La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52754

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 mai 2025, 52754


Tribunal administratif N° 52754 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52754 2 e chambre Inscrit le 24 avril 2025 Audience publique du 19 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52754 du rôle et déposée le 24 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 52754 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52754 2 e chambre Inscrit le 24 avril 2025 Audience publique du 19 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52754 du rôle et déposée le 24 avril 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Afghanistan) et être de nationalité afghane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 avril 2025 de le transférer vers la France comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu WERNOTH, en remplacement de Maître Lukman ANDIC, et Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mai 2025.

___________________________________________________________________________

Le 31 janvier 2025, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur (A) fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 8 octobre 2021 et 19 avril 2024.

En date du 6 mars 2025, Monsieur (A) fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III 1».

Le 7 mars 2025, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 21 mars 2025 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.

Par décision du 11 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par le « ministre », informa Monsieur (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 31 janvier 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 31 janvier 2025 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 6 mars 2025. En mains également un rapport médical du 10 juin 2022 du Dr (B) du Centre Hospitalier … à … (France), un rapport médical ainsi qu'une ordonnance médicale du 13 janvier 2025, contenant une liste de médicaments prescrits par le Dr (C) de … (France), ainsi qu'une ordonnance médicale du Dr (D) du Centre médical … (Luxembourg), daté du 21 février 2025.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 31 janvier 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 8 octobre 2021 et 19 avril 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de I'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 6 mars 2025.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 7 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 21 mars 22025 en vertu de l'article 18(1)d.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

2. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en France en date des 8 octobre 2021 et 19 avril 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté votre pays d'origine le 28 août 2021 en avion en direction de l'Espagne avec une escale à Dubaï. En Espagne, vous seriez resté un mois et le 29 septembre 2021 vous seriez parti à Strasbourg en train. Vous auriez séjourné un mois à Strasbourg avant d'être transféré à Metz, à la suite de votre demande de protection internationale. Votre demande de protection internationale aurait été rejetée à deux reprises et vous n'auriez plus eu d'hébergement. Vous déclarez être resté à Metz jusqu'à votre arrivée au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 6 mars 2025, vous mentionnez que vous seriez atteint de la maladie de Parkinson et que vous auriez la main atrophiée à la suite de tortures subies en Afghanistan. Lors de votre entretien, vous avez déposé des documents attestant la maladie de Parkinson. Il ressort des divers documents médicaux que vous avez 3versés à votre dossier, que vous avez effectivement bénéficié d'une prise en charge médicale adéquate lors de votre séjour en France, même après avoir été débouté de votre demande de protection internationale.

Cependant, au regard de votre état de santé actuel, Monsieur, il y a lieu de relever que la France est présumée fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, les informations à notre disposition ne donnent actuellement aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers la France rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement les informations sur votre état de santé n'impliquent pas que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.

Relevons dans ce contexte également qu'en avril 2023, chaque Etat membre, y compris la France, a rédigé en collaboration avec la Commission européenne et l'Agence de l'Union européenne pour l'Asile, un document officiel intitulé « Information on procedural elements and rights of applicants subject to a Dublin transfer », dans lequel des informations reflétant à la fois les dispositions légales ainsi que leur mise en oeuvre, ont été mises à la disposition de tous les Etats membres. Ensemble avec tous les autres Etats membres, la France s'est engagée à fournir des informations exactes et actualisées quant aux conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale faisant l'objet d'un transfert vers la France. Ce document retient que les personnes qui sont transférées vers la France dans le cadre du règlement Dublin III ont droit à un logement ainsi qu'aux conditions matérielles d'accueil incluant une prise en charge médicale après avoir exprimé l'intention d'introduire une demande de protection internationale.

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne 4respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions françaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. […] ».

5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 11 avril 2025.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et au-delà des faits et rétroactes retranscrits ci-dessus, le demandeur explique être atteint de la maladie de Parkinson, tout en ajoutant qu’il aurait séjourné en France sans aide financière et sans hébergement, de sorte à avoir été contraint de vivre dans la rue et de ne pas avoir pu se faire soigner correctement dans ledit pays.

