbaux et rapports établis au cours de ladite période, y incluant un rapport référencé sous le numéro (2) et dressé par la police du commissariat de … en date du 5 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

6 En ce sens : Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7 En ce sens : Trib. adm. 24 septembre 2008, n° 24108 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

1727 juillet 2021, un rapport référencé sous le numéro (8), quatre procès-verbaux référencés sous les numéros (3), (4), (5) et (6), tous également dressés par la police du commissariat de … en date du 27 juillet 2021, ainsi qu’un rapport référencé sous le numéro (13) et dressé par la police du commissariat de … en date du 1er septembre 2021.

Il ressort en outre des informations figurant auxdits rapports et procès-verbaux précités que, d’une part, la police grand-ducale avait été appelée au domicile du demandeur le 27 juillet 2021 pour des faits de violences domestiques commis le même jour, lesquels ont entraîné, sur le fondement de l’article 1er de la loi modifiée du 8 septembre 2003 sur la violence domestique, une mesure d’expulsion ordonnée par le parquet de Luxembourg et exécutée le même jour à son encontre, et que, d’autre part, le demandeur détenait, toujours le même jour, deux armes à feu sans autorisation.

Dans le cadre du litige sous examen, il n’est pas contesté par les parties que les informations figurant dans lesdits rapports et procès-verbaux précités se rattachent à des faits visés au paragraphe (3) de l’article 14 de la loi du 2 février 2022.

Par conséquent, force est au tribunal de constater que le ministre a recueilli, auprès de la police grand-ducale, des informations figurant à la liste visée à l’article 14, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022, et que les faits s’y rapportant, commis le 27 juin 2021, sont intervenus moins de cinq ans avant l’introduction de la demande d’autorisation de détention de deux armes à feu du 30 juillet 2021. Le tribunal relève également que l’article 14, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022 n’oblige le ministre à diligenter ni enquête sociale ni expertise psychologique dans le cadre de l’enquête administrative. Dès lors, il y a lieu de retenir que les diligences accomplies par le ministre dans le cadre de l’enquête administrative destinée à apprécier la dangerosité du demandeur satisfont aux exigences de l’article 14, paragraphe (2) de ladite loi du 2 février 2022.

Il s’ensuit que la demande formulée par le demandeur tendant à voir ordonner une enquête sociale portant sur le foyer, sinon une expertise psychologique ou psychiatrique doit être rejetée.

En deuxième lieu, s’agissant du moyen du demandeur tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, en ce que, en substance, le ministre se serait appuyé, pour apprécier sa dangerosité au sens de l’article 14, paragraphe (1) de la loi du 2 février 2022 dans la décision ministérielle du 6 novembre 2023 confirmative de celle du 9 novembre 2022, sur des faits rapportés par son épouse dans une plainte qu’elle aurait entretemps rétractée, et qu’aucune condamnation pénale n’aurait été prononcée à son encontre, de sorte que ces faits ne sauraient être considérés comme établis. Par cette argumentation, il est de l’entendement du tribunal que le demandeur reproche au ministre d’avoir pris en compte, dans le cadre de l’enquête administrative destinée à apprécier sa dangerosité au sens de l’article 14, paragraphe (1) de la loi du 2 février 2022, des éléments qu’il estime constituer une violation du principe de la présomption d’innocence.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que les déclarations de l’épouse du demandeur relatives aux violences prétendument exercées et aux injures prétendument proférées à son encontre par le demandeur sont consignées dans un rapport référencé sous le numéro (2) ainsi que dans un procès-verbal référencé sous le numéro (3), tous deux établis le 27 juillet 2021 par la police du commissariat de … 18Il s’ensuit que le ministre a, en application de l’article 14, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022, pris en compte à bon droit, dans le cadre de l’enquête administrative diligentée pour apprécier la dangerosité du demandeur au sens de l’article 14, paragraphe (1) de ladite loi, le rapport référencé sous le numéro (2) ainsi que le procès-verbal référencé sous le numéro (3), ces documents constituant des moyens licites et appropriés pour puiser les renseignements de nature à asseoir sa décision.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argument du demandeur selon lequel son épouse aurait retiré sa plainte, le demandeur restant en défaut de démontrer en quoi cette renonciation par son épouse affecterait la validité dudit procès-verbal ainsi que dudit rapport de police, d’autant plus que son épouse a certes déclaré vouloir retirer sa plainte, elle n’a toutefois pas déclaré vouloir retirer ses affirmations relatives aux agressions alléguées.

