La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2025 | LUXEMBOURG | N°48744

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2025, 48744


Tribunal administratif N° 48744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48744 1re chambre Inscrit le 28 mars 2023 Audience publique du 4 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1),...

Tribunal administratif N° 48744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48744 1re chambre Inscrit le 28 mars 2023 Audience publique du 4 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A1) et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A1), né … à … (Afghanistan), demeurant à L-…, et de son épouse, Madame (A2), née le … à …, ainsi que de Madame (A3), née le … à …, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de l’enfant (A4), né le … à …, les trois demeurant à …, tous les quatre de nationalité afghane, tendant à l’annulation de « la décision ministérielle de rejet du 14 novembre 2022, ainsi que de la décision ministérielle confirmative de rejet en date du 20 janvier 2023 […], intervenu[e] sur recours gracieux du 6 décembre 2022, par laquelle […] le Ministre [de l’Immigration et de l’Asile] a rejeté [leur] demande de regroupement familial introduite en date du 29 septembre 2021 » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, au nom de ses mandants, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 février 2025.

En date du 4 juin 2018, Monsieur (A1) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 27 décembre 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur (A1).

Le recours contentieux introduit par Monsieur (A1) en date du 21 janvier 2020 contre la décision ministérielle du 27 décembre 2019 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 22 mars 2021, inscrit sous le numéro 44039 du rôle.

Par arrêt du 17 juin 2021, inscrit sous le numéro 45906C du rôle, la Cour administrative fit droit à l’appel interjeté par Monsieur (A1) et, par réformation, lui accorda le statut conféré par la protection subsidiaire.

Par décision du 23 juillet 2021, le ministre accorda à Monsieur (A1) le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 22 juillet 2026.

Par courrier de son litismandataire du 29 septembre 2021, réceptionné par le ministre à la même date, Monsieur (A1) introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de regroupement familial dans le chef de son épouse et de l’enfant (A4), tous les deux de nationalité afghane.

Par courrier du 26 janvier 2022, le ministre s’adressa au litismandataire de Monsieur (A1) dans les termes suivants :

« […] Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que conformément à l’article 23 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, seules les demandes comportant les indications et éléments requis feront l’objet d’un examen.

Etant donné que votre courrier électronique comporte un document illisible et deux documents non traduits dans le chef de la famille de votre mandant, je ne suis pas en mesure d’établir le lien familial entre votre mandant et ses membres de famille.

Afin de prendre connaissance des documents à joindre à une demande d’autorisation de séjour, je vous invite à consulter le site […]. ».

En date du 2 août 2022, le ministère réceptionna de la part du litismandataire de Monsieur (A1) des documents supplémentaires relatifs à la demande de regroupement familial de ce dernier, dont également des documents concernant sa prétendue mère, Madame (A3).

Par décision du 14 novembre 2022, le ministre s’adressa à Monsieur (A1) pour lui demander des pièces supplémentaires concernant son épouse et pour l’informer de son refus de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A3) et de l’enfant (A4), qui était encore mineur à cette date, les quatre intéressés étant désignés ci-après par « les consorts (A) ». Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 2 août 2022.

2 I. Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse de votre mandant Avant tout progrès en cause et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir dans les meilleurs délais les pièces suivantes qui n’étaient pas jointes à la demande :

• Une copie intégrale du passeport de Madame (A2) en cours de validité ;

• L’original ou une copie certifiée conforme d’un extrait récent du casier judiciaire dans le chef de votre épouse;

• Une copie de votre acte de mariage ;

• La preuve que vous disposez des ressources suffisantes et régulières afin de subvenir à vos besoins ainsi qu’à ceux de vos membres de famille ;

• La preuve que vous disposez d’un logement approprié sur le territoire luxembourgeois ainsi que l’accord écrit du propriétaire, accompagné d’une pièce d’identité, à y loger une personne supplémentaire ;

• La preuve que votre épouse dispose d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois.

Veuillez nous adresser les documents demandés en un seul envoi, conjointement avec la présente.

II. Demande de regroupement familial en faveur de Madame (A3) et de l’enfant (A4) Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l’article 73, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, « la demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille ».

Etant donné qu’aucun document prouvant les liens familiaux entre les personnes à regrouper et vous a été joint à la demande, je ne suis pas en mesure d’établir votre lien familial avec eux.

Même si conformément à l’article 73, paragraphe (3) : « lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant les liens familiaux, il peut prouver l’existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familiale », il ressort de l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que « l’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d’origine ».

Or, il n’est également pas prouvé que Madame (A3) est à votre charge, qu’elle est privée du soutien familial dans son pays d’origine et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens.

3 De même, le regroupement familial de la fratrie n’est pas prévu à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par ailleurs, vos membres de famille ne remplissent aucune condition qui lui permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Par un courrier de son litismandataire du 6 décembre 2022, Monsieur (A1) fit introduire un recours gracieux contre la décision précitée du 14 novembre 2022, tout en y formulant, à titre subsidiaire, une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, ainsi qu’à titre encore plus subsidiaire, une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons privées.

Par décision du 20 janvier 2023, le ministre refusa de faire droit au recours gracieux, ainsi qu’aux demandes formulées à titre subsidiaire. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’accuse bonne réception de votre recours gracieux sous rubrique qui m’est parvenu en date du 6 décembre 2022.

Il y a lieu de rappeler que le 23 juillet 2021 une protection subsidiaire a été accordée à Monsieur (A1), donc après l’entrée en vigueur en date du 5 juillet 2021 de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, qui dans son article 9 a augmenté le délai contenu dans le paragraphe (3) de l’article 69 de la loi citée du 29 août 2008 de 3 mois à 6 mois. Cette modification est intervenue dans le but de permettre aux bénéficiaires d’une protection internationale d’avoir plus de temps pour rassembler les pièces nécessaires pour appuyer une demande en obtention du regroupement familial. En l’espèce votre mandant avait donc jusqu’au 23 janvier 2022 pour bénéficier du régime dérogatoire et plus favorable de l’article cité.

