Tribunal administratif N° 52673a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52673a 1re chambre Inscrit le 8 avril 2025 Audience publique du 2 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 52673 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2025 par la société à responsabilité limitée ETUDE SADLER SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1611 Luxembourg, 9, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B275043, représentée aux fins de la présente instance par Maître Noémie SADLER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), né le … à … (Erythrée), et de son épouse, Madame (A2), née le … à … (Erythrée), agissant au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs (A3) et (A4), nés le … à …, tous de nationalité érythréenne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 mars 2025 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale desdits enfants mineurs dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à ces demandes de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2025 ;
Vu le jugement du 28 avril 2025, inscrit sous le numéro 52673 du rôle, rendu par le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Max LENERS, en remplacement de Maître Noémie SADLER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 mai 2025.
Le 7 novembre 2024, Monsieur (A1) et son épouse, Madame (A2), ci-après désignés par « les (A) », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, les (A) furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section 1 criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion qu’ils avaient introduit des demandes de protection internationale en Grèce en date du 23 septembre 2024.
Le 7 janvier 2025, à la suite de deux demandes d’information leur adressées par les autorités luxembourgeoises le 14 novembre 2024 sur base de l’article 34 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », les autorités grecques informèrent leurs homologues luxembourgeois du fait que le statut de réfugié avait été accordé en Grèce aux (A) le 27 septembre 2024 et qu’ils étaient chacun titulaire d’un permis de séjour valable du 27 septembre 2024 au 26 septembre 2027, ainsi que d’un document de voyage valable du 8 octobre 2024 au 7 octobre 2029.
Le 8 janvier 2025, les (A) introduisirent auprès du ministère des demandes de protection internationale au nom de leurs enfants mineurs (A3) et (A4), nés le 6 décembre 2024 à Luxembourg.
Le 21 janvier 2025, les (A) furent entendus séparément par un agent du ministère, d’une part, sur la recevabilité de leurs propres demandes de protection internationale et, d’autre part, sur la situation de leurs enfants (A3) et (A4) et les motifs gisant à la base des demandes de protection internationale de ces derniers.
Par décision du 20 mars 2025, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa les (A) que leurs demandes de protection internationale avaient été déclarées irrecevables en application des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils étaient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce.
Par décision séparée du même jour, notifiée aux intéressés par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa les (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que lesdites demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en ordonnant aux enfants de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à destination de tout pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner, sauf l’Erythrée.
Cette décision est libellée comme suit :
« […] En date du 7 novembre 2024 vous avez introduit des demandes de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») pour le compte de vos deux enfants, les jumeaux (A3) et (A4), tous les deux nés le … … au Luxembourg, de nationalité érythréenne.
2 Je tiens à vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes introduites pour le compte de vos deux fils mineurs (A3) et (A4) pour les raisons énoncées ci-après.
Avant tout autre développement, Madame, Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous avez également introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg à la même date. Il ressort ensuite dudit dossier administratif que vous aviez déjà introduit des demandes de protection internationale en Grèce le 23 septembre 2024 et que les autorités grecques vous ont octroyer le statut de réfugié en date du 27 septembre 2024. De plus, il se dégage des informations disponibles que vous vous êtes vus délivrer tous les deux un titre de séjour grec le 27 septembre 2024, valable jusqu’au 26 septembre 2027, et un titre de voyage pour réfugié grec le 8 octobre 2024, valable jusqu’au 7 octobre 2029.
Par conséquent, vos demandes de protection internationale ont été déclarées irrecevables en date du 13 mars 2025 par une décision ministérielle séparée, puisque des protections internationales vous ont déjà été accordées par un autre Etat membre, à savoir la Grèce.
1. Quant à vos déclarations concernant vos deux fils mineurs Il ressort des deux entretiens ministériels du 21 janvier 2025, relatifs à la demande de protection internationale de vos fils, qu’ils sont tous les deux nés le 6 décembre 2024 à Luxembourg-ville au Luxembourg, de nationalité érythréenne.
Madame, Monsieur, à la base des demandes de protection internationale de vos deux fils, vous avez expliqué que vous courriez un risque d’emprisonnement en cas de retour dans votre pays d’origine, et vous craignez que vos enfants soient également incarcérés à vos côtés. Vous avez précisé que la durée de cette détention serait incertaine et que les conditions de celle-ci seraient particulièrement précaires, sans accès à la nourriture, à l’hygiène ni aux soins médicaux nécessaires. De plus, même si vos enfants étaient libérés, ils seraient contraints d’effectuer un service militaire à durée indéterminée. Vous avez également exprimé le souhait de rester au Luxembourg avec vos enfants afin qu’ils puissent bénéficier d’une éducation et, plus largement d’une « une meilleure vie ». Vous déplorez le fait de ne pas avoir trouvé de travail en Grèce alors que pour « élever les enfants, il nous faut du capital » (p.2/6 du rapport d’entretien).
À l’appui des demandes de protection internationale de vos deux fils, vous présentez leur acte de naissance respectif.
2. Quant à l’application de la procédure accélérée Je tiens tout d’abord à vous informer que conformément à l’article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé des demandes de protection internationale de vos fils dans le cadre d’une procédure accélérée alors qu’il apparaît que leurs demandes de protection internationale tombent sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
« a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » 3 Tel qu’il ressort de l’analyse des demandes de protection internationale de vos fils ci-dessous développée, il s’avère que le point a) de l’article 27 de La Loi de 2015 se trouve être d’application pour les raisons étayées ci-après.
3. Quant à la motivation du refus des demandes de protection internationale de vos deux fils Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, la protection internationale se définit comme le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Force est d’emblée de constater que vos deux fils sont nés au Luxembourg et n’ont donc jamais vécu en Erythrée, de sorte qu’ils n’ont jamais personnellement et concrètement subi des problèmes dans ce pays.
Leur situation ne peut dont pas être comparée directement à la vôtre, car ils n’ont jamais vécu les conditions qui pourraient justifier une protection internationale.
Ensuite, Madame, Monsieur, bien que vous fassiez valoir que vous courriez un risque d’emprisonnement en cas de retour en Erythrée en raison de votre départ illégal du pays, et pour avoir déserté de votre service national, Monsieur, vos explications concernant la situation de vos enfants sont restées vagues.
Vous avez mentionné que vos enfants pourraient être incarcérés avec vous, mais vous n’avez pas fourni de détails concrets ou de preuves pour étayer cette affirmation. En effet, vous n’indiquez pas de manière précise pour quelles raisons vos enfants, qui n’ont donc jamais vécu en Erythrée, seraient également concernés par cette peine, alors même que les faits qui vous seraient reprochés par les autorités érythréennes ne peuvent leur être imputés. Il n’est donc pas clair en quoi leur situation serait inévitablement liée à la vôtre de manière aussi directe.
4 Ainsi, les craintes que vous avancez vis-vis de vos enfants doivent être considérées comme étant totalement hypothétiques. Or, des craintes hypothétiques, voire un sentiment général d’insécurité, ne sauraient évidemment pas justifier l’octroi du statut de réfugié.
Il est également indéniable que votre arrivée au Luxembourg, et par extension les introductions de demandes de protection internationale pour le compte de vos enfants, repose sur des motifs économiques et de convenance personnelle alors que vous vous étiez déjà tous les deux vus octroyer une protection internationale en Grèce. Entre-autres, vous déclarez vouloir accéder à une meilleure qualité de vie et garantir à vos enfants un accès à l’éducation. Or, de telles motivations ne sauraient suffire pour justifier l’octroi du statut de réfugié.
Ce constat vaut d’autant plus qu’il convient de rappeler que l’analyse d’une demande en octroi du statut de réfugié se fait par définition par rapport au risque du demandeur d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine. Or, dans la mesure où vous, en tant que parents et personnes responsables de (A3) et (A4), vous disposez tous les deux d’une protection internationale en Grèce, vos enfants ne seront jamais éloignés en Erythrée. Le risque de persécution est par conséquent inexistant dans leurs chefs.
