La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2025 | LUXEMBOURG | N°48856

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2025, 48856


Tribunal administratif N° 48856 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48856 4e chambre Inscrit le 20 avril 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière police des étrangers

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48856 du rôle et déposée le 20 avril 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Syrie), de na...

Tribunal administratif N° 48856 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48856 4e chambre Inscrit le 20 avril 2023 Audience publique du 6 juin 2025 Recours formé par Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière police des étrangers

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48856 du rôle et déposée le 20 avril 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 janvier 2023 refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial en faveur de son père et de sa mère ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 septembre 2023 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date 20 octobre 2023 par Maître Louis TINTI, au nom et pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 novembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 janvier 2025.

__________________________________________________________________________________

En date du 6 octobre 2021, Monsieur (A), erronément désigné par son litismandataire et par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », comme se nommant « … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 22 juillet 2022, le ministre accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 21 juillet 2027.

Par courrier de son mandataire daté du 10 septembre 2022, Monsieur (A) fit introduire auprès du ministère une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 et 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de son épouse, Madame (B), de leurs fils mineurs, (C), (D) et (E), ainsi que dans le chef de sa mère, Madame (F) et de son père, Monsieur (G).

Par courrier de son litismandataire daté du 5 octobre 2022, Monsieur (A) fit parvenir des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de regroupement familial.

Par décision du 19 janvier 2023, le ministre fit droit à la demande de regroupement familial dans le chef de l’épouse de Monsieur (A) et de leurs trois fils mineurs, tout en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de ses parents, aux termes de la motivation suivante :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 13 septembre 2022.

I.

Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse et des enfants de votre mandant Je tiens à vous informer que le regroupement familial en faveur de Madame (B) et des enfants (C), (D) et (E) a été accordée. Je vous prie de bien vouloir trouver en annexe les autorisations de séjour dans leur chef.

II.

Demande de regroupement familial en faveur des parents Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d'origine ».

Or, il n'est pas prouvé que Monsieur (G) et Madame (F) sont à charge de votre mandant, qu'ils sont privés du soutien familial dans leur pays d'origine et qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens.

Par ailleurs, les intéressés ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.

Néanmoins, vu l'état de santé du père du mandant, je tiens à vous informer qu'il lui est loisible de solliciter une autorisation de séjour afin de se soumettre à un traitement médical.

En application de l'article 90 de la loi du 29 août 2008 précitée, sous réserve des conditions 2 fixées à l'article 34, paragraphes (1) et (2) de la loi, le ressortissant de pays tiers qui se propose de séjourner sur le territoire, afin de se soumettre à un traitement médical, doit produire les pièces suivantes :

a) des certificats médicaux attestant de la nécessité de se soumettre à un traitement médical avec spécification du genre de traitement et indication de sa durée prévisible ;

b) une attestation des autorités médicales du pays de provenance indiquant que le malade ne peut pas recevoir sur place les soins appropriés à son état, et en particulier le traitement médical préconisé ;

c) un accord écrit de l'établissement de santé pour l'admission du malade à une date donnée, signé du chef de service qui doit accueillir le malade ;

d) un devis prévisionnel des frais du traitement médical établi par l'établissement accueillant le malade et la preuve que le financement du traitement médical et des frais de séjour sont garantis.

La preuve visée au point d) peut être rapportée par la production d'une attestation d'une prise en charge ou d'une garantie bancaire du montant du devis prévisionnel des frais de traitement et de séjour.

Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermentée doit être jointe.

La décision à l'octroi éventuel d'une autorisation de séjour sera prise sur base de l'examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 avril 2023, inscrite sous le numéro 48856 du rôle, Monsieur (A) a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 19 janvier 2023 refusant de faire droit à sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses parents.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, recours qui est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, outre d’exposer les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, explique être d’origine syrienne et avoir quitté la Syrie en 2008, où il aurait vécu jusqu’alors avec sa mère dans la commune de …, située au sud-ouest de la Syrie, tandis que son père aurait fait quant à lui des allers-retours entre cette même commune et les pays du Golf où il aurait travaillé, tout en indiquant qu’il appartiendrait lui-même, comme ses parents, à la communauté arabe et qu’ils seraient de confession musulmane sunnite.