Contrairement à vos dires, votre télécopie du 29 septembre 2021 ne contenait pas « trois pièces jointes (…) afin de permettre l’identification des membres à regrouper », pièces que vous énoncez être «(…) L’acte de mariage entre Madame (A2) et Monsieur (A1). 3. Tazkera de Madame (A2) » et « (…) un document attestant, respectivement confirmant la responsabilité de mon mandant sur son jeune frère, ainsi que l’identité de ce dernier (pièce 4) ». En effet, ces pièces étaient un document illisible et deux documents non traduits, raison pour laquelle un courrier ministériel vous a été adressé en date du 26 janvier 2022 vous informant que seules les demandes comportant des indications et éléments requis peuvent faire l’objet d’un examen et qu’en l’espèce le lien familial entre votre mandant et les membres de famille désirant le rejoindre n’a pas pu être établi. Vous avez été invité à consulter les documents à joindre à une demande d’autorisation de séjour. De même, ces trois documents ne sauraient être considérés comme commencement ou indice de preuve de l’existence d’un lien familial entre votre mandant et ses membres de famille.

Par conséquent, votre courrier du 29 septembre 2021 ne peut pas être considéré comme une demande suffisamment complète pour valoir une demande en obtention du regroupement familial dans le chef de l’épouse de votre mandant, Madame (A2) et de son frère mineur, 4 Monsieur (A4). En effet, la Direction de l’immigration n’avait pas été en mesure de vérifier si globalement les conditions du paragraphe (3) de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration étaient bien remplies.

Vous estimez dans votre recours gracieux qu’il n’existerait « (…) pas de disposition dans la loi luxembourgeoise évoquant une prétendue obligation de fournir l’ensemble des pièces endéans le délai de trois mois », délai qui comme soulevé plus haut n’est pas applicable en l’espèce. Or, il ressort du paragraphe (1) de l’article 73 de la loi citée que la demande de regroupement familial « est » accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et des pièces justificatives prouvant les liens familiaux, le bénéficiaire d’une protection internationale pouvant prouver ces lies par tout moyen de preuve. Il est de jurisprudence constante que ce dernier n’est pas fonder à décider de son propre chef de produire les pièces justificatives par la suite pour ainsi prolonger artificiellement le délai prévu au paragraphe (3) de l’article 69 de la loi citée. Même, si une décision de rejet de la demande de regroupement familial ne peut pas être motivée par la seule absence de pièces justificatives suivant paragraphe (3) de l’article 73, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas en l’espèce, cette disposition ne saurait être interprétée comme permettant au demandeur d’un regroupement familial de se voir accorder d’office le bénéfice des dispositions de l’article 69 paragraphe (3) à partir du seul fait qu’il se soit manifesté auprès du ministre.

En date du 2 août 2022, soit plus de 6 mois après que vous ayez été informé par courrier ministériel du 26 janvier 2022 que votre demande ne répondait pas aux critères d’une demande suffisamment précise et complète susceptible de mettre le Ministre en mesure d’arrêter une décision, le Secrétariat de la Direction de l’immigration a réceptionné un nombre de documents dans le dossier de votre mandant. Ces documents n’ont pas été accompagnés d’informations ou d’explications quelconques et ont donc été considérés comme suite réservée à notre courrier du 26 janvier 2022. Cet envoi contenait entre autres un certificat de naissance émis en date du 25 mai 2022 et une carte d’identité émise en date du 27 mars 2022 dans le chef de l’épouse de votre mandant, un « mariage contract » non daté, une copie non intégrale du passeport de Madame (A3), mère de votre mandant, un document non daté informant que le frère de votre mandant, (A4), est sous la charge de la mère mais qui « (…) is an elderly and weak person and is not able to take care of him », ainsi qu’un certificat de naissance émis en date du 25 mai 2022 et une carte d’identité émise en date du 27 mars 2022 dans le chef de (A4). Il y a lieu de soulever que les pièces mentionnées dans votre courrier du 29 septembre 2021 ne se trouvaient plus dans cet envoi, que ce soit de manière visible ou traduite ou dans la même forme.

En application du paragraphe (3) de l’article 73, la preuve du lien familial entre votre mandant et son épouse n’a ainsi été apportée qu’en date du 2 août 2022, donc un peu plus d’un an après la notification de la protection subsidiaire de votre mandant de sorte que la procédure plus favorable de l’article 69, paragraphe (3) n’est plus applicable. Par conséquent, concernant la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de votre mandant, les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 ont été sollicitées par courrier ministériel du 14 novembre 2022. Il ne s’agit donc pas comme vous le soulevez d’un refus de cette demande de regroupement familial, mais d’une fin de non-recevoir à l’application du régime prévu à l’article 69, paragraphe (3) cité.

Quant au volet du courrier ministériel du 14 novembre 2022 refusant le regroupement familial à la mère et au frère de votre mandant, il n’a pas été seulement motivé par l’absence 5 de pièces justificatives mais surtout parce que les conditions du paragraphe (5) de l’article 70 ne sont pas remplies, respectivement que le regroupement familial de la fratrie n’est pas prévu.

Après avoir donc procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne peux que confirmer mon courrier et ma décision du 14 novembre 2022 dans son intégralité.

Quant à votre demande subsidiaire d’une « (…) autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle sur base de l’article 78, paragraphe (3) » contenue dans votre courrier du 6 décembre 2022 il y a lieu de soulever que le ressortissant d’un pays tiers doit se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois conformément à l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration pour solliciter une autorisation de séjour sur base de l’article 78(3).

Dans ce contexte, je me permets de citer une partie d’un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015 (numéro 36058C du rôle) et une partie d’un jugement du 2 décembre 2015 (numéro 35581 du rôle) :

« Cette façon de procéder de la norme communautaire consiste à conférer aux Etats membres une option par rapport à laquelle ceux-ci ont conservé la possibilité d’en faire usage ou de ne pas en faire usage et, dans l’hypothèse où ils en font l’usage, de le faire avec une plus ou moins grande latitude, étant entendu que les raisons de la délivrance du titre de séjour à une personne, par hypothèse en séjour irrégulier, relèvent du spectre humanitaire au sens large. Dès lors, les Etats membres ont gardé la latitude de prendre en considération des motifs du spectre humanitaire au sens large avec plus ou moins d’amplitude et ont dès lors conservé la possibilité d’encadrer plus ou moins strictement la délivrance de pareil titre de séjour, s’agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier, pourvu toutefois que la base humanitaire n’en fasse pas défaut ».

«En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l’article 6 paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d’espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme ».

La demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d’une exceptionnelle gravité dans le chef de la mère et du frère de votre mandant séjournant hors territoire luxembourgeois n’est en conséquence pas recevable.

