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02/06/2025 | LUXEMBOURG | N°50296

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2025, 50296


Tribunal administratif N° 50296 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50296 2e chambre Inscrit le 5 avril 2024 Audience publique du 2 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50296 du rôle et déposée le 5 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Fatim-Zohra ZIANI, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 50296 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:50296 2e chambre Inscrit le 5 avril 2024 Audience publique du 2 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50296 du rôle et déposée le 5 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Fatim-Zohra ZIANI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 février 2024 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2024 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour du 10 juillet 2024 de Maître Naima EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de Monsieur (A), préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brian HERNANDEZ, en remplacement de Maître Naima EL HANDOUZ, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2025.

Le 26 juillet 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 25 janvier, 15 février et 29 mars 2023, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 28 février 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 4 mars 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2024, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 28 février 2024 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 28 février 2024, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose en substance les faits et rétroactes repris ci-avant.

En droit, il reproche, en premier lieu, au ministre d’avoir commis une erreur d’appréciation pour ne pas avoir pris clairement position sur les raisons l’ayant motivé à lui refuser l’octroi du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Il estime, qu’à la lecture de la décision déférée, le ministre se serait prononcé exclusivement sur la crédibilité de son récit, sans prendre position quant aux conditions d’octroi d’une protection internationale, de sorte que le ministre n’aurait pas motivé sa décision, et ce, en violation des articles 10 (2) et 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », aux termes desquels toute décision négative devrait être motivée en fait et en droit.

En deuxième lieu, après avoir rappelé, en substance, les raisons l’ayant poussé à quitter son pays d’origine, telles qu’exposées dans le cadre de ses entretiens auprès de la direction de l’Immigration et reprises par le ministre dans la décision litigieuse, le demandeur reproche au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de l’entièreté de son récit, malgré le fait qu’il ait répondu aux questions de l’agent ministériel de façon claire et détaillée.

A cet égard, il fait valoir, en ce qui concerne les doutes ministériels quant à son parcours professionnel au sein de … vénézuélienne, qu’il aurait pourtant remis une carte militaire, ainsi que des détails précis qu’il serait très difficile de fournir sans avoir intégré cette force armée.

Ainsi, concernant ses déclarations quant à … et ses … durant quatre années de service, il aurait justifié ses propos devant l’agent ministériel afin de clarifier la situation, de sorte que le ministre ne pourrait pas lui adresser des reproches à cet égard. Il ajoute que le fait que le nom de … soit en réalité « … », et non « … », ne pourrait être considéré comme une contradiction, étant donné que le « M » et le « N » ne seraient pas éloignés dans leur prononciation, le demandeur rappelant à cet égard que ses propos seraient, en outre, retransmis par un traducteur, ce qui augmenterait les risques de confusion. Quant à l’erreur sur le pays d’origine de construction de …, le demandeur estime que l’omission d’un tel détail ne serait pas étonnante. Il précise encore, à propos de la devise de … nationale, que le ministre n’aurait pas justifié ses propos et ses recherches à ce sujet et que l’agent ministériel en charge de ses entretiens n’aurait pas soulevé d’erreur dans ce sens. En effet, il explique que le slogan indiqué lors de ses entretiens serait celui prononcé avant de s’adresser à une personne supérieure en rang et qu’il n’existerait pas de devise de … nationale en tant que tel.

Par ailleurs, il souligne que la relecture organisée dans le cadre des auditions en relation avec la demande de protection internationale servirait à vérifier la conformité du contenu du procès-verbal établi par l’agent du ministère avec les déclarations du demandeur. De plus, le fait que ses entretiens se soient passés en présence d’un traducteur doublerait le risque d’une mauvaise compréhension ou de transcription de date. Or, cette étape de relecture aurait justement été instituée afin de vérifier et de prévenir une potentielle erreur humaine qui pourrait se produire aussi bien au niveau des interprètes que des agents ministériels. Il estime qu’il serait ainsi inéquitable, voire injustifié de prétendre à des incohérences sur une date ou des circonstances modifiées lors de la relecture, de sorte que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation et d’évaluation en contestant la crédibilité globale de son récit sur base de simples incohérences mineures, mais surtout corrigées lors de la relecture.

