Tribunal administratif N° 48736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48736 4e chambre Inscrit le 24 mars 2023 Audience publique du 3 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), … (Slovénie), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48736 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2023 par Maître Miloud AHMED BOUDOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA)., établie et ayant son siège social à …, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, sise à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 22 décembre 2022, prise sur recours gracieux, confirmant une amende administrative de 21.000 euros à son encontre ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2023 ;
Vu les pièces versées en cause, et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Miloud AHMED BOUDOUDA et Monsieur le délégué du gouvernement Yves HUBERTY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 février 2025.
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A l’occasion d’un contrôle effectué le 1er juillet 2022 sur le lieu de travail sis à L-…, l’Inspection du Travail et des Mines, dénommée ci-après « l’ITM », constata que la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA)., ci-après désignée par « la Société », avait détaché des salariés en vue d’effectuer une prestation de service sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, tout en ayant omis de transmettre certains documents visés par l’article L. 142-3 du Code du travail concernant ses salariés.
Par courrier recommandé avec accusé de réception daté au 17 août 2022, l’ITM adressa une injonction à la Société, sur base de l’article L. 142-3 du Code du travail, lui demandant conformément aux articles L. 614-4, paragraphe (1), point a) et L. 614-5 du même Code, de régulariser sa situation par rapport à ladite disposition légale endéans un délai de 15 jours calendrier par la communication via la plateforme électronique prévue à cet effet, de toutes lesinformations et de tous les documents requis, traduits en langue française ou allemande, à savoir, les fiches de salaire pour le mois de juillet 2022, les preuves de paiement du salaire du mois de juillet 2022, ainsi que les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier pour le mois de juillet 2022 pour les salariés détachés en question, tout en l’avertissant que tout manquement de sa part de s’y conformer risquerait de l’exposer aux mesures et sanctions administratives prévues à l’article L. 143-2 du Code du travail.
En date du 20 septembre 2022, le directeur de l’ITM, ci-après dénommé « le directeur », infligea à la Société une amende administrative de 21.000 euros, sur base de l’article L. 614-13 du Code du travail, pour avoir omis de donner suite à l’injonction du 17 août 2022 et de prendre les mesures requises endéans les délais impartis.
En date du 10 octobre 2022, la Société fit parvenir, via deux courriers électroniques séparés, certains documents relatifs à son dossier à l’ITM.
Suite aux courriers électroniques du 10 octobre 2022, le directeur, en date du 18 octobre 2022, déclara ladite opposition non fondée, tout en confirmant sa décision du 20 septembre 2022 ayant infligée une amende administrative de 21.000 euros à la Société.
En date du 23 novembre 2022, la Société fit à nouveau parvenir, via courrier électronique, certains documents relatifs à son dossier à l’ITM.
Suite au courrier électronique précité du 23 novembre 2022, le directeur déclara, en date du 22 décembre 2022, ledit recours gracieux non fondée, tout en confirmant sa décision du 20 septembre 2022 ayant infligée une amende administrative à la Société de 21.000 euros, la prédite décision étant libellée comme suit :
« (…) Aufgrund der Artikel L. 142-2, L. 142-3 und L. 143-2 des Arbeitsgesetzbuchs;
Aufgrund des Artikels L. 614-13, Absatz 1 bis 4 des Arbeitsgesetzbuchs;
Angesichts der Anordnung vom 17. August 2022, welche gemäß den Artikeln L. 614-4 Absatz 1 Buchstabe a) und L. 614-5 des Arbeitsgesetzbuchs von …, Inspecteur principal du travail des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes, erstellt wurde;
Angesichts des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 20. September 2022, die Gesellschaft (AA). mit Sitz in …, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber, wegen Nichtergreifens aller in der Anordnung des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 17.
