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04/06/2025 | LUXEMBOURG | N°52843

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2025, 52843


Tribunal administratif N° 52843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52843 1re chambre Inscrit le 12 mai 2025 Audience publique du 4 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous d’autres alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52843 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2025 par Maître

Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 52843 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:52843 1re chambre Inscrit le 12 mai 2025 Audience publique du 4 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), connu sous d’autres alias, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 52843 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous d’autres alias, actuellement sans adresse connue, mais élisant domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 avril 2025 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2025 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 juin 2025.

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Le 25 février 2025, Monsieur (A), connu sous d’autres alias, ci-après désigné par « Monsieur (A) », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », les déclarations de l’intéressé sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ayant été actées dans un rapport du service de police judiciaire, section criminalité organisée, de la police grand-ducale, du 24 février 2025.

Une recherche effectuée le 25 février 2025 dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur (A) avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, les 27 octobre 2015 et 2 septembre 2016, aux Pays-Bas, les 16 janvier 2017, 18 juin 2019, 16 février 2024, ainsi que les 24 janvier et 8 février 2025, et en Suisse, le 1er avril 2019.

1Par courrier du même jour, Monsieur (A) fut convoqué à un entretien au ministère en date du 25 mars 2025 en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », entretien auquel ce dernier ne se présenta pas.

Le 25 mars 2025, les autorités luxembourgeoises introduisirent auprès des autorités néerlandaises une demande de reprise en charge de Monsieur (A) sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le lendemain par ces dernières autorités sur base du même article.

Par arrêté du 9 avril 2025, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur (A) à résidence à la maison retour pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question.

Par décision du 28 avril 2025, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur (A) du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers les Pays-Bas sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 25 février 2025 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de police judiciaire du 24 février 2025 établi dans le cadre de votre demande de protection internationale.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 25 février 2025, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date des 27 octobre 2015 et 2 septembre 2016, ainsi que cinq demandes aux Pays-Bas en date des 16 janvier 2017, 18 juin 2019, 16 février 2024, 24 janvier 2025 et 8 février 2025 et une demande en Suisse en date du 1er avril 2019.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, vous avez été convoqué à un entretien Dublin III qui était prévu pour le 25 mars 2025. Cet entretien n’a pas eu lieu, étant donné que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous prévu.

Sur base des informations à notre disposition, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités néerlandaises en date du 25 mars 2025, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 26 mars 2025.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Allemagne en date des 27 octobre 2015 et 2 septembre 2016, ainsi que cinq demandes aux Pays-Bas en date des 16 janvier 2017, 18 juin 2019, 16 février 2024, 24 janvier 2025 et 8 février 2025 et une demande en Suisse en date du 1er avril 2019.

Selon vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire, vous auriez quitté votre pays d’origine en 2015 avec un passeport européen, établi à votre nom, en direction de la 3Turquie. Après une semaine en Turquie, vous auriez traversé la mer en direction de la Grèce.

Vous auriez traversé la Grèce, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Slovénie et l’Autriche afin d’arriver en Allemagne. En Allemagne, vous avez introduit une demande de protection internationale et vous y seriez resté deux ans avant de vous rendre aux Pays-Bas. Après trois mois aux Pays-Bas, vous auriez poursuivi votre chemin vers la France, la Belgique et l’Espagne. En 2019, vous auriez tenté votre chance en Suisse, mais au bout de six mois, vous seriez retourné aux Pays-Bas. Après six mois sur place, vous auriez poursuivi votre chemin vers la Belgique où vous seriez resté deux ans. Par la suite, vous auriez poursuivi votre chemin vers la France et vous y seriez resté deux ans également avant de rejoindre à nouveau les Pays-Bas. Finalement, vous auriez décidé de venir au Luxembourg.

Monsieur, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

4Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2025, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 avril 2025.

5 Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’audience publique des plaidoiries, le délégué du gouvernement a soulevé un moyen tiré d’une perte d’intérêt à agir dans le chef du demandeur, au motif que, selon les informations communiquées au tribunal à la même audience par le litismandataire de Monsieur (A), ce dernier aurait entretemps quitté la maison retour.

A cet égard, le tribunal relève que l’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif.1 L’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés.2 Si, stricto sensu, l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action, doit être vérifié au jour du jugement sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, d’encombrer le rôle des juridictions administratives et d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de devoir se justifier inutilement devant les juridictions administratives, exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation, sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.3 Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande, et ce, en établissant qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés et que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.4 1 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.

2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 11 mai 2016, n° 35579 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 37 et les autres références y citées.

4 Ibid..

6Si cette volonté venait à disparaître en cours de procès, il ne serait potentiellement plus satisfait à la condition que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Dans l’hypothèse où cette condition n’est plus remplie, il y a alors lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.5 En l’espèce, la décision déférée consiste à transférer Monsieur (A) vers les Pays-Bas, pays dont le ministre estime qu’il est l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement des suites de celle-ci.