S’agissant du reproche du ministre ayant trait au fait qu’il n’aurait pas fourni assez de preuves pouvant appuyer ses déclarations, le demandeur fait remarquer que, selon les propres dires de la partie étatique, les analyses de ses documents n’auraient « pas donné de résultat », en raison de l’absence d’informations quant aux modalités d’impression, ce qui ne signifierait pas que lesdits documents fournis ne seraient pas authentiques, mais simplement que l’administration chargée de la vérification de leur authenticité ne détiendrait pas d’informations à ce sujet. Il poursuit en mettant en avant le problème auquel seraient confrontés les demandeurs de protection internationale, à savoir celui de ne pas détenir d’éléments de preuve lorsqu’ils quittent leur pays de manière précipitée et sans avoir préparé leur départ. Dans ce contexte, il souligne qu’en matière de protection internationale, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) insisterait sur l’exigence d’une coopération entre l’Etat et le demandeur dans le cadre de la collecte d’éléments pertinents permettant d’étayer sa demande de protection internationale pour ainsi déterminer la nécessité d’une telle protection. Il se réfère encore à deux jugements des 16 avril 2008, inscrit sous le numéro 23855 du rôle, et 16 juin 2020, inscrit sous le numéro 42664 du rôle, dans lesquels le tribunal administratif aurait retenu le bénéfice du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur insistant dans ce contexte sur le fait qu’il se serait efforcé d’étayer sa demande, de sorte qu’aucun manque de preuve pouvant justifier le refus d’une protection internationale ne pourrait être retenu en l’espèce.

Il se prévaut également d’une analyse juridique, intitulée « L’évaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », publiée en 2018 par le bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), à présent dénommé l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile (AUEA), pour conclure qu’au vu des évènements traumatisants qu’il aurait vécus dans son pays d’origine, les incohérences soulevées par le ministre ne suffiraient pas pour remettre en cause la crédibilité de son récit.

Enfin, après avoir pris position sur les motifs économiques invoqués par le ministre pour ne pas avoir déposé une demande de protection internationale en Espagne, notamment en précisant que son but aurait été de se rendre au Luxembourg, le demandeur conclut qu’il serait crédible, qu’il n’y aurait aucune incohérence ou contradiction majeure dans son récit et qu’il remplirait les conditions pour se voir octroyer une protection internationale.

En ce qui concerne le refus du statut de réfugié, le demandeur soutient que les conditions cumulatives pour y prétendre seraient remplies dans son chef. A cet égard, il relève que les menaces de le découper en « petits morceaux » qui auraient été proférées à son encontre seraient suffisamment graves au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et que ces dernières émaneraient de personnes qualifiées comme acteurs au sens de l’article 39 de la même loi, en ce qu’il s’agirait du gouvernement et de la police militaire. Il estime encore que l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015 trouverait application, dans la mesure où le ministre n’établirait pas à suffisance qu’il existerait de bonnes raisons de penser que de nouvelles persécutions ne se reproduiraient pas à son encontre en cas de retour au Venezuela.

Au vu de toutes ces considérations, le demandeur conclut que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation en rejetant sa demande de protection internationale, de sorte que la décision déférée serait à réformer et que le statut de réfugié devrait lui être accordé.

En ce qui concerne le refus du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir qu’il courrait, en cas de retour au Venezuela, un risque réel et élevé d’être victime d’atteintes graves à son intégrité physique et à sa vie au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015 et « des interdictions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme », en soutenant qu’il encourrait « d’ailleurs la mort, et c’est justement ce qui l’a poussé à quitter son pays ». Il en conclut qu’il devrait se voir accorder une protection subsidiaire sur le fondement de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé. Il insiste sur le fait que le demandeur n’aurait pas clarifié les incohérences de son récit telles que relevées par le ministre, de sorte qu’il ne serait pas crédible.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de la décision ministérielle sous analyse et plus particulièrement l’invocation d’une violation des articles 10 (2)1 et 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que le ministre se serait exclusivement prononcé sur la crédibilité du récit du demandeur, sans prendre position quant aux conditions d’octroi d’une protection internationale, il convient tout d’abord de relever que dans la présente matière le législateur a prévu un texte spécifique, 1Art. 10 (2) de la loi du 18 décembre 2015 « […] Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire.

[…] ».à savoir l’article 34 (1), de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilité de recours sont communiquées par écrit au demandeur […] », qui doit être considéré comme offrant au moins des garanties équivalentes à celles conférées par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et qui trouve dès lors application en l’espèce.

A cet égard, le tribunal constate que le ministre a analysé la situation de Monsieur (A) par rapport à son pays d’origine, le Venezuela, tout en ayant motivé sa décision de refus d’octroi d’un statut de protection internationale dans son chef par un défaut de crédibilité générale de son récit.

Il ressort, ainsi, de la décision ministérielle précitée que le ministre a pris position en détail sur les faits dont se prévaut le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, tels que ressortant de ses entretiens auprès du ministère, et a, pour chacun de ces faits, expliqué la raison pour laquelle il estime qu’ils ne sont pas crédibles, pour finalement retenir que la demande lui soumise est à considérer comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Dans la mesure où le ministre a exclu la crédibilité du récit du demandeur par rapport à son vécu au Venezuela et a ainsi retenu que les faits avancés ne sont pas établis, un examen de ces mêmes faits par rapport aux conditions d’octroi du statut de réfugié et du statut conféré par la protection subsidiaire, tel que requis par l’article 10 (2) de la loi du 18 décembre 2015, n’était, dans cette même logique, plus nécessaire.