August 2022 geforderten Maßnahmen zum Zeitpunkt des eben genannten Beschlusses, mit einem Bußgeld « ITM Amende … » von 21.000 Euro zu belegen;
Angesichts des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 18. Oktober 2022, das Bußgeld « ITM Amende … » von 21.000 Euro, das gegen die oben genannte Gesellschaft (AA)., in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber verhängt wurde, zu bestätigen;
Angesichts der informellen Beschwerde vom 23. November 2022 gegen den besagten Beschluss des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes, der von der oben genannten 2 Gesellschaft (AA)., in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber eingelegt wurde und beim Gewerbe- und Grubenaufsichtsamt am 23. November 2022 eingegangen ist;
In Erwägung, dass die informelle Beschwerde vom 23. November 2022 gegen den Beschluss des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes ordnungsgemäß binnen einer Frist von 3 Monaten ab Zustellung des Verwaltungsbeschlusses eingelegt wurde;
In Erwägung, dass die oben genannte Gesellschaft (AA). zum Zeitpunkt des Beschlusses des Direktors des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes vom 20. September 2022, die folgenden Dokumente nicht übermittelt hat;
Dass die oben genannte Gesellschaft (AA). somit die Lohnzettel für den Monat Juli 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) nicht übermittelt hat;
Dass die oben genannte Gesellschaft (AA). somit die Zahlungsbelege des kompletten Lohnes für den Monat Juli 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) nicht übermittelt hat;
Dass die oben genannte Gesellschaft (AA). somit die Arbeitszeitnachweise mit Angabe des Beginns, des Endes und der Dauer der täglichen Arbeitszeit für den Monat Juli 2022 der entsandten Arbeitnehmer … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), und … (…) nicht übermittelt hat;
Dass die von der oben genannten Gesellschaft (AA)., in ihrer informellen Beschwerde geltend gemachten Gründe keinen Erlass des Bußgeldes zu rechtfertigen vermögen;
Aus diesen Gründen beschließt der Direktor des Gewerbe- und Grubenaufsichtsamtes:
sich für zuständig zu erklären, über die informelle Beschwerde, der von der Gesellschaft (AA). mit Sitz in …, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber eingelegt wurde, zu entscheiden;
diese als zulässig aber unbegründet zu erklären;
somit das Bußgeld « ITM Amende … » von 21.000 Euro, gegen die Gesellschaft (AA). mit Sitz in …, in ihrer Eigenschaft als Arbeitgeber verhängt wurde, zu bestätigen; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 2023, la Société a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 22 décembre 2022 confirmant l’amende administrative de 21.000 euros prononcée à son encontre.
En ce qui concerne la compétence du tribunal pour statuer sur la décision litigieuse, il convient de rappeler qu’en application des articles L. 143-3 et L. 614-14 du Code du travail, les décisions de l’ITM « sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».
Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, à titre principal, contre la décision litigieuse, lequel est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit, à titre subsidiaire, et sur le moyen d’irrecevabilité y relatif, tel que développé par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, cet examen étant devenu surabondant.
Quant au fond et à l’appui de son recours, la demanderesse rappelle certains faits et rétroactes tels que relevés ci-avant, tout en faisant observer que le délai lui accordé pour répondre à l’injonction du 17 août 2022 et pour faire traduire les documents nécessaires aurait été largement insuffisant. Elle fait encore valoir qu’entre temps, un responsable se serait rendu à l’ITM où on lui aurait personnellement garanti que le délai serait prolongé. La demanderesse explique ensuite qu’une fois toutes les traductions effectuées, l’intégralité des documents requis aurait été fournie, de sorte que l’injonction aurait été respectée.
En droit, la demanderesse conclut à un excès de pouvoir dans le chef du directeur, alors que le délai de quinze jours pour répondre à l’injonction du 17 août 2022 ne lui aurait pas permis, en tant que société de droit étranger, avec siège social en Slovénie, d’exercer son droit de réponse conformément aux règles de la procédure administrative contentieuse au regard du fait que la traduction de l’intégralité des pièces en français ou en allemand aurait été sollicitée et que ces circonstances auraient dû permettre un allongement dudit délai en raison de la distance.
