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23/05/2025 | LUXEMBOURG | N°52857

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mai 2025, 52857


Tribunal administratif Numéro 52857 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52857 5e chambre Inscrit le 15 mai 2025 Audience publique du 23 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52857 du rôle et déposée le 15 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Ma

ître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de L...

Tribunal administratif Numéro 52857 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52857 5e chambre Inscrit le 15 mai 2025 Audience publique du 23 mai 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52857 du rôle et déposée le 15 mai 2025 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Sierra Leone) et être de nationalité sierra-léonaise, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 14 mai 2025 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 mai 2025.

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Le 1er juin 2021, Monsieur (A), connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 21 septembre 2022, notifiée le 13 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile refusa la demande de protection internationale de Monsieur (A) et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Le 15 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises reçurent une demande de reprise en charge de Monsieur (A) de la part de leurs homologues suédois sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le 1règlement Dublin III », suite au dépôt par Monsieur (A) d’une demande de protection internationale en Suède en date du 14 décembre 2022.

Le 23 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises acceptèrent ladite demande de reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

Le 27 février 2023, le demandeur introduisit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg, laquelle fut déclarée irrecevable par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 avril 2023 sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.

Le 12 mai 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision d’irrecevabilité du 27 avril 2023, duquel il fut débouté par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 mai 2023.

Il ressort du dossier administratif que deux courriers parvinrent au ministre de l’Immigration et de l’Asile en date des 14 août et 5 octobre 2023, par lesquels Monsieur (A) fit introduire une demande en obtention d’une autorisation de séjour temporaire en qualité de travailleur salarié.

Par décision du 13 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », entretemps en charge du dossier, déclara irrecevable ladite demande en obtention d’une autorisation de séjour temporaire sur le fondement de l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Par courrier daté du 30 décembre 2023, réceptionné le 2 janvier 2024 par les autorités compétentes, Monsieur (A) déposa un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 13 décembre 2023.

Par décision du 16 janvier 2024, le ministre rejeta ledit recours gracieux en confirmant sa décision du 13 décembre 2023.

Le 28 mars 2024, les autorités luxembourgeoises reçurent une demande de reprise en charge de Monsieur (A) de la part de leurs homologues français sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, suite au dépôt par Monsieur (A) d’une demande de protection internationale en France en date du 22 février 2024.

Le 3 avril 2024, les autorités luxembourgeoises acceptèrent ladite demande de reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.

Le 3 juillet 2024, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues français que le transfert de Monsieur (A) n’était pas nécessaire alors que celui-ci se trouvait déjà au Luxembourg.

Il ressort d’un transmis daté du 10 avril 2025 que le ministre s’adressa au commissariat d’Echternach pour demander à la police grand-ducale de se rendre à l’adresse L-… – renseignée aux termes dudit transmis comme étant celle de la « copine » de Monsieur (A), Madame (B) – afin d’informer les services ministériels si Monsieur (A) était présent à ladite adresse, et, le cas 2échéant, de retenir son passeport, de prendre ses empreintes et sa photo, ainsi que de lui notifier une décision d’interdiction de territoire et de le placer au Centre de rétention.

Par arrêté du 11 avril 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le 14 avril 2025, le ministre prononça à l’égard de Monsieur (A) une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen.

Par arrêté séparé du 11 avril 2025, également notifié à l’intéressé en mains propres le 14 avril 2025, le ministre ordonna le placement de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ladite décision étant basée sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la décision de retour du 21 septembre 2022, lui notifiée le 13 octobre 2022 ;

Vu ma décision du 13 décembre 2023, lui refusant une autorisation de séjour pour travailleur salarié;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ;

Considérant que l’intéressé s’est présenté au Ministère des Affaires intérieures en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine en date des 10 novembre 2023, 16 mai 2023 et 4 janvier 2024 ;

Considérant que l’intéressé n’est pas disposé à retourner volontairement dans son pays d’origine ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] » Par arrêté du 14 mai 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 11 avril 2025, notifié le 14 avril 2025, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 11 avril 2025 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

3Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 14 mai 2025.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre de citer certains des rétroactes exposés ci-avant, explique être de nationalité sierra-léonaise et vivre en situation irrégulière au Luxembourg depuis plusieurs années.