Enfin, quant à votre demande encore plus subsidiaire d’une « (…) autorisation de séjour sur le fondement des liens familiaux en vertu de l’article 78, paragraphe 2, c) » contenue aussi dans votre courrier, je suis au regret de vous informer que je ne suis également pas en mesure de faire droit à cette requête. En effet, afin de pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 6 29 août 2008, les intéressés doivent, conformément à l’article 78, paragraphe (2) de la loi, témoigner de ressources suffisantes ainsi que des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité. Je ne dispose cependant d’aucune preuve que les personnes à regrouper remplissent ces conditions.

Je vous rappelle que « l’article 8 de la CEDH garantit seulement l’exercice du droit au respect d’une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l’entrée sur le territoire national. D’ailleurs une vie familiale n’existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu’aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ». Or, aucun document ne témoigne de liens familiaux au-delà d’éventuels liens affectifs normaux entre des membres de famille, que ce soit pour la mère, respectivement le frère de votre mandant et la situation sécuritaire en Afghanistan ne saurait être suffisante.

De même, il ressort du document non daté dont la traduction commence par « In the name of God » que « Residential village (…) district (…) of … province is recognized by the representative of the place of a homeless person » et non comme vous le prétendez « (…) résident du village … du district de …, province … est reconnu comme un personne n’ayant pas de tuteur de la part du représentant du quartier ». A cela s’ajoute que le frère mineur de votre mandant continue à résider ensemble avec sa mère dans leur pays d’origine, de sorte qu’il y garde ses attaches familiales.

Comme déjà soulevé dans mon courrier du 14 novembre 2022, les membres de famille de votre mandant ne remplissent aucune condition qui leur permettraient de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2023, les consorts (A) ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des deux décisions ministérielles susvisées des 14 novembre 2022 et 20 janvier 2023.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond dans la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, et en ce qui concerne la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour les demandeurs de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs rappellent en substance les faits et rétroactes tels que relevés ci-avant.

En droit, les consorts (A) avancent, en premier lieu, des moyens dirigés contre les volets des décisions déférées relatifs à leur demande de regroupement familial et, en second lieu, des moyens dirigés contre le refus de leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité contenu dans la décision du 20 janvier 2023.

Le tribunal se doit d’ores et déjà de constater que les demandeurs n’ont formulé aucun moyen par rapport au refus de la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008, ni même par rapport à l’affirmation du ministre qu’aucune condition permettant aux membres à regrouper de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont énumérées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 n’est remplie en l’espèce, de sorte que ces deux volets des décisions déférées n’ont pas à être examinés par le tribunal.

I. Quant aux moyens dirigés contre les volets des décisions déférées relatifs à la demande de regroupement familial des demandeurs Prétentions des parties Les consorts (A) reprochent en premier lieu au ministre une méconnaissance de l’article 69 (3) de la loi du 18 décembre 2015 en soutenant qu’après s’être vu octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, Monsieur (A1) aurait introduit une demande de regroupement familial en date du 29 septembre 2021 afin de faire bénéficier les membres de sa famille des dispositions de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée « la directive 2003/86/CE ». Etant donné qu’il aurait joint à cette demande toutes les pièces qu’il aurait raisonnablement pu obtenir dans les délais impartis, l’autorité ministérielle aurait dû appliquer d’office les dispositions de ladite directive à leur cas, au lieu de refuser implicitement leur demande de regroupement familial. S’ils conçoivent que la directive 2003/86/CE est dépourvue d’effets directs compte tenu de l’existence d’une loi de transposition en droit luxembourgeois, à savoir la loi du 29 août 2008, il n’en resterait pas moins que le droit national devrait être interprété à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur européen, les demandeurs se référant à ce propos à divers arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), desquels il se dégagerait une simplification pour le regroupement familial de bénéficiaires d’un des statuts conférés par la protection internationale.

Ils sont d’avis que leur demande de regroupement familial aurait été introduite endéans le délai de « trois » mois après l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire par Monsieur (A1), de sorte que ladite demande serait conforme aux exigences du droit de l’Union européenne, et plus particulièrement aux articles 11 et 12 de la directive 2003/86/CE, respectivement à l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008. Ils estiment qu’il ne ressortirait, en effet, pas de l’article 11 de la directive 2003/86/CE que le caractère complet d’une demande de regroupement familial serait conditionné par la transmission de pièces officielles, tout en précisant qu’eu égard au fait que l’article 73 (1) de la loi du 29 août 2008 permettrait une interprétation large de la notion de « tout moyen de preuve », il y aurait lieu de retenir que les documents transmis par Monsieur (A1) à l’appui de la demande de regroupement familial initiale devraient être considérés comme commencement de preuves. Ainsi, en les obligeant de fournir l’ensemble des pièces à l’appui de leur demande endéans le délai de « trois » mois, le ministre aurait ajouté une condition supplémentaire à cette demande qui ne serait prévue ni par la directive 2003/86/CE, ni par la loi du 29 août 2008.

D’ailleurs, en fournissant tous les documents susceptibles d’être réunis dans le délai prescrit – la transmission des documents officiels avec leurs traductions ayant été inconcevable dans le délai de « trois » mois, compte tenu de la situation particulière liée à son pays d’origine –, Monsieur (A1) aurait respecté son obligation de coopération. L’autorité administrative, quant à elle, aurait dû respecter son obligation de procéder à une analyse objective de la situation du pays d’origine du demandeur et de prendre en compte les difficultés rencontrées par celui-ci pour obtenir les pièces nécessaires, alors que la demande de regroupement familial initiale aurait été introduite lors de l’arrivée au pouvoir des talibans, respectivement à l’aube de l’automne 2021, période où les administrations afghanes seraient restées en suspens pendant un laps de temps important.

Les demandeurs mettent encore en exergue que la Commission Consultative des Droits de l’Homme aurait recommandé dans son rapport sur le droit au regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg de supprimer le délai de trois mois après l’octroi du statut pendant lequel le bénéficiaire d’une protection internationale est exempté des conditions supplémentaires pour le regroupement familial, compte tenu des difficultés rencontrées pour réunir l’ensemble des documents nécessaires à la demande de regroupement familial.

Ensuite, les demandeurs estiment qu’en leur reprochant de ne pas avoir communiqué toutes les pièces justificatives officielles avant le 2 août 2022, malgré le courrier ministériel du 26 janvier 2022, le ministre aurait implicitement rejeté la demande de regroupement familial déposée par Monsieur (A1) le 29 septembre 2021. Or, cette décision de « requalification » de leur demande serait un simple moyen pour le ministre de les empêcher de bénéficier du régime plus favorable tel que prévu à l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008. En agissant de la sorte, le ministre aurait violé tant la directive 2003/86/CE que l’article 73 (3) de la loi du 29 août 2008.