Il continue en exposant que dans le cadre de sa première demande de protection internationale déposée en France, l’interprète désigné n’aurait pas parlé sa langue et que dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, il ne serait pas parvenu à comprendre l’interprète désigné, chose dont il aurait fait part à « l’agent de l'OFPRA en charge de son audition en France ». Il précise, dans ce contexte, que son « aide médicale d’Etat » aurait pris fin lors du rejet de sa demande d’asile en janvier 2024, tout en donnant à considérer que son état de santé nécessiterait cependant des soins réguliers et un traitement médicamenteux important, qu’il devrait subir un examen « de type IRM » en date du 10 juin 2025, et qu’il aurait, par ailleurs, rendez-vous avec un médecin spécialiste le 16 juillet 2025. Il ajoute encore qu’il aurait, lors de son entretien ministériel, versé un certificat médical du docteur (E) précisant qu’il serait atteint de la maladie de Parkinson, que son état ne serait pas stabilisé, qu’il souffrirait de douleurs, que la marche lui serait difficile et qu’il serait sous traitement médicamenteux à base de « tramadol et de toxine botulique ».

En droit, le demandeur se prévaut en premier lieu d’une violation de l’article 3 paragraphe (2) du règlement Dublin III, en arguant que le ministre se serait manifestement abstenu d’examiner de manière rigoureuse et approfondie la situation prévalant en France, dans la mesure où il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’il y existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ».

Il cite, dans ce contexte, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») du 21 décembre 2011, dans les affaires jointes C-411/10 et C-493/10 , N. S. e.a., qui aurait souligné que la présomption posée par la confiance mutuelle ne serait pas irréfragable, de sorte qu’il incomberait aux Etats membres de ne pas transférer un individu lorsque des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat d’accueil constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur y courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte.

Il relève que si, dans son arrêt du 19 mars 2019, la CJUE avait, dans une affaire Abubacarr Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, rappelé l’importance de la confiance mutuelle, il n’en resterait pas moins qu’elle aurait également confirmé que celle-ci ne serait pas absolue.

6Ce serait, dès lors, à tort que le ministre aurait, dans ce contexte, affirmé, de manière non circonstanciée et sans aucune preuve, que la France serait présumée respecter ses obligations tirées du droit international public.

Le demandeur met, à cet égard, en avant que selon la jurisprudence de la CJUE, les Etats membres seraient tenus, face à des informations contraires, d’examiner dans chaque cas d’espèce dans quelle situation se retrouverait la personne si elle était transférée vers l’Etat membre concerné et de renoncer à un transfert vers l’Etat responsable s’il ne pouvait être ignoré que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil dans ce pays constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur de protection internationale courrait un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, ce qui impliquerait que, lorsque des rapports et articles de presse feraient état d’une situation problématique, les autorités nationales chargées de l’examen de la demande de protection internationale auraient l’obligation de s’assurer que les droits fondamentaux du demandeur concerné n’étaient pas mis à mal après son transfert.

En se prévalant notamment d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH »), dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, ayant retenu une violation de l’article 3 de la CEDH concernant les conditions d’accueil et plus précisément d’hébergement des réfugiés, le demandeur donne à considérer que, lors de son séjour en France, il aurait été contraint de dormir dans la rue, voire chez des tiers, qu’il y aurait été sans ressources financières et qu’il n’y aurait pas pu bénéficier de soins adéquates en vue du traitement de la maladie de Parkinson dont il souffrirait, et ce en raison du fait que sa demande de protection internationale avait été rejetée en France en 2024, de sorte que ses frais médicaux n’étaient plus pris en charge par la « Caisse primaire d’Assurance Maladie (équivalent de la CNS au Luxembourg) ». Il ne pourrait dès lors être valablement soutenu que la France serait un pays sûr pour les demandeurs de protection internationale au seul motif que ledit Etat membre avait ratifié les différentes conventions internationales interdisant les actes de traitement inhumain et dégradant. Il y existerait, au contraire, des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, le demandeur se référant à cet égard encore à un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge qui aurait conclu en mars 2024 à l’existence de défaillances systémiques dans le dispositif d’accueil des demandeurs de protection internationale en France.