Elle fait encore relever que le responsable aurait effectué toutes les diligences demandées endéans un délai raisonnable et en tous cas avant la décision du 22 décembre 2022, ce qui ressortirait du dossier administratif, de sorte que l’amende serait à annuler, respectivement le montant de l’amende serait à réduire à de plus justes proportions eu égard aux circonstances de l’espèce.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Force est de rappeler, à titre liminaire, en ce qui concerne la loi applicable à l’examen du bien-fondé du présent recours, que si, dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse1, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, consacré à l’article 2 du Code civil, le tribunal doit apprécier tant la question du champ d’application du Code du travail que celle de la qualification des faits au regard des obligations y inscrites et susceptibles de conduire à une sanction administrative, ainsi que la question de la compétence du pouvoir sanctionnateur au regard du Code du travail tel qu’il était en vigueur au moment des faits, respectivement au jour de la décision déférée, le principe et le quantum de la sanction étant, par contre, à analyser sur base de la version du Code du travail applicable au jour du jugement.
1 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citées Aux termes de l’article L. 614-4, paragraphe (1), point a) du Code du travail : « (1) Les membres de l’inspectorat du travail, sont autorisés en outre : a) à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles sont effectivement observées et notamment :
(…) - à demander communication dans les meilleurs délais de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail, en vue d’en vérifier la conformité avec les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles, de les reproduire ou d’en établir des extraits; (…) ».
Il résulte de cette disposition légale que les membres de l’ITM peuvent procéder aux contrôles et examens qu’ils estiment nécessaires en vue de garantir l’observation des dispositions légales et réglementaires, respectivement conventionnelles applicables et qu’ils peuvent, à cette fin, notamment demander communication de tous les documents et informations relatifs aux conditions de travail des salariés d’une entreprise endéans un certain délai, ce qui a été fait en l’espèce par le biais de l’injonction litigieuse du 17 août 2022, enjoignant à la demanderesse de verser toute une série de documents relatifs au détachement de sept de ses salariés sur le territoire luxembourgeois, en vue de permettre à l’ITM de procéder à la vérification du respect de toutes les dispositions légales en matière de détachement.
En ce qui concerne d’abord le moyen tiré de l’excès de pouvoir tenant à critiquer le délai lui imparti par l’ITM pour la transmission des documents requis, force est d’abord de relever qu’il a été jugé qu’en vertu de l’article L. 614-4, paragraphe (1) précité du Code du travail, autorisant l’ITM à demander la communication de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail « dans les meilleurs délais », c’est-à-dire dans un court délai, combiné avec l’article L. 614-13, paragraphe (1) du même Code selon lequel « En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur [de l’ITM] ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué, ou au salarié une amende administrative », que tant le directeur que les membres de l’ITM sont en droit de fixer, dans leurs injonctions adressées à un employeur, un délai dans lequel ces informations et documents doivent être remis à l’ITM2, délai qui est de rigueur en ce que son non-respect autorise le directeur à infliger une amende administrative à la personne visée par l’injonction non respectée. Dans la mesure où l’article L. 143-2 du Code du travail, dans sa version applicable au moment de la décision déférée, prévoit expressément que l’amende administrative prononcée par le directeur suite à la constatation d’infractions aux dispositions des articles L. 142-2 et L. 142-3 du même code, doit respecter la procédure d’injonction prévue à l’article L. 614-13 du Code du travail, le même constat s’impose en l’espèce.
Par ailleurs, si la loi elle-même ne prévoit aucun délai précis endéans lequel les pièces et informations sollicitées par l’ITM doivent lui être communiquées, la mention « meilleurs délais », laisse une marge d’appréciation certaine au directeur, ainsi qu’aux autres membres de 2 Trib. adm., 12 mars 2019, n° 39663 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Travail, n° 266 et l’autre référence y citée. l’ITM pour fixer un délai en vue d’obtenir la communication des pièces et informations ainsi visées3.