Les consorts (A) invoquent encore une violation du principe de sécurité juridique en s’appuyant sur la jurisprudence des juridictions administratives qui confirmerait leur raisonnement tel qu’exposé ci-dessus et qui serait transposable au cas d’espèce.

Il résulterait de leurs développements que l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 devrait être interprété de manière large, de sorte que leur demande de regroupement familial initiale du 29 septembre 2021 devrait être accueillie sans requalification en une seconde demande, laquelle aurait pour conséquence de les exclure du bénéfice du régime plus favorable.

En deuxième lieu, les demandeurs font valoir qu’une interprétation restrictive de la loi du 29 août 2008 rendrait leur regroupement familial impossible, alors que des conditions financières strictes devraient être appliquées. Une telle impossibilité de regroupement familial aurait toutefois pour conséquence de violer les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »), ainsi que 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (« CIDE »). En tout état de cause, le ministre n’aurait pas pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, ni même leur unité familiale lors de la prise des décisions déférées.

En troisième lieu, et eu égard au fait qu’ils estiment que leur demande de regroupement familial aurait été introduite dans le délai de « trois » mois, tel que visé par l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, la situation de Monsieur (A1) devrait être analysée en application de l’article 70 (5) a) de la même loi. Si cet article n’oblige, certes, pas le ministre d’accorder systématiquement à tous les membres d’une famille le bénéfice du regroupement familial, il n’en resterait pas moins qu’il devrait faire droit aux demandes de regroupement familial de personnes qui seraient à charge du regroupant et qui ne pourraient pas subvenir seuls à leurs besoins, dont notamment les frères et sœurs de celui-ci. Tel serait leur cas, dans la mesure où tant Madame (A2) que Madame (A3) et l’enfant (A4) seraient amplement dépendants de Monsieur (A1).

Ils rappellent qu’en leur refusant le regroupement familial, alors qu’il existerait entre eux non seulement un lien biologique, mais également un lien réel et suffisamment étroit, le ministre porterait atteinte à leur unité familiale laquelle serait constitutive d’un principe revêtant, en application du considérant 8 de la directive 2003/86/CE, une importance singulière.

Le ministre aurait encore violé les articles 75 (2) c) et 75 (6) de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où (i) il se dégagerait à suffisance du dossier administratif que le frère mineur de Monsieur (A1), de nationalité afghane, nécessiterait la protection de celui-ci en raison de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan qui bafoueraient les droits les plus élémentaires des Afghans, de sorte à ne pas permettre aux enfants, ni d’ailleurs aux femmes seules, de vivre en sécurité, et (ii) les autres sœurs de Monsieur (A1) ne pourraient pas subvenir aux besoins des trois membres à regrouper.

Les décisions déférées violeraient encore l’article 8 de la CEDH, alors que le fait de refuser le regroupement familial à deux femmes et un enfant mineur, entièrement dépendants du regroupant vivant dans un Etat membre de l’Union européenne, constituerait une ingérence dans leur vie privée et familiale, conduisant inéluctablement à l’éclatement de leur cellule familiale.

Jurisprudence à l’appui, les demandeurs font encore état d’une violation du principe de l’égalité des administrés, alors que, dans des situations identiques, les parents, respectivement le frère, la sœur, le neveu ou la nièce mineur(e)/majeur(e) de la personne ou des personnes concernée(s) auraient été autorisé(e)s à rejoindre leur famille au titre d’un regroupement familial. A cet égard, ils soutiennent, en substance, que dans la mesure où ils seraient traités différemment de ces personnes, malgré le fait que leur situation serait identique à celle des personnes en question, les décisions déférées violeraient le susdit principe et seraient disproportionnées.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs maintiennent, en substance, leurs développements antérieurs, tout en précisant, en ce qui concerne leur moyen tenant à une violation de l’article 75 (2) c) de la loi du 18 décembre 2015, qu’en raison du fait, d’une part, que l’enfant (A4) vivrait auprès de sa mère, qui ne serait pas en mesure de le prendre en charge financièrement, et, d’autre part, que Monsieur (A1), frère aîné, serait le seul à pouvoir subvenir aux besoins de cet enfant, un « transfert d’autorité » aurait été effectué. D’ailleurs, l’intérêt supérieur de cet enfant, tel que prévu à l’article 75 (7) de la loi du 18 décembre 2015 et à l’article 24 de la Charte, devrait primer dans le cas d’espèce. A cet égard, ce serait à tort que le délégué du gouvernement affirmerait qu’il serait dans l’intérêt de l’enfant (A4) de rester vivre avec sa mère en Afghanistan, les demandeurs reprochent au représentant étatique de méconnaître la situation actuelle des femmes hazaras dans ledit pays où il ne serait pas permis à une femme seule d’élever en sécurité son propre fils. La situation serait être encore plus critique pour les enfants mineurs, victimes indirectes de discriminations graves pouvant être qualifiées de traitements inhumains et dégradants commis à l’encontre « de leur seule et unique figure d’autorité sur place ; leur mère ».

S’agissant du moyen tenant à une violation de l’article 8 de la CEDH, les demandeurs précisent que Monsieur (A1) maintiendrait des liens affectifs étroits avec son frère et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine au péril de sa vie en raison des motifs l’ayant conduit à déposer une demande de protection internationale au Luxembourg. Conclure à l’absence de lien personnel étroit entre Monsieur (A1) et son frère au seul motif qu’il aurait été contraint de l’abandonner indépendamment de sa volonté reviendrait à lui demander à fournir des preuves impossibles à rapporter.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En l’espèce, le tribunal relève, tout d’abord, que ni la décision du 14 novembre 2021, ni celle du 20 janvier 2023 refusent la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A1), Madame (A2), de sorte que les développements faits par les demandeurs pour contester un tel refus sont à écarter pour être dénués de pertinence.

