Tribunal administratif No 48702 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:48702 4e chambre Inscrit le 15 mars 2023 Audience publique du 10 juin 2025 Recours formé par la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), … (Slovénie), contre une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines en matière d’amende administrative
_____________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48702 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2023 par Maître Miloud AHMED BOUDOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), établie et ayant son siège social à SLO-…, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, sise à L-8009 Strassen, 151, route d’Arlon, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 13 décembre 2022 réduisant, sur opposition, l’amende administrative prononcée à son encontre par la décision du 25 octobre 2022 à 4.000 euros ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2023 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Miloud AHMED BOUDOUDA et Monsieur le délégué du gouvernement Luca ESTGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mai 2025.
_____________________________________________________________________________
A la suite d’un contrôle effectué le 19 septembre 2022 sur le lieu de travail sis à L-…, l’Inspection du Travail et des Mines, dénommée ci-après « l’ITM », sur base du constat que la société à responsabilité limitée de droit slovène (AA), ci-après désignée par « la Société », avait détaché des salariés en vue d’effectuer une prestation de service sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, tout en ayant omis de transmettre certaines informations et documents visés par les articles L. 142-2 et L. 142-3 du Code du travail concernant ses salariés, adressa, par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 septembre 2022 une injonction à la Société lui demandant conformément aux articles L. 614-4, paragraphe (1), point a) et L. 614-5 du Code du travail, de régulariser sa situation par rapport aux articles L. 142-2 et L. 142-3 du même Code, endéans un délai de 15 jours calendrier, par la communication via la plateforme électronique prévue à cet effet, de toutes les informations et de tous les documents requis, traduits en langue française ou allemande, tout en l’avertissant que tout manquement de sa part de s’y conformer risquerait de l’exposer aux mesures et sanctions administratives prévues à l’article L. 143-2 du Code du travail.
Suite à la transmission de certains documents par la Société en date des 26 septembre, 3, 14 et 21 octobre 2022, le directeur de l’ITM, ci-après dénommé « le directeur », infligea, par décision du 25 octobre 2022, une amende administrative de 12.000 euros à la Société, sur base de l’article L. 614-13 du Code du travail, pour avoir omis de donner entièrement suite à l’injonction précitée du 22 septembre 2022 et de prendre toutes les mesures requises endéans les délais impartis.
Suite à la transmission de certains documents par la Société en date des 27 octobre et 9 novembre 2022, le directeur, en date du 13 décembre 2022, déclara ladite opposition dirigée contre la décision, précitée, du 25 octobre 2022 partiellement fondée, en réduisant l’amende prononcée à l’égard de la Société à 4.000 euros, dans les termes suivants :
« (…) Vu les articles L. 142-2, L. 142-3 et L 143-2 du Code du travail ;
Vu l'article L. 614-13, paragraphe 1er à 4, du Code du travail ;
Vu l'injonction du 22 septembre 2022 qui a été établie conformément aux articles L. 614-4, paragraphe 1er, point a), deuxième tiret et L. 614-5 du Code du travail par …, Inspecteur principal du travail, de l'Inspection du travail et des mines ;
Vu la décision du 25 octobre 2022 du Directeur de l'Inspection du travail et des mines d'infliger une amende administrative « ITM Amende … » de 12.000 euros à la société (AA) sise à SLO-…, en sa qualité d'employeur, pour avoir omis de prendre à la date de la décision précitée toutes les mesures requises par l'injonction de l'Inspection du travail et des mines du 22 septembre 2022;
Vu l'opposition du 9 novembre 2022 contre ladite décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, qui a été notifiée par la société (AA), préqualifiée, et qui a été reçue par l'Inspection du travail et des mines en date du 9 novembre 2022 ;
Attendu que l'opposition du 9 novembre 2022 contre la décision du Directeur de l'Inspection du travail et des mines a été régulièrement notifiée endéans un délai de quinze jours calendrier à compter de la date de notification de l'amende administrative ;
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié le certificat de TVA délivré par l'Administration de l'enregistrement, et des domaines et de la TVA;
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié la copie de l'autorisation de séjour ou d'un titre de séjour du salarié détaché … (…);
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié les documents officiels attestant les qualifications professionnelles des salariés détachés … (…), … (…), … (…), … (…), et … (…) ;
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié une copie du registre relatif à l'hébergement visé à l'article L. 291-3 du Code du travail des salariés détachés … (…), … (…), … (…), … (…), … (…), et … (…) ;
2 Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié l'original ou la copie certifiée conforme du formulaire A1 des salariés détachés … (…), et … (…) ou, le cas échéant, et l'indication précise des organismes de sécurité sociale auxquels ces salariés préqualifiés sont affiliés pendant leur séjour sur le territoire luxembourgeois;