Partant, le statut de réfugié n’est pas accordé à vos deux fils mineurs.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Or, et tout en renvoyant aux arguments développés précédemment, il échet de relever que les craintes que vous avancez dans le chef de vos deux fils mineurs sont à considérer comme étant totalement hypothétiques, de sorte qu’elles ne sauraient justifier l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. Il convient également de relever que le seul fait de ne pas avoir de droits et de ne plus avoir aucun point d’attache dans votre, respectivement, leurs pays d’origine, ne saurait également pas suffire pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.
5 Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire n’est pas accordé à vos deux fils mineurs.
Les demandes en obtention d’une protection internationale pour vos deux fils mineurs sont dès lors refusées comme manifestement non fondées.
Suivant les dispositions de l’article 34 (2) de la Loi de 2015, ils sont dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de tout pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner sauf l’Erythrée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2025, inscrite sous le numéro 52672 du rôle, les (A) firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 mars 2025 ayant déclaré irrecevables leurs demandes de protection internationale.
Par requête séparée, déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 52673 du rôle, les (A), agissant au nom et pour le compte de leurs enfants (A3) et (A4), firent encore introduire un recours tendant à la réformation (i) de la décision du ministre du 20 mars 2025 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale de ces derniers dans le cadre d’une procédure accélérée, (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit auxdites demandes de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
En application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif a, par jugement rendu le 28 avril 2025, inscrit sous le numéro 52673 du rôle, jugé que le recours n’est pas manifestement infondé, et a renvoyé l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution – les obiter dicta – ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.1 En vertu de ce principe, le tribunal ne tranchera plus ce qui a d’ores et déjà été jugé par le vice-président au tribunal administratif siégeant comme juge unique dans son jugement, précité, du 28 avril 2025.
Dans ce contexte, le tribunal relève que la recevabilité des recours a été tranchée par le jugement susmentionné du 28 avril 2025 et ne sera, dès lors, plus réexaminée.
Il convient ensuite de constater qu’il se dégage des enseignements de la Cour administrative que : « La Cour estime qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Il est évident qu’en cas d’un débouté de pareille demande, le juge unique doit rejeter tous les moyens présentés par le demandeur. Si, par contre, il estime que le recours n’est 1 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p.759.
6 pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. ».2 Il s’ensuit que le tribunal n’examinera plus la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale des enfants (A3) et (A4) dans le cadre d’une procédure accélérée et limitera par conséquent son analyse au fond du litige, à savoir le rejet de leurs demandes de protection internationale dans son double volet, ainsi que l’ordre de quitter le territoire.
1) Quant au recours visant la décision du ministre du 20 mars 2025 portant refus d’une protection internationale Prétentions et moyens des parties A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Plus particulièrement, ils expliquent qu’après s’être vu accorder le statut de réfugié par les autorités grecques, ils se seraient rapidement rendus compte du fait que cette protection ne serait que théorique et que leurs droits fondamentaux seraient bafoués en Grèce. En effet, malgré le fait que Madame (A2) aurait été enceinte au dernier trimestre, ils se seraient retrouvés à la rue, sans possibilité d’intégrer un foyer pour réfugiés. Or, sans adresse fixe, ils n’auraient eu accès à aucun soin médical, de sorte que la demanderesse n’aurait bénéficié d’aucune prise en charge gynécologique au cours de sa grossesse. Dès lors, afin de garantir la survie de leurs enfants à naître, ils se seraient rendus au Luxembourg, où ils auraient déposé des demandes de protection internationale le 7 novembre 2024.
En droit, ils reprochent au ministre d’avoir violé l’article 16 de la loi du 18 décembre 2015, au motif, en substance, qu’ils n’auraient pas été mis en mesure d’expliquer d’éventuelles lacunes et contradictions dans leurs récits. En se prévalant d’un document de l’European Asylum Support Office (EASO), à présent dénommé European Union Agency for Asylum (EUAA), intitulé « EASO Practical Guide : Personal interview », ils soutiennent que si le ministre avait estimé que leurs déclarations seraient restées trop vagues, il lui aurait appartenu de les inviter à fournir de plus amples informations sur la situation des enfants de déserteurs du service militaire en Erythrée, sinon sur celle des enfants érythréens nés à l’étranger qui retourneraient dans leur pays d’origine.
En outre, les demandeurs réfutent l’argumentation ministérielle selon laquelle les enfants (A3) et (A4) ne courraient pas de risque réel de subir des actes de persécution dans leur pays d’origine, au motif qu’ils ne seraient pas susceptibles de retourner dans ce pays, alors que leurs parents seraient bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce.
En se prévalant d’un document de l’EUAA intitulé « EASO Practical Guide : Qualification for international protection », ainsi que d’un jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2017, portant le numéro 39046 du rôle, ils font valoir que la question de savoir si un demandeur de protection internationale, en cas de refus de sa demande, retourne dans son pays d’origine ou dans un autre pays ne serait pas pertinente dans le cadre de l’analyse du risque de persécution qu’il encourrait dans son pays d’origine. Ainsi, l’existence d’un tel 2 Cour adm., 11 février 2020, n° 43796C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
7 risque ne pourrait être écartée dans le chef d’un demandeur de protection internationale au seul motif qu’il ne serait a priori pas contraint de retourner dans ledit pays, alors qu’il posséderait un droit de résidence dans un autre pays. Ils en déduisent qu’en l’espèce, l’existence, dans le chef des enfants (A3) et (A4), d’un risque de persécution devrait s’analyser par rapport à l’Erythrée, sans avoir égard à la question de savoir s’ils sont éloignés, le cas échéant, vers la Grèce ou vers leur pays d’origine. Ils ajoutent, dans ce contexte, que les enfants (A3) et (A4) n’auraient aucun droit de séjour en Grèce, de sorte que l’affirmation du ministre selon laquelle ces derniers ne seraient pas éloignés vers l’Erythrée équivaudrait à une simple spéculation.
Les demandeurs reprochent encore au ministre d’avoir violé le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré par l’article 3 (1) de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la CIDE », l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et l’article 15 de la Constitution.
A cet égard, ils font valoir que refuser une analyse approfondie des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) au seul motif qu’ils seraient a priori susceptibles d’accompagner leurs parents en Grèce semblerait contraire à leur intérêt supérieur.
En effet, en cas de décès de leurs parents avant leur majorité ou en cas de placement, ils pourraient être éloignés vers l’Erythrée, alors que, selon le ministre, ils n’y courraient aucun risque de persécution. Il serait indéniablement dans l’intérêt supérieur des enfants (A3) et (A4) que leurs demandes de protection internationale seraient analysées indépendamment de celles de leurs parents, en tenant compte de leur pays d’origine et non pas du pays où leurs parents disposeraient d’un droit de séjour. En se prévalant d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 25 juin 2020, affaire MOUSTAHI c. France, requête n° 9347/14, ils soulignent qu’il serait contraire à l’intérêt supérieur d’un enfant de rattacher sa situation, de façon arbitraire, à celle d’un ou de plusieurs adultes responsables de sa personne, dans le seul but de procéder à son éloignement du territoire. Or, ce serait précisément ce que le ministre aurait fait en l’espèce, en retenant que les enfants (A3) et (A4) ne courraient pas de risque de persécution en Erythrée, en raison du statut de bénéficiaires d’une protection internationale de leurs parents en Grèce, pour ensuite pouvoir procéder à l’éloignement de ces enfants vers la Grèce, sinon vers tout pays autre que l’Erythrée.
Les demandeurs continuent, en expliquant qu’il se dégagerait de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») que le fait que les parents des enfants (A3) et (A4) se seraient vu accorder le statut de réfugié en Grèce devrait être pris en compte pour admettre que ceux-ci auraient apporté aux autorités grecques des éléments démontrant l’existence, dans leur chef, d’un risque de subir des actes de persécution en Erythrée.