Cette conclusion ne saurait pas non plus être remise en cause par le moyen du demandeur tiré de la prétendue violation du principe de la présomption d’innocence, dès lors que l’enquête administrative diligentée par le ministre pour apprécier la dangerosité du demandeur au sens de l’article 14, paragraphe (1) de la loi du 2 février 2022 poursuit des impératifs de sécurité publique dans le cadre d’une application du principe de précaution, à agir préventivement et proactivement, en vue de la limitation des risques pour la population8, de sorte à ne pas être de nature à entrer en conflit avec le principe de présomption d’innocence eu égard à la différence d’objet entre la procédure administrative en cause et une éventuelle procédure pénale.

Il s’ensuit que le moyen afférent du demandeur encourt le rejet.

En troisième lieu, s’agissant du moyen par lequel le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu à son encontre, de manière qu’il estime infondée, un risque de mauvais usage d’une arme à feu, il est de l’entendement du tribunal que le grief ainsi formulé par le demandeur tend à faire valoir une erreur d’appréciation par le ministre dans l’analyse des pièces versées au dossier dans le cadre de l’enquête administrative diligentée. Le demandeur soutient, en substance, d’une part, l’absence d’éléments de fait suffisamment sérieux pour justifier la décision déférée, et d’autre part, un comportement qu’il qualifie de non pondéré et de disproportionné de l’administration, laquelle aurait agi avec une certaine lenteur, confirmant ainsi, selon lui, l’absence de risque en sa personne.

En l’espèce, les résultats de l’enquête administrative ont conduit le ministre à conclure à l’existence d’une « dangerosité certaine » dans le chef du demandeur, au regard de son comportement et de ses antécédents policiers, tels qu’ils ressortent des éléments figurant au dossier et repris dans le courrier du 22 août 2022, dans la décision du 9 novembre 2022 ainsi que dans la décision déférée du 6 novembre 2023.

Les faits ainsi retenus à charge du demandeur par le ministre consistent en des actes de violences conjugales, en une attitude qualifiée de légèrement agressive à l’égard des agents de la police grand-ducale, ainsi qu’en la détention d’armes sans autorisation.

En ce qui concerne tout d’abord la matérialité des faits reprochés au demandeur en lien avec des violences conjugales, le ministre fonde sa motivation sur les éléments suivants :

8 En ce sens : Cour adm., 30 janvier 2025, n° 51763C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

19- le procès-verbal référencé sous le numéro (3) et dressé par la police du commissariat de … en date du 27 juillet 2021 dont il ressort que la police a été appelée à intervenir au domicile du demandeur en raison de faits de violences domestiques survenus le même jour, au cours desquels le demandeur aurait agressé son épouse ;

- les déclarations recueillies auprès de l’épouse du demandeur lors de son audition par la police grand-ducale du 27 juillet 2021, au cours de laquelle elle a affirmé ce qui suit : « […] [le demandeur] m’a insulté et me disait « je vais te tuer, c’est toi la pute. » J’ai essayé de la calmer mais il m’a pris à la gorge en me disant : « je vais te tuer en 1 minute. » Il m’a lâché mais me disait qu’il ne va plus me laisser la 2ième fois. Depuis 27 ans, mon mari m’agresse. Il m’a tordu plusieurs fois le bras et me sert la gorge. Jusqu’à présent, je n’ai pas osé d’appeler la Police car j’avais honte.

Il y a environ 6 mois, mon mari m’a menacé avec un pistolet en me le tenant à la tête. […] » ;

- le rapport référencé sous le numéro (2) et dressé par la police du commissariat de … en date du 27 juillet 2021, faisant état du témoignage du fils de l’épouse du demandeur, selon lequel ce dernier, arrivé sur les lieux après les faits, aurait constaté des traces légères d’étranglement visibles sur le cou et sur la poitrine de sa mère ;

- une photographie des blessures de l’épouse du demandeur, jointe au procès-verbal référencé sous le numéro (3), précité ;

- la décision d’expulsion prononcée à l’encontre du demandeur en date du 27 juillet 2021.