Etant donné, d’une part, qu’à travers sa requête introductive d’instance, Monsieur (A) s’oppose à un tel transfert et, d’autre part, qu’il ne ressort d’aucun élément de la cause qu’il serait retourné volontairement aux Pays-Bas ou même dans son pays d’origine, ce dernier est censé avoir conservé son intérêt à agir dans le présent litige, ce d’autant plus que son litismandataire, lequel s’est présenté à l’audience des plaidoiries, a toujours mandat à poursuivre la présente procédure pour le compte de Monsieur (A).

Au vu de ces éléments, le tribunal ne saurait conclure à une perte d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur (A), étant relevé que le simple fait, pour ce dernier, de disparaître de la maison retour n’est pas suffisant pour établir à lui seul et à défaut de tout autre élément qu’il ne témoignerait plus le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de son recours intenté le 12 mai 2025.

Le moyen d’irrecevabilité sous examen est, dès lors, à rejeter.

En l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, il soulève, en substance, une violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, au motif de l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale A cet égard, il fait valoir que bien que les Pays-Bas seraient présumés respecter leurs obligations découlant du droit international, il n’en resterait pas moins que ledit Etat membre aurait été, à de multiples reprises, épinglé en raison de la violation « […] de certaines dispositions, des traités internationaux auxquelles [il aurait] adhéré […] ». Ainsi, il affirme que des ONG n’auraient pas manqué de « […] souligner la mise en œuvre systématique du profilage ethnique par les autorités policières des Pays-Bas induisant des contrôles systématiques et disproportionnées d’identité et de fouilles des demandeurs de protection internationale sur des motifs discriminatoires tels que la race, la couleur de peau, la langue, la religion, la nationalité ou encore l’origine nationale ou ethnique […] ».

Le demandeur cite un extrait d’un rapport d’Amnesty International de 2023, tout en 5 Ibid..

7renvoyant au « Rapport 2023 sur la situation de l’asile », publié par l’European Union Agency for Asylum (« EUAA ») pour soutenir que les Pays-Bas seraient un pays de l’Union européenne dans lequel le système d’asile et d’accueil serait soumis à des pressions disproportionnées en relation avec l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, ce qui impliquerait a fortiori un « […] dysfonctionnement de tout leur système […] ».

Il ajoute que dans une lettre du 26 août 2022 adressée au ministre néerlandais chargé des migrations, la Commissaire aux droits de l’Homme aurait ainsi épinglé « […] les violations des droits humains du fait de la politique d’asile restrictive mise en place aux Pays-Bas dans le centre d’enregistrement de Ter Appel en termes de regroupement familial et en termes de santé apportée aux demandeurs d’asile […] », tout en dénonçant plus particulièrement le fait que les conditions d’accueil n’y seraient pas conformes aux normes minimales prévues par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et en insistant sur la nécessité pour le gouvernement néerlandais de remédier sans délai à la situation par l’identification rapide des personnes vulnérables et par le bénéfice d’un hébergement approprié. La Commissaire aux droits de l’Homme aurait également noté que des mesures proposées récemment pour faire face à cette situation risqueraient d’avoir des répercussions sur le droit de demander l’asile ou sur le droit au respect à la vie familiale, notamment à cause d’une réduction des possibilités de regroupement familial.

Or, même si le gouvernement néerlandais avait admis dans un courrier de réponse du 1er septembre 2022 l’existence de difficultés à respecter le système européen d’accueil, tout en insistant sur la nécessité d’une solution à l’échelle européenne, il n’en resterait pas moins que la situation ne serait toujours pas régularisée à l’heure actuelle et que la politique migratoire néerlandaise actuelle s’annoncerait extrêmement difficile suite à l’arrivée récente au pouvoir d’un nouveau gouvernement. Le demandeur estime que la politique soutenue par la coalition gouvernementale majoritairement d’extrême droite, qui prévoirait également une clause d’exemption de la politique européenne d’asile et de migration à soumettre à la Commission européenne, induirait au final « […] un refoulement systématique par un accueil volontairement drastique des demandeurs de protection internationale […] ».

Au vu de ces considérations, il devrait être admis que l’exécution de la décision ministérielle litigieuse emporterait une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

En se prévalant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») et plus particulièrement de son interprétation de l’article 4 de la Charte, le demandeur insiste sur le fait qu’en cas de transfert vers les Pays-Bas, il subirait un traitement inhumain et dégradant notamment « […] par les lacunes pointées en termes d’accueil […] », puisqu’il se retrouverait indubitablement démuni « […] dans l’attente de la décision de transfert éventuel vers son pays d’origine […] ».