En effet, il se dégage des décisions déférées qu’en ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A1), le ministre s’est limité à ne pas faire application du régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, en raison de l’expiration du délai prévu par cette disposition, et à solliciter des pièces supplémentaires pour évaluer si le regroupant, Monsieur (A1), remplit les conditions de l’article 69 (1) de la même loi. Il convient, dès lors, de déterminer si la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A1), Madame (A2), a été introduite endéans le délai prévu par l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne ensuite la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A3) et de l’enfant (A4), mineur à l’époque, il se dégage des décisions déférées que le ministre a refusé cette demande pour défaut de preuve de liens familiaux entre Monsieur (A1) et ces derniers, d’autant plus (i) qu’il ne serait pas établi que Madame (A3) serait à charge de Monsieur (A1) et (ii) que le regroupement de la fratrie ne serait pas prévu à l’article 70 de la loi du 29 août 2008. Au regard de ce qui précède, et plus particulièrement de l’absence d’une analyse du ministre quant à l’application du régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 à Monsieur (A1) dans le cadre de la demande de regroupement familial visant Madame (A3) et l’enfant (A4), les arguments avancés par les demandeurs à une telle applicabilité, sont à écarter pour défaut de pertinence.

1. Quant au refus d’application du régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 à la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A1) Il y a lieu de relever que l’article 69 de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes:

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Quant à l’article 70 (1) de la loi du 29 août 2008, il énonce que : « Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) Le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats.

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord. ».

Enfin, en vertu de l’article 73 (1) à (3) de la loi du 29 août 2008 :

« (1) La demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille.

(2) Pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, le ministre ou l’agent du poste diplomatique ou consulaire représentant les intérêts du Grand-Duché de Luxembourg dans le pays d’origine ou de provenance du membre de la famille, peuvent procéder à des 12 entretiens avec le regroupant ou les membres de famille, ainsi qu’à tout examen et toute enquête jugés utiles.

(3) Lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, il peut prouver l’existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familial. ».

En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la question de savoir à partir de quel moment une demande est censée être introduite pour apprécier si le délai de six mois – que les demandeurs ont erronément indiqué comme étant de trois mois – prévu à l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable en l’espèce, a été respecté et en l’occurrence sur celle de savoir dans quelle mesure des pièces complémentaires peuvent être produites ex post, soit après le dépôt de ladite demande.

Force est de constater que ni la loi du 29 août 2008, ni la directive 2003/86/CE ne définissent la notion de « demande ».

Les demandeurs plaident en substance en faveur d’une interprétation large de cette notion en affirmant que la seule absence de pièces justificatives des liens familiaux lors du dépôt de la demande de regroupement familial par un bénéficiaire de la protection internationale n’écarterait pas d’office le bénéfice du régime instauré par l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’une demande incomplète vaudrait demande.

Il résulte toutefois du paragraphe (1) de l’article 73 de la loi du 29 août 2008 que la demande « est » accompagnée des preuves, de sorte qu’un demandeur d’un regroupement familial n’est pas fondé à décider, de son propre chef, de produire des pièces justificatives par la suite, une telle façon de faire ayant, au contraire, pour conséquence de prolonger artificiellement le délai de six mois endéans lequel des pièces justificatives doivent être fournies à l’appui d’une demande de regroupement familial pour bénéficier du régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 dont les demandeurs réclament justement l’application.

Il est vrai que l’article 73 (3) de la loi du 29 août 2008 prévoit qu’une décision de rejet de la demande de regroupement familial ne peut pas être motivée par la seule absence de pièces justificatives, de sorte que l’on ne saurait interpréter trop restrictivement la notion de « demande » en ce sens que pour apprécier si le délai de six mois prévu à l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 est respecté, seule une « demande complète » – à savoir la requête de bénéficier du regroupement familial accompagnée de tous les éléments justificatifs nécessaires – vaudrait « demande » au sens de la loi précitée. Néanmoins, cette disposition ne saurait être interprétée comme permettant, à défaut de toutes pièces justificatives, au demandeur d’un regroupement familial de se voir accorder d’office le bénéfice des dispositions de l’article 69 (3) de la même loi à partir du seul fait que le bénéficiaire d’une protection internationale se soit manifesté auprès du ministre.

Dans un arrêt du 7 novembre 20181, la CJUE a en effet jugé que retenir pareille interprétation « priverait de son efficacité et de sa clarté la règle de délimitation des champs d’application respectifs des régimes applicables aux demandes de regroupement familial […] 1 CJUE, 7 novembre 2018, K et B contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-380/178, considérant 49.

que les États membres ont la faculté d’instaurer sur la base du délai fixé à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, de la [directive 2003/86/CE] ».

En l’espèce, Monsieur (A1) a introduit la demande de regroupement familial dans le chef de son épouse, Madame (A2), et de l’enfant (A4) par courrier de son litismandataire du 29 septembre 2021, soit dans les six mois après avoir obtenu le statut conféré par la protection subsidiaire par une décision lui ayant été notifiée le 23 juillet 2021.

En ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef de son épouse, il a indiqué dans ledit courrier (i) joindre à sa demande la décision, prémentionnée, du 23 juillet 2021, l’acte de mariage, ainsi que la tazkera de son épouse, et (ii) baser sa demande sur les dispositions de l’article 12 (2) de la directive 2003/86/CE, de même que sur l’article 8 de la CEDH.

Force est toutefois au tribunal de constater que par son courrier du 29 septembre 2021, Monsieur (A2) n’a pas mis le ministre à même de vérifier si, globalement, les conditions du paragraphe (3) de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 étaient bien remplies, alors que les documents annexés, à part la décision du 23 juillet 2021, étaient pour l’un illisible et pour l’autre non traduit. Ces informations n’ont partant pas permis au ministre d’opérer une vérification des conditions de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008.

En outre, même après avoir été rendu attentif par courrier du 26 janvier 2022 à l’impossibilité du ministre d’établir un lien familial entre lui-même et Madame (A2) au vu de ces documents illisibles, respectivement non traduits, Monsieur (A1) ne lui a pas remis ces documents en bonne et due forme.

Ce n’est, d’ailleurs, qu’en date du 2 août 2022, soit six mois après avoir reçu le courrier d’information du ministre du 26 janvier 2022, que Monsieur (A1) a communiqué à celui-ci les documents nécessaires pour établir le lien familial entre lui-même et son épouse.

Au vu de ce qui précède, les pièces transmises le 29 septembre 2021, faute d’être lisibles, respectivement traduites en bonne et due forme, ne peuvent pas être considérées comme un commencement de preuve de nature à établir un lien familial entre Monsieur (A1) et son épouse.

Il s’ensuit que c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé de faire application du régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 à la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A2).

Monsieur (A1) attribue les difficultés pour se procurer des pièces justificatives à la montée au pouvoir des talibans en Afghanistan et aux désagréments causés notamment dans l’établissement de passeports, désagréments qui auraient été particulièrement importants pour les personnes d’origine ethnique hazara.