En considération du fait que les pièces et informations sollicitées par l’injonction du 17 août 2022 sont des documents standard que tout employeur devrait a priori avoir à sa disposition dès l’écoulement du mois afférent, le délai de 15 jours calendaires ne saurait a priori porter à critique.
Si la demanderesse estime que le délai lui imposé aurait été insuffisant pour la communication de la traduction des documents sollicités, force est toutefois de constater qu’il ressort des considérations qui précèdent que le délai de 15 jours était, en l’espèce, suffisant, et que l’ITM, sans aucune réaction de la part de la Société dans le délai utile, n’a, dès lors, pas fait un usage disproportionné du pouvoir lui accordé par la loi dans ce contexte, étant relevé qu’il s’est écoulé un délai d’un mois avant le prononcé de la première décision directoriale. Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la traduction desdits documents aurait requis un allongement dudit délai en raison de la distance, alors que les documents sollicités par l’ITM étaient, dans tous les cas, à communiquer à l’ITM sur la plateforme électronique destinée à cet effet, à compter du jour du commencement du détachement, étant encore précisé, à cet égard, que la Société, ayant fait l’objet d’un contrôle de l’ITM en date du 1er juillet 2022, avait connaissance, depuis au moins cette date, de son obligation de présenter la documentation relative aux salaires du mois en question et que, contrairement à ses dires, il n’est pas établi qu’elle se serait manifestée pour solliciter une prolongation du délai lui imparti ni que ledit délai aurait été prolongé oralement, tel que le soutient la demanderesse.
Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tirée d’un prétendu excès de pouvoir en ce qui concerne le délai lui imposé pour communiquer les documents sollicités encourt le rejet pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne ensuite le moyen tenant à affirmer que la totalité des documents sollicités dans l’injonction du 17 août 2022 aurait été remise, preuve dont la demanderesse a la charge, il échet de relever qu’il résulte tant des pièces versées en cause, que des explications de part et d’autre, que la totalité des pièces y énumérées n’a pas été remise à l’ITM dans les délais impartis par ladite injonction.
En effet, force est de constater que si la demanderesse affirme avoir transmis à l’ITM la totalité des documents réclamés par l’injonction du 17 août 2022 avant même que la décision litigieuse du 22 décembre 2022 n’aurait été prise, il ressort cependant tant du dossier administratif que du mémoire en réponse du délégué du gouvernement que la communication des pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier pour le mois de juillet 2022 pour les 7 salariés détachés …, …, …, …, …, … et …, n’a pas été faite, conclusion que la demanderesse n’a pas utilement remise en cause dans le cadre du recours sous examen. Ainsi, elle reste actuellement toujours en défaut de fournir les sept documents précités lui réclamés dans le cadre de l’injonction du 17 août 2022. Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas établi avoir intégralement respecté l’injonction du 17 août 2022.
3 Ibidem.
Ainsi, au-delà de ce qu’aux vœux de l’article L. 614-13 précité du Code du travail, le simple retard dans les suites données à une injonction est déjà passible d’une amende, le fait qu’en l’espèce, la totalité des documents sollicités n’a pas été remise dans le délai imparti, amène le tribunal à conclure que c’est a priori à bon droit que le directeur a infligé une amende administrative à la demanderesse, le simple fait que certains des documents sollicités aient seulement été communiqués avec l’opposition, respectivement le recours gracieux n’est pas de nature à énerver ce constat.
Etant donné que ni le dossier administratif, ni les pièces versées par la demanderesse à l’appui de son recours ne comportent ces sept documents litigieux, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a fait valoir que la demanderesse n’est pas seulement restée en défaut d’avoir respecté le délai de 15 jours y relatif pour leur transmission, tel que figurant dans l’injonction concernée du 17 août 2022, mais reste actuellement toujours en défaut de les avoir versés, même en cours d’instance.