Finalement, le demandeur soutient qu’au vu de sa situation personnelle, le ministre aurait dû faire usage de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III et ainsi déclarer le Grand-Duché de Luxembourg comme étant l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

8Appréciation du tribunal Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur (A), prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre […] ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que les Pays-Bas seraient l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, en ce qu’il y avait introduit des demande de protection internationale les 16 janvier 2017, 18 juin 2019, 16 février 2024, ainsi que les 24 janvier et 8 février 2025 et que les autorités néerlandaises avaient accepté sa reprise en charge le 26 mars 2025, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers les Pays-Bas.

Il y a ensuite lieu de relever que le demandeur ne conteste ni cette compétence de principe des autorités néerlandaises ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais il considère, en substance, que son transfert vers les Pays-Bas l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil dans ledit pays, tout en invoquant, à cet effet et en substance, une violation des articles 3 (2), alinéa 2 et 17 (1) du règlement Dublin III.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH, auquel cas le ministre ne peut pas transférer 9l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Quant au moyen tiré de la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que cet article prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3 (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé.6 A cet égard, le tribunal relève que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard7. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le 6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

7 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

10traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants8.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées9. Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile10, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise ou de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives11, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE12, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201713.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201914 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3 (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine.15 Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un 8 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

9 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

10 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

11 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.jurad.etat.lu.

12 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

14 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

15 Ibid., pt. 92.

11traitement inhumain ou dégradant.16 En l’espèce, au-delà des documents énumérés ci-avant et mentionnés dans la requête introductive d’instance, le demandeur verse également un rapport d’Amnesty International intitulé « Pays-Bas 2024 », un rapport de l’EUAA intitulé « Rapport 2024 sur la situation de l’asile », ainsi que plusieurs articles de presse.

Il se dégage, certes, de l’ensemble de ces documents que tout comme d’autres Etats membres de l’Union européenne, les Pays-Bas sont confrontés à un afflux important de demandeurs d’asile, impliquant des difficultés au niveau de l’accueil des demandeurs, ce qui a, notamment, conduit à une saturation du centre d’accueil de Ter Apel en 2022, et que le gouvernement néerlandais a annoncé ou adopté un certain nombre de mesures traduisant un durcissement de la politique d’asile aux Pays-Bas. Il n’en reste pas moins qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, ces mêmes documents ne sont pas suffisants pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques aux Pays-Bas, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

En outre, le tribunal relève que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise qui exposerait les personnes concernées à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable.17 16 Ibid., pt. 93.

17 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 12 Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte18, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.19 En l’espèce, le tribunal constate qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation qu’au cours du séjour du demandeur aux Pays-Bas, ses conditions d’existence dans ce pays aient atteint un degré de pénibilité et de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitement inhumain et dégradant.

Par ailleurs, le demandeur n’a pas non plus fourni des éléments concrets et individuels dont il se dégagerait que nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence de preuve de l’existence, de manière générale, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3 (2) du règlement Dublin III, il serait, en cas de transfert vers ce pays, personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits, et ce de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités néerlandaises avant de le transférer.

En tout état de cause, le tribunal rappelle qu’il est constant en cause que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale par les autorités néerlandaises, ces dernières ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, précité.

En cas de transfert vers les Pays-Bas, il devra, dans ces conditions, y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève.

La question litigieuse, en l’espèce, se pose, dès lors, davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.

Or, le demandeur n’apporte aucun élément probant dont il se dégagerait qu’en sa qualité de demandeur de protection internationale débouté, il ne pourrait accéder à l’aide sociale d’urgence aux Pays-Bas.

Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

18 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

19 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

13a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie.20 La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat.21 Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être le cas échéant exposé à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide néerlandais – que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents néerlandais – était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.

Dans ce contexte, le tribunal relève encore que le demandeur n’a pas rapporté la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis aux Pays-Bas, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés aux Pays-Bas ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient aux Pays-Bas aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de sa situation personnelle, le demandeur serait exposé, en cas de transfert vers les Pays-Bas, et nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques, à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Ainsi, l’argumentation afférente est à rejeter dans son ensemble.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17 (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

20 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

21 CEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.

14A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres22, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201723.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge24, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration25.

En l’espèce, pour conclure à une violation de l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, le demandeur invoque, en substance, la même argumentation que celle développée à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Or, cet argumentaire vient d’être rejeté ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert du demandeur aux Pays-Bas n’est pas de nature à l’exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, le demandeur n’a pas non plus établi que compte tenu de sa situation personnelle, un transfert vers les Pays-Bas l’exposerait à un tel risque, indépendamment de l’absence de défaillances systémiques au sens de cette dernière disposition.

Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

22 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

23 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

24 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 64 et les autres références y citées.

25 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

15 au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 juin 2025 par :

Daniel WEBER, vice-président, Annemarie THEIS, premier juge, Izabela GOLINSKA, attaché de justice délégué, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 52843
Date de la décision : 04/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-04;52843 ?

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