Tribunal administratif N° 47100 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:47100 5e chambre Inscrit le 1er mars 2022 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée (AA) SARL, …, contre des bulletins émis par l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47100 du rôle et déposée le 1er mars 2022 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée LOYENS & LOEFF Luxembourg SARL, avocats à la Cour, établie et ayant son siège social à L-2540 Luxembourg, 18-20, rue Edward Steichen, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B174248, représentée par Maître Petrus MOONS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, dûment représentée par ses organes sociaux en fonction, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités ainsi que du bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 2017, tous émis en date du 10 mars 2021 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022 par Maître Petrus MOONS, préqualifié, au nom de la société à responsabilité limitée (AA) SARL, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins déferrés ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre-Antoine KLETHI en remplacement de Maître Petrus MOONS et Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 juin 2024.
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Le 14 octobre 2020, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », informa la société à responsabilité limitée (AA) SARL, désignée ci-après par la « société (AA) », en exécution du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il entendait s’écarter de la déclaration d’impôt de l’année 2017 de cette dernière en ajoutant un montant global de … euros à son résultat fiscal imposable, au titre, d’une part, d’un « apport caché imposable » d’un montant de … euros composé d’un « excédent 1d’intérêts débiteurs déduits » après avoir retenu un « taux d’intérêt sur dettes » de 11,85 % qui correspondrait à un taux de pleine concurrence, et, d’autre part, d’une « distribution cachée non déductible » d’un montant de … euros au motif que la société (AA) aurait omis de déclarer des intérêts créditeurs sur une créance, le bureau d’imposition ayant retenu un taux d’intérêt de 12 %.
La société (AA) prit position y relativement par courrier du 4 novembre 2020 en exposant l’analyse de prix de transfert effectuée concernant son activité de financement intra-
groupe, ci-après désignée par « l’Analyse TP », tout en y joignant une déclaration fiscale rectificative pour l’année 2017 prenant en compte ladite analyse TP et en demandant des explications sur les redressements envisagés dans les termes suivants :
« […] Vous mentionnez tout d'abord un excédent d'intérêts débiteurs déduits de … EUR concernant les obligations émise par … à l'égard de (AA1). Nous comprenons que vous avez calculé les intérêts débiteurs (en numéraire) sur la base de la « valeur de marché » des obligations échues au 31 décembre 2017 (i.e. prenant en compte une dépréciation de … USD) alors que nous avons déterminé les intérêts débiteurs sur la base de la seule valeur nominale des obligations échues (i.e. … USD). Nous considérons que notre approche est juste car les intérêts débiteurs numéraires sont calculés selon le montant nominal des dettes échues et non sur la valeur de marché de ces dernières. Ce calcul se basant sur le montant nominal ressort également des termes et conditions du contrat d'obligation conclu entre les parties. En vue de cela, nous vous suggérons de reconsidérer les ajustements que vous envisagez en prenant en compte la valeur nominale des obligations échues. […] Vous faites également référence à un manquant d'intérêts créditeurs déclarés de … EUR. Nous n'arrivons cependant pas à réconcilier votre méthode de calcul avec les montants échus du prêt accordé par … à (BB) et le taux d'intérêt de 12% correspondant. En vue de cela, nous souhaiterions obtenir des précisions de votre part concernant la méthode de calcul employée par vos services pour aboutir au manquant d'intérêt créditeur déclaré de … EUR. […] ».
Le 10 mars 2021, le bureau d’imposition émit les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) et les bulletins de l’impôt commercial communal (ICC) pour l’année 2017, ci-après désignés par les « bulletins d’imposition », à destination de la société (AA).
Par courrier de son mandataire du 10 juin 2021 erronément daté au 10 juin 2020, la société (AA) adressa au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », une réclamation à l’encontre des bulletins d’imposition, ladite réclamation étant libellée comme suit :
« Au nom et pour le compte de la société (AA) S.à r.l., ayant son siège social au …, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, et ayant le matricule fiscal n°1 (la Société), nous nous permettons de vous soumettre la présente réclamation concernant :
le bulletin définitif d’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) 2017, émis le 10 mars 2021 (annexe 1) ; et le bulletin définitif de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal (ICC) 2017, également émis en date du 10 mars 2021 (annexe 2) 2(ensemble, les Bulletins Litigieux).
1 FAITS La Société est détenue par (AA1) S.à r.l., une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois, et est l’actionnaire majoritaire de (BB) ((BB)), une société par actions simplifiée de droit français. En 2017, année à laquelle les Bulletins Litigieux se rapportent, la Société détenait 65% des actions de (BB).
La Société exerce une activité de financement intra-groupe. Ainsi, d’une part, elle a accordé à (BB) un prêt libellé en euros (le Prêt), afin que cette dernière se procure l’équipement nécessaire à la production d’énergie à partir de déchets. Le taux annuel d’intérêt du Prêt était de 12%. D’autre part, la Société a émis envers (AA1) des obligations (« Bonds ») libellées en dollars américains (émission documentée par deux Contrats Obligations ; annexes 3 et 4). Le taux d’intérêt sous les obligations dépendait de plusieurs facteurs, parmi lesquels figuraient le taux d’intérêt du Prêt ainsi que tout autre revenu et toute plus-value liés au Prêt, comme d’éventuels gains de change (voir la définition « Interest Rate » dans les Contrats Obligations). Le risque de change a ainsi été contractuellement transféré par la Société à (AA1).
En 2018, en raison des sérieuses difficultés économiques rencontrées par (BB), la Société a accepté de procéder à une restructuration du financement accordé à (BB).
Maintenir le taux d’intérêt du Prêt à 12% aurait compromis la capacité de (BB) à honorer ses engagements, ce qui aurait pu générer des répercussions négatives sur la valeur des investissements de la Société dans (BB) (tant la créance que la participation) et aurait mis en péril la viabilité de toute la structure de financement. La Société souligne que le refinancement a eu lieu pour des raisons économiques, et non en raison de sa qualité d’actionnaire de (BB), et rappelle qu’elle n’était pas l’unique actionnaire de (BB) quand il a fallu se résoudre à effectuer le refinancement.
La Société a ainsi conclu le 29 mars 2018 deux contrats avec, entre autres, (BB) :
- conformément au premier contrat (« Settlement Agreement», annexe 5), la Société a accepté de recevoir un montant de … euros en tant qu’intérêts pour la période du 1er janvier 2017 au 29 mars 2018 (clause 3.3.1 de ce contrat). Ce montant correspondait au montant des intérêts échus au cours de l’année 2017 jusqu’au 15 octobre 2017 CHO Payments 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017 Tranche A 31-Jan-11 31-Jan-17 28-Feb-17 31-Mar-17 30-Apr-17 31-May-17 30-Jun-17 31-Jul-17 31-Aug-17 30-Sep-17 15-Oct-17 % Rate 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% Outstanding Interest Tranche B 28-Feb-11 31-Jan-17 28-Feb-17 31-Mar-17 30-Apr-17 31-May-17 30-Jun-17 31-Jul-17 31-Aug-17 30-Sep-17 15-Oct-17 % Rate 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% 12% Outstanding Interest Tranche C 17-Jul-11 31-Jan-17 28-Feb-17 31-Mar-17 30-Apr-17 31-May-17 30-Jun-17 31-Jul-17 31-Aug-17 30-Sep-17 15-Okt-17 % Rate 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% 12,00% Outstanding Interest Total interest - conformément au deuxième contrat (« Facility Agreement»), la Société a accordé à partir du 29 mars 2018 un nouveau financement à (BB), avec un taux d’intérêt annuel de 6%.
3 Le 14 octobre 2020, le bureau d’imposition … (le Bureau d’imposition) a émis, sur le fondement du § 205(3) AO, un courrier indiquant à la Société les points sur lesquels il envisageait de dévier en sa défaveur par rapport à la déclaration fiscale jointe à la réclamation d’août 2019 (le Courrier 205(3), annexe 6). Ces points concernaient le respect par la Société du principe de pleine concurrence, dans le cadre de son activité de financement intra-groupe.
La Société a répondu au Courrier 205(3) par une lettre du 4 novembre 2020 (la Lettre de réponse, annexe 7), dans laquelle elle a fourni des explications sur l’analyse de prix de transfert concernant son activité de financement intra-groupe (l’Analyse TP), a joint une déclaration fiscale rectificative pour l’année 2017 prenant en compte l’Analyse TP (la Déclaration Fiscale Rectificative ; annexe 8) et a demandé des précisions sur les redressements envisagés car elle n’était pas en mesure de comprendre ces derniers.
Le Bureau d’imposition n’a cependant pas donné suite à cette demande et a simplement émis, le 10 mars 2021, les Bulletins Litigieux, lesquels indiquent que le redressement d’intérêts litigieux y effectué l’a été suivant le Courrier 205(3).
2 RECEVABILITÉ En vertu du § 228 AO, une réclamation contre des bulletins d’imposition doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de leur notification. La notification des bulletins d’imposition par simple pli postal, comme en l’espèce, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après leur remise à la poste. La date de remise à la poste, qui correspond en principe à la date figurant sur les Bulletins Litigieux, est le mercredi 10 mars 2021. La notification des Bulletins Litigieux est donc présumée avoir été accomplie le lundi 15 mars 2021, et la présente réclamation contre les Bulletins Litigieux est introduite endéans le délai de trois mois expirant le mardi 15 juin 2021.
De plus, cette réclamation est introduite devant le directeur de l’Administration des contributions directes (le Directeur).
Par conséquent, la réclamation est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délais prescrits par la loi.
3 MOTIVATION Annulation des Bulletins Litigieux pour violation du § 205(3) AO Selon une jurisprudence constante, « le droit du contribuable d’être informé et entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers les informations par lui soumises à l’autorité compétente, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l’administration fiscale, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable (Voir, par exemple, le jugement du tribunal administratif du 14 avril 2020, n°41371).
La jurisprudence retient que le § 205(3) AO « constitue une application particulière de ce principe et met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au 4sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration ».
Cette formalité visant à protéger les intérêts des contribuables, elle est considérée comme substantielle. Aussi, le non-respect du § 205(3) AO « doit entraîner l’annulation du bulletin émis au terme de la procédure d’instruction ainsi viciée » (idem).
En l’espèce, le Bureau d’imposition a respecté le § 205(3) d’un point de vue formel -
en envoyant à la Société le Courrier 205(3) -, mais non en substance, de sorte que le Bureau d’imposition doit être considéré comme ayant violé cette disposition. En effet, le Courrier 205(3) comportait certes quelques explications concernant les redressements envisagés, y compris des indications chiffrées, mais, comme indiqué dans la Lettre de réponse, les informations fournies dans le Courrier 205(3) étaient tout à fait insuffisantes pour comprendre les redressements envisagés. Ainsi, les quelques indications chiffrées n’étaient accompagnées d’aucun détail concernant les calculs sous-jacents, et la Société souhaite souligner les incohérences figurant dans le Courrier 205(3) :
- Le Bureau d’imposition a qualifié l’insuffisance alléguée d’intérêts sur le Prêt de distribution cachée. En d’autres termes, le Bureau d’imposition a considéré que la Société, en n’ayant pas perçu suffisamment d’intérêts de la part de (BB), lui a distribué de manière cachée des bénéfices. Ceci est un non-sens, puisque (BB) est la filiale de la Société, et non son associé.
- Le Bureau d’imposition a qualifié l’excédent allégué d’intérêts sur la dette obligataire envers (AA1) d’« apport caché imposable ». En d’autres termes, le Bureau d’imposition a considéré que la Société, en ayant payé trop d’intérêts à (AA1), lui a fait un apport caché. Ceci est un non-sens pour deux raisons.