Il ajoute encore que son état de santé serait instable et qu’il subirait un traitement médicamenteux, de sorte qu’il ne pourrait pas voyager, tout en réitérant, dans ce contexte, qu’il devrait encore subir des examens médicaux en juin et en juillet 2025, de sorte qu’un transfert vers la France nuirait gravement à son état de santé.

En deuxième lieu, le demandeur estime que la décision ministérielle litigieuse violerait l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », en se référant à ce sujet à un arrêt du 2 juillet 2020 de la CourEDH, dans l’affaire N.H. et autres c. France, pour faire valoir qu’il encourrait en cas de transfert vers la France un risque réel et sérieux d’y être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraire à l’article 3 de la CEDH.

Après avoir encore cité un extrait d’un arrêt de la CJUE du 16 février 2017, dans l’affaire C.K.H. A.S. c. Republika Slovenija, le demandeur avance que les défaillances systémiques seraient « de plus en plus présentes » en France, tout en réitérant que le Conseil du Contentieux des Etrangers belge aurait refusé le transfert d’un demandeur d’asile vers la 7France au motif qu’il y risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants, contraires à l’article 3 de la CEDH.

Il ajoute, dans ce contexte, que des « analyses statistiques » auraient permis de mettre en lumière les difficultés de la France à accueillir des réfugiés, tout en réitérant, à cet égard, qu’il aurait été « laissé à l’abandon » en France, sans logement, sans ressources et sans accès aux soins et qu’il ne pourrait pas voyager alors qu’il devrait subir des examens médicaux dans le cadre de sa pathologie. Il conclut, qu’au vu de ce qui précède, la décision déférée serait à réformer.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A) prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

En l’espèce, le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer Monsieur (A) vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait la France, en ce qu’il y avait introduit deux demandes de protection internationale les 8 octobre 2021 et 19 avril 2024 et que les autorités françaises ont accepté de le reprendre en charge en date du 21 mars 2025.

C’est, dès lors, a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers cet Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

En l’espèce, le demandeur, qui ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour traiter sa demande 8de protection internationale, voire les suites à y donner, invoque l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ainsi que, de manière plus générale, le risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, en cas de transfert.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande, sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale qui entraînent un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte - corollaire à l’article 3 CEDH -, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, non invoqué en l’espèce, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En ce qui concerne l’invocation par le demandeur de défaillances systémiques en France, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, une telle situation empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers cet Etat membre.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés 1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

9du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de protection internationale de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives6, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE7, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20178.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

6 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

7 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

8 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

1019 mars 20199 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine10. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant11.

En l’espèce, le demandeur remettant en question cette présomption du respect par la France des droits fondamentaux, puisqu’il fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en France, telle que décrite par lui, atteint le degré de gravité tel que requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et par les principes dégagés ci-avant, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.

En effet, le tribunal constate tout d’abord que le demandeur ne produit aucun élément probant, tel que des rapports d’organisations internationales, qui permettrait d’appuyer son argumentation fondée sur l’existence à l’heure actuelle, en France, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, qui atteindraient le seuil de gravité tel que décrit ci-avant.

S’il se dégage certes de l’article intitulé « Asile : une analyse statistique confirme les limites du système d’accueil », publié par l’association sans but lucratif Forum réfugiés le 11 juillet 2024 et contenant des données statistiques concernant l’accueil des demandeurs de protection internationale en France en 2023, que les autorités françaises connaissaient au cours de ladite année des problèmes quant à leur politique d’asile en ce sens que certains demandeurs de protection internationale y rencontraient des difficultés en termes de conditions d’accueil, il n’en reste pas moins qu’il ne s’en dégage pas qu’à l’heure actuelle, tout demandeur de protection internationale, quelle que soit sa situation, ne pourrait pas bénéficier de conditions matérielles d’accueil lui permettant de faire face à ses besoins les plus élémentaires en France, Monsieur (A) restant, d’ailleurs, en défaut de mettre d’une quelconque manière la documentation dont il se prévaut en relation avec sa situation personnelle de demandeur de 9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 Ibid., pt. 92.