A l’exception de quelques séjours durant la période 2009 à 2010, il ne serait plus retourné en Syrie, alors qu’il aurait séjourné aux Emirats arabes unis jusqu’en 2018, puis en Jordanie, jusqu’au 25 septembre 2021, pays qu’il aurait quitté pour venir déposer une demande de protection internationale au Luxembourg.

Tel que déjà porté à la connaissance du ministère par son courrier daté du 5 octobre 2022, le demandeur fait rappeler qu’il ressortirait de l’original d’un certificat médical établi par le Dr. …. que son père souffrirait d’une tumeur à l’estomac et que, de ce fait, il suivrait une chimiothérapie.

En droit, le demandeur se prévaut de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée « la directive 2003/86/CE », en se référant plus particulièrement aux considérants 2, 4 et 8 ainsi qu’aux articles 1, 3, paragraphe (5), 4, paragraphes (1) et (2), 10 et 17 de celle-ci. Il cite également les dispositions de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008.

Quant à la légalité de la décision ministérielle déférée en ce qu’elle vise ses parents, le demandeur donne à considérer que s’agissant des ascendants d’un regroupant, il appartiendrait à ce dernier sur base de l’article 4, paragraphe (2), point c) de la directive 2003/86/CE et de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008, de démontrer cumulativement que ses parents seraient à sa charge et qu’ils seraient privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine, conditions qui seraient remplies en l’espèce.

A cet égard, il explique que sans le soutien matériel qu’il assurerait à ses parents, ceux-

ci seraient privés de moyens suffisants pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, tout en précisant encore que les concernés ne pourraient pas bénéficier d’un soutien matériel suffisant dans leur pays d’origine.

Par référence à un arrêt de la Cour administrative du 10 juillet 2018, inscrit sous le numéro 41077C du rôle, il fait valoir que l’état de dépendance de ses parents, préexistant à l’introduction de sa demande de regroupement familial, serait, par ailleurs, établi à suffisance par (i) l’attestation du bourgmestre de la commune de … confirmant que son père et sa mère ne disposeraient d’aucun soutien familial dans leur pays d’origine, circonstance qui serait encore corroborée par ses propres déclarations faites dans le cadre de sa demande de protection internationale, selon lesquelles tous ses frères seraient actuellement à l’étranger, ainsi que par (ii) le certificat médical établi par le Dr. … en date du 1er septembre 2022 qui viendrait préciser que son père serait atteint d’une tumeur à l’estomac.

Le demandeur estime dès lors que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’il serait loisible à son père de solliciter une autorisation de séjour afin de se soumettre à un traitement médical, conformément à l’article 90 de la loi du 29 août 2008, du fait que lui et ses parents appartiendraient à la branche sunnite de la religion musulmane et que lui, comme ses frères, serait déserteur, de sorte qu’il apparaîtrait totalement impossible d’imaginer que ses parents pourraient obtenir, de la part des autorités compétentes syriennes, une prise en charge financière, telle que celle exigée aux termes de l’article 90, précité, de la loi du 29 août 2008, eu égard au caractère particulièrement conflictuel qui caractériserait les relations entre les autorités syriennes et la communauté musulmane sunnite.

Il considère, en outre, qu’en tout état de cause, la proposition des autorités luxembourgeoises visant à voir procéder sur base de l’article 90 de la loi du 29 août 2008, serait à « regarder ni plus ni moins que comme une violation non seulement du texte des dispositions visées à l’article 70 de la prédite loi du 29 août 2008 mais encore de leur esprit », alors que si l’article 70 de la même loi aurait pour objectif de faciliter le regroupement familial dans le chef des membres de famille du bénéficiaire de la protection internationale, en considération de la situation particulière de ce dernier, la manière de procéder, en l’espèce, dans le chef du ministrereviendrait à vider cette disposition de sa substance, alors que le fait de demander de voir procéder conformément à l’article 90 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où les conditions y prévues seraient autrement plus contraignantes, mais surtout quasi-impossibles à satisfaire dans le chef d’un bénéficiaire de la protection internationale, qui ne pourrait que difficilement obtenir des autorités de son pays d’origine une quelconque aide visant à prendre en charge le coût financier du traitement en question.