Il est certes vrai qu’en tant que bénéficiaire d’une protection internationale, le demandeur doit, tel que cela ressort des enseignements de l’arrêt de la Cour administrative du 5 octobre 2021, inscrit sous le numéro 45914C du rôle, avoir la possibilité d’invoquer des circonstances particulières rendant objectivement excusable l’introduction tardive d’une demande de regroupement familial fondée sur l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte qu’en l’espèce, les demandeurs doivent a priori être admis à invoquer des difficultés rencontrées pour rassembler des pièces justificatives en raison de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021.

Il n’en reste pas moins que la seule existence d’une situation difficile en Afghanistan ne saurait suffire à justifier la production de documents illisibles, respectivement non traduits par Monsieur (A1) à l’appui de son courrier du 29 septembre 2021, dès lors que la difficulté rencontrée ne portait pas sur l’obtention desdits documents, mais sur leur présentation sous une forme permettant au ministre d’en effectuer une analyse appropriée. Les demandeurs n’ont, d’ailleurs, fourni aucune explication quant au défaut de production de documents lisibles et traduits dès le courrier du 29 septembre 2021.

Admettre le courrier du 29 septembre 2021 comme « demande » au sens de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008, alors qu’aucune pièce lisible, sinon traduite pour prouver les liens familiaux de Monsieur (A1) avec Madame (A2) n’y était annexée, reviendrait à rendre au moins partiellement inopérante la distinction entre le régime de faveur de cette disposition et celui de droit commun de l’article 69 (1) de la même loi. De plus, une interprétation trop large de la notion de « demande » empêcherait le ministre de satisfaire à l’obligation lui imposée à l’article 73 (6) de la loi du 29 août 2008 de notifier sa décision au regroupé au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, étant relevé que selon ce même article, ce délai de neuf mois ne peut être prolongé que dans « des cas exceptionnels liés à la complexité de l’examen de la demande »2.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande telle qu’introduite le 29 septembre 2021, même soutenue par des pièces supplémentaires le 2 août 2022, n’est pas suffisamment complète pour valoir « demande » de regroupement familial au sens de la loi du 29 août 2008 et pour être prise en compte comme avoir été introduite dans le délai de six mois prévu par cette disposition, encore que le courrier afférent du 29 septembre 2021 ait été introduit endéans le délai de six mois.

Il s’ensuit que ni une erreur de droit, ni une violation des articles 69 (3) et 73 (1) à (3) de la loi du 29 août 2008 ne peut être reprochée au ministre et que le moyen afférent est dès lors à rejeter.

Quant au moyen relatif à une violation des articles 11 et 12 de la directive 2003/86/CE, il y a lieu de rappeler que cette même directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 29 août 2008. Or, selon une jurisprudence constante de la CJUE, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par des particuliers à l’encontre d’un Etat que si leurs dispositions apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, et que l’Etat en question s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte.

Dans la mesure où, en l’espèce, les demandeurs ne démontrent pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’ils ne sont pas fondés à se prévaloir directement des dispositions européennes invoquées, mais qu’il leur aurait appartenu d’invoquer à la base de leurs prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties demanderesses et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la 2 Cour adm., 5 octobre 2021, n° 45914C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

base de leurs conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire des demandeurs, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Concernant le moyen fondé sur le principe d’égalité de traitement, il échet de relever que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution, en sa version applicable en l’espèce, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension, si les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but3. Pour que le principe d’égalité puisse être valablement mis en œuvre, il convient de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée.

Or, il échet de constater que les demandeurs sont restés en défaut de soumettre au tribunal des éléments suffisants quant à des personnes qui se seraient trouvées dans une situation similaire, voire identique à la leur et qui auraient bénéficié de la procédure plus favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008. Ces derniers se sont en effet limités à des allégations sans même faire une quelconque référence à un cas concret et sans fournir un quelconque élément probant qui démontrerait la similitude de la situation entre ce même cas et leur propre dossier.

Le moyen afférent est partant rejeté pour manquer de fondement.

Finalement et en ce qui concerne la référence des demandeurs au rapport de la Commission consultative des droits de l’Homme du Grand-Duché de Luxembourg sur le droit au regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg, adopté lors de son assemblée plénière du 25 février 2020, celle-ci est à écarter pour défaut de pertinence, une telle recommandation d’un organe consultatif, n’étant en effet pas de nature à mettre en cause la légalité, voire le bien-fondé des décisions ministérielles litigieuses.

Au vu de tout ce qui précède, le tribunal arrive à la conclusion que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’appliquer le régime favorable de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 à la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A1), tout en demandant à ce dernier la communication des pièces requises en vertu du régime de droit commun de l’article 69 (1) de la loi du 29 août 2008.

Le recours est, dès lors, à rejeter en ce qui concerne le volet des décisions déférées relatif à la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A2).

3 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.

2. Quant à la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A3) et de l’enfant (A4) Le tribunal relève, tout d’abord, quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015, que ladite disposition prévoit ce qui suit : « (1) Le bénéficiaire de la protection temporaire peut solliciter le regroupement familial en faveur d’un ou de plusieurs membres de sa famille si la famille était déjà constituée dans l’Etat d’origine et qu’elle a été séparée en raison de circonstances entourant l’afflux massif.

(2) Sont considérés comme membres de la famille au sens du présent article:

a) le conjoint du regroupant ;

b) les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés ;

c) d’autres parents proches qui vivaient au sein de l’unité familiale au moment des événements qui ont entraîné l’afflux massif et qui étaient alors entièrement ou principalement à charge du regroupant.

[…] (6) Le ministre peut accorder le regroupement familial aux membres séparés de la famille qui ne sont pas encore présents sur le territoire d’un Etat membre, qui nécessitent une protection et dont il a acquis l’assurance qu’ils correspondent à la description du paragraphe (2), point c), en tenant compte, au cas par cas, des difficultés extrêmes qu’ils rencontreraient si le regroupement ne se réalisait pas. ».

L’article 75 précité prévoit les différentes catégories de membres de la famille pour lesquels les bénéficiaires d’une protection temporaire peuvent solliciter le regroupement familial. Or, il échet de noter que Monsieur (A1), regroupant, s’est vu octroyer le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, par opposition à la protection temporaire, en date du 23 juillet 2021, de sorte que le prédit article ne saurait trouver à s’appliquer en l’espèce.

Le moyen afférent encourt, dès lors, le rejet.