11 Ibid., pt. 93.

11protection internationale débouté devant être transféré en France dans le cadre de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Le même constat s’impose en ce qui concerne l’invocation, sans autre discussion par le demandeur, d’un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belges de mars 2024 qui a suspendu à titre provisoire l’exécution d’une décision prise par les autorités belges à l’encontre d’un ressortissant de nationalité burundaise de le transférer vers la France sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Il a également lieu de relever que le demandeur n’invoque pas non plus une quelconque jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dénommé ci-après « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile française qui exposerait les demandeurs de protection internationale déboutés à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Ensuite, il ne se dégage plus particulièrement pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en France dans le cadre du traitement de ses demandes de protection internationale y introduites. Il ne se dégage pas non plus du dossier administratif qu’au cours du traitement de ses demandes, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

Dans ce contexte, le tribunal se doit de constater que lors de son entretien Dublin III, le demandeur n’a pas soutenu que les autorités françaises lui auraient refusé l’accès à la procédure d’asile ou aux conditions matérielles d’accueil. Il a, au contraire, déclaré, lors dudit entretien, avoir été logé en France dans un foyer en précisant, plus particulièrement, que ses problèmes relatifs à l’accès aux soins et au logement auraient commencé en janvier 2024, en raison du fait que « [s]a demande a été définitivement rejeté et ils [lui] ont tout coupé »12.

A supposer qu’à travers ses développements visant à dénoncer les conditions dans lesquelles il aurait été amené à loger en France, le demandeur ait entendu mettre en avant sa crainte de devoir vivre dans des conditions inhumaines et dégradantes en cas de transfert vers la France, force est de constater que cette crainte n’est sous-tendue par aucun élément tangible.

En effet, outre le fait que le tribunal vient de retenir ci-avant que le demandeur n’avait pas démontré que ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant, le demandeur n’a pas non plus pris position par rapport aux conditions de vie minimales auxquelles il pourrait prétendre en tant que demandeur de protection internationale débouté repris en charge par les autorités françaises sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ni fourni d’indices concordants permettant de retenir qu’en cas de transfert vers la France, il risquerait d’y être confronté à des difficultés d’accueil atteignant un degré de gravité tel qu’elles pourraient être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tels qu’interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.

A cet égard et concernant la question d’un accès éventuellement limité, voire 12 Page 6 de l’entretien Dublin III.

12impossible à des conditions d’accueil minimales des personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin III, il convient encore de préciser que la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »13. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale en France, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité. En cas de transfert vers la France, il devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office national de l’Accueil de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement ou ayant, tel que c’est le cas du demandeur, introduit une demande ultérieure 13 Considérant 25.

13après avoir déjà essuyé des refus définitifs à leurs demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Ainsi, même à admettre que la France ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne saurait s’analyser per se en un traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, d’une part, que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires françaises des conditions d’accueil qui serait contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et, d’autre part, à supposer qu’en cas de retour du demandeur dans ledit pays, il serait confronté à une limitation de l’accès aux conditions d’accueil, une telle limitation ne constitue pas per se une violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence.

La question litigieuse, en l’espèce, se pose dès lors davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.

Une telle approche est également retenue par le Conseil d’Etat français14: « le bénéfice [de l’accès à tout moment à un dispositif d’hébergement d’urgence] ne peut être revendiqué par l’étranger dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui a fait l’objet d’une mesure d’éloignement contre laquelle les voies de recours ont été épuisées qu’en cas de circonstances particulières faisant apparaître, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, une situation de détresse suffisamment grave pour faire obstacle à ce départ ».

Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait pas non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie15.

La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat16.

Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être, le cas échéant, exposée à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus 14 Voir par exemple Conseil d’Etat, 4 juillet 2013, n°369750.

15 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

16 CourEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.

14contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide français - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents français - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système français n’était pas conforme aux normes européennes.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour en France, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale déboutés, voire ceux ayant introduit une itérative demande après avoir été déboutés de précédentes demandes, ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en France, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, étant rappelé que la France est signataire de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève, ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable17.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement 17 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96.