Premièrement, la Société est la filiale de (AA1), et non son associé ; elle ne saurait donc faire un apport à son associé. Deuxièmement, la notion même d’« apport imposable » n’existe pas en droit fiscal luxembourgeois. Au contraire, une telle allégation est une violation de la lettre même de l’article 18 de la loi de l’impôt sur le revenu.
Eu égard à ces incohérences, la Société ne peut être considérée comme ayant été mise en mesure de faire ses observations sur la divergence importante envisagée par le Bureau d’imposition. Cette violation, en substance, du principe ancré au § 205(3) AO doit ainsi entraîner l’annulation des Bulletins Litigieux.
Telle est en effet la conclusion tirée par la Cour administrative dans un arrêt du 14 juillet 2015, n° 35428C, qui concernait une affaire similaire. Dans cette affaire, le bureau d’imposition compétent avait certes envoyé un courrier sur le fondement du § 205(3) AO, mais ce courrier était inintelligible. La Cour avait relevé que « les termes [employés dans ce courrier] sont des concepts techniques de la comptabilité » et avait considéré que « tout contribuable normalement diligent et averti » ne pouvait être supposé d’être « en mesure de saisir, du seul fait de leur mention, toute leur portée et toutes les conséquences de leur usage dans le cadre d’une annonce de redressement d’une imposition ». La Cour avait alors estimé que les informations contenues dans le courrier du bureau d’imposition étaient insuffisantes.
Or, comme exposé ci-avant, dans la présente affaire, les informations fournies par le Bureau 5d’imposition dans le Courrier 205(3) sont également inintelligibles.
La Cour avait ensuite relevé que le contribuable n’avait pas immédiatement réagi suite à l’envoi de ce courrier, mais qu’après la notification des bulletins d’impôt, il avait sollicité par courrier des précisions sur l’imposition effectuée, ce qui, selon la Cour, constitue un indice que le contribuable n’avait pas compris le courrier d’information émis par le bureau d’imposition sur le fondement du § 205(3) AO. En l’espèce, la Société a aussi sollicité des précisions sur les redressements. De surcroît, contrairement au contribuable dans l’affaire n°35428C, elle a fait preuve de diligence en demandant ces précisions directement dans sa Lettre de réponse, respectant ainsi le principe de coopération du contribuable afin de permettre au Bureau d’imposition de fixer le juste montant des impôts dus.
Dans l’arrêt précité du 14 juillet 2015, la Cour a conclu que « [d]ans ces conditions, l’information fournie par le bureau d’imposition ne peut pas être considérée comme répondant aux exigences du § 205 (3) AO en ce que l’appelante n’a pas été complètement informée sur l’envergure exacte des redressements envisagés par lui et, par voie de conséquence, en ce qu’elle n’a pas été mise en mesure de prendre utilement position par rapport à ces mêmes redressements ». Par conséquent, elle a ordonné l’annulation des bulletins litigieux « pour violation des formes substantielles destinées à protéger les intérêts des particuliers » et le renvoi de l’affaire devant le Directeur.
La Société conclut qu’en l’espèce, les Bulletins Litigieux doivent également être annulés pour violation des formes substantielles destinées à protéger ses intérêts.
Emission de nouveaux bulletins conformes à la Déclaration Fiscale Rectificative De plus, le Bureau d’imposition a violé l’obligation incombant aux autorités fiscales de parvenir à une « imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité » (voir, par exemple, le jugement du tribunal administratif du 28 juin 2019, n°40442) : il a redressé les revenus de la Société à la hausse alors qu’en raison des circonstances économiques défavorables (comme expliqué plus haut), la Société a reçu en 2017 un montant d’intérêts inférieur au montant initialement prévu dans la documentation juridique ayant servi de base à l’Analyse TP Il convient enfin de noter qu’en raison de cette différence factuelle résultant de circonstances indépendantes de la volonté de la Société, la Société a réalisé une marge brute négative, et a donc ajusté son résultat imposable à la hausse dans la Déclaration Fiscale Rectificative, afin de parvenir à un résultat imposable conforme au principe de pleine concurrence.
Le montant d’IRC 2017 devrait donc être nul, de même que le montant d’ICC 2017, au lieu de s’élever à … euros pour l’IRC 2017 et à … euros pour l’ICC 2017.
Par suite, nous vous prions d’annuler les Bulletins Litigieux et de procéder à un examen des pièces produites, afin que de nouveaux bulletins d’imposition pour l’IRC et l’ICC 2017 soient émis en conformité avec la Déclaration Fiscale Rectificative. (…) » Compte tenu du silence de plus de 6 mois du directeur par rapport à sa réclamation précitée, la société (AA) a, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 62022, inscrite sous le numéro 47100 du rôle, fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins d’imposition.
Par requête déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 47101 du rôle, elle a encore fait introduire une demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des bulletins d’imposition.
Par ordonnance rendue en date du 11 mars 2022, le président du tribunal administratif rejeta la demande en obtention d’un sursis à exécution.
I. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin de l’impôt.
Il ressort, ensuite, des dispositions de l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996, qu’un bulletin d’impôt peut être directement déféré au tribunal administratif notamment lorsqu’une réclamation au sens du § 228 AO a été introduite et qu’aucune décision directoriale définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande.
Dans la mesure où, en l’espèce, il est constant que le directeur n’a pas pris position à la suite de la réclamation introduite par la société (AA) en date du 10 juin 2021, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins d’imposition.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité en la pure forme du recours. S’il est exact que le fait pour une partie de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.
Dès lors, étant donné que la partie étatique est restée en défaut de préciser dans quelle mesure la forme pour introduire le recours litigieux n’aurait pas été respectée en l’espèce, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.
Le recours principal en réformation dirigé contre les bulletins d’imposition est partant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
7II. Quant au fond du recours La société demanderesse avance plusieurs moyens à l’appui de son recours. A titre principal, elle donne, en substance, à considérer :
- qu’il y aurait lieu de l’imposer suivant sa déclaration fiscale rectificative, laquelle serait établie suivant une analyse de prix de transfert conforme aux principes de l’OCDE en matière de prix de transfert et aux dispositions de droit fiscal luxembourgeois applicables ;
- qu’elle réaliserait en effet une marge de pleine concurrence sur son activité de financement intra-groupe en ligne avec les prescriptions de l’article 56 de la loi 10 modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignée par la « LIR », et le principe de pleine concurrence ;
- que sa filiale aurait rencontré de sérieuses difficultés économiques au fil des années, suite auxquelles elle-même aurait accepté de conclure le « Settlement Agreement », en vertu duquel elle aurait accepté de recevoir, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 29 mars 2018, la somme de … euros correspondant aux intérêts échus pour la période de janvier à septembre 2017, au taux initial de 12 %, ce qui expliquerait le fait qu’elle aurait au final perçu moins d’intérêts que ce qu’elle aurait reçu en appliquant le taux d’intérêt de 12 % ;
- qu’en ce qui concerne le reproche d’une déduction d’intérêts excessive tel que lui opposé par le bureau d’imposition, elle penserait comprendre que le bureau d’imposition aurait calculé l’excédent d’intérêts débiteurs déduits de … euros concernant les obligations émises par elle à l’égard de la société (AA1) SARL, ci-
après désignée par « la société (AA1) », en appliquant un taux d’intérêt de 11,85 % sur la base de la valeur de marché des obligations et non pas sur la valeur nominale de celles-ci, approche qu’elle estime toutefois être incorrecte puisque que, selon elle, les intérêts devraient toujours courir sur le montant principal d’une dette, sans que les fluctuations de valeur de marché n’exercent une influence ;
- que le taux de 11,85 % utilisé par le bureau d’imposition serait obtenu en soustrayant la marge de pleine concurrence (0,147 %) du taux d’intérêt sur le prêt (12 %), ce qui constituerait une approche correcte sous la condition que ses seuls revenus auraient été des revenus d’intérêts, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce puisqu’elle réaliserait d’autres revenus que des intérêts. En outre, le taux d’intérêt sur les obligations serait nécessairement différent de 11,85 %.
A titre subsidiaire, la société demanderesse demande que les bulletins d’imposition soient annulés pour violation du § 205, alinéa (3) AO.
A titre de dernière subsidiarité, la société demanderesse fait plaider que les autorités fiscales auraient l’obligation sur base du principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition de parvenir à une imposition sur des bases correspondant le plus exactement possible à la réalité, obligation que le bureau d’imposition aurait toutefois violé en l’espèce.
S'il est de principe que la juridiction administrative n'est pas tenue de suivre l'ordre dans lequel plusieurs moyens au fond lui ont été proposés, il n'en reste pas moins que la logique juridique impose que les questions de légalité externe soient traitées avant celles de 8légalité interne1. Par conséquent, le tribunal procédera en premier lieu à l’analyse du moyen tiré de la violation du § 205, alinéa (3) AO.
1) Concernant la demande d’annulation des bulletins d’imposition pour violation du § 205, alinéa (3) AO Moyens et arguments des parties À l’appui de sa requête, la société demanderesse demande notamment que les bulletins d’imposition soient annulés pour violation du § 205, alinéa (3) AO.
Si elle admet certes l’existence d’un courrier envoyé formellement sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO, elle déplore toutefois devoir deviner les calculs et les fondements légaux sur lesquels se base le redressement opéré par le bureau d’imposition, et ce alors pourtant que la formalité de l’envoi d’un courrier au sens du § 205, alinéa (3) AO, considérée comme substantielle, viserait à protéger les intérêts des contribuables. Elle renvoie à cet égard à un arrêt rendu par la Cour administrative le 14 juillet 2015, inscrit sous le numéro 35428C du rôle.
Or, en l’espèce, le bureau d’imposition aurait certes respecté le § 205, alinéa (3) AO d’un point de vue formel, mais non en substance, de sorte que le bureau d’imposition devrait être considéré comme ayant violé cette disposition, les informations fournies dans le courrier en question étant insuffisantes pour comprendre les redressements envisagés, alors que les quelques indications chiffrées ne seraient accompagnées d’aucun détail concernant les calculs sous-jacents et la société demanderesse estimant que ledit courrier serait de surcroît vicié par plusieurs incohérences.
A ce titre, la société demanderesse relève que le bureau d’imposition aurait qualifié l’insuffisance alléguée d’intérêts sur le prêt de distribution cachée, ce qui serait un non-sens, puisque la société par actions simplifiée de droit français (BB)., ci-après désignée par « la société (BB) », serait sa filiale et non son associé.
Elle souligne ensuite que le bureau d’imposition aurait qualifié l’excédent allégué d’intérêts sur la dette obligataire envers la société (AA1), d’« apport caché imposable », ce qui constituerait également un non-sens, alors que d’une part elle serait la filiale de la société et non son associé, de sorte qu’elle ne saurait faire un apport, et, d’autre part, que la notion même d’« apport imposable » n’existerait pas en droit fiscal luxembourgeois, une telle allégation constituant une violation de la lettre même de l’article 18 LIR.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse estime que ce serait à tort que la partie étatique aurait soutenu qu'il ressortirait du courrier du 4 novembre 2020 « une prise de position élaborée concernant l'excédent d'intérêts débiteurs déduits ».
Elle poursuit en affirmant que la partie étatique admettrait elle-même que les chiffres indiqués par elle dans le courrier du 14 octobre 2020 sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO seraient inversés, et que des explications sur ledit courrier auraient été données par 1 Cour adm., 12 octobre 2006, n° 20513C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 1051 (2e volet) et les autres références y citées.