Le demandeur fait encore répliquer que tant le législateur communautaire que le législateur luxembourgeois auraient marqué leur volonté de faciliter le regroupement familial des membres de famille du bénéficiaire de la protection internationale, tel que ce serait le cas en l’espèce. Il précise, dans ce contexte, que même si aucune norme applicable n’emporterait obligation à l’égard des autorités ministérielles luxembourgeoises de permettre le regroupement familial de ses parents, il ne saurait pas non plus être permis que la législation applicable pourrait avoir pour conséquence de porter atteinte à l’objectif et à l’effet utile de la directive 2003/86/CE, qui serait de favoriser le regroupement familial.

A cet égard, il insiste sur le fait que les critères sur base desquels se détermineraient le droit au regroupement familial dans le chef de ses parents, notamment la charge de la preuve qui lui incomberait, devraient dès lors s’apprécier avec souplesse, compte tenu notamment de la situation personnelle des personnes concernées par la demande se caractérisant en l’espèce par une extrême précarité pour être originaires d’un pays déstabilisé par un conflit interne.

Le demandeur reproche, ainsi, à la partie gouvernementale d’avoir manqué à cette souplesse dans l’appréciation des critères sur base desquels se déterminerait le regroupement familial, à savoir que ce serait de manière contestable qu’elle aurait soutenu que la notion d’« ascendant à charge » devrait nécessairement être vérifiée antérieurement à la demande, respectivement qu’il n’aurait en l’espèce apporté aucune preuve d’un quelconque soutien matériel ou financier au profit de ses parents depuis son départ de Syrie en 2008.

Il critique la partie étatique d’avoir à tort soutenu cette argumentation par référence aux travaux parlementaires relatifs à l’élaboration de la loi du 29 août 2008 et plus particulièrement aux commentaires de l’article 12 de cette loi, concernant le regroupement familial avec un ressortissant communautaire, et, par référence à un arrêt de la Cour administrative du 10 juillet 2018, pour définir la notion d’« ascendant à charge » devant nécessairement préexister à la demande.

Le demandeur estime que si l’on pourrait admettre que la notion d’« ascendant à charge » devrait nécessairement être vérifiée antérieurement à la demande, s’agissant d’un ressortissant de pays tiers, tel que l’invoquerait l’article 12 de la loi du 29 août 2008, pour être regroupé avec un citoyen de l’Union européenne, il devrait en être autrement, s’agissant du regroupement familial visé aux articles 69 et suivants de la même loi, lesquels viseraient le regroupement familial de membres de famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale.

Ainsi, le demandeur considère que, dans cette dernière hypothèse, dans l’idée de faciliter le regroupement familial afin de respecter l’effet utile de la directive 2003/86/CE, il ne saurait lui être exigé de rapporter la preuve d’un soutien matériel ou financier antérieur à sa demande, et ce, dès lors que cette antériorité correspondrait, dans les faits, à une période durant laquelle le demandeur se serait trouvé, soit sur le chemin de l’exode, soit en attente de bénéficier de la protection internationale, ce qui correspondrait concrètement à plusieurs années durant lesquelles il lui aurait été impossible de disposer du moindre revenu et donc d’aider ses parents.

Il explique, à cet égard, qu’il n’aurait, en l’espèce, au mois d’août 2022, soit à une date postérieure à l’octroi de l’asile politique dans son chef, toujours pas perçu le moindre revenu au titre du revenu d’inclusion sociale (REVIS), de sorte qu’il serait d’avis que l’appréciation des critères sur base desquels se définirait la notion d’« ascendant à charge », s’agissant d’une demande introduite par un bénéficiaire d’une protection internationale, devrait se faire, au moment de l’introduction de la demande et non antérieurement à celle-ci. Le demandeur affirme dès lors qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir soutenu matériellement ou financièrement ses parents avant l’introduction de sa demande de regroupement familial.

En second lieu et toujours par considération de la nécessaire souplesse avec laquelle devraient s’apprécier les critères sur base desquels se fonderait le droit au regroupement familial, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que la partie étatique soulèverait un manque de pertinence du certificat émis par le bourgmestre de la commune de ….