Dans ce contexte, ils se prévalent plus particulièrement d’un arrêt de la CJUE du 18 juin 2024, QY c. Bundesrepublik Deutschland, C-753/22, pour soutenir que dans le cadre d’une demande de protection internationale présentée par une personne ayant déjà le statut de bénéficiaire d’une telle protection dans un autre pays, l’Etat saisi de cette demande ne pourrait ni accueillir, ni refuser la demande au seul motif que la personne concernée posséderait un statut dans un autre pays. Ainsi, pour déterminer le risque de persécution encouru par un demandeur d’asile, le simple fait qu’il bénéficie déjà d’une protection internationale ne serait pas pertinent.
Il incomberait cependant à l’Etat saisi de la deuxième demande de protection internationale de la personne concernée de se renseigner auprès de l’Etat ayant accordé à celle-ci un statut de protection internationale sur les raisons de l’octroi dudit statut.
8 Il serait certes exact que le cas de l’espèce différerait de celui ayant donné lieu à cet arrêt de la CJUE, étant donné que ce ne seraient pas les enfants (A3) et (A4) qui seraient bénéficiaires d’une protection internationale, mais leurs parents.
Il n’en resterait pas moins qu’il se dégagerait d’un arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018, Ahmedbekova c. Zamestnik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite, C-652/16, que le fait qu’en l’espèce, deux membres de la famille immédiate des enfants (A3) et (A4) seraient exposés à des risques de subir des actes de persécution dans leur pays d’origine augmenterait le risque pour ces derniers de se trouver, eux-aussi, dans une situation vulnérable.
Les demandeurs demandent, dans ce contexte, de voir poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’article 4 de la directive Qualification et l’article 33 de la directive Procédures, lus en combinaison avec les articles 18 et 24 de la Charte des droits fondamentaux et la jurisprudence C-652/16 Ahmedbkova, doivent-ils être interprétés en ce sens que la circonstance qu’un enfant demandeur de protection internationale a sa famille bénéficiaire de la protection internationale dans un autre Etat membre doit être prise en compte lors de l’examen au fond du risque de persécution, sinon du risque d’atteintes graves dans le pays d’origine :
1) pour écarter un risque de persécution sinon d’atteintes graves au motif que l’enfant ne retournera pas dans son pays d’origine 2) pour étayer le risque de persécution sinon d’atteintes graves dans le chef de l’enfant? ».
S’agissant du statut de réfugié, les demandeurs citent des extraits d’un rapport du ministère des affaires étrangères néerlandais de décembre 2023, intitulé « General Country of Origin Information Report on Eritrea », et soutiennent que les enfants (A3) et (A4) seraient des mineurs et des membres de famille de personnes ayant déserté le service militaire et quitté l’Erythrée de façon clandestine. Ils ajoutent qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, (A3) et (A4) seraient considérés comme des « returnees » et qu’ils présenteraient une vulnérabilité particulière en leur qualité d’enfants. De plus, l’absence de structures adéquates et la privation de soins pour les « returnees » et les enfants constitueraient une menace mortelle pour (A3) et (A4), qui, en tant que nourrissons, nécessiteraient des soins réguliers.
Les demandeurs reprochent, dans ce contexte, au ministre d’avoir fait une application contra legem des dispositions normatives pertinentes, dont notamment l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, en rejetant les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4) au motif que ceux-ci n’auraient jamais vécu en Erythrée, de sorte à ne jamais avoir été personnellement victimes d’actes de persécution. En effet, il se dégagerait de cette disposition légale que le vécu personnel du demandeur ne serait pas déterminant à lui seul pour apprécier le bien-fondé de sa demande tendant à l’octroi du statut de réfugié.
Etant donné que dans leur pays d’origine, les enfants (A3) et (A4) risqueraient de subir des actes d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution en raison de leur appartenance à deux groupes sociaux, à savoir les membres de famille de déserteurs et les « returnees », il y aurait lieu, par réformation de la décision déférée, de leur accorder le statut de réfugié.
Par ailleurs, les demandeurs soutiennent, en substance, que pour les mêmes motifs que ceux développés à l’appui de leur demande tendant à l’octroi, aux enfants (A3) et (A4), du statut de réfugié, ces derniers rempliraient les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, alors que dans leur pays d’origine, ils seraient exposés à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.
9 Dans ce contexte, les demandeurs insistent sur le fait qu’au cours de leurs auditions respectives, ils auraient expliqué qu’en Erythrée, leurs enfants risqueraient d’être emprisonnés. Or, l’emprisonnent d’un nourrisson serait indéniablement un traitement contraire à sa dignité humaine, les demandeurs soulignant que dans leur pays d’origine, les conditions de vie dans les prisons seraient désastreuses et que les prisonniers seraient régulièrement torturés.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il soutient que ce serait à tort que les demandeurs concluraient à une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’ils n’auraient pas été mis en mesure d’expliquer d’éventuelles lacunes ou contradictions dans leurs récits. En effet, lors de leurs auditions respectives, les (A) auraient eu l’occasion de développer les motifs gisant à la base des demandes de protection internationale de leurs enfants de manière aussi détaillée que possible et, à la fin des entretiens menés, l’agent ministériel en charge de leurs auditions leur aurait même encore précisément demandé s’ils désiraient « […] ajouter quelque chose, sur n’importe quel sujet, qu’on aurait omis ou négligé de [leur] demander ? […] », question à laquelle les intéressés auraient répondu par la négative. Ainsi, les demandeurs seraient malvenus de critiquer le travail dudit agent et les questions posées par ce dernier, alors qu’il aurait appartenu aux (A) de détailler plus amplement les motifs gisant à la base des demandes d’asile des enfants (A3) et (A4), respectivement à leur litismandataire de poser des questions pertinentes en cas de besoin. En se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 18 janvier 2022, portant le numéro 46644C du rôle, le représentant étatique conclut que le moyen tiré de la violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 devrait encourir le rejet, tout en soulignant que contrairement à l’argumentation des demandeurs, l’agent ministériel ayant procédé à leurs auditions aurait respecté tant les dispositions pertinentes de la loi du 18 décembre 2015 que les recommandations découlant du susdit document initulé « EASO Practical Guide : Personal interview ».
S’agissant du statut de réfugié, le délégué du gouvernement fait valoir que ce serait à bon droit que le ministre aurait retenu que les enfants (A3) et (A4) ne rempliraient pas les critères d’octroi de ce statut. A cet égard, il reprend l’argumentation développée sur ce point dans la décision ministérielle déférée, citée in extenso ci-avant.
Il réfute dans ce contexte l’argumentation des demandeurs selon laquelle les enfants (A3) et (A4) encourraient, en Erythrée, un risque réel de subir des actes de persécution en raison de leur appartenance au groupe social des membres de famille de déserteurs et à celui des « returnees ». A cet égard, il soutient, en substance, qu’il ne serait pas établi que les craintes invoquées par les demandeurs seraient rattachables à l’appartenance des enfants (A3) et (A4) à un groupe social répondant à la définition de la notion afférente, telle qu’inscrite à l’article 43 (1) d) de la loi du 18 décembre 2015. En effet, il ne serait pas établi que ces derniers appartiendraient à un groupe social ayant une identité innée et immuable, ni qu’ils seraient perçus comme étant différents par la société environnante.