9téléphone suite à la réception par le bureau d'imposition de son courrier de réponse du 4 novembre 2020. Or, le § 205, alinéa (3) AO prévoirait une formalité substantielle visant à protéger les intérêts des contribuables et il ne pourrait pas être admis que la violation de cette formalité soit corrigée par voie orale. Le bureau d'imposition aurait dû, à la suite de leur conversation téléphonique, renvoyer un nouveau courrier sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO confirmant par écrit les déviations envisagées par rapport à sa déclaration fiscale.
Par ailleurs, la société demanderesse avance que la référence faite dans les bulletins d’imposition au courrier du 14 octobre 2020 impliquerait un renvoi pur et simple à une motivation erronée — même de l'aveu de la partie étatique — qu'il aurait fallu corriger pour rendre la motivation valide.
Enfin, la société demanderesse souligne que la simple existence d’un délai entre l'envoi dudit courrier du 14 octobre 2020 et l'émission des bulletins définitifs n'équivaudrait pas à une invitation faite au contribuable de présenter des observations additionnelles.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen afférent pour ne pas être fondé.
Selon lui, il résulterait du dossier fiscal que le bureau d'imposition aurait envoyé un courrier en date du 14 octobre 2020 sur base du § 205, alinéa (3) AO à la société demanderesse par lequel il lui aurait communiqué les redressements fiscaux envisagés.
En date du 4 novembre 2020, la société demanderesse aurait alors transmis au bureau d’imposition un courrier afin de lui demander des précisions quant à la méthode de calcul concernant le « manquant d'intérêts créditeurs déclarés de … EUR ». Contrairement à la thèse de la société demanderesse, ledit courrier ne ferait pas ressortir qu'elle n'aurait pas compris les redressements envisagés sur d'autres points, mais ferait au contraire ressortir une prise de position élaborée concernant « l'excédent d'intérêts débiteurs déduits de … EUR ».
Il y aurait par ailleurs lieu de souligner que le bureau d'imposition n'aurait pas émis les bulletins d’imposition directement suite à la réception dudit courrier, mais lui aurait d'abord fourni les explications demandées. En effet, dans un souci de s'assurer que la société demanderesse comprenne la position adoptée par le bureau d'imposition, l'agent en charge lui aurait communiqué personnellement les explications requises par le biais d'un entretien téléphonique et notamment l'erreur de l'inversion des montants figurant dans le courrier du 14 octobre 2020. Ainsi, l’agent en charge lui aurait expliqué qu'il fallait remplacer le montant de … euros par celui de … euros et vice-versa. Ce n'est qu'en date du 10 mars 2021 que le bureau d'imposition aurait émis les bulletins d’imposition, laissant ainsi à la société demanderesse un délai confortable pour lui faire part d'observations supplémentaires, observations qu'elle n'aurait d'ailleurs pas jugé utile d'introduire. Il faudrait en conclure que la société demanderesse aurait disposé de toutes les informations nécessaires pour exercer son droit d'être entendue et que ce serait à tort qu'elle invoque la violation du § 205, alinéa (3) AO. Il s'ensuivrait que la forme suivie par le bureau d'imposition ne prêterait pas à critique.
Analyse du tribunal 10Le droit du contribuable d'être informé et entendu avant la prise d'une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers les informations par lui soumises à l’autorité compétente, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l'administration fiscale, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable2.
S’il est vrai que ce principe ne se trouve pas formellement inscrit d’une manière générale dans l’AO, mais trouve son expression dans des dispositions en portant application dans certaines hypothèses, il n’en reste pas moins qu’il découle implicitement mais nécessairement des principes d’instruction inscrits au § 204, alinéa (1) AO3.
Le § 205, alinéa (3) AO, disposant que « wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äußerung mitzuteilen», constitue une application particulière de ce principe et met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible d’asseoir correctement l’obligation fiscale du contribuable compte tenu de sa situation patrimoniale. A cet effet, le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt. Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, notamment lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt. Par contre, lorsque la divergence de vues mise en avant par le contribuable s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, le contribuable n'a pas droit à être entendu préalablement à l'établissement du bulletin d'imposition.
En l’espèce, le tribunal constate tout d’abord que le bureau d’imposition a entendu opérer des modifications par rapport à la déclaration fiscale relative à l’année 2017 de la société demanderesse, lesquelles ont engendré, de façon non contestée, une charge fiscale plus lourde que celle escomptée par la société demanderesse lors du dépôt de sa déclaration.
Il ressort également des éléments en cause que le bureau d’imposition a formellement respecté l’obligation d’informer et de consulter la société demanderesse avant l’émission des bulletins d’imposition ayant fixé une obligation patrimoniale plus lourde que celle par elle escomptée mise à sa charge en application du § 205, alinéa (3) AO en lui communiquant par 2 Trib. adm. 7 janvier 1998, n° 10112 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 971 (1er volet) et les autres références y citées.
3 Cf. notamment Tipke- Kruse, RAO, 1e édit., § 204, Anm. 14 ; Becker, Riewald, Koch, RAO, 1965, § 204, Anm. 6.
11courrier du 14 octobre 2020 les différentes modifications envisagées et l’existence de son droit de réponse.
En effet, ledit courrier du 14 octobre 2020 fait ressortir que l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’« administration », a précisé à la société demanderesse qu’« [a]près vérifications de l’analyse TP et de la déclaration rectificative nr.
3, pièces remises par vos soins, il faut constater que votre déclaration ne correspond pas à l’analyse introduite et diffère de l’article 56 L.I.R. Le bureau d’imposition redresse votre résultat imposable comme suit :
o Taux qui correspondent au principe de pleine concurrence suivant analyse :
▪ Taux d’intérêt sur dettes : 11,85% ;
o excédent d’intérêt débiteur déduit : …,-euro (montant arrondi, apport caché imposable) ;
▪ Taux d’intérêt sur créances : 12% ;
o manquant d’intérêt créditeur déclaré : …,-euro (montant arrondi, distribution cachée non déductible) ;
▪ Ces calculs prennent en compte les intérêts accrus.
o Un montant total de …-euro est ajouté à votre résultat fiscal imposable.
Si vous avez des objections à faire quant aux modifications ci-dessus, veuillez me les communiquez par écrit pour le 4 novembre 2020 au plus tard […]. ».
Force est ensuite au tribunal de constater qu’en réponse au précité courrier du 14 octobre 2020, la société demanderesse a formulé ses observations dans un courrier du 4 novembre 2020 dont le libellé a été retranscrit ci-avant, en demandant notamment des explications sur les redressements que le bureau d’imposition souhaitait opérer.
De surcroît, à l’appui de sa réclamation datée du 10 juin 2021, la société demanderesse a expliqué d’une part que, d’après sa compréhension du courrier du bureau d’imposition du 14 octobre 2020, « [l]e Bureau d’imposition a qualifié l’insuffisance alléguée d’intérêts sur le Prêt de distribution cachée. En d’autres termes, le Bureau d’imposition a considéré que la Société, en n’ayant pas perçu suffisamment d’intérêts de la part de (BB), lui a distribué de manière cachée des bénéfices […] », tout en manifestant son incompréhension du reproche lui fait au motif que « [c]eci est un non-sens, puisque (BB) est la filiale de la Société, et non son associé. ». D’autre part, la société demanderesse a expliqué, toujours d’après sa compréhension du courrier du 14 octobre 2020, que « [l]e Bureau d’imposition a qualifié l’excédent allégué d’intérêts sur la dette obligataire envers (AA1) d’« apport caché imposable ». En d’autres termes, le Bureau d’imposition a considéré que la Société, en ayant payé trop d’intérêts à (AA1), lui a fait un apport caché. ».
L’incompréhension de la société demanderesse s’est manifestée à travers les explications suivantes : « [c]eci est un non-sens pour deux raisons. Premièrement, la Société est la filiale de (AA1), et non son associé ; elle ne saurait donc faire un apport à son associé.
Deuxièmement, la notion même d’ « apport imposable » n’existe pas en droit fiscal luxembourgeois. Au contraire, une telle allégation est une violation de la lettre même de l’article 18 de la loi de l’impôt sur le revenu. ».
12Il est constant en cause pour ne pas être contesté par la partie étatique que l’administration a commis une erreur au sein du courrier du 14 octobre 2020 consistant, en premier lieu, en une inversion des montants de … euros consistant en réalité en un excédent d’intérêts payés par la société (AA1) sur les obligations émises par la société demanderesse et de … euros consistant en réalité en un montant d’intérêts non-perçus par la société demanderesse sur une créance détenue à l’égard de la société (BB) et, en second lieu, en une inversion de la qualification d’« apport caché imposable » et de « distribution cachée non déductible ». Lesdites inversions sont corroborées par le témoignage du 4 mars 2022 de l’agent de l’administration en question précisant que « […] l’appelant m’a demandé s’il pouvait poser des questions supplémentaires au sujet de la lettre 205 AO, ce que j’ai acceptée. Ses questions concernaient l’excédent d’intérêt déduit et le manque d’intérêt à recevoir. Lors de l’entretien, je me suis rendue compte que j’avais confondu les créances avec les dettes dans mon courrier. J’ai admis cette erreur à mon interlocuteur et je lui ai expliqué comment lire la lettre correctement. Après avoir clarifié cette erreur l’entretien a pris fin. ». Eu égard à cette double inversion commise par l’administration, la société demanderesse lui reproche de ne pas lui avoir permis de faire valablement valoir ses observations sur la divergence importante entre sa déclaration de l’impôt et l’imposition envisagée par le bureau d’imposition entrainant, par conséquent, une violation du § 205, alinéa (3) AO.
Eu égard aux considérations qui précèdent le tribunal constate de prime abord qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le bureau d’imposition a formellement respecté l’obligation d’information et de consultation mise à sa charge par le § 205, alinéa (3) AO. En revanche, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si à travers le courrier d’information du 14 octobre 2020 une information effective de la société demanderesse a eu lieu en application dudit § 205, alinéa (3) AO, en raison des différentes inversions de montants et de qualifications y contenues, et corolairement sur la question de savoir si la société demanderesse a effectivement été mise en mesure de faire valoir ses observations au sens du § 205, alinéa (3) AO.
A cet égard, il convient d’analyser si les montants, voire les qualifications inversées trouvent leur origine dans la documentation versée par la société demanderesse au bureau d’imposition. En effet, le droit d’information et de prise de position du contribuable ne doit pas aboutir à un formalisme excessif et l’envergure des indications à fournir au contribuable doit être définie d’après les spécificités de chaque cas d’imposition. En outre, les données qui sont déjà connues dans le cadre du cas d’imposition et notamment les informations fournies par le contribuable lui-même ne doivent pas faire l’objet d’une information préalable en vue d’une prise de position4.
Il ressort des explications de la société demanderesse à l’appui de son courrier du 4 novembre 2020 que celle-ci aurait accordé un prêt à la société (BB) à un taux de 12%. Il ressort encore dudit courrier que le prêt accordé à la société (BB) a été financé par l’émission de « bonds » acquise par la société (AA1).
Il ressort ensuite du bilan fiscal au 31 décembre 2017 de la société demanderesse, annexé à sa déclaration fiscale rectificative pour l’année 2017, que celle-ci disposait de 4 Cour adm. 29 juillet 2010, n° 25536C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 990 (1er volet) et les autres références y citées.