15inhumain et dégradant19.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait toutefois constituer une violation des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt, de ce fait, un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de gravité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, telles que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé des intéressés20.

Or, force est de constater que mise à part l’affirmation vague et non autrement développée dans son recours suivant laquelle il n’aurait, en France, pas eu accès aux soins, il ne se dégage d’aucun élément concret soumis à l’appréciation du tribunal que personnellement et concrètement, les droits du demandeur n’auraient pas été respectés en France concernant l’accès à des soins de santé, étant relevé qu’il ressort, au contraire, des pièces versées en cause, et plus particulièrement d’une ordonnance médicale établie le 13 janvier 2025 par le docteur (E), spécialiste en neurologie à …, en France, que Monsieur (A) a consulté ledit médecin le même jour.

Il ne résulte, par ailleurs, d’aucun élément du dossier que le demandeur ait, à un moment donné, infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités françaises en raison de son état de santé, ce dernier ne versant pas non plus un quelconque élément de nature à établir des défaillances dans le système médical français, voire une impossibilité quelconque d’accès aux soins médicaux en France.

En ce qui concerne plus particulièrement l’état de santé de Monsieur (A), le tribunal est amené à relever, tout d’abord, qu’il ne se dégage pas de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017, précité, que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux 19 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

20 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

16offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »21.

Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] »22.

Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée.

La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de 21 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

22 Ibidem, point 96.

17l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.

Il appartient dès lors au tribunal, compte tenu des développements de Monsieur (A) à cet égard, de vérifier si son état de santé présente une gravité telle qu’il ne peut sérieusement être exclu que son transfert entraînerait pour lui un risque réel de traitements inhumains et dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH23.

A cet égard, il convient de relever que s’il se dégage certes d’un compte rendu médical établi le 27 mars 2025 par le docteur (D), médecin spécialiste en neurologie, que le demandeur est atteint de la maladie de Parkinson, il ne ressort cependant pas des pièces versées en l’espèce ni que l’état de santé de Monsieur (A) revêtirait une gravité telle que les autorités luxembourgeoises auraient dû prendre des précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante son état de santé, telles que, par exemple, l’obtention, de la part des autorités françaises, d’une confirmation que les soins indispensables seront disponibles à son arrivée, ni qu’un transfert vers la France entraînerait des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé ou encore que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la France. En effet, s’il se dégage (i) des ordonnances médicales émises les 21 février, 10 mars, 17 mars et 7 avril 2025 par le docteur (D) et de l’ordonnance médicale du 13 janvier 2025 émise par le docteur (E), que Monsieur (A) suit différents traitements médicaux - sans que lesdits traitements ne soient autrement discutés ou détailles en l’espèce -, (ii) d’une ordonnance émise le 21 février 2025 par le même médecin que le demandeur souffre de « Schmerzen mit Ausstrahlung in die Beine und Taubheitsgefühl am rechten Bein », (iii) d’une attestation médicale du 24 mars 2025 établie par le service de neurologie du Centre Hospitalier qu’une consultation avec le docteur (F) est fixée au 16 juillet 2025 et (iv) d’une attestation médicale du 5 mars 2025 établie par le service d’imagerie médicale des Hôpitaux … qu’un rendez-vous en vue d’un examen « IRM R. Lombaire » est fixé au 10 juin 2025, force est de constater qu’il ne ressort pas des prédits documents médicaux que l’état de santé de l’intéressé est incompatible avec un transfert vers la France.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé de Monsieur (A) lors de l’organisation de son transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables la concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Il convient, dans ce contexte, de rappeler que si le demandeur devait estimer que le système d’aide français était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement 23 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

18inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Au vu des développements faits ci-avant, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait, en cas de transfert vers la France, exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Eu égard aux considérations qui précèdent, l’argumentation du demandeur ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, en cas de transfert vers la France, est à rejeter dans son ensemble.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, vice-président, Caroline Weyland, premier juge.

Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 19 mai 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet 19


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 52754
Date de la décision : 19/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-19;52754 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award