De même, le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’argumentation des demandeurs ayant trait à une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au motif qu’en cas de décès des parents des enfants (A3) et (A4) avant leur majorité ou en cas de placement, ces derniers pourraient être éloignés vers l’Erythrée. A cet égard, il soutient que l’argumentation en question serait purement hypothétique et que dans la mesure où les (A) seraient bénéficiaires du statut de réfugié en Grèce, il serait évident qu’ils pourraient régulariser la situation de leurs enfants afin qu’ils soient également protégés. Il ajoute qu’un éventuel décès des parents ou un hypothétique placement des enfants n’entraîneraient pas automatiquement 10 l’éloignement de ces derniers vers leur pays d’origine. Par ailleurs, le choix des (A) de ne pas attendre la fin de la grossesse de la demanderesse en Grèce et de venir au Luxembourg quelques jours seulement après avoir reçu leurs titres de voyage grecs constituerait une démarche délibérée effectuée dans l’unique but de choisir un pays qu’ils considéreraient comme offrant de meilleures conditions économiques, ce qui ressortirait de leurs propres déclarations. Or, une telle attitude ne saurait être acceptée, car elle relèverait du « forum shopping ».
En tout état de cause, l’intérêt supérieur des enfants (A3) et (A4) aurait bien été respecté par le ministre, étant donné qu’il ne serait nullement question de séparer ceux-ci de leurs parents, ni de les éloigner en Erythrée. Il serait, en effet, dans l’intérêt supérieur des enfants de vivre ensemble avec leurs parents dans un Etat où leur situation administrative pourrait être régularisée.
Ainsi, ce serait à juste titre que le ministre aurait refusé d’accorder aux enfants (A3) et (A4) le statut de réfugié.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement réitère l’argumentation ayant conduit le ministre à refuser d’accorder ce statut aux enfants des (A), telle que figurant dans la décision ministérielle déférée, citée in extenso ci-avant.
Le représentant étatique ajoute que dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs n’auraient fourni aucun élément concret pour étayer leur argumentation ayant trait à l’existence, dans le chef des enfants (A3) et (A4), d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en Erythrée, tout en insistant sur le fait qu’un tel risque n’existerait pas en l’espèce, étant donné que les enfants ne seraient pas éloignés vers l’Erythrée, puisque leurs parents bénéficieraient d’une protection internationale en Grèce.
Les demandeurs ne sauraient, dès lors, valablement prétendre à l’octroi, aux enfants (A3) et (A4), du statut conféré par la protection subsidiaire.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le ministre aurait valablement pu refuser de faire droit aux demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4).
Appréciation du tribunal Quant à la légalité externe de la décision déférée, et s’agissant, plus particulièrement, de l’argumentation des demandeurs selon laquelle ils n’auraient pas été mis en mesure d’expliquer d’éventuelles lacunes ou contradictions dans leurs récits, le tribunal constate que si, dans ce contexte, les demandeurs renvoient à l’article 16 de la loi du 18 décembre 2015, force est néanmoins de constater que le texte de la disposition normative citée à cet égard dans la requête introductive d’instance correspond, non pas à celui de l’article 16, précité, de la loi du 18 décembre 2015 – qui concerne la possibilité du ministre de soumettre le demandeur de protection internationale à un examen médical portant sur des signes de persécutions ou d’atteintes graves qu’il aurait subies dans le passé, de sorte à être dépourvu de pertinence au regard de l’argumentation sous analyse –, mais à celui de l’article 16 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte), ci-après désignée par « la directive 2013/32/UE ».
Cette directive a été transposée en droit national par la loi du 18 décembre 2015.
S’agissant plus particulièrement de l’article 16 de la directive 2013/32/UE, celui-ci a été 11 transposé en droit luxembourgeois par l’article 15 de la loi du 18 juillet 2015.
Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte.3 Dans la mesure où, en l’espèce, les demandeurs ne démontrent pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’ils ne sont pas fondés à se prévaloir directement de l’article 16 de la directive 2013/32/UE, mais qu’il leur aurait appartenu d’invoquer à la base de leurs prétentions les dispositions de la loi du 18 décembre 2015.
Pour autant que la référence à l’article 16 de la loi du 18 décembre 2015 et la citation du texte de l’article 16 de la directive 2013/32/UE, telles que figurant dans la requête introductive d’instance, soient constitutives d’erreurs matérielles et que les demandeurs aient en réalité entendu se prévaloir de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que celui-ci est libellé comme suit :
« (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur. […] ».
A supposer qu’à travers leur argumentation sous analyse, les demandeurs aient entendu reprocher au ministre de ne pas les avoir invités à fournir des explications complémentaires à la suite de leurs auditions, l’argumentation en question est à rejeter. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour administrative que s’il est vrai que l’article 15, précité, de la loi du 18 décembre 2015 prévoit la possibilité de fournir des explications sur des éléments manquants ou sur des incohérences ou contradictions dans les déclarations du demandeur de protection internationale, cette possibilité est à entrevoir dans le contexte de l’entretien lui-même et s’applique au demandeur qui a ainsi la faculté de compléter voire préciser ses déclarations. Cette disposition ne prévoit toutefois pas une obligation dans le chef du ministre de demander des clarifications au demandeur dans la suite de l’entretien.4 S’agissant du déroulement concret des auditions respectives des (A) portant sur les demandes de protection internationale de leurs enfants, le tribunal constate qu’ils ont, d’abord, été informés de l’objet des entretiens, à savoir « […] collecter toutes les informations nécessaires pour déterminer si [leurs] enfant[s] peu[vent] bénéficier d’une protection internationale […] ».
Ensuite, le tribunal constate que les (A) ont, chacun, été expressément invités à préciser les raisons pour lesquelles ils ont introduit des demandes de protection internationale pour leurs enfants (A3) et (A4). Il leur a également été demandé d’indiquer ce qu’ils craindraient concrètement pour leurs enfants en cas de retour dans leur pays d’origine. A la fin de leurs entretiens, l’agent ministériel a encore précisément demandé aux (A) s’ils désiraient « […] ajouter quelque chose, sur n’importe quel sujet, qu’on aurait omis ou négligé de [leur] 3 Trib. adm., 9 octobre 2003, n° 15375 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 116 et les autres références y citées.
4 Cour adm., 18 janvier 2022, n° 46644C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
12 demander […] », question à laquelle les intéressés ont répondu par la négative. Par ailleurs, il a été demandé au litismandataire de l’époque des (A), qui les a assistés au cours de leurs auditions respectives, s’il souhaitait ajouter quelque chose, question à laquelle ce dernier a, lui aussi, répondu par la négative. Le tribunal constate encore qu’à la fin de leurs auditions respectives, les (A) ont, chacun, signé une « [d]éclaration finale » certifiant qu’ils n’avaient aucun problème de compréhension, qu’ils n’ont retenu aucune information essentielle portant un changement significatif au contexte des demandes de leurs fils, qu’ils n’ont pas donné d’informations inexactes et, surtout, qu’il n’existe plus d’autres faits à invoquer au sujet des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4).
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le tribunal arrive à la conclusion que les demandeurs ont bien eu la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer les demandes de leurs fils de manière aussi complète que possible, tel que l’exige l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’il ne se dégage pas des éléments de la cause que la possibilité, garantie par cette disposition, de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans leurs déclarations leur ait été déniée par le ministre.
Il s’ensuit que le moyen sous analyse encourt le rejet.
Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits 13 auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».
Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f), de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
14 Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
En l’espèce, au cours de leurs auditions respectives, les demandeurs ont invoqué leur crainte qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils seraient emprisonnés au motif d’avoir quitté l’Erythrée illégalement et que leurs enfants seraient incarcérés à leurs côtés, Monsieur (A1) ayant encore souligné qu’une fois adultes, leurs enfants devraient effectuer le service militaire forcé.
Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs soutiennent encore, en substance, qu’en Erythrée, les enfants (A3) et (A4) courraient un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, au motif, d’une part, qu’ils seraient des mineurs et des membres de famille de personnes ayant déserté le service militaire et quitté l’Erythrée de façon clandestine et, d’autre part, qu’ils seraient considérés comme des « returnees ». Ils ajoutent que l’absence de structures adéquates et la privation de soins pour les « returnees » et les enfants constitueraient une menace mortelle pour (A3) et (A4), qui, en tant que nourrissons, nécessiteraient des soins réguliers.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que les enfants (A3) et (A4) sont nés au Luxembourg et n’ont jamais vécu dans leur pays d’origine, de sorte que, par la force des choses, aucun risque de subir des actes de persécution, respectivement des atteintes graves ne saurait être déduit de leur vécu personnel.