13créance sur des entreprises liées pour un montant principal de … euros ainsi que d’un montant d’intérêts afférents à hauteur de … euros, soit un montant total de … euros, mais également que celle-ci avait une dette envers des entreprises liées pour un montant principal de … euros ainsi que d’un montant d’intérêts afférents à hauteur de … euros, soit un montant total de … euros.
L’Analyse TP versée en cause par la société demanderesse confirme par ailleurs l’application d’un taux de 12 % sur ladite créance de … euros détenue sur la société (BB), conduisant à un montant d’intérêts à recevoir par la société demanderesse de … euros.
L’Analyse TP fait encore ressortir l’application d’un taux de 11,85% sur la dette de … euros envers par la société (AA1), conduisant à un montant d’intérêts à payer par la société demanderesse de … euros.
Enfin, il ressort des comptes de profits et pertes pour l’année 2017 de la société demanderesse tels qu’annexés à sa déclaration fiscale rectificative de l’année 2017 qu’elle a effectivement reçu le paiement d’intérêts sur la créance détenue sur la société (BB) à hauteur de … euros sur le montant total d’intérêts à recevoir, tel que retenu ci-avant, soit … euros, faisant dès lors apparaitre un solde manquant d’intérêts à percevoir de … euros. Les dits comptes de profits et pertes pour l’année 2017 de la société demanderesse font également ressortir qu’elle a effectivement payé un montant d’intérêts sur sa dette envers la société (AA1) à hauteur de … euros, sur un montant total d’intérêts à payer devant normalement s’élever à … euros, générant un solde excédentaire sur la dette d’intérêts à hauteur de … euros.
Il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent que les données à la base des différentes inversions opérées par le bureau d’imposition ressortent des documents fournis par la société demanderesse elle-même, laquelle ayant donc nécessairement eu connaissance du contenu desdits documents de sorte qu’elle ne saurait utilement affirmer qu’elle n’aurait pas compris l’erreur commise par l’administration et qu’elle n’aurait, par conséquent, pas pu être en mesure de comprendre les reproches du bureau d’imposition consistant en réalité en un manque d’intérêts créditeurs déclarés arrondis de … euros à qualifier d’apport caché imposable à l’égard de la société (BB) et d’un excédent d’intérêts débiteurs déduits arrondis de … euros à qualifier de distribution cachée non déductible à l’égard de la société (AA1), d’autant plus que la société demanderesse reconnait avoir reçu des explications d’un agent de l’administration concernant les erreurs commises par le bureau d’imposition avant la réception des bulletins d’imposition.
Par ailleurs, la situation d’espèce n’est pas comparable à celle à la base de l’arrêt de la Cour administrative du 14 juillet 2015 portant le numéro 35428C du rôle et cité par la société demanderesse.
En effet, dans ledit arrêt du 14 juillet 2015, la Cour administrative a retenu que « [e]n vue d’annoncer à l’appelante l’ensemble de ces redressements, le bureau d'imposition lui a fourni dans le courrier du 5 décembre 2012 l’information que le redressement envisagé consiste en l’« imposition d’un bénéfice qui correspond à une marge nette de 0,25% sur les prêts accordés aux entreprises liées suivant le principe de la pleine concurrence […] les termes su(AA1)isés sont des concepts techniques de la comptabilité dont il ne peut pas être supposé que tout contribuable normalement diligent et averti, qui ne peut pas être supposé avoir des connaissances fondées en comptabilité, soit en mesure de saisir, du seul fait de leur 14mention, toute leur portée et toutes les conséquences de leur usage dans le cadre d’une annonce de redressement d’une imposition en l’absence d’autres précisions ou, du moins, de l’indication chiffrée des conséquences de son utilisation sur les bases d’imposition […] afin de permettre à un contribuable normalement diligent et averti de conclure que les redressements envisagés par le bureau d'imposition aboutiraient à éliminer l’ensemble de ses charges et la perte de change pour fixer un bénéfice fondé sur une marge nette, toutes opérations confondues, telle que retenue par le bureau d'imposition, le résultat étant en l’espèce la substitution d’un bénéfice imposable à une perte déclarée par le contribuable. ».
Dans le cadre dudit arrêt le reproche à l’égard de l’administration consistait dans le fait d’avoir utilisé des termes techniques relatif à la comptabilité dont la portée et les conséquences avaient dépassé dans cette affaire celles qu’un contribuable normalement diligent et averti était en mesure de saisir. En l’espèce, par contre, l’inversion des montants porte sur des données issues de la propre documentation de la société demanderesse, de sorte qu’elle ne pouvait pas valablement se méprendre sur la portée des redressements souhaités par le bureau d’imposition. Il y a également lieu de noter que le contribuable n’avait dans l’arrêt su(AA1)isé du 14 juillet 2015 pas reçu d’autres précisions du bureau d’imposition, contrairement à la société demanderesse qui a reçu des explications durant un entretien téléphonique avec un agent de l’administration.
Enfin, les contestations de la société demanderesse quant à la possibilité pour l’administration de rectifier une erreur commise dans un courrier émis sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO par un entretien téléphonique ne sont pas pertinentes en l’espèce, dans la mesure où le tribunal vient de retenir qu’en tout état de cause la société demanderesse a été en état de saisir la portée du courrier d’information du 14 octobre 2020 étant donné qu’il se fondait sur les données fournies par la société elle-même.
Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que malgré les confusions contenues dans le courrier d’information du bureau d’imposition du 14 octobre 2020 au sens du § 205 AO, alinéa (3) AO, la société demanderesse n’a pas pu se méprendre sur les développements du bureau d’imposition ainsi que sur les redressements envisagés, de sorte qu’elle n’a pas été empêchée de prendre utilement position par rapport auxdits redressements au sens dudit § 205, alinéa (3) AO.
Il s’ensuit que c’est à tort que la société demanderesse allègue une violation du § 205, alinéa (3) AO et que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant à la question de la distribution cachée de bénéfice et de l’apport caché imposable Moyens et arguments des parties En fait, la société demanderesse expose tout d’abord qu’elle aurait été détenue durant l’année fiscale 2017 par la société (AA1) et qu’elle aurait été l’actionnaire majoritaire avec une détention de 65 % de la société (BB). Elle explique encore avoir, en conformité avec son objet social, exercé une activité de financement intra-groupe.
Le 21 décembre 2010, elle aurait accordé à la société (BB) un prêt, ci-après désigné par « le prêt », afin que cette dernière se procure l’équipement nécessaire à la production 15d’énergie à partir de déchets, prêt dont le taux d’intérêt annuel aurait été de 12 %.
A deux reprises, en 2011 et 2015, la société demanderesse aurait émis des obligations (« Bonds ») libellées en dollars américains (« USD ») souscrites par la société (AA1), dont le taux d’intérêt sur les obligations aurait dépendu de plusieurs facteurs, parmi lesquels figuraient le taux d’intérêt du prêt, ainsi que tout autre revenu et plus-value liés à ce prêt, en ce compris, entre autres, d’éventuels gains de change, de sorte que le risque de change aurait ainsi été contractuellement transféré par la société demanderesse à la société (AA1).
En raison de sérieuses difficultés économiques rencontrées par la société (BB) au fil des années, la société demanderesse aurait finalement accepté en 2018 de procéder à une restructuration du financement accordé à la société (BB), alors que maintenir le taux d’intérêt du prêt à 12 % aurait compromis la capacité de cette société à honorer ses engagements, ce qui aurait pu générer des répercussions négatives sur la valeur de ses propres investissements dans la société (BB) et aurait mis en péril la viabilité de toute la structure de financement.
La société demanderesse souligne à ce propos que le refinancement aurait eu lieu pour des raisons économiques, et non en raison de sa qualité d’actionnaire de la société (BB), et rappelle qu’elle n’aurait pas été actionnaire unique de cette société.
Elle expose que dans ce contexte elle aurait finalement conclu le 29 mars 2018 deux contrats avec, entre autres, la société (BB) , à savoir, d’une part, un « Settlement Agreement » au terme duquel elle aurait accepté de recevoir un montant de … euros en tant qu’intérêts pour la période du 1er janvier 2017 au 29 mars 2018, montant correspondant au montant des intérêts échus au cours de l’année 2017 jusqu’au 15 octobre 2017 et, d’autre part, un « Facility Agreement », au terme duquel elle aurait accordé à partir du 29 mars 2018 un nouveau financement à la société (BB) , avec un taux d’intérêt annuel de 6 %. La société demanderesse précise également qu'une partie du montant aurait dû être allouée à la période allant du 1er janvier 2018 au 29 mars 2018, raison pour laquelle elle aurait comptabilisé dans ses comptes annuels pour 2017 un montant d'intérêts inférieur à celui prévu dans le « Settlement Agreement », soit un montant de USD … qui correspondrait aux intérêts à allouer à l'exercice 2017.
La société demanderesse fait plaider à titre principal que l’administration aurait dû tenir compte de sa déclaration fiscale rectificative, laquelle reposerait sur une analyse de prix de transfert conforme aux principes de l’OCDE en matière de prix de transfert et aux dispositions de droit fiscal luxembourgeois applicables. Il serait d’ailleurs évident qu’une société ne saurait être imposée sur un soi-disant profit supérieur à … d’euros, alors même que son unique filiale serait en grandes difficultés financières et que l’Analyse TP conclurait à une marge de 0,147 % sur le montant de l’activité de financement.
La société demanderesse rappelle que l’Analyse TP effectuée pour son compte et communiquée au bureau d’imposition conclurait à ce qu’une marge de 0,147 % constituerait une rémunération de pleine concurrence au titre de son activité de financement intra-groupe et que cette même analyse confirmerait qu’un taux d’intérêt de pleine concurrence sur les créances s’exprimerait dans un intervalle dont les extrémités seraient respectivement de 7,97 % et de 14,2 %, de sorte que le taux d’intérêt du prêt de 12 % se situerait dans cet intervalle et serait donc conforme au principe de pleine concurrence tel que prévu à l’article 56 LIR.
16 Or, lorsque ledit principe de pleine concurrence de l’article 56 LIR serait respecté, le résultat imposable défini sur cette base s’imposerait à l’administration, à moins que celle-ci ne démontre que le contenu de l’Analyse TP serait affecté par des erreurs telles que le résultat ne pourrait pas être conforme au principe de pleine concurrence.
La société demanderesse critique ensuite le manque de clarté et d’intelligibilité du raisonnement de l’administration.
Ainsi, le bureau d’imposition lui reprocherait certes d’avoir omis de déclarer un montant de … euros d’intérêts reçus, mais il ne serait pas clair comment il serait parvenu à ce résultat.
En ce qui concerne le reproche d’une déduction d’intérêts excessive tel que lui opposé par le bureau d’imposition, elle pense comprendre que le bureau d’imposition aurait calculé l’excédent d’intérêts débiteurs déduits de … euros concernant les obligations émises par elle à l’égard de la société (AA1) en appliquant un taux d’intérêt de 11,85 % sur la base de la valeur de marché des obligations et non pas sur la valeur nominale de celles-ci, approche qu’elle estime toutefois être incorrecte.
Elle argumente que les intérêts devraient toujours courir sur le montant principal d’une dette, sans que les fluctuations de valeur de marché ne puissent exercer une influence.
Ce ne serait qu’en cas de renonciation expresse du prêteur à une partie de sa créance que les intérêts courraient sur un montant principal réduit.