Au vu de ces éléments, le moyen tenant à un défaut de motivation de la décision ministérielle litigieuse et à la violation de l’article 10 (2) de la loi du 18 décembre 2015 est à rejeter pour être non fondé, étant encore précisé que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé de celle-ci, lequel fera l’objet d’une analyse ci-après.

Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

6 (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Ensuite, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves2.

En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité du récit de Monsieur (A), notamment en ce qui concerne les éléments principaux de sa demande de protection internationale, à savoir (i) le fait qu’il aurait déserté … 2 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 142 et les autres références y citées.vénézuélienne et serait, pour cette raison, recherché par les autorités de son pays d’origine et (ii) son véritable rôle au sein de cette force armée, remettant ainsi en cause la crédibilité globale de son récit.

En premier lieu, le tribunal constate, concernant sa fuite du Venezuela, que le passeport du demandeur contient un tampon de sortie émis par les autorités de son pays d’origine en date du …. Cet élément remet ainsi en cause non seulement la chronologie des évènements tels que relatés par Monsieur (A), mais surtout le fait qu’il serait recherché par les autorités vénézuéliennes.

D’abord, concernant la chronologie de la fuite du demandeur de son pays d’origine, il échet de relever que ce dernier a indiqué avoir pris le chemin vers la Colombie en date du …3.

Il a ensuite déclaré être parti de chez lui le …4. Il a également affirmé avoir quitté son pays d’origine le …5 et être arrivé illégalement en Colombie le …6. Or, toutes ces affirmations sont contredites par le tampon figurant sur son passeport selon lequel il a légalement quitté son pays d’origine le …, ce qui jette un doute sérieux sur les déclarations de Monsieur (A).

Ensuite, ce tampon remet aussi en cause le fait qu’il soit recherché par les autorités vénézuéliennes, dans la mesure où s’il avait été considéré comme déserteur de … et recherché de ce fait à partir du …, tel que le demandeur le prétend, il n’aurait pu obtenir l’autorisation de sortie de son pays d’origine en date du …, que ce soit personnellement ou par le biais d’une tierce personne.

A cela s’ajoute que ses explications à ce sujet, selon lesquelles il aurait mandaté une tierce personne pour que celle-ci obtienne un tampon auprès des autorités vénézuéliennes afin de légaliser sa sortie du pays, pendant qu’il aurait été en train de traverser illégalement les frontières vénézuéliennes en passant par la jungle, manquent de convaincre le tribunal. En effet, outre le fait que lesdites explications sont floues, force est de constater que le demandeur reste muet, tant lors de ses auditions que dans le cadre de sa requête introductive d’instance, sur les raisons qui l’auraient motivé à traverser la jungle afin « d’éviter les postes de contrôle », tout en se procurant, en même temps, un tampon sur son passeport lui permettant de quitter son pays d’origine de manière légale.

Le tribunal rejoint, dans ce cadre, la partie étatique en ce qu’elle estime qu’une personne réellement recherchée par les autorités de son pays d’origine, qui craint d’être tuée par celles-

ci et qui réussit à traverser les frontières illégalement, ne chercherait pas à obtenir de tampon de sortie de la part de ces mêmes autorités sur son passeport pour légaliser son départ. A cela s’ajoute que le demandeur soutient lui-même que les autorités vénézuéliennes seraient si corrompues qu’elles légaliseraient facilement la sortie du pays d’une personne recherchée moyennant versement d’une somme d’argent7, ce qui n’explique toujours pas, au vu de ces affirmations, les raisons pour lesquelles il n’a pas personnellement traversé légalement les frontières et a préféré passer par la jungle en mandatant un ami pour qu’il fasse apposer un tampon de sortie sur son passeport. En conséquence, ces constats ébranlent d’ores et déjà significativement la crédibilité du récit du demandeur.

3 Page 2 du rapport d’audition.

4 Page 6 du rapport d’audition.

5 Page 2 de la fiche de données personnelles et page 5 du rapport d’audition.

6 Page 5 du rapport d’audition.

7 Pages 6 et 7 du rapport d’audition.En deuxième lieu, concernant les fonctions exercées dans …, le tribunal rejoint également sur ce point l’analyse étatique selon laquelle le demandeur a embelli son rôle dans cette force armée, en soutenant avoir été commandant … de 2010 à 2014, afin d’augmenter les chances de se voir octroyer une protection internationale. En effet, force est de constater qu’il ressort des documents versés par ce dernier, non traduits, mais dont le contenu fourni par la partie étatique n’a pas été remis en cause, notamment du document intitulé « … » du …, qu’il aurait été « … » à la « … », ce qui laisse supposer qu’il aurait fait partie du personnel auxiliaire …, remplissant ainsi des fonctions de soutien ou de rôle secondaire, et non pas de commandant, tel que prétendu. En outre, le document intitulé « … », rédigé le …, indique encore que le demandeur était, à cette date, un « … », traduit par la partie étatique comme « … », traduction n’ayant pas non plus fait l’objet de contestations de la part du demandeur, et qu’il aurait exercé la profession de « … », ce qui confirme qu’il n’aurait été ni commandant ni capitaine au 28 juin 2022. L’absence de clarification par ce dernier sur ces différents points ajoute au manque de crédibilité des fonctions qu’il aurait prétendument exercées.