Force est au tribunal de constater que, tel que retenu précédemment, le ministre a pu légitimement fonder sa décision déférée sur les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête administrative diligentée à l’encontre du demandeur, comprenant notamment les procès-verbaux ainsi que les rapports établis par la police grand-ducale versés au dossier administratif. Il ne saurait dès lors être reproché au ministre d’avoir retenu ces éléments pour motiver la décision déférée.

S’agissant de l’argumentation développée par le demandeur, selon laquelle il entend minimiser, voire atténuer, la gravité des faits qui lui sont reprochés en se prévalant du retrait ultérieur de la plainte par son épouse, le tribunal relève que cette circonstance est sans incidence sur l’appréciation des faits tels qu’ils ressortent des éléments figurant au dossier administratif.

En effet, si son épouse a certes, par courrier daté du 2 août 2021, manifesté sa volonté de retirer la plainte initialement déposée à l’encontre du demandeur, force est au tribunal de constater qu’elle n’a, en revanche, nullement remis en cause les déclarations circonstanciées qu’elle avait faites antérieurement. Bien au contraire, ledit retrait ne s’est accompagné ni de motifs ni d’un quelconque élément circonstancié de nature à remettre en cause la matérialité des faits dénoncés. Il y a lieu de relever en outre que lesdites déclarations de l’épouse du demandeur sont corroborées par une photographie jointe au procès-verbal référencé sous le numéro (3), illustrant les faits du 27 juillet 2021, de sorte que le simple retrait non motivé ni circonstancié par l’épouse du demandeur ne saurait suffire à remettre en cause la matérialité des faits tels que décrits par l’épouse du demandeur dans sa plainte. Par ailleurs, les allégations de l’épouse du demandeur relatives à des faits antérieurs, notamment la menace avec une arme (« Il y a environ 6 mois, mon mari m’a menacé avec un pistolet en me le tenant à la tête. ») ainsi que les violences répétées subies tout au long de leur vie conjugale (« [d]epuis 27 ans, mon mari m’agresse. Il m’a tordu plusieurs fois le bas et me sert la gorge. Jusqu’à présent, je n’ai pas osé d’appeler la Police car j’avais honte. ») s’inscrivent, au contraire, dans une chronologie de faits cohérente et étayée, renforçant ainsi la gravité des faits reprochés au demandeur.

20En ce qui concerne ensuite la matérialité des faits reprochés au demandeur en lien avec une attitude qualifiée de légèrement agressive à l’égard des agents de la police grand-ducale, il y a lieu de se référer au rapport référencé sous le numéro (2), précité, qui fait état que le demandeur « war die ganze Zeit über laut und machte auf Amtierende einen leicht agressiven Eindruck. Derselbe war sehr temperamentvoll und bestimmend. ».

Force est au tribunal de constater que les déclarations de la police grand-ducale quant à l’attitude du demandeur lors de leur intervention le 27 juillet 2021, ne font l’objet d’aucune contestation de la part de ce dernier.

En ce qui concerne enfin la matérialité des faits relatifs à la détention d’armes à feu sans autorisation, ceux-ci ressortent du procès-verbal référencé sous le numéro (3), précité, et sont par ailleurs constants en cause.

Ensuite, comme précédemment retenu, les faits en question, survenus le 27 juillet 2021, apparaissent également pertinents et concluants au niveau temporel, en ce qu’ils respectent les conditions posées par l’article 14, paragraphe (2) de la loi du 2 février 2022, selon lequel une antériorité de moins de cinq ans est exigée avec la demande en obtention d’une autorisation ou d’un permis prévu par la loi du 2 février 2022, laquelle a été introduite par le demandeur le 30 juillet 2021.

L’application du droit auxdits éléments de fait et l’appréciation qui en a été faite par le ministre ne permettent pas non plus de conclure à une erreur d’appréciation dans son chef se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation dont il dispose.

Pour autant que le demandeur entende reprocher au ministre une disproportion entre, d’une part, l’appréciation portée sur son comportement telle que reflétée dans la décision déférée, et d’autre part, la situation de fait telle qu’elle s’est présentée, le tribunal constate qu’il ressort de la décision déférée que le ministre a motivé sa position en se fondant notamment sur la détention par le demandeur de deux armes non déclarées, sur des faits de violence domestique à l’encontre de son épouse, ainsi que sur les faits d’agression légère commis à l’encontre de la police grand-ducale.