Il s’ensuit que l’affirmation selon laquelle l’injonction aurait été respectée encourt le rejet, étant cependant relevé que la circonstance que la demanderesse a entretemps communiqué les fiches de salaire et les preuves de paiement de l’intégralité du salaire du mois de juillet 2022 pour les sept salariés détachés à l’ITM dans le cadre de son opposition du 10 octobre 2022, est à prendre en considération dans le cadre de l’analyse du quantum de la sanction retenue.
En ce qui concerne, finalement, le bien-fondé et le montant de la sanction retenue, il échet d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article L. 143-2, paragraphe (1) du Code du travail, « Les infractions aux dispositions des articles L. 142-2, L. 142-3 L. 145-4, L. 145-5, L. 145-6, et L. 281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché et entre 2.000 et 10.000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.
Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50.000 euros.
Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur. (…) ».
Dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal doit apprécier les faits commis par la demanderesse en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant en considération la situation dans son ensemble, étant précisé que le tribunal, saisi d’un recours en réformation, est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et quant à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer4, 4 Trib. adm., 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 16 et les autres références y citées.suivant les éléments de fait et de droit présentement acquis5 afin de vérifier si l’amende confirmée par la décision déférée est toujours justifiée au jour où le tribunal statue.
Il résulte de l’article L. 614-13 précité du Code du travail que si une personne concernée ne donne pas suite à une injonction de l’ITM en vertu de l’article L.614-4, le directeur est en droit de lui infliger une amende administrative, laquelle n’est partant en l’espèce pas critiquable en son principe, alors qu’il a été retenu ci-avant que plusieurs documents sollicités, n’ont été transmis ni dans les délais impartis par les injonctions respectives, ni par après, de sorte que le retard y relatif s’est encore accentué. Ainsi, la demande de la partie demanderesse de se voir délier de toute amende est d’ores et déjà à rejeter.
Force est encore, dans ce contexte, de souligner que le but des injonctions adressées par l’ITM dans la présente affaire consiste dans le contrôle du respect, par la partie demanderesse, de ses obligations légales vis-à-vis de ses salariés, et que la sanction prévue à l’article L. 614-13 du Code du travail constitue un instrument de contrainte administrative destiné à inciter l’employeur à se conformer, dans les plus brefs délais, aux injonctions émanant de l’ITM. Elle vise ainsi à garantir que les documents requis soient transmis promptement, afin de permettre à l’ITM d’exercer efficacement sa mission de contrôle du respect des dispositions légales en matière de droit du travail.
Or, en omettant de prendre en considération, lors de la fixation du montant de l’amende administrative, le fait que les documents exigés ont été transmis, fût-ce tardivement, l’autorité administrative adopte une position selon laquelle toute régularisation postérieure à l’échéance initiale serait dépourvue d’effet. Une telle interprétation est toutefois susceptible de décourager les employeurs de satisfaire à leurs obligations, même de manière différée, et porte ainsi atteinte à la finalité essentielle de l’injonction, à savoir permettre un contrôle effectif et efficient des conditions de travail.
En outre, le refus de prendre en compte les documents transmis, même tardivement, fait obstacle à une appréciation complète et équitable de la part du directeur, conforme aux exigences de l’article L. 143-2, paragraphe (1), alinéa 3, précité, du Code du travail, lequel impose de tenir compte des circonstances de l’espèce, de la gravité du manquement ainsi que du comportement de l’auteur.
Force est dès lors de constater que l’amende administrative prévue à l’article L. 614-13 du Code du travail a pour seule finalité de sanctionner le non-respect des injonctions émises par l’ITM, et non les infractions substantielles aux dispositions du Code du travail en tant que telles.
Ces considérations n’empêchent cependant pas de sanctionner le retard avec lequel les documents sollicités sont finalement transmis, étant donné qu’aux vœux de l’article L. 614-13 du Code du travail, non seulement le défaut de transmission des documents sollicités, mais également le simple retard dans les suites données à une injonction sont passibles d’une amende.