Quant au risque, pour les enfants (A3) et (A4), d’être emprisonnés ensemble avec leurs parents en cas de retour en Erythrée, le tribunal constate que même à supposer que les (A), d’une part, seraient effectivement contraints de se rendre en Erythrée ensemble avec leurs enfants et, d’autre part, seraient emprisonnés par les autorités érythréennes pour avoir quitté illégalement leur pays d’origine, respectivement, en ce qui concerne le demandeur, pour avoir déserté le service militaire obligatoire, il n’est pas établi à suffisance de droit que les enfants (A3) et (A4), nourrissons nés au Luxembourg et auxquels les actes de leurs parents ne peuvent en aucun cas être imputés, courraient un risque réel de subir le même sort.
De manière plus générale, le tribunal constate qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation qu’en Erythrée, tous les enfants érythréens nés à l’étranger courraient, indépendamment de leur situation personnelle, un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves, au seul motif que leurs parents ont quitté leur pays d’origine de manière illégale ou ont déserté le service militaire obligatoire.
Il est certes exact qu’il ressort du rapport de décembre 2023, intitulé « General Country of Origin Information Report on Eritrea », tel qu’invoqué par les demandeurs, d’une part, que des membres de famille de personnes ayant déserté le service militaire peuvent être victimes de représailles de la part des autorités érythréennes – telles que des interrogatoires, des menaces, des détentions, des amendes, le refus d’accès à des services gouvernementaux, l’accès restreint 15 à des terres agricoles, la confiscation de biens ou encore l’éviction de leur domicile – et, d’autre part, que des punitions collectives de familles entières sont devenues de plus en plus fréquentes.
Le rapport en question ne permet cependant pas au tribunal de conclure au caractère systématique de ces pratiques, ni d’apprécier si, et dans quelle mesure, les enfants érythréens nés à l’étranger sont concernés par lesdites pratiques. Il ne permet pas davantage de retenir que les éventuelles représailles encourues par de tels enfants atteindraient, avec une probabilité suffisante, un degré de gravité tel qu’elles pourraient être qualifiées d’actes de persécution ou d’atteintes graves, indépendamment des circonstances concrètes du cas d’espèce.
S’agissant des risques que les enfants (A3) et (A4) encourraient en Erythrée au motif qu’ils y seraient considérés comme des « returnees », le tribunal constate qu’il est exact qu’il ressort du susdit rapport de décembre 2023 que les ressortissants érythréens retournant dans leur pays d’origine sont, selon les circonstances, susceptibles d’être victimes de représailles de la part des autorités érythréennes. Toutefois, les informations d’ordre général figurant dans ce même rapport ne permettent pas au tribunal de retenir que tout ressortissant érythréen retournant dans son pays d’origine serait automatiquement et indépendamment de sa situation personnelle exposé à un risque réel de subir des actes d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves. A fortiori, une telle conclusion ne saurait être tirée s’agissant d’enfants érythréens qui sont nés à l’étranger, qui n’ont jamais vécu dans leur pays d’origine et dont l’arrivée en Erythrée ne saurait, dès lors, être assimilée à un retour stricto sensu.
Quant à la crainte de Monsieur (A1) de voir ses enfants contraints d’effectuer le service militaire obligatoire en Erythrée, le tribunal constate qu’il ressort du susdit rapport de décembre 2023, intitulé « General Country of Origin Information Report on Eritrea », que tous les ressortissants érythréens âgés entre 18 et 40 ans doivent effectuer le service national, dont la durée officielle est de 18 mois, mais qui est de facto d’une durée indéterminée. Ce service national peut prendre la forme d’un service militaire ou d’un service civil, essentiellement en fonction des résultats scolaires des personnes concernées. S’il se dégage encore de ce rapport que ce service national se déroule souvent dans de mauvaises conditions et qu’au cours de leur service national, les personnes concernées peuvent être soumises à des mauvais traitements et à diverses formes d’exploitation, le tribunal ne dispose cependant pas d’éléments suffisants qui lui permettraient de conclure que du seul fait de l’existence, en Erythrée, de ce système de service national obligatoire, tout ressortissant érythréen y courrait, indépendamment de sa situation personnelle, un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, de sorte que la seule nationalité érythréenne d’un demandeur suffirait à justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.
Quant à l’argumentation des demandeurs selon laquelle l’absence de structures adéquates et la privation de soins pour les « returnees » et les enfants constitueraient une menace mortelle pour (A3) et (A4), qui, en tant que nourrissons, nécessiteraient des soins réguliers, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément concret soumis à son appréciation que s’ils devaient se rendre en Erythrée, ces derniers y courraient un risque réel d’être intentionnellement privés de soins par les autorités érythréennes.
Pour le surplus, le tribunal constate que l’argumentation sous analyse se résume à des considérations d’ordre économique et médical liées à une insuffisance d’accès aux soins, compte tenu de l’âge des enfants, et à un manque de structures destinées à l’hébergement de mineurs.
16 Or, de par leur nature, de telles difficultés, qui, en l’absence d’éléments de preuve en ce sens, ne sont pas rattachables à l’un des critères de fond prévus à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », de sorte à ne pas justifier l’octroi, aux enfants (A3) et (A4), du statut de réfugié. S’agissant de la protection subsidiaire, le tribunal précise que l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 fait état de traitements ou de sanctions « infligés », tandis que l’article 39 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable.5 Le simple fait qu’une atteinte soit liée d’une façon ou d’une autre à l’activité humaine n’est pas suffisant à cet égard. Pour pouvoir être considérée comme étant « infligée », elle doit, en effet, être le résultat voulu d’une intervention humaine. Or, il n’est pas établi que tel serait le cas des difficultés sous examen qui sont, dès lors, de par leur nature, étrangères à la notion d’atteinte grave, telle que définie par l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.
Finalement, le tribunal constate qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation que dans leur pays d’origine, (A3) et (A4) courraient un risque réel de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, du seul fait de leur minorité.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que les enfants (A3) et (A4) ne remplissent pas les conditions d’octroi d’une protection internationale.
Dès lors, et dans la mesure où cette conclusion, d’une part, s’impose indépendamment du bien-fondé de l’argumentation ministérielle selon laquelle, en substance, (A3) et (A4) ne courraient aucun risque de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, étant donné que leurs parents seraient bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, de sorte qu’ils ne seraient jamais éloignés en Erythrée, et, d’autre part, n’est, à défaut d’autres éléments, pas énervée par le seul fait que les autorités grecques sont arrivées à la conclusion que les (A) remplissent, quant à eux, les conditions d’octroi du statut de réfugié, le tribunal retient que le ministre a valablement pu rejeter les demandes de protection internationale sous examen, sans qu’il y ait besoin de saisir la CJUE de la question préjudicielle proposée par les demandeurs, la réponse à cette question n’étant, au vu des considérations qui précèdent, pas nécessaire pour la solution du litige.
Pour les mêmes raisons, le tribunal est amené à rejeter les développements des demandeurs, selon lesquels, en substance, le ministre aurait violé le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, en tenant compte, dans le cadre de l’examen du bien-fondé des demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4), du statut de protection internationale accordé à leurs parents par les autorités grecques.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Prétentions et moyens des parties 5 Trib. adm. 14 janvier 2008, n° 23556 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 251 et les autres références y citées.
17 A l’appui de leur recours dirigé à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire, les demandeurs soulèvent un moyen tiré de la violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens des articles 3 de la CIDE, 24 de la Charte et 15 de la Constitution.