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié les copies du certificat médical d'embauchage délivré par les services de santé au travail sectoriellement compétents des salariés détachés … (…), … (…), … (…), et … (…) ;
Attendu que la société (AA), préqualifiée, a notifié les copies des contrats de travail ou les attestations de conformité à la directive 91/533/CEE du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le salarié des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail des salariés détachés … (…), … (…), … (…), et … (…) ;
*** Attendu que la société (AA), préqualifiée, n'a cependant pas notifié à la date de la décision 25 octobre 2022 du Directeur de l'Inspection du travail et des mines, les documents suivants et l'information suivante ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié le lieu de résidence habituelle du salarié détaché … (…) ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié l'original ou la copie certifiée conforme du formulaire A1 du salarié détaché … (…), ou, le cas échéant, l'indication précise des organismes de sécurité sociale auxquels ce salarié préqualifié est affilié pendant son séjour sur le territoire luxembourgeois ;
Que la société (AA) a notifié en date du 23 novembre 2022 un formulaire A1 du salarié détaché … (…), dont la durée de validité s'étend du 2 juin 2021 au 1er août 2021, alors que la société (AA) a détaché ledit salarié sur le Grand-Duché de Luxembourg en date du 19 septembre 2022 ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié, le formulaire A1 du salarié détaché … (…) ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié la copie du certificat médical d'embauchage délivré par les services de santé au travail sectoriellement compétents du salarié détaché … (…) ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié la copie du contrat de travail ou l'attestation de conformité à la directive 91/533/CEE du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le salarié des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail du salarié détaché … (…) ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié les documents officiels attestant les qualifications professionnelles du salarié détaché … (…) ;
Que la société (AA), préqualifiée, n'a en effet pas notifié une copie du contrat de prestation de services conclu avec le maître d'ouvrage ou donneur d'ordre … ;
3 Que les éléments relatifs à la présente situation peuvent conduire à accorder une décharge partielle à la société (AA), préqualifiée, quant à l'amende administrative infligée ;
Par ces motifs le Directeur de l'Inspection du travail et des mines se déclare compétent pour connaître de l'opposition introduite par la société (AA) sise à SLO-…, en sa qualité d'employeur;
la dit recevable et partiellement fondée ;
réduit le montant de l'amende administrative « ITM Amende … » imposée à la société (AA) sise à SLO-…, en sa qualité d'employeur, à la somme de 4.000 euros, à payer dans un délai de quinze jours (…). ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2023, la Société a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 13 décembre 2022 ayant réduit, sur opposition, à 4.000 euros l’amende, lui infligée à travers la décision directoriale du 25 octobre 2022.
En ce qui concerne la compétence du tribunal pour statuer sur la décision directoriale déférée du 13 décembre 2022, il convient de rappeler qu’en application des articles L. 143-3 et L. 614-14 du Code du travail, les décisions de l’ITM « sont soumises au recours en réformation visé à l’article 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ».
Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, à titre principal, contre l’acte litigieux, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire et sur le moyen d’irrecevabilité y relatif, tel que développé par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, cet examen étant devenu surabondant.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique se rapporte à prudence de justice, en ce qui concerne la recevabilité ratione temporis du recours sous examen.
Force est au tribunal de préciser que si le fait de se rapporter à prudence de justice constitue une contestation, une contestation non autrement étayée est cependant à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions 1.
Etant donné que la partie étatique est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours serait irrecevable, quant au délai, la demande afférente encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.
1 Trib. adm. 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n° 930 (2e volet) et les autres références y citées.
Le recours en réformation dirigé contre la décision du directeur du 13 décembre 2022 est, par ailleurs, à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond et à l’appui de son recours, la demanderesse rappelle certains faits et rétroactes tels que relevés ci-avant, tout en faisant observer que le délai lui accordé pour répondre à l’injonction du 22 septembre 2022 et pour faire traduire les documents nécessaires aurait été largement insuffisant. Elle fait encore valoir qu’entretemps, un responsable se serait rendu à l’ITM où on aurait personnellement garanti à ce dernier que le délai serait prolongé.
La demanderesse explique ensuite qu’une fois toutes les traductions effectuées, l’intégralité des documents requis aurait été fournie, de sorte que l’injonction aurait été respectée.