Il estime que ledit certificat, ajouté aux autres éléments du dossier, tel que notamment le certificat médical établissant que son père serait atteint d’une tumeur à l’estomac, permettrait de retenir à suffisance de droit que ce dernier se trouverait dans un état de besoin le rendant incapable de satisfaire ses besoins par ses propres moyens, eu égard à la situation chaotique qui règnerait en Syrie, cet état de besoin ne pouvant être énervé par la prise en considération des éléments dégagés de son rapport d’entretien des 3 et 25 février 2022 sur sa demande de protection internationale, selon lesquels son père aurait arrêté ses activités de chauffeur de camion en 2010, à savoir qu’« il [serait] à la maison (…) et il [cultiverait] le jardin de la maison et ils [vivraient] de cela » ou encore que lorsque son père serait retourné en Syrie « il [aurait] dit qu'il ne voulait plus quitter et que s'il devait mourir, il voulait mourir chez lui. », dès lors qu’à ce moment son père n’aurait pas encore été malade.

S’agissant finalement de la proposition du ministre de voir appliquer l’article 90 de la loi du 29 août 2008 au vu de l’état de santé de son père, le demandeur souligne que s’il serait exact que la preuve de la prise en charge du traitement indispensable à son père ne devrait pas nécessairement être établie par les autorités syriennes, mais pourrait l’être par une attestation de prise en charge, il devrait néanmoins être considéré, à cet endroit, que sa situation financière ou celle des autres membres de sa famille serait à ce point précaire qu’aucun d’eux ne saurait valablement établir une telle prise en charge, tout en précisant que la pathologie dont souffrirait leur père nécessiterait des frais importants qu'ils ne pourraient raisonnablement supporter.

Au vu de toutes ces considérations, le demandeur conclut à l’annulation de la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal est amené à rappeler que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

1 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en annulation, n° 41 (2e volet) et les autres références y citées.Force est encore de relever que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.

Il échet ensuite de relever que le demandeur n’a formulé aucun moyen par rapport à l’affirmation du ministre selon laquelle aucune condition permettant à ses parents de bénéficier d’une autorisation de séjour en application de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 ne serait remplie en l’espèce, de sorte que ce volet de la décision n’est pas attaqué et n’a pas à être examiné par le tribunal.

En ce qui concerne l’argumentation du demandeur tenant à l’article 90 de la loi du 29 août 2008, elle encourt d’emblée le rejet pour manquer de pertinence, alors qu’aucune décision y relative n’a été prise en l’espèce par le ministre, étant encore précisé qu’il s’agit seulement d’une proposition du ministre de délivrer à Monsieur (G) une autorisation de séjour afin de se soumettre à un traitement médical.

Force est ensuite au tribunal de constater que la décision déférée a été adoptée sur base de l’article 70 de la loi du 29 août 2008.

Il échet de rappeler que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68, point c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence le bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.

Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision ministérielle litigieuse, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. (…) (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que : « Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la 2 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 545 (1er volet) et les autres références y citéessécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

Il ressort encore de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec unmembre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de la même loi, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur (A) a introduit la demande de regroupement familial dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.

En considération du fait que le regroupant bénéficie de la dispense précitée de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, il convient uniquement d’examiner si les conditions figurant à l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 sont remplies en l’espèce.

Quant à la question de savoir si les parents du demandeur sont susceptibles d’être qualifiés de membre de la famille au sens des dispositions de la prédite loi, force est de relever que les liens familiaux entre le demandeur et Madame (F), ainsi que Monsieur (G) ne sont pas contestés par le ministre, de sorte qu’ils sont à considérer comme avérés.

Le paragraphe (5) de l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008 donne au ministre une compétence discrétionnaire lui permettant d’accorder le droit au regroupement familial aux personnes y visées. Ce regroupement familial étant considéré par le législateur comme étant exceptionnel, il laisse au ministre un pouvoir d’appréciation s’exerçant au cas par cas3.

Néanmoins, si le ministre dispose d’un tel pouvoir discrétionnaire, celui-ci reste soumis au contrôle du tribunal administratif dans les limites du recours en annulation dont il est saisi, en ce qu’il est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision ministérielle, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion manifeste devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision4.

Au-delà de ce constat tenant au pouvoir d’appréciation du ministre, il se dégage de l’article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008 que l’octroi d’une autorisation de séjour sur le fondement de cette disposition est subordonné aux conditions cumulatives selon lesquelles les ascendants désireux de rejoindre le regroupant doivent, d’une part, être à charge de ce dernier et, d’autre part, être privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine, le respect de ces deux conditions étant, en l’espèce, contesté par la partie étatique.