Il aurait régulièrement saisi les autorités ministérielles en vue d’une régularisation de sa situation administrative « par considération des nombreux éléments d’intégration qui ressort[irai]ent de son dossier administratif », parmi lesquels il nomme le fait qu’il vivrait depuis 2022 en communauté de vie avec Madame (B), qu’il aurait acquis une formation scolaire et professionnelle au Luxembourg et que de nombreux employeurs auraient été – et resteraient – disposés à l’embaucher.

Il soutient que, jusqu’au moment de son placement en rétention, il aurait vécu auprès de Madame (B) sans troubler l’ordre public. Il ajoute que ce serait au domicile de sa compagne que les forces de l’ordre l’auraient arrêté. Le demandeur fait par ailleurs référence à une attestation testimoniale, versée parmi ses pièces, que Madame (B) aurait établie en vue de marquer son accord à ce qu’il soit assigné à résidence au domicile de Madame (B), qui serait sis à L-… Le demandeur souligne qu’il aurait toujours collaboré avec les autorités et répondu aux convocations lui adressées pour organiser son retour volontaire dans son pays d’origine.

En droit, et après avoir cités les articles 120, paragraphes (1) et (3) et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, ainsi que l’article 15, paragraphe (1) et le considérant n° 16 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », le demandeur fait valoir que la légalité d’une mesure de rétention devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, ainsi que le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur ce premier critère et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives. En outre, le demandeur insiste que le dispositif d’éloignement devrait être exécuté avec toute la diligence requise.

Le demandeur déduit des dispositions des articles 111, paragraphe (3) et 34 de la loi du 29 août 2008 que le risque de fuite devrait s’apprécier au cas par cas, et que la présomption 4dudit risque serait réfragable et ne devrait être automatiquement retenue quelle que soit l’hypothèse expressément visée à l’article 111 de la loi du 29 août 2008.

Le demandeur ne conteste pas qu’il se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg et qu’il ne dispose d’aucun visa. En revanche, il considère qu’il aurait renversé la présomption d’un risque de fuite dans son chef au motif que « depuis 2023, respectivement son retour de Suède, il a[urait] séjourné de manière continue au Luxembourg en essayant de régulariser sa situation administrative par la saisine en ce sens des autorités ministérielles compétentes qui [auraient été] au demeurant parfaitement informées de sa communauté de vie avec la dame (B) et volonté sérieuse de régulariser sa situation administrative par considération de ses attaches au Luxembourg parmi lesquelles non seulement ladite communauté de vie avec sa compagne préqualifiée mais encore la possibilité pour lui de se voir engager sur la base d’un contrat de travail dès lors sa situation administrative régularisée sur cette base ».

En se fondant sur l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient qu’il aurait appartenu au ministre, eu égard au caractère subsidiaire qui serait attaché à la mesure de rétention, d’avoir recours à des mesures moins coercitives dans son cas, notamment à l’assignation à résidence, prévue au point b) dudit paragraphe, à l’adresse privée de Madame (B) soit à L-… Selon le demandeur, cette conclusion ne serait pas énervée par le fait qu’il ne disposerait pas d’adresse officielle au Luxembourg, alors qu’une telle condition ne serait pas requise dans le chef d’un étranger en situation irrégulière au Luxembourg – ni par l’article 125, paragraphe (1), point b) de la loi du 29 août 2008, qui prévoirait explicitement qu’une pluralité de lieux pourraient être pris en considération par le ministre, ni suivant l’application des dispositions visées audit article – mais uniquement dans le chef de la personne auprès de laquelle ledit étranger serait susceptible d’être assigné à résidence.

Le demandeur en conclut que la décision entreprise devrait encourir la réformation, et il demande au tribunal d’ordonner sa libération pure et simple sinon son assignation à résidence auprès de sa compagne à l’adresse précitée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En particulier, le délégué du gouvernement souligne que, contrairement aux dires du demandeur, celui-ci n’aurait pas répondu à chacune des convocations pour organiser son retour volontaire. Par ailleurs, il résulterait des déclarations du demandeur, recueillies par la police grand-ducale, qu’il ne serait pas prêt à quitter le territoire Luxembourgeois de manière volontaire. Le délégué du gouvernement ajoute que, contrairement à ce que ferait plaider le demandeur, ce dernier n’aurait pas séjourné de manière continue au Luxembourg depuis 2023, en tirant la conclusion que l’existence d’un risque de fuite serait suffisamment établie en son chef. En outre, le délégué du gouvernement soutient que l’assignation à résidence, sollicitée par le demandeur, ne saurait être envisagée en l’espèce alors que les éléments du dossier administratif traduiraient sa volonté manifeste de se maintenir sur le territoire luxembourgeois et de na pas donner suite à la décision d’éloignement vers la Sierra Leone. Par ailleurs, il existerait des doutes quant à la réalité et à la stabilité de la relation entre le demandeur et Madame (B).