En droit, la demanderesse conclut à un excès de pouvoir dans le chef du directeur, alors que le délai de quinze jours pour répondre à l’injonction du 22 septembre 2022 ne lui aurait pas permis, en tant que société de droit étranger, avec siège social en Slovénie, d’exercer son droit de réponse conformément aux règles de la procédure administrative contentieuse au regard du fait que la traduction de l’intégralité des pièces en français ou en allemand aurait été sollicitée et que ces circonstances auraient dû permettre un allongement dudit délai en raison de la distance.
Elle fait encore relever que son responsable aurait effectué toutes les diligences demandées endéans un délai raisonnable et en tous cas avant la décision du 13 décembre 2022, ce qui ressortirait des pièces qu’elle aurait versées à l’appui de son recours, de sorte que l’amende serait à annuler, respectivement que le montant de l’amende serait à réduire à de plus justes proportions, eu égard aux circonstances de l’espèce.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Force est de rappeler, à titre liminaire, en ce qui concerne la loi applicable à l’examen du bien-fondé du présent recours, que si, dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, consacré à l’article 2 du Code civil, le tribunal doit apprécier tant la question du champ d’application du Code du travail que celle de la qualification des faits au regard des obligations y inscrites et susceptibles de conduire à une sanction administrative, ainsi que la question de la compétence du pouvoir sanctionnateur au regard du Code du travail tel qu’il était en vigueur au moment des faits, respectivement au jour de la décision déférée, le principe et le quantum de la sanction étant, par contre, à analyser sur base de la version du Code du travail applicable au jour du jugement.
Aux termes de l’article L. 614-4, paragraphe (1), point a) du Code du travail : « (1) Les membres de l’inspectorat du travail, sont autorisés en outre : a) à procéder à tous les examens, contrôles ou enquêtes jugés nécessaires pour s’assurer que les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles sont effectivement observées et notamment : (…) 2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citées - à demander communication dans les meilleurs délais de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail, en vue d’en vérifier la conformité avec les dispositions légales, réglementaires, administratives et conventionnelles, de les reproduire ou d’en établir des extraits; (…) ».
Il résulte de cette disposition légale que les membres de l’ITM peuvent procéder aux contrôles et examens qu’ils estiment nécessaires en vue de garantir l’observation des dispositions légales et réglementaires, respectivement conventionnelles applicables et qu’ils peuvent, à cette fin, notamment demander communication de tous les documents et informations relatifs aux conditions de travail des salariés d’une entreprise endéans un certain délai, ce qui a été fait en l’espèce par le biais de l’injonction litigieuse du 22 septembre 2022, enjoignant à la demanderesse de verser toute une série de documents relatifs au détachement de six de ses salariés sur le territoire luxembourgeois, en vue de permettre à l’ITM de procéder à la vérification du respect de toutes les dispositions légales en matière de détachement.
En ce qui concerne d’abord le moyen tiré de l’excès de pouvoir tenant à critiquer le délai lui imparti par l’ITM pour la transmission des documents requis, force est d’abord de relever qu’il a été jugé qu’en vertu de l’article L. 614-4, paragraphe (1) précité du Code du travail, autorisant l’ITM à demander la communication de tous livres, registres, fichiers, documents et informations relatifs aux conditions de travail « dans les meilleurs délais », c’est-à-dire dans un court délai, combiné avec l’article L. 614-13, paragraphe (1) du même Code selon lequel « En cas de non-respect endéans le délai imparti, des injonctions du directeur [de l’ITM] ou des membres de l’inspectorat du travail, dûment notifiées par écrit, conformément aux articles L. 614-4 à L. 614-6 et L. 614-8 à L. 614-11, le directeur de l’Inspection du travail et des mines est en droit d’infliger à l’employeur, à son délégué ou au salarié une amende administrative », que tant le directeur que les membres de l’ITM sont en droit de fixer, dans leurs injonctions adressées à un employeur, un délai dans lequel ces informations et documents doivent être remis à l’ITM3, délai qui est de rigueur en ce que son non-respect autorise le directeur à infliger une amende administrative à la personne visée par l’injonction non respectée. Dans la mesure où l’article L. 143-2 du Code du travail, dans sa version applicable au moment de la décision déférée, prévoit expressément que l’amende administrative prononcée par le directeur suite à la constatation d’infractions aux dispositions des articles L. 142-2 et L. 142-3 du même Code, doit respecter la procédure d’injonction prévue à l’article L. 614-13 du Code du travail, le même constat s’impose en l’espèce.
Par ailleurs, si la loi elle-même ne prévoit aucun délai précis endéans lequel les pièces et informations sollicitées par l’ITM doivent lui être communiquées, la mention « meilleurs délais », laisse une marge d’appréciation certaine au directeur, ainsi qu’aux autres membres de l’ITM pour fixer un délai en vue d’obtenir la communication des pièces et informations ainsi visées4.