Il convient par conséquent de se référer aux articles 69, précité, et 70 de la loi du 29 août 2008 qui règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, et en l’espèce bénéficiant du statut conféré par la protection subsidiaire, peut rejoindre celui-ci.

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, est libellé comme suit : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) Le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats.

17 c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre:

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. […] ».

S’agissant, tout d’abord, de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A3), le tribunal rejoint le ministre dans son constat selon lequel il ne résulte pas des pièces justificatives officielles versées en cause, à savoir des copies du passeport de Madame (A3), ainsi que l’acte de mariage de Monsieur (A1) et de Madame (A2), que Madame (A3) et Monsieur (A1) seraient liés par un quelconque lien de parenté.

En outre, même à supposer que les liens familiaux entre Monsieur (A1) et Madame (A3), tels qu’invoqués, soient établis, force est au tribunal de constater que, tel que soulevé à juste titre par la partie étatique, Madame (A3) ne remplit, en tout état de cause, pas les conditions cumulatives figurant à l’article 70 (5) a) de la loi du 29 août 2008, à savoir la circonstance que l’ascendant est à charge du regroupant et qu’il est privé du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

En effet, en ce qui concerne la condition d’être « à charge », il échet de rappeler que cette notion est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial doit nécessiter le soutien matériel du regroupant à un point tel que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé, respectivement que l’absence de ce soutien aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels4, ce qui n’est en l’espèce pas établi par les demandeurs.

En effet, force est au tribunal de constater que les demandeurs ne versent aucune pièce, ni dans le cadre de la demande de regroupement familial, ni dans le cadre du présent recours, qui démontrerait qu’en tant que regroupant, Monsieur (A1) apporterait à sa prétendue mère un quelconque soutien financier. Ainsi, les demandeurs restent en défaut de prouver que Madame (A3) serait à charge de Monsieur (A1) et que sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels.

La première des deux conditions cumulatives prévues par l’article 70 de la loi du 29 août 2008, précité, ne se trouvant pas remplie en l’espèce, il devient surabondant d’examiner le respect de la deuxième condition tenant à l’existence d’un soutien familial auquel Madame (A3) pourrait prétendre dans son pays d’origine.

C’est partant a priori à bon droit que le ministre a refusé le regroupement familial à Madame (A3) au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne ensuite la demande de regroupement familial dans le chef de l’enfant (A4), le tribunal rejoint le ministre dans son constat qu’il ne résulte d’aucune des pièces justificatives officielles versées en cause que l’enfant (A4) et Monsieur (A1) seraient liés par un quelconque lien de parenté.

En outre, même à supposer que le lien fraternel entre Monsieur (A1) et l’enfant (A4) soit établi, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’article 70, précité, de la loi du 29 août 2008 que la fratrie est exclue de la possibilité de bénéficier d’un regroupement familial, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de l’enfant (A4).

Le tribunal tient à préciser, dans ce contexte, et plus particulièrement quant aux développements des demandeurs fondés sur une prétendue violation des articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH, qu’en l’absence de toute preuve établissant des liens familiaux entre les intéressés, ces derniers ne peuvent pas se prévaloir d’une atteinte aux droits garantis par lesdits articles.

Afin d’être tout à fait complet, le tribunal relève que les termes respectifs des articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH sont les suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », et « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

4 Trib. adm., 27 janvier 2000, n° 41955 du rôle, confirmé par Cour adm., 29 juillet 2000, n° 44187C du rôle, Pas.

adm. 2024, V° Etrangers, n° 354 et les autres références y citées.

A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative – telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH – est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale5, 6.

Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH7.

Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois8.

Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »9 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE, transposée par la loi du 29 août 2008 et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ».

Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.

Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements, que la notion de « vie familiale » ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses 5 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2024, V° Lois et règlements, n° 97 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 26 avril 2019, n° 41089 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 486 et les autres références y citées.

7 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et Trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 664.

8 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 486 et les autres références y citées.

9 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -

CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.

membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national10. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays11, à savoir, en l’occurrence, leur pays d’origine, l’Afghanistan, que le regroupant a quitté pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.

Or, en l’espèce, et même en admettant qu’il existe des liens familiaux entre les demandeurs, force est de constater que les liens étroits qu’ils déclarent entretenir restent à l’état de pure affirmation, les demandeurs n’ayant, en effet, rapporté aucun élément de nature à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux entre ceux-ci, étant rappelé à cet égard qu’une simple parenté biologique dépourvue de tous éléments juridiques ou factuels indiquant l’existence d’une relation personnelle étroite est insuffisante pour entraîner la protection de l’article 8 de la CEDH12.

En effet, les demandeurs se limitent à affirmer que Monsieur (A1) aurait un « lien spécial et étroit » avec Madame (A3), ainsi qu’avec l’enfant (A4), et qu’ils nécessiteraient son soutien, notamment depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan. Or, tel que relevé ci-avant, il ne ressort d’aucune pièce versée en cause que Monsieur (A1) aurait apporté un quelconque soutien à sa prétendue mère, financier ou autre, que ce soit avant ou après son départ de l’Afghanistan.

Ainsi, même à supposer qu’il existe des liens familiaux entre Monsieur (A1) et Madame (A3), ils restent en défaut d’établir que ceux-ci vont au-delà des liens affectifs normaux entre un fils et sa mère, le tribunal relevant encore à cet égard qu’il se dégage du rapport d’entretien complémentaire de Monsieur (A1) relatif à sa demande de protection internationale introduite le 4 juin 2018 qu’il avait quitté l’Afghanistan vers 1998, soit 20 ans avant de déposer la demande de protection internationale au Luxembourg, et que lors de ses quatre retours forcés en Afghanistan au cours de ces 20 ans, il n’était pas retourné dans son domicile familial.

Le tribunal note également, à ce propos, qu’au vu du fait que Monsieur (A1) n’est plus retourné dans son domicile familial depuis plus de 20 ans, il n’a, de manière non contestée, jamais rencontré son prétendu frère mineur (A4).

Il s’ensuit que quand bien même il existerait des liens familiaux entre les demandeurs, ils restent également en défaut de prouver une vie familiale qui serait susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH.

Le moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, et partant de son corollaire l’article 7 de la Charte, encourt, dès lors, le rejet pour ne pas être fondé.