Il échet de relever que, si l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer notamment que l’ascendant y visé soit « à charge » sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, les travaux parlementaires se trouvant à la base de l’élaboration de la loi 3 Doc. parl. n° 5802 à la base de la loi du 29 août 2008, commentaire des articles, p. 75.

4 Trib. adm. 20 décembre 2018, n° 40562 du rôle, confirmé par Cour adm. 2 avril 2019, n° 42291C du rôle, Pas.

adm. 2024, V° Etrangers, n° 579.du 29 août 2008, et plus particulièrement les commentaires des auteurs de la loi, ont circonscrit la notion d’être « à charge » par « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…) »5, de sorte que le législateur a entendu viser une situation de dépendance « matérielle », donc financière.

Il s’ensuit que la notion d’être « à charge » est à entendre en ce sens que les membres de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial, ne disposant pas de ressources personnelles suffisantes, ont besoin du soutien matériel du regroupant à un point tel que son défaut aurait pour conséquence de les priver des moyens de subvenir à leurs besoins essentiels6, la preuve de ce soutien pouvant être rapportée par tous moyens.

Etant donné que l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 ne précise ni le montant ni la fréquence des contributions financières qu’un regroupant doit fournir à sa famille pour que celle-ci puisse être considérée comme étant à sa charge, l’importance de ce soutien financier est à apprécier au regard des faits d’espèce.

Or, en l’espèce, le tribunal relève que le demandeur n’établit pas qu’au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial, Madame (F) et Monsieur (G) se seraient personnellement trouvés dans un lien de dépendance financière à son égard à un point tel que sans ce soutien matériel, ils ne pourraient pas subvenir à leurs besoins essentiels dans leur pays d’origine, à savoir en Syrie, pays dans lequel ils résideraient actuellement.

En effet, à l’exception d’une attestation du bourgmestre de la commune de …, datée au 17 août 2022, aux termes de laquelle son père et sa mère ne disposeraient d’aucun soutien familial dans leur pays d’origine, sans autre précision sur leur situation, étant relevé, à cet égard, que le demandeur a déclaré dans le cadre de sa demande de protection internationale que son père aurait arrêté ses activités de chauffeur de camion en 2010 et qu’« il [serait] à la maison (…) et il [cultiverait] le jardin de la maison et ils [vivraient] de cela », le demandeur est resté en défaut de rapporter concrètement et matériellement la preuve qu’il a fait parvenir à ses parents un soutien matériel de nature à leur permettre de subvenir à leurs besoins essentiels en Syrie, aucun élément précisant leurs réels moyens de subsistance en Syrie ayant été apporté en l’espèce.

Ce constat n’est pas énervé par le certificat médical dont se prévaut le demandeur, alors que ledit certificat médical établi par le Dr. …, daté du 5 octobre 2022, lequel renseigne sur l’état de santé du père du demandeur, lequel souffre d’une tumeur à l’estomac, ne saurait, sans autres précisions quant à la situation des parents en Syrie, suffire pour établir une incapacité des parents de subvenir à leurs propres besoins, d’autant plus que ledit certificat précise également que le père du demandeur suit, de ce fait, une chimiothérapie en Syrie.

Ainsi, à défaut de preuves circonstanciées, c’est à bon droit que le ministre a retenu que les parents du demandeur ne sont pas à sa charge au sens de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les éléments apportés par le demandeur ne sont en tout état de cause pas suffisants.

5 Doc. parl. n° 5802 à la base de la loi du 29 août 2008, commentaire des articles, p. 61.

6 Trib. adm. 25 septembre 2013, n° 31593 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.La première des deux conditions cumulatives de l’article 70, précité, ne se trouvant partant pas remplie en l’espèce, il devient surabondant d’examiner la deuxième condition quant au soutien familial auquel les parents du demandeur peuvent, le cas échéant, prétendre dans leur pays d’origine. Ainsi, le demandeur ne saurait, en l’état actuel d’instruction du dossier, mettre en cause la décision du ministre de lui refuser le regroupement familial dans le chef de ses parents.

Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement rejeter cette demande basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008, sans que l’argumentation du demandeur quant à la proposition du ministre d’envisager une autorisation de séjour sur base de l’article 90 de la loi du 29 août 2008 ne soit pertinente à cet égard, tel que relevé ci-avant.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause la légalité de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 juin 2025 par :

Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48856
Date de la décision : 06/06/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2025-06-06;48856 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award