En considération du fait que les pièces et informations sollicitées par l’injonction du 22 septembre 2022 sont des documents standard que tout employeur devrait a priori avoir à sa disposition dès l’écoulement du mois afférent, le délai de 15 jours calendaires ne saurait a priori porter à critique.
3 Trib. adm., 12 mars 2019, n° 39663 du rôle, Pas. adm. 2024, V° Travail, n° 266 et l’autre référence y citée.
4 Ibidem.
Si la demanderesse estime que le délai lui imposé aurait été insuffisant pour la communication de la traduction des documents sollicités, force est toutefois de constater que dans la mesure où il ressort des considérations qui précèdent que le délai de 15 jours était, en l’espèce, suffisant, et que l’ITM, sans aucune réaction de la part de la Société dans le délai utile, n’a, dès lors, pas fait un usage disproportionné du pouvoir lui accordé par la loi dans ce contexte, étant relevé qu’il s’est écoulé un délai d’un mois avant le prononcé de la première décision directoriale. Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle la traduction desdits documents aurait requis un allongement dudit délai en raison de la distance, alors que les documents sollicités par l’ITM étaient, dans tous les cas, à communiquer à l’ITM sur la plateforme électronique destinée à cet effet, à compter du jour du commencement du détachement, étant encore précisé, à cet égard, que la Société, ayant fait l’objet d’un contrôle de l’ITM en date du 19 septembre 2022, avait connaissance, depuis au moins cette date, de son obligation de présenter la documentation relative à la déclaration de détachement, telle qu’imposée par les articles L. 142-2 et L. 142-3 du Code du travail et que, contrairement à ses dires, il n’est pas établi qu’elle se serait manifestée pour solliciter une prolongation du délai lui imparti ni que ledit délai aurait été prolongé oralement, tel que le soutient la demanderesse.
Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tirée d’un prétendu excès de pouvoir en ce qui concerne le délai lui imposé pour communiquer les documents sollicités encourt le rejet pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne ensuite le moyen tenant à affirmer que la totalité des documents sollicités dans l’injonction du 22 septembre 2022 aurait été remise, preuve dont la demanderesse a la charge, il échet de relever qu’il résulte tant des pièces versées en cause, que des explications de part et d’autre, que la totalité des pièces y énumérées n’a pas été remise à l’ITM dans les délais impartis par ladite injonction.
En effet, force est de constater que si la demanderesse affirme avoir transmis à l’ITM la totalité des documents réclamés par l’injonction du 22 septembre 2022 avant même que la décision litigieuse du 13 décembre 2022 n’ait été prise, notamment dans le cadre de ses transmissions de documents en date des 26 septembre, 3, 14 et 21 octobre, ainsi que 9 novembre 2022, il ressort tant du dossier administratif que du mémoire en réponse du délégué du gouvernement que la communication, (i) en ce qui concerne le salarié détaché …, du certificat de résidence habituel, du formulaire A1, du certificat médical d’embauche, du contrat de travail, respectivement de l’attestation de conformité, ainsi que des documents établissant ses qualifications professionnelles, (ii) en ce qui concerne le salarié détaché …, du formulaire A1, et (iii) du contrat de prestation de services avec le maître d’ouvrage, respectivement avec le donneur d’ordre, en l’occurrence la société …, n’a pas été faite, conclusion que la demanderesse n’a pas utilement remise en cause dans le cadre du recours sous examen, faute d’avoir pris position par un mémoire en réplique. Ainsi, elle reste actuellement toujours en défaut de fournir les documents précités lui réclamés dans le cadre de l’injonction du 22 septembre 2022, qu’elle reste partant en défaut d’avoir intégralement respectée.
Ainsi, au-delà de ce qu’aux vœux de l’article L. 614-13 précité du Code du travail, le simple retard dans les suites données à une injonction est déjà passible d’une amende, le fait qu’en l’espèce, la totalité des documents sollicités n’avait pas été remise dans le délai imparti,amène le tribunal à conclure que c’est a priori à bon droit que le directeur a infligé une amende administrative à la demanderesse.
Etant donné que ni le dossier administratif, ni les pièces versées par la demanderesse à l’appui de son recours ne comportent les documents énumérés ci-avant, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a fait valoir que la demanderesse n’est pas seulement restée en défaut d’avoir respecté le délai de 15 jours y relatif pour leur transmission, tel que figurant dans l’injonction concernée du 22 septembre 2022, mais qu’elle reste actuellement toujours en défaut de les avoir versés, même en cours d’instance.
Il s’ensuit que l’affirmation selon laquelle l’injonction aurait été respectée encourt le rejet.