A admettre encore que les demandeurs aient entendu se prévaloir de la situation sécuritaire existant en Afghanistan indépendamment du moyen fondé sur l’article 8 de la CEDH, cette situation ne saurait constituer une cause d’illégalité du refus de regroupement familial litigieux et conduire à l’annulation de celui-ci, dans la mesure où la situation sécuritaire dans le pays d’origine ne constitue pas per se une cause de justification de l’octroi d’une 10 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (2e volet) et les autres références y citées.

11 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 488 (3e volet) et les autres références y citées.

12 CourEDH, 1er juin 2004, L. c. Pays-Bas, n° 45582/99, §§ 37-40.

autorisation de séjour au titre d’un regroupement familial telle que recherchée par les demandeurs.

Le tribunal relève encore qu’au vu des considérations qui précèdent, tenant tant à l’absence de preuve d’un lien familial entre Monsieur (A1) et l’enfant (A4), qu’à l’absence de violation des articles 8 de la CEDH et 7 de la Charte – dans l’hypothèse où des liens familiaux entre eux existeraient –, le moyen relatif à une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et plus particulièrement de l’article 3 (1) de la CIDE, prévoyant que « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. », ainsi que de l’article 24 (2) de la Charte, aux termes duquel « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. », est également à rejeter.

En effet, force est de relever que ces dispositions ne tiennent pas en échec les dispositions légales relatives aux conditions d’entrée et de séjour au Luxembourg, de même qu’elles ne confèrent pas un droit subjectif à un enfant en l’autorisant à séjourner dans un pays de son choix13, étant, à cet égard, rappelé que non seulement les frères ne sont pas prévus au titre des membres de la famille au sens de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, mais également qu’en l’espèce, l’enfant concerné vit avec sa mère, de sorte qu’à défaut d’éléments concrets mis en avant par les demandeurs permettant de retenir qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant de vivre séparé de sa mère, la préservation de ce lien doit prévaloir. La simple invocation par les demandeurs de la situation en Afghanistan ne suffit pas pour retenir le contraire, et il en est de même en ce qui concerne la communication d’un document établi par des habitants du village de l’enfant (A4) quant à la responsabilité de Monsieur (A1) à son égard, alors que non seulement ce document ne revêt pas un caractère officiel, mais en outre ses auteurs ne sont pas identifiables, ce qui empêche d’attribuer une quelconque valeur probante à leurs déclarations.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Le recours est, dès lors, à rejeter en ce qui concerne le volet des décisions déférées relatif à la demande de regroupement familial dans le chef de Madame (A3) et de l’enfant (A4).

II. Quant au volet de la décision du 20 janvier 2023 portant refus d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité Prétentions des parties Les demandeurs estiment que ce serait à tort que le ministre n’aurait pas fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, alors que l’article 39 (1) de la loi du 29 août 2008 n’imposerait pas une obligation de résider sur le territoire luxembourgeois pour pouvoir bénéficier d’une telle autorisation de séjour. En effet, si le prédit article exige que les demandes d’une autorisation de séjour, en dehors des exceptions expressément prévues dans l’article, devraient être 13 Cour adm., 1er octobre 2019, n° 42753C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

impérativement introduites avant l’entrée sur le territoire, le texte n’instaurerait pas une obligation inverse d’être sur le territoire pour les prédites exceptions.

De surcroît, ils estiment que la situation serait à considérer comme « exceptionnelle » au sens de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, en ce que les membres de famille à regrouper seraient contraints de survivre de par leurs propres moyens, situation totalement inédite par comparaison à d’autres familles afghanes où les femmes seraient protégées par les hommes de leur famille. Les membres de famille à regrouper risqueraient, ainsi, de subir des traitements inhumains et dégradants, sans pour autant pouvoir bénéficier d’une protection de la part des autorités afghanes.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Le tribunal relève, tout d’abord, qu’il se dégage de la décision du 20 janvier 2023 que le ministre a refusé l’octroi d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité dans le seul chef de Madame (A3) et de l’enfant (A4). Il s’ensuit que les développements faits par les demandeurs pour contester un refus du ministre d’accorder pareille autorisation de séjour à Madame (A2) sont à écarter pour être dénués de pertinence.

Il convient, ensuite, de relever qu’aux termes de l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, « A condition que sa présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. ».

Dès lors, ledit article 78 (3) permet au ministre, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, d’accorder un droit de séjour s’il estime que le ressortissant du pays tiers a fait état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Quant à la condition de l’existence de « motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité », il y a lieu de rappeler que l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 est le fruit de la transposition de l’article 6 (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.

Le législateur luxembourgeois, en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d’espèce où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme.

Afin d’établir l’existence dans leur chef de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, les demandeurs se prévalent en substance de la situation des femmes en général en Afghanistan, ainsi que de la communauté des hazaras dans ledit pays.

Or, la personne au profit de laquelle une autorisation de séjour est demandée doit, conformément à l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008, se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, afin de pouvoir se voir octroyer ladite autorisation.

En effet, la Cour administrative a précisé dans son arrêt du 27 mars 201814 que même si l’article 78 (3) de la loi du 29 août 2008 ne reprend pas les termes « en séjour irrégulier », cette prémisse de base conditionne fondamentalement le cas de figure légalement entrevu de l’octroi d’une autorisation de séjour à titre humanitaire.

Cette conclusion s’impose aussi à la lumière d’une lecture combinée des articles 34, 38 et 78 de la loi du 29 août 2008, voire a fortiori dans une approche systémique des lois du 29 août 2008 et du 18 décembre 2015 et de leurs champs d’application respectifs. En effet, l’interaction de ces textes et la logique des choses ne permet pas d’admettre que des ressortissants de pays tiers se trouvant hors du territoire luxembourgeois puissent solliciter depuis l’extérieur une autorisation de séjour à titre humanitaire. Admettre le contraire, c’est-à-

dire admettre l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour à titre humanitaire depuis l’extérieur des Etats de l’Union européenne, serait admettre que la législation européenne relative à l’asile puisse être largement déjouée15.

Force est cependant de constater que Madame (A3) et l’enfant (A4) ne se trouvent actuellement pas en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, mais demeurent toujours en Afghanistan, de sorte que le tribunal est amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a rejeté leur demande d’octroi d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, et lu à l’audience publique du 4 juin 2025 par le vice-président Daniel WEBER en présence du greffier Luana POIANI.

14 Cour adm., 27 mars 2018, n° 40516C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

15 En ce sens : Cour adm., 5 décembre 2017, n° 39776C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Etrangers, n° 603 et les autres références y citées.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 25


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48744
Date de la décision : 04/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-04;48744 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award