En second lieu, elle donne à considérer que le taux de 11,85 % utilisé par le bureau d’imposition serait obtenu en soustrayant la marge de pleine concurrence (0,147 %) du taux d’intérêt sur le prêt (12 %). Or, cela ne serait une approche correcte que si ses revenus avaient été exclusivement des revenus d’intérêts. Dans cette situation, en effet, après déduction de la marge de pleine concurrence, le taux d’intérêt sur les obligations devrait en effet être 11,85 %. Cependant, dès lors qu’elle réaliserait d’autres revenus que des intérêts, le taux d’intérêt sur les obligations serait nécessairement différent de 11,85 %, la société demanderesse relevant à cet égard que l’Analyse TP n’aurait pas défini le taux d’intérêt sur les obligations, mais qu’elle aurait définit une marge de pleine concurrence, c’est-à-dire la rémunération à laquelle elle aurait droit pour l’exercice de ses fonctions de financement intra-groupe, une telle approche visant précisément à permettre une fluctuation du taux d’intérêt sur les obligations pour s’assurer que sa rémunération reste conforme au principe de pleine concurrence En troisième lieu, la société demanderesse expose en ce qui concerne l’exclusion par le bureau d’imposition des gains de change non réalisés de sa base imposable, que ces gains, qui constitueraient en tant que gains de change non-réalisés le seul autre revenu significatif reconnu dans ses comptes annuels, ne seraient pas venus augmenter sa capacité contributive, de sorte qu’il serait inéquitable de l’imposer sur ceux-ci, étant relevé qu’en tout état de cause, des gains de change non-réalisés ne sauraient être imposés en application de l’article 23 LIR, qui prohiberait de réévaluer des actifs au-dessus de leur prix d’acquisition.
Enfin, s’agissant du reproche d’une omission d’intérêts créditeurs tel que lui opposé par le bureau d’imposition, la société demanderesse pense comprendre que ce dernier lui 17reprocherait d'avoir omis de déclarer un montant de … euros d'intérêts reçus, sur base d'un ajustement de prix de transfert sur le taux d'intérêt du prêt, or il ne serait pas clair comment le bureau d'imposition serait parvenu à ce résultat.
A l’appui de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens de la société demanderesse.
Il donne tout d’abord à considérer que le litige porterait principalement sur la question de savoir si les gains de change de … euros seraient à prendre en compte pour les calculs de la réalisation de la marge retenue dans l'Analyse TP.
D'abord, le délégué du gouvernement soulève à cet égard que la société demanderesse se contredirait dans sa requête. D'une part, elle serait d'avis que les revenus provenant de gains de change litigieux seraient à prendre en compte pour les calculs de la marge, et d'autre part, elle serait toutefois d'avis que ces revenus seraient à considérer comme non-réalisés et ne devraient pas être pris en compte pour les besoins de l'imposition. La société demanderesse tendrait à corroborer ses dires en avançant de plus une définition contractuelle qui ferait ressortir le calcul du taux d'intérêt des obligations en tenant compte des « revenus et gains dérivés ».
En l'occurrence, il y aurait lieu d'écarter l'argumentation de la société demanderesse en ce qui concernerait le fait de considérer les gains de change comme « gains dérivés » selon la définition contractuelle. En effet, l'Analyse TP aurait élaboré la marge à réaliser en tenant compte des seuls revenus d'intérêts proprement dits et en faisant clairement référence aux « Interest income » avec un taux indubitablement fixe de « 12,00% » ne faisant apparaître aucun gain de change.
Le délégué du gouvernement explique ensuite que l'Analyse TP aurait justement pour but d'analyser si le principe de pleine concurrence aurait été respecté dans les contrats portant sur des transactions de financement intra-groupe, et, le cas échéant, de remédier au non-
respect dudit principe. Les dispositions contractuelles fixées entre la société demanderesse et les autres sociétés du groupe ne seraient, dans ce sens et contexte, pas opposables à l'administration, d'autant plus que l'Analyse TP serait requise en vertu d'une obligation légale. Il en découlerait que l'Analyse TP fournie par la société demanderesse aurait nécessairement écarté les gains de change des calculs afin que les transactions puissent être analysées dans un environnement de pleine concurrence. De plus, et contrairement aux dires de la société demanderesse, il y aurait lieu de considérer les gains de change comme réalisés, étant donné qu’elle-même déclarerait avoir « accepté de recevoir la somme de … euros (…) ».
La partie étatique estime en outre qu’il y aurait lieu de constater que la société demanderesse aurait rempli sa déclaration aux antipodes de l'Analyse TP introduite par ses propres soins. Le montant nominal du prêt octroyé qui s’élèverait à « (… + …, i.e.) … euros » aurait engendré un montant d'intérêts de … euros, ce qui correspondrait à un taux de 6%, alors que suivant l'Analyse TP remise, le taux devrait se situer entre 7,97% et 14,2%.
Après avoir constaté que la société demanderesse avance qu’elle serait dans l'impossibilité de percevoir l'entièreté des intérêts suite à la « situation financière très précaire » de sa filiale, il en déduit que cette dernière aurait obtenu un avantage qu'elle n'aurait pas obtenu dans un contexte de pleine concurrence. Il y aurait partant lieu d'appliquer le taux de 12%, tel qu'il 18figure dans les contrats de société demanderesse et notamment aussi dans l’Analyse TP. En partant de ce point de départ, le délégué du gouvernement dresse le tableau suivant reprenant les calculs s'imposant d'après les constatations de l'Analyse TP :
« […] Créances Nominal (26.309.218 +13.457.429) … euros Intérêts suivant analyse TP (12%) … euros Intérêts effectifs … euros Ajout à effectuer … euros • Dettes Nominal (23.775.370 + 16.097.130) … euros Intérêts suivant analyse TP (11,85%) … euros Intérêts effectifs … euros Ajout à effectuer … euros » Enfin, contrairement au reproche de la société demanderesse suivant lequel le bureau d'imposition aurait erronément appliqué le taux de 11,85% sur la valeur de marché des obligations et non sur la valeur nominale de … euros, réduisant ainsi le montant des intérêts reconnus et déductibles en tant que charges dans le compte profits et pertes, le représentant étatique estime qu’il résulterait du dossier fiscal que le bureau d'imposition aurait calculé les intérêts litigieux sur base d'un montant s'élevant à … euros qui correspondrait à la réalité économique qu'il conviendrait de prendre en compte indépendamment du prétendu montant nominal.
A l’appui de son mémoire en réplique, la société demanderesse explique à titre liminaire, que le présent litige porterait en réalité non pas sur la question de savoir si les gains de change devraient être pris en compte ou non pour calculer la marge, comme indiqué par la partie étatique dans son mémoire en réponse et comme soulevé dans le mémoire introductif d'instance sur base des éléments disponibles à l'époque, mais sur la mauvaise application que le bureau d'imposition aurait fait des règles de prix de transfert.
Si la société demanderesse entend se rapporter aux faits et rétroactes décrits dans sa requête introductive, elle souhaite toutefois clarifier certains points concernant la restructuration de dette de la société (BB) qui aurait eu lieu en 2017. Elle aurait détenue à cette période 65% des actions de la société (BB) appartenant au groupe (CC) et spécialisée dans les solutions de production d'énergie à haut rendement à partir de déchets résiduels et de biomasse. L'objet de la société (BB) serait d'exploiter la centrale du site de Morcenx, mais la société aurait rencontré de sérieuses difficultés économiques au fil des années dues 19principalement à des problèmes liés aux travaux, difficultés qui auraient culminé dans la négociation à l'automne 2017 d'un refinancement et d'une restructuration de la dette de la société (BB), aboutissant à la conclusion du « Settlement Agreement » en date du 29 mars 2018.
La centrale du site de (BB) aurait été inaugurée en 2012, mais aurait cessé de fonctionner peu après sa mise en service en raison de problèmes de conformité de certaines machines. Par la suite, la reprise du fonctionnement de la centrale, initialement prévue pour le premier trimestre de 2015, aurait été repoussée en « décembre 2014 », en raison de divers retards dans la planification des travaux. A la fin de l’année 2015, il aurait été espéré que la centrale commence ses opérations en 2016 et qu'elle atteigne sa pleine capacité productive en 2018, soit plusieurs années après ce qui aurait été initialement envisagé. Le 14 juin 2017, la société (BB) aurait finalement réceptionné les travaux de la centrale de manière définitive, malgré le fait qu'elle n’aurait toujours pas fonctionné manière appropriée. Il aurait été convenu que la réalisation de certains objectifs opérationnels moins stricts que ceux initialement prévus seraient considérés comme suffisants aux fins de cette réception définitive sans réserve.
Les difficultés financières de la société (BB) pourrait être retracées dans plusieurs documents. Ainsi, elle précise que son rapport en sa qualité de président de la société (BB) , émis dans le cadre de la décision des actionnaires de cette dernière sur différents sujets indiqueraient : « Compte tenu de la situation financière actuelle de la société, dont les comptes au 31 décembre 2017 font apparaitre des capitaux propres négatifs de …. euros, et du fait qu'il n'existe aucun élément pouvant justifier une prime d'émission, le prix d'émission des actions nouvelles a été fixé à la valeur nominale. ». La société (BB) se serait par ailleurs retrouvé en cessation de paiement dès décembre 2018.
Dans le précité « Settlement Agreement », la société demanderesse — ainsi que la société à responsabilité limitée de droit français (DD) SAS, ci-après désignée par « la société (DD) », la société anonyme (CC) SA, ci-après désignée par « la société (CC) », ainsi que la société par action simplifiée (DD1) SAS — auraient accepté de procéder à une restructuration du financement accordé à la société (BB). Elle aurait, en particulier, accepté de recevoir un montant de … euros en tant qu’intérêts pour la période allant du 1er janvier 2017 à 29 mars 2018 et de réduire le taux du prêt de 12 % à 6%.
La société demanderesse poursuit en expliquant que la restructuration de la dette aurait suivi plusieurs étapes. Le « Settlement Agreement » ferait en effet suite à des négociations multilatérales, notamment la signature d'une « term sheet » en date du 11 septembre 2017 avec la société (BB), la société (DD), et la société (CC). Elle précise que ce dernier serait un actionnaire tiers de la société (BB) ne présentant aucun lien avec elle. Le « term sheet » prévoirait des concessions de la part de toutes les parties afin d'aider la société (BB) à surmonter ses difficultés financières. D'autres sociétés du groupe (CC) auraient aussi fait des concessions concernant les obligations de la société (BB) dans le cadre de cette restructuration de dette, dans un effort commun de redresser la société financièrement, qu'il s'agisse de la prise en charge de coûts normalement allouables à la société (BB) ou de renonciation à certains paiements dus par la société (BB).
Ledit « term sheet » prévoirait également la conversion d'une portion de la dette envers elle en capital. Ainsi, au 31 décembre 2016, le principal de la dette se serait élevé à … 20euros et les intérêts à … euros, pour un montant total de … euros. Il aurait été convenu qu’une portion de la dette s’élevant à … euros soit capitalisée, en échange d'actions émises par la société (BB) à son profit. Cette capitalisation aurait eu lieu le 21 mars 2018, donnant lieu à l'émission de … nouvelles actions, qui auraient été entièrement souscrites. Par la suite, la société demanderesse aurait apporté la totalité des titres détenus dans la société (BB) à la société (DD), par voie d'une augmentation du capital de cette dernière lui permettant de s'associer à sa croissance avec une participation minoritaire d'environ 19%. La société demanderesse estime dès lors qu’elle aurait pu sur le « moyen-long terme » être compensée pour ses concessions immédiates, si les opérations de la société (BB) avaient pu se développer comme espéré, ce qui n'aurait malheureusement pas été le cas.