5A l’audience publique des plaidoiries, le délégué du gouvernement a encore précisé qu’un entretien entre le demandeur et les autorités consulaires de la Sierra Leone, initialement prévu pour le 21 mai 2025, aurait été reporté au 27 mai 2025, ce qui serait sans impact sur les perspectives d’un éloignement du demandeur endéans les délais requis.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

6Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, une décision de retour ainsi qu’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans ayant été prises à son encontre respectivement les 21 septembre 2022 et 14 avril 2025, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, le concerné ne disposant en outre ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé à cet égard que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Le tribunal rappelle qu’afin de renverser la présomption du risque de fuite, il appartient au demandeur de lui soumettre des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

En l’espèce, le demandeur estime avoir renversé ladite présomption en faisant état d’un séjour prétendument continu au Luxembourg « depuis 2023, respectivement son retour de Suède », ainsi que de ses tentatives de régulariser sa situation administrative.

Le tribunal constate qu’au soutien de son recours, le demandeur verse en tant que pièces : (i) une attestation testimoniale datée du 30 avril 2025 de Madame (B), aux termes de laquelle celle-ci affirme « être en relation avec Monsieur (A). Depuis 2021 vivre avec lui en communauté de vie depuis 2022 », fait mention d’un projet de mariage qu’elle aurait eu avec le demandeur mais qui n’aurait pas pu être réalisé « pour des raisons administratives », et « marque [s]on accord pour que (A) soit assigné à [sa] r[é]siden[c]e au …L-…, le temps que soit organisé son éventuel retour vers le … » ; (ii) un certificat de scolarité du 7 octobre 2022 établi par le Lycée … pour l’année scolaire 2022/2023 ; (iii) un contrat d’apprentissage du 31 octobre 2022 auprès de la société anonyme (AA) SA d’une durée de deux ans commençant le 11 octobre 2022 ; et (iv) un courrier du 24 septembre 2023 par lequel un dénommé Monsieur (C) certifie, pour le compte de la société à responsabilité limitée (BB) SARL, qu’il serait « prêt à embaucher [le demandeur] en tant qu’apprenti adulte comme peintre-décorateur dans [s]on 7entreprise ».

Force est au tribunal de constater que l’argumentation du demandeur, ainsi que les pièces versées à l’appui de son recours, visent en substance à établir les attaches du demandeur au Luxembourg. Or, loin de renverser la présomption du risque de fuite présumé dans le chef du demandeur, de tels éléments d’intégration corroborent au contraire ledit risque, étant relevé que la notion de risque de fuite se définit dans ce contexte non comme le risque de quitter le Luxembourg, mais comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il ressort d’ailleurs du dossier administratif et notamment d’une « Note au dossier » datée du 5 janvier 2024, résumant l’entretien qu’il y a eu entre les services ministériels et le demandeur lors de son « rendez-vous de retour volontaire » du 4 janvier 2024, que le demandeur a indiqué « ne pas pouvoir retourner dans son pays d’origine, …, étant donné qu’il n’y a[urait] pas de famille » tout en déclarant que « s’il devait quitter le territoire, il préférerait rentrer chez son oncle au Maroc ».

Les éléments précités sont ainsi, non pas de nature à remettre en cause la présomption du risque de fuite qui existe dans le chef du demandeur aux termes de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008 précité, mais bien au contraire de nature à renforcer la conclusion quant à l’existence d’un risque de fuite dans son chef.

En conséquence, les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite sont à rejeter.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15 de la directive 2008/115, ainsi qu’au considérant n° 16 de ladite directive, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Or, une directive ne peut être directement appliquée et invoquée par un justiciable que si ses dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte1.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment d’une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale prévoit ce qui suit : « (1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

1 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 116 (2e volet) et les autres références y citées.