A cet égard, ils font valoir que l’ordre de quitter le territoire condamnerait les enfants (A3) et (A4) à vivre dans une situation d’insécurité juridique la plus totale, alors qu’ils ne posséderaient aucun droit de séjour dans un pays autre que l’Erythrée. Ainsi, ils ne seraient pas susceptibles d’être éloignés vers la Grèce, alors que ce pays, qui ne leur aurait accordé aucun droit de séjour et n’aurait formulé aucun accord de réadmission en leur faveur, ne serait nullement responsable d’eux.
Par ailleurs, les demandeurs soutiennent, en substance, que dans la mesure où la décision ministérielle du 20 mars 2025 ayant déclaré irrecevables les demandes de protection internationale des (A) ne contiendrait aucun ordre de quitter le territoire, l’ordre de quitter le territoire formulé à l’encontre des enfants (A3) et (A4) serait susceptible d’entraîner leur séparation de leurs parents, de sorte à méconnaître leur intérêt supérieur.
Les demandeurs font encore plaider que l’ordre de quitter le territoire litigieux violerait les articles 1er et 4 de la Charte, en raison de défaillances systémiques en Grèce.
En se prévalant d’un rapport de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (« OSAR ») du 10 octobre 2024, intitulé « La Grèce en tant qu’« Etat tiers sûr » », ils font valoir qu’en tant que bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, ils ne pourraient effectuer les démarches nécessaires afin d’obtenir une couverture médicale et sociale adéquate pour eux-mêmes et leurs enfants, alors que le système social grec serait conçu de sorte à écarter les personnes sans-abri et bénéficiaires d’une protection internationale de son champ d’application.
Ils ajoutent que les enfants (A3) et (A4) ne disposeraient pas d’un droit de séjour en Grèce, de sorte qu’ils ne posséderaient pas d’une autorisation de séjour « ADET » leur permettant d’obtenir un numéro de sécurité sociale et qu’ils seraient, dès lors, de facto et de jure exclus de toute prestation sociale et de toute couverture médicale. Même si (A3) et (A4) avaient un droit de séjour en Grèce, ils n’auraient pas non plus accès aux prestations sociales et médicales, étant donné que leurs parents n’auraient ni une adresse officielle, ni un passeport, ni un numéro d’identification sociale, ni un contrat de bail, ni une adresse de correspondance. Dans ce contexte, les demandeurs soulignent que le Comité Européen des Droits Sociaux aurait condamné la Grèce pour violation des droits sociaux des enfants migrants, demandeurs ou bénéficiaires d’une protection internationale, en ce qui concerne, notamment, leur accès aux soins médicaux, au logement et à l’éducation.
En conclusion, les demandeurs soutiennent qu’en Grèce, les enfants (A3) et (A4) seraient exposés à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, de sorte que l’ordre de quitter le territoire litigieux devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il soutient qu’aucun reproche ne pourrait être fait au ministre pour avoir assorti sa décision de refus d’octroi d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire, étant donné que pareil ordre découlerait directement de ce refus.
18 Cette conclusion ne serait pas énervée par l’argumentation des demandeurs ayant trait à une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, au sens des articles 3 de la CIDE, 24 de la Charte et 15 de la Constitution.
En effet, le 20 mars 2025, le ministre aurait pris deux décisions, à savoir, d’une part, une décision d’irrecevabilité des demandes de protection internationale des (A) et, d’autre part, une décision de refus des demandes de protection internationale des enfants de ces derniers, de sorte que si la décision déférée était confirmée, la famille (A) aurait vocation à quitter ensemble le territoire luxembourgeois. Ainsi, les enfants ne seraient jamais séparés de leurs parents, le représentant étatique rappelant, dans ce contexte, d’une part, que la décision d’irrecevabilité prise à l’égard des parents ne serait assortie d’aucun ordre de quitter le territoire et, d’autre part, que les enfants n’auraient pas vocation à quitter le territoire avant que la décision déférée ne soit coulée en force de chose décidée. Il ajoute qu’à ce stade, aucune décision de départ ne serait prise à l’égard des (A), tel que ce serait confirmé par un échange de courriels versé à l’appui du mémoire en réponse étatique.
Par ailleurs, le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré de la violation des articles 1er et 4 de la Charte, au motif de l’existence, en Grèce, de défaillances systémiques concernant, notamment, l’accès aux prestations sociales et à une couverture médicale.
A cet égard, il fait valoir que compte tenu du principe de l’unité familiale, il irait de soi qu’en leur qualité de bénéficiaires d’une protection internationale en Grèce, les (A) y pourraient entreprendre les démarches nécessaires en vue de la régularisation de la situation de leurs enfants.
Les (A) auraient déjà pu procéder à cette régularisation, s’ils étaient restés en Grèce et y avaient introduit des demandes de protection internationale au nom de leurs enfants à la suite de la naissance de ces derniers, respectivement avaient fait les démarches nécessaires en vue d’une telle régularisation.
Quant aux défaillances systémiques invoquées par les demandeurs, le délégué du gouvernement soutient qu’il ressortirait des recherches effectuées par la partie étatique que les autorités grecques émettraient en général une décision de délivrance d’une carte de séjour en même temps que la décision relative à l’octroi d’une protection internationale. En l’espèce, les demandeurs se seraient chacun vu accorder un titre de séjour grec dès le 27 septembre 2024.
Ainsi, ils auraient pu bénéficier d’un accès aux soins médicaux en Grèce, ainsi que cela ressortirait du « Guide d’information pour les bénéficiaires de la protection internationale » établi par les autorités grecques.
Par ailleurs, le délégué du gouvernement explique que les autorités grecques proposeraient plusieurs options dans le cas de figure où le bénéficiaire d’une protection internationale ne disposerait pas formellement d’un logement personnel, afin qu’il puisse accéder à une protection sociale.
Il ajoute qu’en résumé, un bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce disposerait en règle générale d’un délai d’un mois à compter de la délivrance de son titre de séjour pour convertir son numéro provisoire d’assurance et de soins de santé du ressortissant étranger (« PAAYPA ») en un numéro de sécurité sociale (« AMKA ») et qu’à cette fin, il devrait obligatoirement détenir une adresse de correspondance, voire un logement personnel.
Si les (A) avaient fait les démarches nécessaires en Grèce, au lieu de se rendre au Luxembourg dès l’octroi de leurs titres de séjour et de voyage, ils auraient parfaitement pu obtenir 19 tous les documents nécessaires pour accéder aux soins médicaux. Il en irait de même pour leurs enfants, qui n’auraient pas encore été nés au moment du départ de leurs parents de la Grèce. Il serait, dès lors, impossible de soutenir que les enfants (A3) et (A4) ne pourraient bénéficier de soins médicaux en Grèce.
En se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 3 août 2020, portant le numéro 44233 du rôle, de même que d’une communication de la Commission européenne du 4 avril 2025 ayant conclu à l’absence de défaillances systémiques en Grèce, le délégué du gouvernement soutient que ce serait à juste titre que le ministre aurait assorti sa décision de refus d’un ordre de quitter le territoire.
Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Au regard du constat que le recours dirigé contre la décision ministérielle de refus d’une protection internationale n’est pas fondé et que c’est partant à juste titre que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale des enfants (A3) et (A4), le ministre a, a priori, valablement pu assortir sa décision d’un ordre de quitter le territoire à leur égard.
Quant à la portée concrète de l’ordre de quitter le territoire litigieux, le tribunal constate que le ministre a ordonné aux enfants (A3) et (A4) de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à destination de tout pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner, sauf l’Erythrée.
Il est constant en cause que le seul pays, autre que l’Erythrée, où les enfants (A3) et (A4) sont susceptibles d’être autorisés à séjourner est la Grèce, pays où leurs parents disposent du statut de réfugié et dont les autorités ont accordé à ces derniers des titres de séjour et de voyage.
Cependant, les demandeurs soutiennent, notamment, qu’en Grèce, les enfants (A3) et (A4) seraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 1er et 4 de la Charte, en raison de défaillances systémiques y régnant.