Par ailleurs, face aux recherches documentées du ministre selon lesquelles … il aurait été commandant de 2010 à 2014 …8, les explications du demandeur selon lesquelles « … […] »9, ne convainquent guère. De même, ses explications suivant lesquelles le slogan de … serait inexistant, que … il aurait officié le changerait régulièrement, que la construction de … aurait été réalisée par des compagnies allemandes et américaines, que les pièces de rechange … seraient américaines et que … vénézuélienne disposerait de … sont contredites par les recherches ministérielles qui démontrent que … et … ont des slogans propres, que la construction de celle-ci a été réalisée par une compagnie italienne, que les pièces de rechange ne peuvent être américaines dans la mesure où il existe une interdiction de la part des Etats-

Unis depuis 2006 d’exporter de telles pièces vers le Venezuela, et que … dispose de …. Le demandeur n’apportant aucun élément permettant de faire douter de la véracité des informations fournies par le ministre, la crédibilité de son récit est indubitablement ébranlée.

Eu égard à ces seules constatations, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 pour pouvoir se prévaloir du bénéfice du doute sans avoir à étayer ses dires par des éléments probants, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que le récit de Monsieur (A) doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre. En effet, les confusions de son récit ne portent pas sur « de simples incohérences mineurs », tel que le demandeur le soutient dans sa requête introductive d’instance.

Le tribunal constate, d’ailleurs, à ce propos, que Monsieur (A) ne fournit aucune pièce ou document corroborant ses dires ou contredisant les affirmations et les informations de la partie étatique, et ce malgré le fait qu’il ait informé l’agent en charge de ses entretiens qu’il avait reçu des menaces sur son téléphone et qu’il devait le faire réparer afin de récupérer son contenu10, qu’il voulait verser des photos11 et qu’il ait affirmé avoir des contacts avec sa mère après son arrivée en Europe12.

8 Page 14 du rapport d’audition.

9 Page 19 du rapport d’audition.

10 Page 10 du rapport d’audition.

11 Page 20 du rapport d’audition.

12 Page 8 du rapport d’audition.Par ailleurs, s’il soutient avoir vécu des évènements traumatisants et que les troubles en découlant justifieraient le manque de cohérence de certains points de son récit, force est au tribunal de constater qu’il n’explique nullement quels seraient ces évènements traumatisants ni ne fournit-il un certificat médical constatant les troubles psychologiques allégués.

Partant, au vu des éléments qui précèdent et des nombreuses incohérences et contradictions, le tribunal retient, au vu de l’absence de prise de position circonstanciée de la part du demandeur dans le cadre de la requête introductive d’instance sur les points de crédibilité soulevés par le ministre, que le récit de Monsieur (A) en relation avec son prétendu vécu au Venezuela sur lequel se fonde sa demande de protection internationale, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à emporter sa conviction.

Pour ce qui est ensuite de la situation sécuritaire générale au Venezuela, seul aspect non impacté par le manque de crédibilité du récit de Monsieur (A), il y a lieu de relever qu’à défaut de prise de position précise de ce dernier à cet égard, celui-ci se limitant, en effet, à invoquer l’état général du pays et les « mauvaises conditions humanitaires » qui y règneraient, le tribunal n’est pas en mesure de pouvoir procéder à l’examen de la situation sécuritaire au Venezuela afin d’apprécier si celle-ci répond le cas échéant aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, disposition d’ailleurs non invoquée par le demandeur.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le ministre a, à bon droit, refusé d’octroyer une protection internationale à Monsieur (A), de sorte que le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique à l’appui de ce volet de la décision ministérielle litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal a conclu ci-avant que l’intéressé n’a pas fait état d’une crainte fondée de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, alors que ses déclarations faites auprès du ministère ne sont pas crédibles et qu’il ne saurait en conséquence prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le tribunal ne saurait actuellement se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Il s’ensuit que le recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 février 2024 portant rejet d’une protection internationale ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette décision ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 février 2024 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette décision ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Caroline Weyland, premier juge, Melvin Roth, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 2 juin 2025 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50296
Date de la décision : 02/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-02;50296 ?

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