8 On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.

En l’espèce, le demandeur sollicite plus précisément une assignation à résidence à l’adresse L-…, qui serait celle de sa compagne, Madame (B).

2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 972 et les autres références y citées.

9S’il est vrai, comme le soutient le demandeur, que c’est à cette adresse que les forces de l’ordre ont pu l’appréhender en date du 14 avril 2025, avant son placement au Centre de rétention, et que Madame (B) a, aux termes de son attestation testimoniale du 30 avril 2025, marqué son accord « pour que [le demandeur] soit assigné à [sa] r[é]siden[c]e au L-…, le temps que soit organisé son éventuel retour vers le … », il n’en reste pas moins qu’une assignation à résidence à ladite adresse n’est pas envisageable en l’espèce alors que le demandeur ne justifie pas de garanties de représentation suffisantes qui seraient propres à prévenir le risque de fuite dans son chef. Or, le tribunal vient justement de retenir l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur, lequel est encore corroboré par le fait qu’il ressort du dossier administratif qu’en dépit de la communauté de vie avec Madame (B) – que le demandeur prétend avoir eue « [s]ans préjudice quant à une date plus précise […] depuis 2022 » – le demandeur a introduit une demande de protection internationale en Suède le 14 décembre 2022, ainsi qu’en France le 22 février 2024. Il ressort en outre d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », du 22 janvier 2025 que le demandeur, sous une identité différente, a déclaré aux forces de l’ordre résider à l’adresse « F-… » en France. En conséquence, le domicile de la compagne du demandeur ne saurait être considéré comme offrant des garanties de représentation suffisantes compte tenu de la volonté affichée du demandeur de bénéficier d’une protection internationale en Suède et en France. A défaut d’autres garanties de représentation offertes par le demandeur, comme notamment le versement d’une garantie financière de cinq mille euros, le tribunal est donc amené à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Ainsi, les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, à laquelle le demandeur a fait référence en particulier, ne sauraient être efficacement appliquées.

Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

En ce qui concerne les démarches entreprises par le ministre en vue de permettre l’éloignement du demandeur dans les meilleurs délais, le tribunal constate que par courrier daté du 17 avril 2025, les autorités ministérielles luxembourgeoises se sont adressées à l’Ambassade de la République de la … à Bruxelles pour demander aux autorités consulaires sierra-léonaises de confirmer l’identité du demandeur et de lui accorder un laissez-passer, en annexant à ladite demande une photo et un jeu d’emprunts digitaux du demandeur ainsi qu’une copie du certificat de naissance sierra-léonais dont il était en possession. Il ressort en outre du dossier administratif que, par courrier électronique du 8 mai 2025, les autorités luxembourgeoises ont recontacté les autorités consulaires sierra-léonaises pour s’enquérir auprès d’elles de l’état d’avancement du dossier, et que les autorités consulaires sierra-léonaises ont répondu le même jour pour proposer la tenue d’un entretien avec le demandeur en date du 21 mai 2025. Par un nouveau courrier électronique du 8 mai 2025, les autorités luxembourgeoises ont donné leur accord aux autorités consulaires sierra-léonaises pour la tenue d’un entretien en date du 21 mai 2025, en leur demandant des précisions quant aux modalités à prévoir.

Au vu des diligences ainsi accomplies par les autorités ministérielles luxembourgeoises, il échet de conclure que le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire, un constat qui n’est pas énervé par le report de l’entretien du 21 mai 2025 susvisé au 27 mai 2025, dont le délégué du gouvernement a informé le tribunal à l’audience publique des plaidoiries du 21 mai 2025.

10 Finalement, en ce qui concerne les chances pour l’éloignement du demandeur d’être mené à bien, le tribunal constate qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, et que bien au contraire le contact a pu être établi avec les autorités sierra-léonaises, lesquelles sont disposées à procéder à un entretien avec le demandeur en vue de son identification. Il n’est dès lors pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal conclut, en l’état actuel du dossier, qu’il ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision entreprise.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 mai 2025 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, premier juge, Georges GEDGEN, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mai 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 52857
Date de la décision : 23/05/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-05-23;52857 ?

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