A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard.6 6 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
20 Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20197, confirmé le principe selon lequel le droit de l’Union européenne repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union européenne qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment à l’article 4 de celle-ci, qui consacre l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs ou aux bénéficiaires d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.
Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale soient traités, dans cet Etat membre, d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux. Dans ce contexte, il importe de relever que, eu égard au caractère général et absolu de l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte, qui interdit, sans aucune possibilité de dérogation, les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes, il est indifférent, aux fins de l’application de cet article 4, que ce soit au moment même d’un transfert, au cours de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait un risque sérieux de subir un tel traitement.
Le tribunal relève encore que dans le susdit arrêt du 19 mars 2019, de même que dans un arrêt séparé du même jour8, la Cour a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union européenne, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes.
La CJUE a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52 (3) de la Charte, les mêmes que ceux que lui confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause.
Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte 7 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.
8 CJUE, 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17.
21 dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.9 Le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable du demandeur n’est, quant à lui, pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.10 Si, certes, cette jurisprudence de la CJUE a été rendue à propos de l’interprétation du règlement Dublin III, respectivement à propos de demandes de protection internationale déclarées irrecevables en application de l’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE, transposé en droit national par l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal est néanmoins amené à s’inspirer en l’espèce de ces principes, à propos de demandeurs de protection internationale déboutés, tel que cela est le cas des enfants (A3) et (A4), auxquels le ministre a ordonné de quitter le territoire luxembourgeois vers un autre pays de l’Union européenne, en l’occurrence la Grèce, où leur famille est bénéficiaire d’une protection internationale et qui font état de conditions de vie difficiles dans ce pays ou qui déclarent craindre y subir des traitements inhumains et dégradants.11 Les demandeurs remettant, en substance, en question la présomption du respect par les autorités grecques des droits fondamentaux de leurs enfants tels que consacrés notamment par la Charte et par la CEDH, il leur incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.
En l’espèce, au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments probants qui lui permettraient de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Grèce, en ce sens que la situation des bénéficiaires d’un statut de protection internationale, respectivement celle de leurs enfants, y serait telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les personnes concernées, d’être systématiquement exposées à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur renvoi dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
En effet, s’il ressort du susdit rapport de l’OSAR qu’en Grèce, les bénéficiaires d’une protection internationale risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, à l’emploi et aux soins, en raison, notamment, d’obstacles administratifs, force est toutefois de constater que sur base de ces seuls éléments, il ne peut être retenu pour les bénéficiaires d’une protection internationale ou leurs enfants une absence totale et systématique d’accès à un logement, à un emploi, aux soins, à des prestations sociales ou, de manière générale, 9 CJUE, 19 mars 2019, Ibrahim e.a., C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, points 90 et 91.
10 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17, point 97.
11 Voir, en ce sens : Cour adm., 9 juillet 2024, n° 50154C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
22 à des moyens de subsistance permettant de faire face à leurs besoins les plus élémentaires.
Eu égard aux considérations qui précèdent et à défaut d’autres éléments, le tribunal retient que les demandeurs sont restés en défaut de démontrer qu’en Grèce, les bénéficiaires d’une protection internationale ou leurs enfants risqueraient systématiquement de voir leurs droits les plus fondamentaux bafoués dans ledit pays en raison de l’existence de défaillances systémiques.
Cependant, il appartient encore au tribunal d’analyser la situation personnelle des enfants (A3) et (A4).
En effet, il ressort de la jurisprudence de la CJUE qu’il ne saurait être entièrement exclu qu’un demandeur de protection internationale puisse démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres et qui impliqueraient qu’un renvoi dans l’Etat membre lui ayant déjà accordé une protection internationale l’exposerait, en raison de sa vulnérabilité particulière, à un risque de traitements contraires à l’article 4 de la Charte.12 Ce principe est transposable à la situation des enfants du demandeur de protection internationale concerné.
En l’espèce, dans l’appréciation du risque de subir des traitements contraires à l’article 4 de la Charte encouru par les enfants (A3) et (A4), il y a lieu de tenir compte de la circonstance particulière selon laquelle il s’agit de jumeaux âgés d’environ 6 mois au jour du présent jugement, ce qui, même en l’absence de problèmes de santé spécifiques qui seraient documentés par des pièces probantes, permet de les qualifier de particulièrement vulnérables.
Dans ce contexte, le tribunal précise qu’au regard de l’article 3 de la CEDH, la CourEDH prend notamment en compte l’âge de la personne concernée, un enfant en bas âge ayant nécessairement besoin d’une protection plus large dans le cadre dudit article 3.13 Le tribunal relève ensuite qu’il est certes exact qu’il n’est ni allégué ni a fortiori établi qu’après s’être vu octroyer le statut de réfugié par les autorités grecques en date du 27 septembre 2024, les demandeurs – qui affirment que lors de leur séjour en Grèce, ils auraient été privés d’un logement et d’un accès aux soins – auraient entrepris la moindre démarche concrète afin d’accéder à un logement et à des soins de santé en Grèce, les intéressés ayant, de manière non contestée, quitté ce pays quelques jours après l’obtention de leurs titres de voyage valables du 8 octobre 2024 au 7 octobre 2029.
S’il est encore exact qu’il ne ressort pas des pièces versées en cause que de telles démarches n’auraient en aucun cas pu être couronnées de succès, il n’en reste pas moins qu’au vu des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, il ne saurait pas non plus être exclu qu’en cas de retour en Grèce, les demandeurs et leurs enfants se verraient, du moins pendant un certain temps, confrontés à une situation de sans-abrisme et de privation d’accès aux soins, indépendamment de leurs choix personnels.
En effet, il se dégage du susdit rapport de l’OSAR qu’en Grèce, les bénéficiaires d’une protection internationale perdent leur place d’hébergement 30 jours après la reconnaissance d’un 12 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17, point 95 ; CJUE, Milkiyas Addi c. Bundesrepublik Deutschland, C-517/17, n° 52.
13 Voire en ce sens : CourEDH, 4 mai 2023, A.C. et M.C. c France, requête n° 4289/21.
23 statut de protection internationale, sans qu’une solution de remplacement soit prévue, de sorte à devoir se tourner vers le marché libre du logement. Il en ressort aussi qu’il n’existe aucun logement spécifique pour les bénéficiaires d’une protection internationale et que peu de logements pour les personnes sans-abri. Sur ce dernier point, ledit rapport cite l’exemple d’Athènes, qui ne compte que quatre centres d’hébergement pour sans-abris et précise qu’il est extrêmement difficile d’y être admis, lesdits refuges étant toujours bondés et la demande étant très forte. Toujours selon le rapport, précité, de l’OSAR, les ONG ne proposent que très peu de logements, de sorte qu’il est hautement improbable de trouver une place. S’il ressort de ce même rapport, de même que de la communication de la Commission européenne, telle qu’invoquée par la partie étatique, qu’il existe un programme dénommé HELIOS, respectivement, depuis janvier 2025, HELIOS+, dans le cadre duquel les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent, notamment, bénéficier d’allocations de loyers, les prestations exactes fournies dans le cadre de ce programme et les conditions à remplir pour en bénéficier ne se dégagent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Quant à l’accès aux soins, le tribunal a, dans son jugement parallèle de ce jour, portant le numéro 52682 du rôle, noté ce qui suit :
« […] [L]e tribunal constate qu’il ressort du susdit rapport de l’OSAR, ainsi que des sources citées par la partie étatique, que [l’accès aux soins] est subordonné à la possession d’un numéro de sécurité sociale, l’« AMKA ». Si les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent convertir le numéro provisoire d’assurance et de soins de santé (« PAAYPA »), qui leur a été attribué en tant que demandeurs de protection internationale, en AMKA endéans un délai d’un mois à compter de la délivrance de leur titre de séjour, démarche que les demandeurs sont, de l’entendement du tribunal, restés en défaut de faire, il n’en reste pas moins qu’il se dégage du susdit rapport de l’OSAR, de même que d’un extrait du site internet « www.greece.refugee.info », intitulé « Assurance santé »14, tel que cité par la partie étatique, qu’une fois délivrée, l’AMKA doit en tout état de cause encore être activée pour que les personnes concernées puissent effectivement accéder aux soins de santé. Or, il se dégage de cette dernière publication que l’activation est subordonnée, notamment, à une preuve de travail ou d’études, qui peut être rapportée par la fourniture d’une « […] [a]ttestation de travail délivrée par [l’]employeur [de la personne concernée] (déclaration solennelle, officiellement certifiée en ligne ou dans n’importe quel KEP) […] », d’un contrat de travail, d’un « […] [c]ertificat d’ouverture d’entreprise (AADE) […] » ou d’un « […] [c]ertificat d’études en Grèce […] ». Le tribunal en déduit qu’en réalité, seuls les bénéficiaires d’une protection internationale qui disposent d’un emploi, ont ouvert une entreprise ou poursuivent des études peuvent effectivement exercer leur droit aux soins de santé, même si la partie étatique explique, source à l’appui15, que tous les secteurs médicaux publics sont tenus de fournir un soutien médical de premiers secours en cas d’urgence, alors même que la personne concernée ne disposerait ni de PAAYPA ni d’AMKA. […] ».