Enfin, dans le cadre des négociations de 2017, au regard des difficultés financières de la société (BB), elle aurait également réussi à obtenir de la part de la société (CC) des garanties supplémentaires pour le prêt octroyé à la société (BB).
En droit, la société demanderesse conteste fermement que l'ajustement aurait été effectué par le bureau d'imposition sur base de ladite Analyse TP, comme le laisserait croire la partie étatique. Au contraire, le redressement effectué par le bureau d'imposition reposerait sur une mauvaise interprétation de l’Analyse TP, dont les résultats confirmeraient qu'une marge de 0,147% serait une rémunération de pleine concurrence au titre de son activité de financement intra-groupe. En d'autres termes, cela signifierait qu’il faudrait une différence de 0,147% du volume de financement entre : (i) les revenus de cette activité, et (ii) les charges liées à cette activité. Par conséquent, si des revenus autres que des intérêts étaient reconnus, ils seraient également pris en compte pour déterminer les charges d'intérêts de pleine concurrence.
De surcroît, les résultats de l'Analyse TP confirmeraient aussi qu'un taux d'intérêt de pleine concurrence sur les créances s'exprimeraient dans un intervalle dont les extrémités seraient 7,97% et 14,2%. Le taux d'intérêt du prêt accordé à la société (BB) étant de 12%, il se situerait dans cet intervalle et serait dès lors conforme au principe de pleine concurrence.
Elle explique avoir appliqué ledit taux de 12% jusqu'au moment où la société (BB) se serait retrouvée dans une situation telle qu'une restructuration de la dette aurait été nécessaire.
Toutefois, elle estime que cette diminution du taux d'intérêt devrait aussi être vue comme répondant au principe de pleine concurrence.
En effet, il ressortirait de l'argumentation de la partie étatique que celle-ci laisserait croire que toute situation dans laquelle un créancier renoncerait à sa dette serait anormale et incompatible avec le principe de pleine concurrence. Or, il serait à noter que même sur le marché libre, c'est-à-dire en dehors des situations intra-groupes, des créanciers accepteraient de renoncer à une partie de leurs créances en restructurant la dette de manière plus soutenable pour le débiteur en difficulté. Ainsi, selon elle, que le créancier soit un tiers ou soit associé de la société emprunteuse en difficulté financière, l'intérêt de renoncer à une partie de la créance serait d'augmenter les chances que la dette restante soit repayée dans le futur plutôt que la société ne tombe en faillite, ce qui aboutirait à la perte de l'intégralité de l'investissement.
Elle fait plaider que le cadre global de la restructuration de la dette de la société (BB) devrait être pris en considération pour évaluer le caractère de pleine concurrence de celle-ci, alors que la partie étatique se limiterait justement à prendre en compte la diminution du taux à 6% et non l’intérêt réel de la société demanderesse dans l’aboutissement de la 21restructuration. En effet, si la société demanderesse aurait certes détenu une participation majoritaire dans la société (BB) au moment des faits litigieux, mais elle n’aurait été qu'investisseur dans les technologies développées par le groupe (CC) sans appartenir au groupe. Ainsi, ses intérêts en tant qu'investisseur et ceux de la société (CC) auraient été nettement distincts. C'est d'ailleurs ce qu'exprimerait la société (CC) dans le communiqué de presse versé en cause lorsqu'il serait question d' « aligner » ses intérêts avec ceux du groupe.
Elle ajoute que sans la restructuration de la dette, les difficultés financières de la société (BB) l’auraient inévitablement conduite à la faillite. Peu de temps après, ces risques se seraient d’ailleurs matérialisés en aboutissant, le 17 décembre 2018, à la déclaration d'état de cessation des paiements de la société (BB).
La société demanderesse ajoute que grâce à ses concessions sur le prêt accordé à la société (BB), elle aurait pu obtenir des garanties supplémentaires de la part du groupe (CC) , ce qui lui aurait permis d'avoir plus de certitudes sur le fait que malgré les difficultés, elle aurait des chances de récupérer sa créance du fait de la profitabilité du groupe dans son ensemble.
Enfin, elle rappelle qu’elle aurait obtenu une participation minoritaire dans une autre filiale du groupe (CC), la société (DD), laquelle aurait des perspectives de croissance.
Compte tenu de tous ces éléments, la société demanderesse estime qu’il serait évident que la restructuration de la dette aurait présenté pour elle un intérêt en ce qu'elle lui aurait permis d'augmenter ses chances de préserver son investissement. La renonciation à une partie des intérêts initialement dus sur le prêt à la société (BB) serait en outre contrebalancée par les bénéfices escomptés de la restructuration de la dette.
Elle en conclut qu’il s’agirait, dès lors, d'une transaction respectant le principe de pleine concurrence, d'autant plus qu'elle serait conclue avec l'autre actionnaire tiers de la société (BB) et qu’il y aurait lieu de rappeler que les règles de prix de transfert et le principe de pleine concurrence ne joueraient un rôle que dans les transactions intra-groupes.
S’agissant ensuite du calcul des charges d’intérêts sur sa dette obligataire envers la société (AA1), elle reproche à la partie étatique d’insister sur le fait qu'il faudrait calculer le montant des intérêts litigieux sur base d'un montant déprécié de la dette, « qui correspond à la réalité économique qu'il convient de prendre en compte indépendamment du prétendu montant nominal », en affirmant que ce raisonnement serait erroné à plusieurs égards, et qu’en vertu de l'article 23 LIR, l'évaluation des dettes devrait se faire à leur valeur nominale, et à la valeur d'exploitation seulement si la valeur d'exploitation est supérieure à cette valeur.
La société demanderesse ajoute à cet égard que les principes d'évaluation ne seraient pas pertinents pour le calcul des charges d'intérêts. En effet, il ne serait pas conforme à la réalité économique invoquée pourtant par la partie étatique, de calculer des intérêts sur base de la valeur de marché d'une dette.
Analyse du tribunal Le tribunal a retenu dans la première partie de son analyse que les reproches du bureau d’imposition envers la société demanderesse portaient sur (i) un excédent d’intérêts débiteurs déduits sur la dette obligataire envers la société (AA1) arrondi à … euros, estimé 22sur base d’un taux d’intérêt fixé à 11,85% suivant l’Analyse TP, et (ii) un manque d’intérêts créditeurs déclarés concernant le prêt accordé à la société (BB) arrondi à … euros, également estimé sur base d’un taux d’intérêt sur créance fixé à 12% suivant l’Analyse TP fournie par la société demanderesse.
A titre liminaire, il convient de préciser que les données fournies par l’Analyse TP menée par la société demanderesse ne sont pas contestées par la partie étatique, de sorte que la marge nette fixée à 0,147% du volume de financement entre les revenus et les charges liées à l’activité de financement intra-groupe de la société demanderesse, ainsi que le taux d’intérêt sur créance de 12% ne sont pas contestés. Il est dès lors constant en cause que ladite marge nette de 0,147% et ledit taux de 12% sont a priori respectueux du principe de pleine concurrence.
Toujours à titre liminaire, le tribunal entend préciser que la question de l’inclusion des gains de change de … euros dans les calculs de la réalisation de la marge retenue dans l’Analyse TP, soulevée par la partie étatique à l’appui de son mémoire en réponse est étrangère au présent litige, de sorte qu’il y a lieu de l’écarter de la présente analyse. En effet, il ressort des bulletins d’imposition que le redressement de la société demanderesse effectué par l’administration consiste à ajouter à la base taxable de cette dernière la somme de … euros sur base d’un « redressements d’intérêts » effectué à partir des explications contenues dans le courrier du 14 octobre 2020 du bureau d’imposition auquel lesdits bulletins d’imposition renvoient.
Dans son courrier du 14 octobre 2020, l’administration explique que le redressement fiscal dans le chef de la société demanderesse provient de l’ajout d’un montant global de … euros à son résultat fiscal imposable. En adoptant une lecture correcte de ce courrier, le tribunal relève que cet ajout est tiré, d’une part, d’un « apport caché imposable » d’un montant de … euros découlant d’un « excédent d’intérêts débiteurs déduits » après avoir retenu un « taux d’intérêt sur dettes » de 11,85 % qui correspondrait à un taux de pleine concurrence, et, d’autre part, d’une « distribution cachée non déductible » d’un montant de … euros au motif que la société demanderesse aurait omis de déclarer des intérêts créditeurs sur une créance, le bureau d’imposition ayant retenu un taux d’intérêt de 12 %. C’est dès lors à bon escient que la société demanderesse explique à l’appui de son mémoire en réplique que le présent litige ne porte pas sur la question de savoir si les gains de change doivent être pris en compte ou non pour calculer la marge, mais sur l’application des règles de prix de transfert.
En effet, le tribunal constate que les reproches de l’administration, repris ensuite par le délégué du gouvernement, visent uniquement à établir que la société demanderesse n’aurait pas respecté les prescriptions de l’Analyse TP, ce qui aurait eu pour conséquence une violation du principe de pleine concurrence.
Dans la mesure où en l’espèce les obligations émises par la société demanderesse ont été souscrites par sa société mère et que par ailleurs le prêt a été accordé par la société demanderesse à sa filiale, il échet en effet de procéder à une analyse du respect du principe de pleine concurrence applicable aux transactions intra-groupes.
Il y a, à cet égard, lieu de relever que le principe de pleine concurrence ou du « dealing at arm’s length » est exposé au niveau international à l’article 9 du modèle de 23convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune, en vertu duquel « Lorsque a) une entreprise d’un Etat contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre Etat contractant, ou que b) les mêmes personnes participent directement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un Etat contractant et d’ une entreprise de l’autre Etat contractant, et que, dans l’un et l’autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence. », et est entretemps consacré dans la législation nationale, à partir de l’année fiscale 2015, à travers l’article 56 LIR, et à partir de l’année fiscale 2017, à travers l’article 56bis LIR.5 Le principe de pleine concurrence s’applique afin d’apprécier les opérations intra-
groupes, de sorte qu’il convient de vérifier si l’opération litigieuse est conforme audit principe, c’est-à-dire si elle correspond à une opération qui aurait été pratiquée et acceptée par des entreprises indépendantes dans des conditions comparables.6 En l’espèce, la genèse du litige porte sur une violation dudit principe de pleine concurrence dans le chef de la société demanderesse alléguée par l’administration, dont le caractère avéré aurait pour conséquence, toujours selon les reproches du bureau d’imposition et du délégué du gouvernement, une distribution cachée de bénéfice à l’associé unique de la société demanderesse, la société (AA1), à hauteur de … euros, ainsi qu’un apport caché imposable à hauteur de … euros à sa filiale, la société (BB) .
C’est sur cette toile de fond et sur base de ces considérations que le tribunal examinera les contestations de la société demanderesse vis-à-vis des reproches afférents à (a) un apport caché imposable et (b) une distribution cachée de bénéfice.
a. Quant aux reproches afférents à un « apport caché imposable » dans le chef de la société demanderesse Le présent volet du litige porte sur le bien-fondé du redressement opéré par le bureau d’imposition dans le chef de la société demanderesse pour l’année d’imposition 2017 concernant un « manquant d’intérêt créditeur déclaré » d’un montant de … euros dans le cadre du prêt accordé par la société demanderesse à la société (BB), qualifié par l’administration d’ « apport caché imposable ».
Aux termes de l’article 18, alinéa (1) LIR, applicable également dans le cadre de l’impôt sur le revenu des collectivités au vœu de l’article 162 LIR et de son règlement grand-
ducal d’exécution du 3 décembre 1969, « le bénéfice est constitué par la différence entre l’actif net investi à la fin et l’actif net investi au début de l’exercice, augmentée des prélèvements personnels effectués pendant l’exercice et diminuée des suppléments d’apports 5 Trib. adm., 30 mars 2023, n° 47414 du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.