5 Trib. adm., 8 juillet 2002, n° 13600 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 17 et les autres références y citées.En ce qui concerne le caractère proportionné ou non de l’amende litigieuse et partant la demande subsidiaire de la partie demanderesse selon laquelle le montant réclamé devrait être revu à la baisse, il convient de rappeler que l’article L. 143-2, paragraphe (1), précité, du Code du travail laisse une certaine marge d’appréciation à l’autorité compétente en ce qui concerne le montant à prononcer à titre d’amende administrative.
En l’espèce, il ressort de l’analyse de la décision déférée que la Société s’est vu infliger une amende administrative de 21.000 euros pour avoir contrevenu aux articles L. 142-2 et L. 142-
3 du Code du travail, c’est-à-dire une amende se trouvant dans la fourchette légale, s’agissant de 7 salariés concernés.
Force est ensuite de rappeler que si la partie étatique admet qu’une partie des documents sollicités par l’ITM à travers son injonction du 17 août 2022 ont été remis à l’appui de l’opposition introduite par la Société, en l’occurrence les fiches de salaire et les preuves de paiement de l’intégralité du salaire du mois de juillet 2022 pour les 7 salariés détachés concernés, c’est cependant à bon droit qu’elle conteste l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la totalité des documents sollicités se trouverait désormais en possession de l’ITM.
En effet, il appartient au demandeur de rapporter la preuve qu’il a communiqué la totalité des documents requis à l’administration et non à l’administration de rapporter la preuve négative qu’elle ne disposerait pas des pièces en question6, la simple affirmation en ce sens étant insuffisante, de sorte qu’en l’absence de preuve contraire, la demanderesse reste toujours en défaut d’établir qu’elle a mis à disposition de l’ITM la totalité des documents visés par l’injonction du 17 août 2022, et plus particulièrement les pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier pour le mois de juillet 2022 pour les 7 salariés détachés concernés.
Bien que le tribunal a retenu ci-avant que l’amende décidée à l’encontre de la demanderesse était justifiée dans son principe, étant donné que le délai pour la transmission des documents sollicités n’a pas été respecté, alors que ledit délai a expiré le 6 septembre 2022, et, vu que certains documents sollicités par l’ITM sont toujours en souffrance à l’heure actuelle, de sorte que le retard y relatif s’est encore accentué, empêchant toujours l’ITM de contrôler si la partie demanderesse s’est bien conformée à ses obligations légales vis-à-vis des salariés concernés, ce qui a été l’objectif primaire du contrôle le 1er juillet 2022, le montant de l’amende prononcée par la décision déférée doit néanmoins être considéré comme étant disproportionné par rapport aux critères fixés par le paragraphe (1) de l’article L. 143-2 du Code du travail alors que, tel que retenu ci-avant, seulement une partie des documents initialement sollicités reste en souffrance à l’heure actuelle, de sorte qu’il y a lieu de réduire, par réformation de la décision déférée, le montant de l’amende à 8.000 euros.
Il s’ensuit que le moyen afférent relatif au caractère disproportionné de l’amende litigieuse est à accueillir en ce sens, de sorte que le recours en réformation est à déclarer comme partiellement fondée.
6 Voir en ce sens Trib. adm., 21 mai 2007, n° 23150C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 889 et l’autre référence y citée. Il n’y a cependant pas lieu de faire droit à la demande présentée par la demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros, la demanderesse laissant d’établir en quelle mesure il serait inéquitable qu’elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imposer pour moitié à chaque partie.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 22 décembre 2022 ;
au fond, le dit partiellement justifié ;
partant, par réformation de la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 22 décembre 2022, réduit le montant de l’amende administrative à payer par la demanderesse à 8.000 euros ;
rejette le recours pour le surplus ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à l’Etat et pour moitié à la demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier, Shania Hames.
s. Shania Hames s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 10