Dans la présente affaire, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments qui seraient de nature à ébranler ces constats.
Il en est de même en ce qui concerne les constats suivants, faits dans le susdit jugement portant le numéro 52682 du rôle à propos de la problématique d’un accès à un emploi légal, qui 14 https://greece.refugee.info/fr/articles/4985624835479.
15 « Soins de santé sans numéro de sécurité sociale (PAAYPA ou AMKA) », https://greece.refugee.info/fr/articles/4985632313623.
24 conditionne dans une large mesure l’accès à un logement et l’accès aux soins – via l’activation de l’AMKA :
« […] [L]e tribunal constate qu’il ressort du susdit rapport de l’OSAR que pour les bénéficiaires d’une protection internationale, [l’accès à un emploi légal] est rendu difficile par des obstacles linguistiques et administratifs, ainsi que par la mauvaise situation économique.
Plus particulièrement, il ressort du document intitulé « Guide d’information pour les bénéficiaires de la protection internationale », dont se prévaut la partie étatique, que pour travailler de manière légale en Grèce, il faut remplir plusieurs conditions administratives, parmi lesquelles figure celle de disposer d’un numéro d’affiliation à la sécurité sociale (« AMA »), dont l’octroi est, notamment, conditionné par la fourniture d’un justificatif du lieu de résidence de la personne concernée, la pièce en question citant, à cet égard, les documents suivants :
« […] contrat de bail/déclaration sur l’honneur de votre hôte ou bailleur/facture d’électricité ou d’eau à votre nom […] ». A défaut d’éléments de preuve contraires, le tribunal en déduit que les sans-abris sont exclus du marché de travail légal. Sur ce dernier point, le tribunal constate que s’il se dégage de l’une des sources citées par le délégué du gouvernement que les personnes sans-abri peuvent se voir délivrer une AMKA moyennant la fourniture d’un « […] certificat du dortoir ou du service de la commune ou du Centre communautaire […] »16, il ne ressort toutefois pas des éléments de la cause que cette même possibilité existerait pour la délivrance de l’AMA conditionnant l’accès à un emploi légal. […] ».
A l’instar de ce qui a été retenu dans le jugement, précité, portant le numéro 52682 du rôle, le tribunal précise que si les (A), qui sont âgés de 37, respectivement de 36 ans, sont certes a priori physiquement aptes à s’adonner à une activité rémunérée, il n’en reste pas moins que leurs chances de succès sur le marché du travail légal grec sont réduites par le fait (i) qu’aucun d’eux ne parle le grec, ni l’anglais – même si le demandeur a déclaré comprendre cette dernière langue –, (ii) qu’il n’est ni allégué ni a fortiori établi qu’ils disposeraient d’un quelconque réseau social ou familial en Grèce, où ils n’ont résidé que pendant quelques semaines et (iii) qu’ils doivent assurer la garde et subvenir aux besoins de jumeaux âgés d’approximativement 6 mois au jour du présent jugement, étant souligné que le susdit document intitulé « Guide d’information pour les bénéficiaires de la protection internationale » précise expressément : « […] Il n’est pas facile de chercher et de trouver un emploi en Grèce. C’est un long processus17 et il faut être préparé aux difficultés et aux défis auxquels vous serez confronté.e […] ».
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal arrive à la même conclusion que celle dégagée dans son jugement portant le numéro 52682 du rôle, à savoir celle selon laquelle le risque qu’en cas de retour en Grèce, les (A) et leurs enfants soient confrontés à une situation de sans-abrisme et de privation d’accès à des soins de santé dépassant un soutien médical de premiers secours en cas d’urgence est loin d’être négligeable. Dans ce contexte, le tribunal relève encore qu’il ne saurait être nié qu’un enfant en bas âge, tel que les enfants (A3) et (A4), nécessitant des contrôles médicaux fréquents, ce tant au regard de son développement normal qu’au regard de la fragilité de son système immunitaire, a nécessairement besoin d’un accès aux soins médicaux afin de garantir son plein développement et son intégrité physique.18 Il est certes exact que cette situation n’est pas nécessairement durable, en ce sens qu’il n’existerait aucune perspective d’amélioration résultant d’efforts pouvant raisonnablement être 16 « Assurance santé », https://greece.refugee.info/fr/articles/4985624835479.
17 Souligné par le tribunal.
18 Trib. adm., 10 juillet 2024, n° 50474 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
25 exigés des (A). Cependant, tel que cela a été retenu dans le jugement, précité, portant le numéro 52682 du rôle, le tribunal ne saurait exclure qu’au vu de la vulnérabilité particulière des enfants (A3) et (A4) – qui sont des nourrissons âgés d’approximativement 6 mois au jour du présent jugement –, ladite situation soit telle qu’elle puisse avoir pour ces derniers des conséquences atteignant le seuil de gravité requis pour être qualifiées de traitements inhumains et dégradants, étant rappelé, dans ce contexte, qu’au regard de l’article 3 de la CEDH, la CourEDH prend notamment en compte l’âge de la personne concernée, un enfant en bas âge ayant nécessairement besoin d’une protection plus large dans le cadre dudit article 3.19 Pour l’ensemble de ces raisons et compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, le tribunal arrive à la conclusion qu’en l’absence d’une quelconque garantie individuelle de la part des autorités grecques quant à une prise en charge appropriée des enfants (A3) et (A4) en cas de retour en Grèce – en termes d’hébergement et d’accès aux soins –, l’ordre de quitter le territoire litigieux encourt l’annulation, dans le cadre du recours en réformation, sans qu’il y ait besoin de statuer plus en avant.
Au vu de la solution du litige, le tribunal fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié aux demandeurs et pour moitié à l’Etat.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi par le jugement du 28 avril 2025, inscrit sous le numéro 52673 du rôle, rendu par le vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif ;
vidant ledit jugement du 28 avril 2025 ;
déclare non fondé le recours en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 20 mars 2025 portant refus d’octroi d’une protection internationale, partant en déboute ;
déboute les enfants (A3) et (A4) de leurs demandes de protection internationale ;
déclare le recours en réformation dirigé à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire fondé, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule ledit ordre de quitter le territoire ;
fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié aux demandeurs et pour moitié à l’Etat.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juin 2025 par :
Daniel WEBER, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.
s. Luana POIANI s. Daniel WEBER 19 Voire en ce sens : CourEDH, 4 mai 2023, A.C. et M.C. c France, requête n° 4289/21.
26 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 27