6 Idem.
24effectués pendant l’exercice ».
Cette disposition impose partant l’élimination de l’actif investi de tous les suppléments d’apports en ce qu’ils « impliquent des changements de l’actif net investi non provoqués par l’exploitation ».7 La notion d’apport entre sociétés opaques englobe l’ensemble des attributions de « biens susceptibles d’investissement »8 effectuées par les associées à la société en raison de leur participation. Cette notion englobe ainsi également les apports cachés d’associés sous forme d’augmentations du bénéfice comptable de la société en raison d’opérations basées uniquement sur le lien participatif.9 Il y a apport caché si un bien est mis à disposition de la société par un associé ou une personne proche de l’associé, sans contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante et que cet apport est motivé par les relations spécifiques existant entre la société et l’associé.
L’apport caché présupposant qu’un associé ou sociétaire accorde des avantages à une société dont normalement celle-ci n’aurait pas bénéficié si l’associé ou le sociétaire n’avait pas eu cette qualité, c’est le lien participatif entre le bénéficiaire de l’avantage et celui qui l’accorde et la motivation liée à cette participation qui sont déterminants.
Cette notion englobe également les apports cachés d’associés dont l’existence peut être admise plus particulièrement lorsqu’un bien est directement ou indirectement mis à disposition de la société par un associé sans contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante, partant dans des conditions dont normalement la société n’aurait pas bénéficié si l’associé ou le sociétaire n’avait pas eu cette qualité, que cet apport est ainsi motivé par les relations spécifiques existant entre la société et l’associé et qu’un tel apport a pour effet une augmentation du résultat comptable ou un évitement d’une diminution de ce dernier.10 Le tribunal relève, à cet égard, encore que l’apport caché ne concerne pas seulement les apports d’actifs mais peut aussi concerner une réduction des dettes d’une société, par exemple lorsqu’un actionnaire abandonne une créance qu’il détient sur la société. Dès lors l’abandon de créances consenti par l’actionnaire accroît l’actif net investi de la société, par le biais d’une diminution des dettes et une augmentation du profit comptable. Sous réserve que l’abandon soit motivé par le lien social et que la créance abandonnée ne soit pas sans valeur, la transaction pourra être requalifiée en apport caché, entraînant la diminution du profit imposable de la société11, et l’augmentation du profit imposable de l’actionnaire.12 Quant à la charge de la preuve, il échet de rapporter que l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-
après désignée par la « loi du 21 juin 1999 », dispose que « La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation 7 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 571 , ad art. 46, p. 69.
8 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 571 , ad art. 46, p. 69.
9 Trib. adm. 7 mai 2007, n° 21466 du rôle, confirmé par Cour admin., 16 octobre 2007, n° 23053C, Pas. adm.
2024, V° Impôts, n° 163 (1er volet) et les autres références y citées.
10 Cour admin., 6 juillet 2017, n° 38221C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 163 (2e volet).
11 « L’apport caché : Un chemin dans la brume », publié dans les Cahiers du droit luxembourgeois, n°3 – Avril 2009, p. 15.
12 Trib. adm., 27 juin 2022, n° 46163 du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.
25fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable ». Dans la mesure où, en l’espèce, le redressement opéré par l’administration consiste à augmenter le bénéfice imposable de la société demanderesse en raison de la qualification d’apport caché d’une réduction de dette, et des intérêts courus y relatifs, envers une société liée, la société (BB), il lui appartient d’établir les faits déclenchant l’obligation fiscale et de fournir des indices sérieux de nature à mettre en doute la réalité économique de l’opération, a priori valable.13 En l’espèce, il n’est pas contesté pour se dégager, par ailleurs, des pièces versées en cause, que la société demanderesse a accordé un prêt à sa filiale, la société (BB) sur base du « Facility agreement » du 21 décembre 2010, étant précisé à cet égard que ledit prêt devait être rémunéré par un taux d’intérêt de 12%, lequel est à qualifier de taux conforme au principe de pleine concurrence selon les résultats de l’Analyse TP.
Il n’est pas non plus contesté en cause pour ressortir par ailleurs du « Settlement agreement » conclu le 29 mars 2018 entre la société (BB) , la société (DD) , la société (CC) , ainsi que la société par actions simplifiée de droit français (DD1) SAS et la société demanderesse, que celle-ci a accordé une remise de dette à la société (BB) en 2017 en acceptant de recevoir de sa part la somme de … euros pour la période allant du 1er janvier 2017 au 29 mars 2018, alors que ladite somme correspondait aux intérêts échus pour la période de janvier à septembre 2017 au taux initial de 12%. Il ressort à cet égard du compte de profits & pertes pour l’année 2017 de la société demanderesse que celle-ci a indiqué pour l’année 2017 au titre des intérêts payés par la société (BB), la somme de … euros correspondant à un taux de 6%. Ladite somme est inférieure à la somme théorique d’intérêts devant normalement être payée par la société (BB) au titre de l’année 2017 sur base du taux initial de 12% fixé par l’Analyse TP, soit … euros. Ainsi, un manque d’intérêt créditeur arrondi par l’administration à hauteur de … euros est effectivement à constater.
Si la réalité de la remise de dette accordée en 2017 à sa filiale, la société (BB), n’est pas contestée par la société demanderesse, celle-ci conteste en revanche que l’avantage caractérisé par ladite réduction de dette soit sans contrepartie, respectivement que l’octroi de celui-ci ait été motivé par le lien social existant entre elle-même et la société (BB).
Le tribunal constate à cet égard que la société demanderesse s’est effectivement écartée des conclusions de l’Analyse TP quant à l’intervalle de pleine concurrence que le taux d’intérêt devait respecter lors de la rémunération du prêt accordé à la société (BB). En effet, l’Analyse TP versée par la société demanderesse prescrit notamment le choix d’un taux d’intérêt se situant entre 7,97% et 14,2%, alors que le taux d’intérêt appliqué par la société demanderesse à sa filiale au titre de l’année 2017 après la remise de dette est de 6%, soit la moitié du taux initial de 12% qui s’inscrit dans l’intervalle de pleine concurrence de l’Analyse TP. Or, un taux de pleine concurrence prescrit par une analyse de prix de transfert correspond, par nature, à un taux d’intérêt qui est pratiqué par des entreprises indépendantes dans des conditions comparables.
Dans la mesure où la société demanderesse a accordé à la société (BB) une remise de dette caractérisée par un taux inférieur à celui qui serait normalement pratiqué entre entreprises indépendantes dans des conditions comparables, il y a a priori lieu de conclure que la société demanderesse a accordé à la société (BB) un avantage qu’une entreprise 13 Cour admin., 7 juillet 2007, n° 38221C du rôle, disponible sur www.justice.public.lu.
26indépendante n’aurait normalement pas accordé et que celui-ci a, dès lors, été motivé par le lien participatif.
Ces indices mis en avant par la partie étatique ne sont pas énervés par les explications de la société demanderesse quant aux difficultés économiques rencontrées par la société (BB), bien que ces dernières ressortent effectivement de plusieurs documents versés en cause par la société demanderesse, tel que le rapport du président de la société (BB) aux associés daté du 21 mars 2018 mentionnant que le bilan de cette dernière au 31 décembre 2017 faisait apparaitre des « capitaux propres négatifs de … euros », et qu’il y avait lieu « d’assainir la situation financière de la [s]ociété », ou encore de l’ « [a]nnonce …. » faisant état, selon le jugement d’ouverture du tribunal de commerce de … du 25 janvier 2019 prononçant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société (BB) et fixant la date de cessation des paiements au 17 décembre 2018. La circonstance que la société (BB) ait réellement connu des difficultés économiques et que la société demanderesse lui ait accordé une réduction de dettes ainsi qu’un taux d’intérêts inférieur au seuil minimal de taux de pleine concurrence corrobore l’existence d’indices selon lesquels la société demanderesse a octroyé un avantage à sa filiale en mettant à sa disposition des fonds afin que celle-ci dispose de liquidités suffisantes pour ne pas tomber en faillite Cette conclusion s’impose encore quant à la question de l’absence totale de contrepartie ou l’absence de contrepartie adéquate. Le tribunal constate qu’il ressort certes du « Settlement agreement », ainsi que d’un communiqué de presse de la société (CC) en date du 22 mars 2018, que la société demanderesse a, dans le cadre de la restructuration de la dette de la société (BB), bénéficié d’une participation minoritaire dans la société (DD), obtenue suite à l’augmentation du capital de la société (BB) en sa faveur et de l’apport consécutif de l’intégralité de sa participation dans la société (BB) à la société (DD). Le tribunal relève encore que, tel que l’explique la société demanderesse, le communiqué de presse de la société (CC) fait ressortir que, selon le directeur général, l’« intégration capitalistique de (BB) dans (DD) » permet un « alignement d’intérêts avec [la société demanderesse] ».
Toutefois, même à considérer que la société demanderesse ait, dès lors, eu un intérêt réel et certain dans la restructuration de dette et que l’obtention de la participation minoritaire dans la société (DD) , dans la mesure où elle permettrait, comme l’allègue la société demanderesse, de « préserver son investissement », peut être considérée comme une contrepartie directe de la réduction de dette accordée à la société (BB) , il ne ressort d’aucun élément du dossier que la contrepartie ainsi obtenue est adéquate, c’est à dire au moins équivalente à la diminution de l’actif net de la société demanderesse provoquée par la réduction de dette octroyée.
En effet, force est de constater qu’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal ne permet de vérifier que le nouveau taux de 6% correspond à un taux de pleine concurrence et qu’il n’a pas été fixé eu égard à l’existence du lien participatif entre la société demanderesse et sa filiale. Sans remettre en cause la réalité des difficultés financières rencontrées par la société (BB) et en tenant compte de la réalité économique qui impose la prise en considération du caractère financier et commercial des négociations ayant abouti à ce taux, le constat demeure qu’il n’est pas établi que la diminution du taux d’intérêts de moitié aurait été acceptée par un créancier à l’égard de son débiteur tiers opérant tous les deux sur le marché libre.
27 Les explications, certes circonstanciées, de la société demanderesse quant aux difficultés financières rencontrées par sa filiale, corroborées par les documents versés en cause, ne sont pas de nature à remettre en cause le constat que le taux de 6% ne correspond plus, suivant l’Analyse TP, à un taux de pleine concurrence.
Or, à défaut pour la société demanderesse d’avoir soumis une analyse de prix de transfert séparée, tenant compte des nouvelles circonstances factuelles, en vue de déterminer un nouvel intervalle de taux conformes au principe de pleine concurrence, le bureau d’imposition et, par la suite, le tribunal ont été mis dans l’impossibilité de vérifier que la fixation du nouveau taux de 6% aurait été celui consenti à un débiteur tiers opérant dans des conditions libres de marché.