En ce qui concerne, finalement, le bien-fondé et le montant de la sanction retenue, il échet d’abord de rappeler qu’en vertu de l’article L. 143-2, paragraphe (1) du Code du travail, « Les infractions aux dispositions des articles L. 142-2, L. 142-3 L. 145-4, L. 145-5, L. 145-6, et L. 281-1 sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché et entre 2.000 et 10.000 euros en cas de récidive dans le délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende.
Le montant total de l’amende ne peut être supérieur à 50.000 euros.
Pour fixer le montant de l’amende, le directeur de l’Inspection du travail et des mines prend en compte les circonstances et la gravité du manquement ainsi que le comportement de son auteur. (…) ».
Ainsi, les infractions aux dispositions des articles L. 142-2 et L. 142-3 du Code du travail sont passibles d’une amende administrative entre 1.000 et 5.000 euros par salarié détaché, le montant de l’amende ne pouvant être supérieur à 50.000 euros. L’amende tient compte des circonstances et de la gravité du manquement, ainsi que du comportement de son auteur, de sorte que l’article L. 143-2, paragraphe (1), précité, du Code du travail laisse une certaine marge d’appréciation à l’autorité compétente en ce qui concerne le montant à prononcer à titre d’amende administrative.
En l’espèce, il ressort de l’analyse de la décision déférée que la Société s’est vu infliger une amende administrative de 4.000 euros pour avoir contrevenu aux articles L. 142-
2 et L. 142-3 du Code du travail, c’est-à-dire une amende se trouvant dans la fourchette légale, s’agissant de deux salariés concernés.
A cet égard, il convient encore de rappeler que le tribunal, saisi d’un recours en réformation, est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et quant à son opportunité, avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision, impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer5, de sorte qu’il y a lieu de statuer suivant les éléments de fait et de droit présentement acquis6 afin de vérifier si l’amende confirmée par la décision déférée est toujours justifiée au jour où le tribunal statue.
5 Trib. adm., 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 16 et les autres références y citées.
6 Trib. adm., 8 juillet 2002, n° 13600 du rôle, Pas adm. 2024, V° Recours en réformation, n° 17 et les autres références y citées.Force est ensuite de rappeler que si la partie étatique admet qu’une partie des documents sollicités par l’ITM à travers son injonction du 22 septembre 2022 ont été entretemps remis par la Société, c’est à bon droit qu’elle conteste cependant l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la totalité des documents sollicités se trouverait désormais en possession de l’ITM.
En effet, il appartient au demandeur de rapporter la preuve qu’il a communiqué la totalité des documents requis à l’administration et non à l’administration de rapporter la preuve négative qu’elle ne disposerait pas des pièces en question7, la simple affirmation en ce sens étant insuffisante, de sorte qu’en l’absence de preuve contraire, la demanderesse reste toujours en défaut d’établir qu’elle a mis à disposition de l’ITM la totalité des documents visés par l’injonction du 22 septembre 2022, et plus particulièrement les documents retracés ci-avant, telles que ce manquement a déjà été constaté par le décision directoriale déférée du 13 décembre 2022.
Etant donné que le tribunal a retenu ci-avant que l’amende décidée à l’encontre de la demanderesse était justifiée dans son principe, étant donné que le délai pour la transmission des documents sollicités n’a pas été respecté, alors que ledit délai a expiré le 13 octobre 2022, et, vu que certains documents sollicités par l’ITM sont toujours en souffrance à l’heure actuelle, de sorte que le retard y relatif s’est encore accentué, empêchant toujours l’ITM de contrôler si la partie demanderesse s’est bien conformée à ses obligations légales vis-à-vis de tous ses salariés, ce qui a été l’objectif primaire du contrôle du 19 septembre 2022, le montant de l’amende prononcée par la décision déférée ne saurait être considéré comme étant disproportionné par rapport aux critères fixés par le paragraphe (1) de l’article L. 143-2 du Code du travail, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen afférent.
Il s’ensuit que le recours en réformation sous examen est à déclarer comme non-fondé en tous ses moyens.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par la demanderesse en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.000 euros.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du directeur de l’Inspection du Travail et des Mines du 13 décembre 2022 ;
au fond, le dit non-justifié et en déboute :
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision déférée du 13 décembre 2022 ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
7 Voir en ce sens Trib. adm., 21 mai 2007, n° 22205 du rôle, conf. par Cour adm., 6 décembre 2007, n°23150C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Procédure contentieuse, n°889 et l’autre référence y citée. laisse les frais et dépens de l’instance à la partie demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juin 2025 par :
Paul Nourissier, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier, Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juin 2025 Le greffier du tribunal administratif 10