Il ressort tout d’abord des procès-verbaux établis par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat de …, référencés sous les numéros (5) et (6), et datés du 27 juillet 2021, que le demandeur était en possession de deux armes, lesquelles ne figuraient pas sur le permis de port d’armes précité de l’intéressé, et n’avaient pas non plus fait l’objet d’une demande d’autorisation. Dans ces conditions, le ministre a pu, à juste titre, retenir dans la décision déférée que le comportement du demandeur s’analyse comme étant « pour le moins désinvolte » et « manifestement incompatible avec la lettre et l’esprit de la loi du 2 février 2022 sur les armes et les munitions. ». Force est, en effet, au tribunal de constater que le comportement du demandeur témoigne d’un manque manifeste de respect à l’égard des lois en matière de détention et de déclaration d’armes.

Force est enfin au tribunal de constater que le comportement du demandeur, tel qu’il ressort d’un rapport, intitulé « Bericht (Häusliche Gewalt) », référencé sous le numéro (2), établi par la police grand-ducale, Région Sud-Ouest Commissariat de … et daté du 27 juillet 2021, s’analyse en une perte manifeste de la maîtrise de soi. En effet, à l’occasion d’un différend conjugal, le demandeur a proféré des insultes d’une particulière gravité à l’encontre de son épouse, notamment « [j]e vais te tuer, c’est toi la pute ! », et s’est livré à des actes de 21violence physique à son égard. Il ressort en outre du rapport précité que, même en présence des agents de la police grand-ducale, le demandeur a adopté une attitude qualifiée de légèrement agressive (« leicht aggressiv »). Un tel comportement, révélateur d’un défaut manifeste de maîtrise émotionnelle et d’absence de retenue, traduit une carence notable du sens des responsabilités dans le chef du demandeur, justifiant dès lors l’appréciation telle que retenue par le ministre dans sa décision déférée selon laquelle le comportement du demandeur est incompatible avec la détention d’un permis de port d’armes, et atteste d’un risque réel qu’il fasse un mauvais usage d’une arme.

Dès lors, en dégageant des rapports et des procès-verbaux précités de police un potentiel de dangerosité du demandeur pour l’ordre ou la sécurité publics, le ministre s’est mu dans les limites de son pouvoir d’appréciation et dans l’objectif fondamental de veiller au maximum à ce que la détention et le port d’armes ne puisse dégénérer en un mauvais usage.

Le reproche formulé par le demandeur concernant la lenteur du ministre quant à la saisie de ses armes détenues dans le cadre du permis de port d’arme litigieux que le demandeur entend mettre en balance ne permet pas d’ébranler ce constat étant donné que le temps de réaction du ministre est sans rapport avec le potentiel de dangerosité du demandeur.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que sans procéder à une mauvaise application ou à un détournement de la loi et sans dépasser les limites de son pouvoir d’appréciation dans le cadre des attributions lui conférées par la loi du 2 février 2022, le ministre a valablement pu prendre la décision déférée.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen soulevé par le demandeur, que le recours est à rejeter comme n’étant fondé en aucun de ses moyens.

V.

Quant à l’indemnité de procédure Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros, telle que sollicitée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

prononce la jonction des recours inscrits sous les numéros 49108 et 49927 du rôle ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation inscrit sous le numéro 49108 du rôle dirigé contre une « décision implicite de refus du Ministre de la Justice, se matérialisant par son silence adopté pendant une période de plus de trois mois à la suite d’un recours gracieux introduit par le requérant le 8 février 2023 et dirigé contre une décision du Ministre de la Justice du 9 novembre 2022 en vertu de laquelle il avait décidé d’une part de révoquer le permis de port d’armes du requérant délivré le 18 décembre 2017 et d’autre part de refuser la demande du requérant en immatriculation de deux nouvelles armes » ;

22 déclare le recours subsidiaire en annulation inscrit sous le numéro 49108 du rôle dirigé contre ladite « décision implicite de refus du Ministre de la Justice » irrecevable ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation inscrit sous le numéro 49927 du rôle dirigé contre la décision ministérielle du 6 novembre 2023 ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation inscrit sous le numéro 49927 du rôle dirigé contre la décision ministérielle du 6 novembre 2023 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à ordonner une enquête sociale, sinon une expertise psychologique ou psychiatrique ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 mai 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 23


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49108,49927
Date de la décision : 14/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-14;49108.49927 ?

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