L’argumentation de la société demanderesse donnant à considérer qu’« […] [i]l s’agit donc d’une transaction respectant le principe de pleine concurrence, d’autant plus qu’elle était conclue avec l’autre actionnaire tiers de (BB) – or, les règles de prix de transfert et le principe de pleine concurrence ne jouent un rôle que dans des transactions intragroupes. » est insuffisante pour établir que le nouveau taux serait de pleine concurrence. Le tribunal précise en premier lieu qu’il n’est point clair à quelle « transaction » la société demanderesse fait référence. Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la seule opération litigieuse à ce stade de l’analyse est la réduction de dette octroyée à la société (BB), entreprise liée et, par conséquent, soumise aux règles de prix de transfert dans ses rapports avec la société demanderesse. Surtout, à défaut d’explications circonstanciées, le tribunal n’entrevoit pas dans quelle mesure l’intervention d’un « autre actionnaire tiers » serait de nature à mettre en échec le caractère intra-groupe de l’activité de financement de la société demanderesse au regard des dispositions de l’article 56 LIR et de nature à rendre le nouveau taux de 6 % d’office conforme au principe de pleine concurrence.
Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure que la preuve des conditions d’un apport caché a été apportée par l’administration en l’espèce. Le moyen afférent de la société demanderesse encourt partant le rejet pour être non fondé, de sorte qu’il y a lieu de confirmer le redressement du résultat fiscal de la société demanderesse d’un montant arrondi de … euros fixé dans les bulletins d’imposition.
b. Quant aux reproches afférents à une distribution cachée de bénéfices par la société demanderesse Le présent volet du litige porte sur le bien-fondé des redressements opérés par le bureau d’imposition dans le chef de la société demanderesse pour l’année d’imposition 2017 ayant trait à un « excédent d’intérêt débiteur déduit » dans le cadre du remboursement de la dette obligataire à la société (AA1), qualifié par l’administration de distribution cachée de bénéfices.
A cet égard, le tribunal est, d’abord, amené à rappeler que l’article 164, alinéa (3) LIR dispose comme suit : « Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».
28Une distribution cachée de bénéfices existe si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.
Une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de sa substance permet de dégager sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (“ Vermögensminderung”) soit un défaut d’accroissement de l’actif (“verhinderte Vermögensmehrung”).14 La reconnaissance de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices suppose, outre que l’avantage, ait entraîné soit une diminution de l’actif, soit un défaut d’accroissement de l’actif dans le chef de la société en question, que ledit avantage soit resté pour cette dernière sans contrepartie effective en sa faveur. La notion de contrepartie effective implique que la société ait bénéficié de l’allocation d’un bien ou avantage appréciable en argent qui présente un lien économique direct avec l’avantage alloué par elle et qui constitue une compensation adéquate de la valeur de l’avantage accordé. La question de la reconnaissance d’un avantage accordé unilatéralement par la société se situe au niveau des effets économiques qui peuvent découler d’une opération unique ou de plusieurs opérations lorsque le lien économique les unissant implique l’analyse de leurs effets dans leur globalité.15 L’avantage accordé par la société doit, par ailleurs, tout comme les distributions de revenus dans les formes prévues par le droit des sociétés, encore avoir la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers dans le chef du bénéficiaire.16 En ce qui concerne la charge de la preuve, il résulte d’une lecture combinée des articles 164, alinéa (3) LIR et 59 de la loi du 21 juin 1999, que la charge de la preuve de l’existence d’ une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit, en effet, procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfice. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d’imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable que le bureau peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées.17 14 Cour adm., 19 janvier 2012, n° 28781C, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 705 (1er volet) et les autres décisions y visées.
15 Cour adm., 11 mars 2021, n° 44908C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 708 et l’autre référence y citée.
16 Cour adm., 31 juillet 2019, n° 42326C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 714 et les autres références y citées.
17 Trib. Adm., 29 avril 2019, n° 40694 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 711 et les autres références y citées.
29 Il suit de ce qui précède que pour que la qualification de distribution cachée de bénéfices puisse être retenue, il faut que l’administration apporte la preuve que, d’une part, la société demanderesse a subi une diminution ou une absence d’augmentation de son actif net et que, d’autre part, les paiements ont été effectués au profit d’un associé, d’un sociétaire ou d’un tiers intéressé.
En l’espèce, il n’est pas contesté pour résulter une fois de plus des pièces soumises au tribunal, et notamment de l’Analyse TP, qu’en ce qui concerne l’année d’imposition 2017, la société demanderesse était détenue à 100% par la société (AA1), laquelle est selon les reproches de la partie étatique, bénéficiaire de l’avantage litigieux allégué en l’espèce. La société (AA1) est en effet associé au sens de l’article 164, alinéa (3) LIR, de sorte que la première condition est remplie.
En ce qui concerne la seconde condition posée par l’article 164, alinéa (3) LIR, il échet de vérifier, tout d’abord, si l’administration a fait état d’un faisceau de circonstances rendant probable l’allocation d’un avantage sans contrepartie effective et équivalente que la société demanderesse n’aurait pas éclairé ou documenté.
A cet égard, force est au tribunal de retenir que le bureau d’imposition a mentionné dans son courrier du 14 octobre 2020 un montant arrondi de … euros qualifié d’« excédent d’intérêt débiteur déduit » en se basant sur le « Taux d’intérêt sur dettes » de 11,85% qui ressort par ailleurs de l’Analyse TP de la société demanderesse. Or, la société demanderesse ne conteste pas que suivant l’Analyse TP et le taux de 11,85%, elle aurait dû payer un montant d’intérêts de … euros sur le montant de sa dette à l’égard de la société (AA1) qui s’élevait, d’après les comptes annuels de l’exercice 2017 joints à la déclaration fiscale rectificative, à un montant total de … euros composé des « Amounts owed to affiliated undertakings » et des « Accrued interest » tel que relevé par le délégué du gouvernement. La société demanderesse ne conteste pas non plus qu’elle a payé un montant supérieur d’intérêts, à savoir un montant de … euros composé des « Financial debts interest (fixed) » et des « Financial debts interest (variable) » renseignés dans lesdits comptes. Ces éléments mettent dès lors en exergue un excédent de paiement d’intérêts envers son associé unique, la société (AA1), provoquant une diminution de l’actif net de la société demanderesse. Ainsi, la partie étatique a rapporté des indices suffisants quant à l’existence d’un avantage octroyé par la société demanderesse consistant dans l’excédent d’intérêts payé à son associé unique tirerait son origine de la relation particulière avec la société (AA1) et serait sans contrepartie effective, de sorte qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, n’aurait pas octroyé une rémunération d’intérêts excédentaire auprès d’un tiers par rapport au taux d’intérêt sur dette qualifié de taux correspondant au « principe de pleine concurrence » défini ci-avant, la partie étatique ayant donc fait état d’un faisceau d’indices rendant une distribution cachée de bénéfices probables.
Il y a, dès lors, renversement de la charge de la preuve et il appartient en conséquence, en application des principes dégagés ci-avant sur base des articles 164, alinéa (3) LIR et 59 de la loi du 21 juin 1999, à la société demanderesse de démontrer qu’il n’y a pas eu de diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre elle et son associé.
30Or, les explications de la société demanderesse quant aux modalités de calcul du taux de 11,85% en ce qu’il dépendrait de plusieurs facteurs, dont notamment la nature des revenus, ne sont pas de nature à énerver concrètement le reproche de la partie étatique quant au constat tiré ci-avant que le montant des intérêts effectivement payés par la société demanderesse à la société (AA1) au titre des obligations souscrites par elles sont supérieurs aux montants qui étaient dus en application de l’Analyse TP.
La circonstance que le taux de 11,85% ne serait pas stricto sensu issu de l’Analyse TP au motif que son objet aurait été de « prepare this transfer pricing benchmarking study with the aim of documenting and substantiating the arm’s length feature of the interest rate on the loan and the financing margin respectively », mais que ledit taux résulterait d’une méthodologie insérée dans les contrats d’obligations litigieux, n’explique pas concrètement la raison pour laquelle la société demanderesse a payé un montant d’intérêts supérieurs que ceux qu’elle aurait dû payer suivant les modalités de calculs prévues dans lesdits contrats.
Le tribunal relève encore que dans la mesure où il a confirmé ci-avant le redressement portant sur le taux applicable au prêt octroyé par la société demanderesse à sa filiale, en ce sens que le taux de 12% demeure, en l’état actuel du dossier, le seul taux de pleine concurrence corroboré par des éléments tangibles, la société demanderesse n’est pas fondée à justifier une quelconque adaptation du taux de 11,85% au motif que le calcul de ce dernier taux dépendrait du taux applicable au prêt litigieux.
Ensuite, le tribunal n’est pas en mesure de saisir la pertinence du reproche fait à la partie étatique en ce qu’elle aurait, à tort, appliqué le taux de 11,85% en tenant compte de la valeur de marché des obligations litigieuses, en lieu et place de leur valeur nominale.
Pour autant qu’à travers son argumentation, la société demanderesse aurait entendu soutenir que la différence entre les intérêts effectivement payés à la société (AA1) par rapport à ceux dont qu’elle aurait dû payer suivant l’Analyse TP, serait précisément due à cette application erronée du taux de 11,85% par la partie étatique à la valeur de marché des obligations, force est au tribunal de constater, tel que relevé ci-avant, que les montants repris par le délégué du gouvernement correspondent à ceux figurant dans les comptes joints à l’appui de la déclaration fiscale rectificative de l’année 2017, et plus particulièrement sous la rubrique « Liabilities » de la « Balance sheet as per 31 December 2017 », tant sous la colonne « commercial in EUR » que sous la colonne « fiscal in EUR ». Au-delà du constat qu’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal par la société demanderesse ne permet de déterminer que les montants en question correspondraient à la valeur nominale ou à la valeur de marché des obligations, la conclusion demeure ainsi que les montants litigieux sont issus de la propre documentation comptable et fiscale de la société demanderesse, de sorte que l’argumentation afférente est, en l’état actuel, à rejeter pour être non fondée.
A défaut d’autres éléments mis en avant, le tribunal retient que la société demanderesse est restée en défaut de remettre en cause l’existence d’un avantage octroyé à la société (AA1), de sorte que la seconde condition de l’article 164, alinéa (3) est remplie en l’espèce.
Le moyen afférent encourt le rejet pour être non fondé.
31Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le redressement du résultat fiscal de la société demanderesse d’un montant arrondi de … euros fixé dans les bulletins d’imposition est à confirmer et que le recours sous examen est à rejeter dans son ensemble pour être non fondé.
III. Quant à l’indemnité de procédure Moyens et arguments des parties Sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, la société demanderesse sollicite la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de 2.000 euros.
Le délégué du gouvernement, qui conteste ladite demande en son principe et son quantum, estime que celle-ci doit être rejetée puisque la société demanderesse ne démontrerait pas en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais exposés par elle dans la présente instance, alors que cette démonstration serait une condition sine qua non de l’octroi d’une telle indemnité.
Analyse du tribunal Eu égard à l’issue du litige, la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, à laquelle s’oppose le délégué du gouvernement, est à rejeter.
IV. Quant à la demande tendant à voir déclarer un effet suspensif du jugement Même si la société demanderesse ne le précise pas explicitement, le tribunal est amené à conclure que sa demande tendant à voir ordonner « un effet suspensif du jugement (…) pendant le délai d’appel et l’éventuelle instance d’appel » est fondée sur l’article 35, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999. Cette demande est toutefois à rejeter. En effet, l’octroi de la mesure sollicitée est, aux termes dudit article 35, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999, conditionné par l’existence d’un préjudice grave et définitif. Or, le tribunal constate qu’aucun risque d’un préjudice grave et définitif n’est invoqué, ni a fortiori établi par la société demanderesse en l’espèce.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à voir déclarer un effet suspensif du jugement ;
32rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2025 par :
Françoise EBERHARD, premier vice-président, Carine REINESCH, premier juge Benoît HUPPERICH, premier juge, en présence du greffier Lejila ADROVIC.
s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 33